pratique quotidienne abc Ann Biol Clin 2007 ; 65 (3) : 287-90 Satellitisme plaquettaire et lympho-agglutination exclusivement aux lymphocytes atypiques révélant un lymphome B de la zone marginale Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. A marginal zone-B cell lymphoma revealed by platelet satellitism and lympho-agglutination phenomenon around atypical lymphocytes A. Debourgogne1 V. Latger-Cannard1 K. Montagne2 F. Plénat2 T. Lecompte1 1 Service d’hématologie biologique, <[email protected]> 2 Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU de Nancy Résumé. Un homme de 48 ans, a présenté une thrombopénie associée à une hyperlymphocytose au cours de l’exploration d’un syndrome infectieux persistant plus de 15 jours. L’observation du frottis sanguin a montré la présence de cellules lymphomateuses, ainsi qu’un phénomène de satellitisme des plaquettes aux lymphocytes et de lympho-agglutination, ces deux anomalies n’étant présentes qu’autour de lymphocytes anormaux. Nous avons pu mettre en évidence que ce phénomène est thermo-dépendant (37 °C), anticoagulant dépendant (acide éthylène diamine tétra-acétique, EDTA), non reproductible par du plasma sain et non transitoire. La caractérisation de l’hyperlymphocytose par immunophénotypage, étude cytologique et histologique a révélé un lymphome de la zone marginale. Le satellitisme plaquettaire aux lymphocytes semble être comme dans le cas des polynucléaires neutrophiles un phénomène immunologique médié par une immunoglobuline reconnaissant un antigène cryptique sur la structure GPIIb/IIIa de la surface des plaquettes. De plus, le fait que ces phénomènes de satellitisme plaquettaire et de lympho-agglutination n’impliquent que les lymphocytes atypiques pourrait impliquer une immunoglobuline monoclonale exprimée par la cellule lymphomateuse. Mots clés : satellitisme plaquettaire, lympho-agglutination, pseudothrombopénie, lymphome de la zone marginale, immunophénotypage doi: 10.1684/abc.2007.0053 Abstract. A 48-year-old man, with persistent pyrexia, presented with thrombocytopenia and lymphocytosis. The peripheral blood smears showed atypical lymphocytes and a platelet satellitism phenomenon around atypical lymphocytes associated to lympho-agglutination. Platelet satellitism was exclusively observed with atypical lymphocytes in EDTA-treated blood and at room temperature. This phenomenon was not observed when adding normal plasma and could be reproduced several times. Flow cytometry analysis of the peripheral blood, cytological and histological studies revealed a marginal zone-B cell lymphoma. The mechanism underlying platelet satellitism is not fully understood, but is likely to involve an immunologic binding of EDTA-dependent antiplatelet autoantibodies directed against the platelets glycoprotein IIb/IIIa complex. The association between platelet satellitism and lymphoma could also involve a monoclonal Ig secreted by lymphoma cells. Article reçu le 11 décembre 2006, accepté le 27 janvier 2007 Ann Biol Clin, vol. 65, n° 3, mai-juin 2007 Key words: platelet satellitism, lympho-agglutination, pseudothrombocytopenia, marginal zone-B cell lymphoma, immunophenotype 287 pratique quotidienne Le satellitisme des plaquettes aux polynucléaires neutrophiles est un phénomène rare mais largement rapporté dans la littérature et survenant in vitro lorsque l’échantillon sanguin est prélevé en présence de l’anticoagulant acide éthylène diamine tétra-acétique (EDTA). Nous rapportons ici un cas de satellitisme de plaquettes et de lympho-agglutination autour des lymphocytes atypiques dans le cadre d’un lymphome B de la zone marginale. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L’observation Un homme de 48 ans présente un épisode infectieux ORL persistant plus de 15 jours et résistant à une antibiothérapie standard. Un hémogramme à partir d’un prélèvement sanguin prélevé en présence d’EDTA est réalisé (hématimètre Advia 2120, Bayer) : hémoglobine : 12,2 g/dL ; volume globulaire moyen : 94 fL ; plaquettes : 102 G/L ; leucocytes : 16,86 G/L avec comme différentielle leucocy- A B Figure 1A et B. Satellitisme des plaquettes autour des lymphocytes atypiques (frottis sanguin coloré au May-GrünwaldGiemsa : grossissement x 1 000). 