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Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Jonathan Benchimol
associés à l'instauration de cette nouvelle confiance envers la monnaie ? En premier lieu, la
dollarisation supprime le risque de change de manière automatique. Le pays dollarisé se met donc
à l'abri de la possibilité d'attaques spéculatives, sauf à imaginer une attaque contre le dollar. En
particulier, l'Equateur met un terme aux conséquences désastreuses de la forte dépréciation du
taux de change sur la solvabilité des entreprises endettées en dollar et sur la solidité du système
bancaire. En deuxième lieu, il est attendu de la dollarisation un contexte macro-économique
stable caractérisé par des taux d'intérêt et d'inflation proches de ceux en vigueur aux Etats-Unis.
FRACTURE SOCIALE
Jusqu'à présent, le principal bénéfice de la dollarisation est la mise en place d'un environnement
monétaire stable : depuis 2000, l'inflation est en baisse constante et s'élèverait un peu au-dessus
de 10 % en 2002. Il reste à savoir si la croissance économique suivra. Le pari est loin d'être gagné
: en dollarisant, les autorités se privent de la politique monétaire comme instrument contra-
cyclique. En outre, la banque centrale d'Equateur ne peut plus jouer son rôle de prêteur en dernier
ressort pour venir en aide au secteur financier et l'Etat se prive des recettes du seigneuriage -
c'est-à-dire des intérêts qu'il perçoit sur les réserves de change qu'il détient, NDLR -.
Le défi de la croissance est d'autant plus important que la dollarisation porte en germe des
facteurs de fracture sociale entre des catégories professionnelles ouvertes sur l'extérieur
bénéficiant d'un accès aux marchés internationaux (l'oligarchie et sa clientèle) et celles orientées
vers le marché intérieur.
Depuis l'adoption de la dollarisation, la croissance économique est au rendez-vous : plus de 5 %
en 2001 et 2002. La hausse du prix du pétrole et la construction d'un deuxième oléoduc ont
contribué à la reprise. Si ces deux éléments sont indépendants du nouveau système monétaire, il
n'en reste pas moins que la dollarisation en stabilisant le contexte macroéconomique a jusqu'à
présent favorisé la croissance. Dans ces conditions, il était difficile pour Gutierrez de remettre en
cause la dollarisation. Qu'en sera-t-il si le contexte macroéconomique se détériore ?
Il est probable que l'Equateur, économie relativement vulnérable, subisse dans l'avenir des chocs
négatifs (catastrophes naturelles, baisse du prix du pétrole, dévaluation de la monnaie d'un
partenaire commercial...) pour lesquels la politique monétaire nord-américaine ne sera pas
forcément adaptée, aggravant ainsi le cycle récessif en Equateur. Si de tels épisodes venaient à se
répéter, certains pourraient être tentés d'abandonner la dollarisation officielle afin de disposer à
nouveau d'une souveraineté monétaire adaptée aux exigences nationales. Cette disposition est
d'autant plus crédible que les alliés du nouveau président au Congrès, issus pour l'essentiel de la
Sierra et soutenus par la communauté indigène, sont depuis toujours opposés à la dollarisation
officielle.
L'abandon de la dollarisation officielle est toujours possible. Il suffirait pour cela que l'Equateur
introduise une nouvelle monnaie. Le pays se retrouverait avec une monnaie souveraine dans un
contexte de dollarisation informelle élevée. On reviendrait au système monétaire prévalant avant
la dollarisation officielle dont l'une des caractéristiques est que l'efficacité de la politique
monétaire est réduite. L'intérêt d'une nouvelle monnaie serait alors de reconstituer un symbole
politique et de promotion d'une identité nationale, valeurs auxquelles le nouveau président est
particulièrement sensible.
Axel Gastambide et Alexis Sierra
Axel Gastambide est doctorant en économie au centre d'études et de recherches sur le développement international
(Cerdi) de l'université d'Auvergne. Alexis Sierra est géo-politologue à l'institut de recherche pour le développement
(IRD) de Bondy.