pratique quotidienne Satellitisme plaquettaire et lympho

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pratique quotidienne
abc
Ann Biol Clin 2007 ; 65 (3) : 287-90
Satellitisme plaquettaire et lympho-agglutination
exclusivement aux lymphocytes atypiques
révélant un lymphome B de la zone marginale
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A marginal zone-B cell lymphoma revealed by platelet satellitism
and lympho-agglutination phenomenon around atypical lymphocytes
A. Debourgogne1
V. Latger-Cannard1
K. Montagne2
F. Plénat2
T. Lecompte1
1
Service d’hématologie biologique,
<[email protected]>
2
Service d’anatomie et cytologie
pathologiques, CHU de Nancy
Résumé. Un homme de 48 ans, a présenté une thrombopénie associée à une
hyperlymphocytose au cours de l’exploration d’un syndrome infectieux persistant plus de 15 jours. L’observation du frottis sanguin a montré la présence de
cellules lymphomateuses, ainsi qu’un phénomène de satellitisme des plaquettes aux lymphocytes et de lympho-agglutination, ces deux anomalies n’étant
présentes qu’autour de lymphocytes anormaux. Nous avons pu mettre en évidence que ce phénomène est thermo-dépendant (37 °C), anticoagulant dépendant (acide éthylène diamine tétra-acétique, EDTA), non reproductible par du
plasma sain et non transitoire. La caractérisation de l’hyperlymphocytose par
immunophénotypage, étude cytologique et histologique a révélé un lymphome
de la zone marginale. Le satellitisme plaquettaire aux lymphocytes semble être
comme dans le cas des polynucléaires neutrophiles un phénomène immunologique médié par une immunoglobuline reconnaissant un antigène cryptique sur
la structure GPIIb/IIIa de la surface des plaquettes. De plus, le fait que ces
phénomènes de satellitisme plaquettaire et de lympho-agglutination n’impliquent que les lymphocytes atypiques pourrait impliquer une immunoglobuline
monoclonale exprimée par la cellule lymphomateuse.
Mots clés : satellitisme plaquettaire, lympho-agglutination, pseudothrombopénie, lymphome de la zone marginale, immunophénotypage
doi: 10.1684/abc.2007.0053
Abstract. A 48-year-old man, with persistent pyrexia, presented with thrombocytopenia and lymphocytosis. The peripheral blood smears showed atypical
lymphocytes and a platelet satellitism phenomenon around atypical lymphocytes associated to lympho-agglutination. Platelet satellitism was exclusively
observed with atypical lymphocytes in EDTA-treated blood and at room temperature. This phenomenon was not observed when adding normal plasma and
could be reproduced several times. Flow cytometry analysis of the peripheral
blood, cytological and histological studies revealed a marginal zone-B cell
lymphoma. The mechanism underlying platelet satellitism is not fully understood, but is likely to involve an immunologic binding of EDTA-dependent
antiplatelet autoantibodies directed against the platelets glycoprotein IIb/IIIa
complex. The association between platelet satellitism and lymphoma could
also involve a monoclonal Ig secreted by lymphoma cells.
Article reçu le 11 décembre 2006,
accepté le 27 janvier 2007
Ann Biol Clin, vol. 65, n° 3, mai-juin 2007
Key words: platelet satellitism, lympho-agglutination, pseudothrombocytopenia, marginal zone-B cell lymphoma, immunophenotype
287
pratique quotidienne
Le satellitisme des plaquettes aux polynucléaires neutrophiles est un phénomène rare mais largement rapporté
dans la littérature et survenant in vitro lorsque l’échantillon sanguin est prélevé en présence de l’anticoagulant
acide éthylène diamine tétra-acétique (EDTA). Nous rapportons ici un cas de satellitisme de plaquettes et de
lympho-agglutination autour des lymphocytes atypiques
dans le cadre d’un lymphome B de la zone marginale.
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L’observation
Un homme de 48 ans présente un épisode infectieux ORL
persistant plus de 15 jours et résistant à une antibiothérapie standard. Un hémogramme à partir d’un prélèvement
sanguin prélevé en présence d’EDTA est réalisé (hématimètre Advia 2120, Bayer) : hémoglobine : 12,2 g/dL ;
volume globulaire moyen : 94 fL ; plaquettes : 102 G/L ;
leucocytes : 16,86 G/L avec comme différentielle leucocy-
A
B
Figure 1A et B. Satellitisme des plaquettes autour des lymphocytes atypiques (frottis sanguin coloré au May-GrünwaldGiemsa : grossissement x 1 000).
288
taire : PNN à 19,2 %, lymphocytes à 67 % et LUC (large
unstained cell) à 13,8 %.