288 taire : PNN à 19,2 %, lymphocytes à 67 % et LUC (large unstained cell) à 13,8 %. L’existence d’une thrombopénie associée à une anomalie de répartition des leucocytes justifie la réalisation d’un frottis sanguin coloré au May-Grünwald-Giemsa. On observe une population lymphoïde majoritaire avec présence de lymphocytes atypiques de plus grande taille, rapport nucléo-cytoplasmique diminué, noyau irrégulier à chromatine fine, cytoplasme clair non granuleux. Ces mêmes cellules présentent une autre atypie puisqu’elles présentent des images de satellistisme plaquettaire, qui concernent l’ensemble des lymphocytes atypiques (figure 1). Cinq à 20 plaquettes de taille normale et bien granuleuses entourent les cellules lymphomateuses, en paraissant souvent nichées dans des encoches cytoplasmiques. Il est également observé des images de « lymphoagglutination », les cellules lymphoïdes atypiques semblent agglutinées par l’intermédiaire des plaquettes qui réalisent des ponts entre deux cellules (figure 2). Il est important de noter que ces deux phénomènes, satellistisme plaquettaire et « lympho-agglutination », n’impliquent que les cellules lymphomateuses et non les lymphocytes de morphologie normale, les polynucléaires neutrophiles ou les monocytes (figure 3). L’examen de ce frottis a montré donc d’une part, une hyperlymphocytose atypique qu’il faut caractériser et, d’autre part, un satellitisme plaquettaire, anomalie artéfactuelle rendant la validation de la numération plaquettaire impossible du fait d’une sous-estimation causée par ce phénomène. Afin de pouvoir valider la numération plaquettaire, le prélèvement a été incubé à 37 °C pendant 40 minutes ce qui a fait disparaître le phénomène de satellistisme à l’observation entre lame et lamelle. La numération plaquettaire après incubation à 37 °C est alors de 139 G/L. L’analyse des frottis médullaires réalisés sans anticoagulant ne montre pas de phénomène de satellitisme plaquettaire. Ce phénomène est donc thermo-dépendant et anti-coagulant dépendant. Lors de l’incubation du plasma EDTA du patient avec le sang d’un témoin sain en présence d’EDTA pendant 20 minutes, le satellitisme plaquettaire n’est pas observé sur les leucocytes du témoin. Nous n’avons donc pas pu transférer ce phénomène, ce qui semble logique puisqu’il n’était observé qu’avec les lymphocytes atypiques et non avec des lymphocytes normaux. Enfin, un frottis sanguin réalisé un mois plus tard met à nouveau en évidence ce phénomène. Le satellitisme des plaquettes aux lymphocytes atypiques n’est donc pas un phénomène transitoire. Afin de caractériser l’hyperlymphocytose, il est réalisé un immunophénotypage sanguin qui montre la présence d’une population lymphoïde B monotypique (kappa, expression forte) CD5- et exprimant les marqueurs CD19, Ann Biol Clin, vol. 65, n° 3, mai-juin 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Satellitisme plaquettaire CD20, CD23, CD22, CD79a et FMC7 avec un score de Matutes à 2. L’aspect cytologique et phénotypique est en faveur d’une hémopathie lymphoïde B autre qu’une leucémie lymphoïde chronique (LLC), ce qui justifie la poursuite de l’exploration médullaire. Le myélogramme montre une moelle de cellularité normale avec une infiltration par une population de lymphocytes matures (49 %) de morphologie similaire à celle observée dans le sang (rapport nucléo-cytoplasmique diminué, noyau irrégulier à chromatine fine, cytoplasme clair plus étendu). L’analyse histologique montre une moelle infiltrée sur un mode interstitiel et intravasculaire par un lymphome B à petites cellules CD20+, CD5-, en faveur d’un lymphome de la zone marginale. Discussion Le satellitisme des plaquettes est un phénomène artéfactuel rare, qui s’observe la plupart du temps autour des polynucléaires neutrophiles avec un cas sur 12 000 numérations, soit 0,008 % [1]. Il survient in vitro lorsque l’échantillon sanguin est prélevé en présence d’EDTA, A B conservé et analysé à température ambiante, mais ne survient pas si le prélèvement est maintenu à 37 °C dès son recueil ou si le sang est prélevé en présence d’autres anticoagulants tels que l’héparine, le citrate ou l’oxalate [1, 2]. Deux mécanismes sont proposés pour expliquer le phénomène de satellitisme plaquettaire autour des leucocytes [3]. Le premier consiste en un mécanisme immunologique reposant sur la présence d’un auto-anticorps. Les résultats de l’étude de Bizzaro et al. [1] suggèrent que ce phénomène est médié par des immunoglobulines d’isotype G reconnaissant un épitope cryptogénique, exposé en présence d’EDTA à température ambiante et localisé à la fois sur la glycoprotéine GPIIb-IIIa (CD41/61) de la membrane plaquettaire et sur le récepteur FccRIII (CD16) de la membrane du polynucléaire. La survenue du phénomène en présence du fragment Fab’2 des IgG prouve que la liaison est indépendante du fragment Fc de l’immunoglobuline et que le même déterminant antigénique est