gigantesque. Ainsi, l’entretien des canaux d’irrigation demandait des évaluations du nombre
de travailleurs pour creuser les canaux, il fallait calculer le volume de terre à enlever, le temps
nécessaire pour telle longueur de canal, le salaire, avec parfois des raffinements dignes des
problèmes de robinets de nos jours, comme le cas de canaux aux parois obliques !
TDC Quelles sont les grandes caractéristiques de ces mathématiques ?
C. P. Pour ce qui est du contenu, ce qui a fait la réputation des mathématiques
mésopotamiennes, ce sont les problèmes du 2nd degré (je ne dis pas des équations parce que
le mot désigne quelque chose de formalisé, avec un symbolisme qui là n’existe pas) ; leurs
méthodes de résolution constituaient une véritable innovation, très impressionnante. D’autant
qu’à partir de là, les scribes ont pu élaborer des problèmes de plus en plus complexes. C’est ce
qu’il y a de plus connu, mais il n’y a pas que cela, il y a aussi des systèmes linéaires ou
quadratiques et beaucoup de problèmes portant sur des calculs de volume, qui se ramènent,
par différentes manipulations, à des extractions de racines cubiques. Une part aussi de la
documentation porte sur le calcul numérique, les propriétés de la numération sexagésimale
(donc en base 60) et ce qu’on peut faire avec, des algorithmes très puissants et très
intéressants d’inversion des nombres, d’extraction de racines carrés en utilisant des méthodes
de factorisation, etc. Dans cet ordre d’idée, le plus fameux exemple est la tablette dite
« Plimpton 322 », dont on ne connaît pas l’origine mais qui date très probablement toujours
de cette époque paléo-babylonienne. Elle contient une liste de triplets pytagoriciens (nombres
entiers a, b et c vérifiant a_+b_=c_), en écriture positionnelle au moyen de nombres à 5, 6, 7,
8 positions sexagésimales. C’est un travail qui manipule un outil de calcul numérique très
puissant de toute évidence.
TDC Ces mathématiques se répandent-elles ou disparaissent-elles pour être ensuite
redécouvertes ?
C. P. C’est bien sûr un problème énorme, que beaucoup de chercheurs essaient de résoudre,
mais qui est compliqué parce que l’époque paléo-babylonienne est très ancienne, c’est le
début du 2e millénaire. On a donc les sources en Mésopotamie parce que l’argile se conserve,
mais on n’a pas de source dans d’autres régions du monde qui pourraient nous montrer
directement l’existence de liens avec la Mésopotamie. De toutes façons, à cette époque, il n’y
avait probablement pas d’activités de ce type en Grèce, mais on peut penser aussi qu’il y avait
des liens entre la Mésopotamie et l’Egypte. On sait qu’il y avait des échanges diplomatiques
et commerciaux, on a retrouvé des papyri mathématiques en Egypte, on peut donc penser
qu’il y a eu des échanges sur le plan mathématique, mais on n’a pas de document explicite.
On est mieux renseigné sur les périodes plus récentes, en particulier l’époque séleucide (vers -
300), où l’astronomie s’est développée dans le sud de la Mésopotamie, aussi en liaison avec le
calcul numérique, l’exploitation de la base 60, etc. L’énorme corpus d’observation sur lequel
se sont basés les astronomes mésopotamiens pour faire des almanachs, c’est-à-dire prévoir un
an à l’avance les heures de lever et de coucher du soleil, les cycles de la lune, les éclipses,
etc., cet énorme corpus a été utilisé par les Grecs. On sait par exemple que l’habitude de
repérer les positions astrales en système sexagésimal est passée aux Grecs, aux Arabes, puis à
l’Occident médiéval, et ainsi elle est parvenue jusqu’à nous puisque nous continuons à utiliser
les degrés, minutes et secondes dans la mesure du temps et des angles.
TDC Une dernière question : qu’en est-il du lien entre écriture et mathématiques ?
C. P. C’est un problème essentiel. Les textes écrits les plus anciens que nous connaissions, qui
doivent dater de 3300 avant notre ère, sont des textes comptables, donc l’écriture, la mesure,
le calcul, tout cela va de pair. Mais cela ne veut pas dire que les mathématiques se limitent à
l’écrit. Il est possible qu’il y ait un décalage entre ce qui se développe dans la tradition écrite à