L’existence d’une thrombopénie associée à une anomalie
de répartition des leucocytes justifie la réalisation d’un
frottis sanguin coloré au May-Grünwald-Giemsa. On
observe une population lymphoïde majoritaire avec présence de lymphocytes atypiques de plus grande taille,
rapport nucléo-cytoplasmique diminué, noyau irrégulier à
chromatine fine, cytoplasme clair non granuleux. Ces
mêmes cellules présentent une autre atypie puisqu’elles
présentent des images de satellistisme plaquettaire, qui
concernent l’ensemble des lymphocytes atypiques
(figure 1). Cinq à 20 plaquettes de taille normale et bien
granuleuses entourent les cellules lymphomateuses, en
paraissant souvent nichées dans des encoches cytoplasmiques. Il est également observé des images de « lymphoagglutination », les cellules lymphoïdes atypiques semblent agglutinées par l’intermédiaire des plaquettes qui
réalisent des ponts entre deux cellules (figure 2). Il est
important de noter que ces deux phénomènes, satellistisme plaquettaire et « lympho-agglutination », n’impliquent que les cellules lymphomateuses et non les lymphocytes de morphologie normale, les polynucléaires
neutrophiles ou les monocytes (figure 3).
L’examen de ce frottis a montré donc d’une part, une
hyperlymphocytose atypique qu’il faut caractériser et,
d’autre part, un satellitisme plaquettaire, anomalie artéfactuelle rendant la validation de la numération plaquettaire
impossible du fait d’une sous-estimation causée par ce
phénomène.
Afin de pouvoir valider la numération plaquettaire, le prélèvement a été incubé à 37 °C pendant 40 minutes ce qui a
fait disparaître le phénomène de satellistisme à l’observation entre lame et lamelle. La numération plaquettaire
après incubation à 37 °C est alors de 139 G/L. L’analyse
des frottis médullaires réalisés sans anticoagulant ne montre pas de phénomène de satellitisme plaquettaire. Ce phénomène est donc thermo-dépendant et anti-coagulant
dépendant. Lors de l’incubation du plasma EDTA du
patient avec le sang d’un témoin sain en présence d’EDTA
pendant 20 minutes, le satellitisme plaquettaire n’est pas
observé sur les leucocytes du témoin. Nous n’avons donc
pas pu transférer ce phénomène, ce qui semble logique
puisqu’il n’était observé qu’avec les lymphocytes atypiques et non avec des lymphocytes normaux. Enfin, un
frottis sanguin réalisé un mois plus tard met à nouveau en
évidence ce phénomène. Le satellitisme des plaquettes
aux lymphocytes atypiques n’est donc pas un phénomène
transitoire.
Afin de caractériser l’hyperlymphocytose, il est réalisé un
immunophénotypage sanguin qui montre la présence
d’une population lymphoïde B monotypique (kappa,
expression forte) CD5- et exprimant les marqueurs CD19,
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Satellitisme plaquettaire
CD20, CD23, CD22, CD79a et FMC7 avec un score de
Matutes à 2. L’aspect cytologique et phénotypique est en
faveur d’une hémopathie lymphoïde B autre qu’une leucémie lymphoïde chronique (LLC), ce qui justifie la poursuite de l’exploration médullaire. Le myélogramme montre une moelle de cellularité normale avec une infiltration
par une population de lymphocytes matures (49 %) de
morphologie similaire à celle observée dans le sang (rapport nucléo-cytoplasmique diminué, noyau irrégulier à
chromatine fine, cytoplasme clair plus étendu). L’analyse
histologique montre une moelle infiltrée sur un mode
interstitiel et intravasculaire par un lymphome B à petites
cellules CD20+, CD5-, en faveur d’un lymphome de la
zone marginale.
Discussion
Le satellitisme des plaquettes est un phénomène artéfactuel rare, qui s’observe la plupart du temps autour des
polynucléaires neutrophiles avec un cas sur 12 000 numérations, soit 0,008 % [1]. Il survient in vitro lorsque
l’échantillon sanguin est prélevé en présence d’EDTA,
A
B
conservé et analysé à température ambiante, mais ne survient pas si le prélèvement est maintenu à 37 °C dès son
recueil ou si le sang est prélevé en présence d’autres anticoagulants tels que l’héparine, le citrate ou l’oxalate
[1, 2].
Deux mécanismes sont proposés pour expliquer le phénomène de satellitisme plaquettaire autour des leucocytes
[3]. Le premier consiste en un mécanisme immunologique
reposant sur la présence d’un auto-anticorps. Les résultats
de l’étude de Bizzaro et al. [1] suggèrent que ce phénomène est médié par des immunoglobulines d’isotype G
reconnaissant un épitope cryptogénique, exposé en présence d’EDTA à température ambiante et localisé à la fois
sur la glycoprotéine GPIIb-IIIa (CD41/61) de la membrane plaquettaire et sur le récepteur FccRIII (CD16) de la
membrane du polynucléaire. La survenue du phénomène
en présence du fragment Fab’2 des IgG prouve que la
liaison est indépendante du fragment Fc de l’immunoglobuline et que le même déterminant antigénique est
reconnu au niveau des plaquettes et des polynucléaires. Le
second mécanisme, proposée par Christopoulos et al. [4]
attribue un rôle possible à la thrombospondine contenue
dans les granules alpha plaquettaires. À la faveur d’une
C
Figure 2A, B et C. Lympho-agglutination des lymphocytes atypiques par les plaquettes (frottis sanguin coloré au May-GrünwaldGiemsa : grossissement x 1 000).