reconnu au niveau des plaquettes et des polynucléaires. Le second mécanisme, proposée par Christopoulos et al. [4] attribue un rôle possible à la thrombospondine contenue dans les granules alpha plaquettaires. À la faveur d’une C Figure 2A, B et C. Lympho-agglutination des lymphocytes atypiques par les plaquettes (frottis sanguin coloré au May-GrünwaldGiemsa : grossissement x 1 000). A B C Figure 3. Lymphocyte normal (A), PNN (B) et monocyte (C) ne présentant pas de satellistisme plaquettaire (frottis sanguin coloré au May-Grünwald-Giemsa : grossissement x 1 000). Ann Biol Clin, vol. 65, n° 3, mai-juin 2007 289 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. pratique quotidienne stimulation plaquettaire, cette protéine est secrétée et pourrait réaliser des ponts entre plaquettes et leucocytes via le récepteur GPIV. Cette hypothèse n’a jamais été, à ce jour, démontrée dans la littérature. Le satellitisme des plaquettes survient préférentiellement autour des polynucléaires mais ce phénomène a été également rapporté avec les monocytes [5]. La présence du récepteur FccRIII à la surface des monocytes peut expliquer ce phénomène bien qu’il existe deux types de récepteurs : FccRIIIb sur la membrane des polynucléaires neutrophiles et FccRIIIa à la surface des monocytes et des cellules natural killer (NK) [3]. Les autres cellules myéloïdes ne présentent pas cette particularité, en revanche certains lymphocytes, comme dans notre étude de cas, semblent impliqués dans le satellitisme plaquettaire. En effet, l’étude d’Espanol et al. [6] met en évidence un satellitisme plaquettaire à la fois autour des polynucléaires neutrophiles et de lymphocytes à grains. Ces lymphocytes (de phénotype NK) présentent le marqueur CD16, ce qui permet de conclure à la même hypothèse mécanistique que le satellitisme autour des polynucléaires neutrophiles. Notre observation se distingue de cette étude par l’absence de satellitisme autour des PNN. L’originalité de notre observation réside dans le fait que le satellitisme touche exclusivement les lymphocytes atypiques, ce qui permet d’évoquer une liaison entre le satellitisme et la pathologie lymphomateuse. Un tel phénomène a déjà été rapporté pour un contexte de lymphome du manteau sur une population de cellules B monoclonales exprimant les marqueurs CD5 et CD20 [7]. Les cellules lymphomateuses du patient expriment également le marqueur CD20, ce qui pourrait faire évoquer la présence d’un antigène cryptogénique commun à GP IIb/IIIa et à CD20. Mais CD20 est présent sur toute la lignée B, cette hypothèse ne permet donc pas d’expliquer le caractère exclusif du satellitisme vis-à-vis des lymphocytes atypiques. Enfin, la dernière hypothèse envisagée pour expli- 290 quer le phénomène de satellitisme plaquettaire limité aux cellules lymphomateuses serait la reconnaissance, par l’immunoglobuline monoclonale secrétée par les lymphocytes atypiques, d’un antigène cryptogénique exprimé par les plaquettes. Ce cas original de satellitisme des plaquettes aux lymphocytes atypiques constitue un autre exemple de pseudothrombopénie EDTA dépendante, à côté des agglutinations des plaquettes ou du satellitisme des plaquettes aux polynucléaires neutrophiles. Le biologiste doit donc toujours rester vigilant à ce phénomène qui doit l’inciter à réaliser des états frais et des frottis sanguins lors de la validation d’une numération plaquettaire. Dans ces situations, un chauffage ou une nouvelle analyse à partir d’un prélèvement réalisé en présence d’un autre anticoagulant (citrate, héparine) permettra de valider la numération plaquettaire. Références 1. Bizzaro N, Goldschmeding R, Von dem Borne A. Platelet satellitism is FccRIII (CD16) receptor-mediated. Am J Clin Pathol 1995 ; 103 : 740-4. 2. Shahab N, Evans ML. Images in clinical medecine : platelet satellitism. N Engl J Med 1998 ; 338 : 591. 3. Dauendorffer JN, Latger-Cannard V, Lesesve JF, Lecompte T. Satellitisme des plaquettes aux polynucléaires neutrophiles. Ann Biol Clin (Paris) 2000 ; 58 : 91-3. 4. Christopoulos C, Mattock C. Platelet satellitism and alpha granule proteins. Am J Clin Pathol 1991 ; 44 : 788-9. 5. Cohen AM, Lewinski UH, Klein B, Djaldetti M. Satellitism of platelets to monocytes. Acta Haematol 1980 ; 64 : 61-4. 6. Espanol I, Muniz-Diaz E, Domingo-Claros A. Platelet satellitism to granulated lymphocytes. Haematologica 2000 ; 85 : 1322. 7. Cesca C, Ben-Erza J, Riley RS. Platelet satellitism as presenting finding in mantle cell lymphoma. A case report. Am J Clin Pathol 2001 ; 115 : 567-70. Ann Biol Clin, vol. 65, n° 3, mai-juin 2007