A
B
C
Figure 3. Lymphocyte normal (A), PNN (B) et monocyte (C) ne présentant pas de satellistisme plaquettaire (frottis sanguin coloré au
May-Grünwald-Giemsa : grossissement x 1 000).
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pratique quotidienne
stimulation plaquettaire, cette protéine est secrétée et
pourrait réaliser des ponts entre plaquettes et leucocytes
via le récepteur GPIV. Cette hypothèse n’a jamais été, à ce
jour, démontrée dans la littérature.
Le satellitisme des plaquettes survient préférentiellement
autour des polynucléaires mais ce phénomène a été également rapporté avec les monocytes [5]. La présence du
récepteur FccRIII à la surface des monocytes peut expliquer ce phénomène bien qu’il existe deux types de récepteurs : FccRIIIb sur la membrane des polynucléaires neutrophiles et FccRIIIa à la surface des monocytes et des
cellules natural killer (NK) [3]. Les autres cellules myéloïdes ne présentent pas cette particularité, en revanche
certains lymphocytes, comme dans notre étude de cas,
semblent impliqués dans le satellitisme plaquettaire. En
effet, l’étude d’Espanol et al. [6] met en évidence un
satellitisme plaquettaire à la fois autour des polynucléaires
neutrophiles et de lymphocytes à grains. Ces lymphocytes
(de phénotype NK) présentent le marqueur CD16, ce qui
permet de conclure à la même hypothèse mécanistique
que le satellitisme autour des polynucléaires neutrophiles.
Notre observation se distingue de cette étude par l’absence
de satellitisme autour des PNN.
L’originalité de notre observation réside dans le fait que le
satellitisme touche exclusivement les lymphocytes atypiques, ce qui permet d’évoquer une liaison entre le satellitisme et la pathologie lymphomateuse. Un tel phénomène
a déjà été rapporté pour un contexte de lymphome du
manteau sur une population de cellules B monoclonales
exprimant les marqueurs CD5 et CD20 [7]. Les cellules
lymphomateuses du patient expriment également le marqueur CD20, ce qui pourrait faire évoquer la présence
d’un antigène cryptogénique commun à GP IIb/IIIa et à
CD20. Mais CD20 est présent sur toute la lignée B, cette
hypothèse ne permet donc pas d’expliquer le caractère
exclusif du satellitisme vis-à-vis des lymphocytes atypiques. Enfin, la dernière hypothèse envisagée pour expli-
290
quer le phénomène de satellitisme plaquettaire limité aux
cellules lymphomateuses serait la reconnaissance, par
l’immunoglobuline monoclonale secrétée par les lymphocytes atypiques, d’un antigène cryptogénique exprimé par
les plaquettes.
Ce cas original de satellitisme des plaquettes aux lymphocytes atypiques constitue un autre exemple de pseudothrombopénie EDTA dépendante, à côté des agglutinations des plaquettes ou du satellitisme des plaquettes aux
polynucléaires neutrophiles. Le biologiste doit donc toujours rester vigilant à ce phénomène qui doit l’inciter à
réaliser des états frais et des frottis sanguins lors de la
validation d’une numération plaquettaire. Dans ces situations, un chauffage ou une nouvelle analyse à partir d’un
prélèvement réalisé en présence d’un autre anticoagulant
(citrate, héparine) permettra de valider la numération plaquettaire.
Références
1. Bizzaro N, Goldschmeding R, Von dem Borne A. Platelet satellitism is
FccRIII (CD16) receptor-mediated. Am J Clin Pathol 1995 ; 103 :
740-4.
2. Shahab N, Evans ML. Images in clinical medecine : platelet satellitism. N Engl J Med 1998 ; 338 : 591.
3. Dauendorffer JN, Latger-Cannard V, Lesesve JF, Lecompte T. Satellitisme des plaquettes aux polynucléaires neutrophiles. Ann Biol Clin
(Paris) 2000 ; 58 : 91-3.
4. Christopoulos C, Mattock C. Platelet satellitism and alpha granule
proteins. Am J Clin Pathol 1991 ; 44 : 788-9.
5. Cohen AM, Lewinski UH, Klein B, Djaldetti M. Satellitism of platelets to monocytes. Acta Haematol 1980 ; 64 : 61-4.
6. Espanol I, Muniz-Diaz E, Domingo-Claros A. Platelet satellitism to
granulated lymphocytes. Haematologica 2000 ; 85 : 1322.
7. Cesca C, Ben-Erza J, Riley RS. Platelet satellitism as presenting finding in mantle cell lymphoma. A case report. Am J Clin Pathol 2001 ;
115 : 567-70.
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