Bataille pour une mosquåe Les deux casquettes d heikh Hadd am Aum,oment oftl'AlOrieh&ite entre dictatlire et inffigrisme, laFrcmcepeut-ellelaisser la mosqu& de Paris ctux mains du pouvoir &Oden ? 'est quoi 9a le Corif ?» A demi paralyse, cloue dans son fauteuil, mais vif et le buste droit comme un I, le vieux renard de Si Hamza Boubakeur, 80 ans, feint d'ignorer l'existence du Corif, le Conseil de Ralexion sur l'Islam en France, mis en place par Pierre Joxe en 1990. Mais l'ancien recteur de la mosquee de Paris (1954-1982) est trop en colere pour jouer longtemps la comedie : « De quoi se mele le ministere de l'Interieur ? Pour quelles raisons veut-il regenter l'islam et organiser la succession du recteur de la mosquee ? Je croyais que nous vivions dans un pays laique, respectueux de la separation de l'Eglise et de l'Etat. » Bloque dans son appartement, au quatorzieme etage d'un immeuble de l'avenue d'Italie, Si Hamza Boubakeur continue de tirer les ficelles. « C'est vrai, Tedjini Haddam, factuel recteur elu en 1989 la mort du cheikh Abbas, a ete nomme au Haut Comite d'Etat Alger le 12 janvier — il est en ce moment en Algerie mais rien ne prouve que les deux fonctions soient incompatibles, disait-il le 4 fevrier. De toute fa9on, la decision appartient å la Societe des Habous et Lieux saints de ?Islam qui gere la mosquee et designe son recteur. » Le 6 fevrier au matin, matin la Societe des Habous confirme : le cheikh garde ses deux casquettes. Un peu comme si l'archeveque d'Alger devenait Premier ministre å Paris, tout en gardant sa fonction religieuse en Algerie. Cette fois la querelle autour dela succession devient une affaire d'Etat entre la France et l'Algerie. Le soir rneme, tout est remis en question. Revenu en France å la demande pressante de Si Hamza Boubakeu r, le docteur Hadclam annonce å Philippe Marchand qu'il abandonne ses fonctions algeriermes pour conserver le rectorat de Paris. Et ii promet d'adresser une lettre officielle au ministre de l'Interieur. Place Beauvau, on l'attend toujours. Le 7 fevrier, nouveau rebondissement : l'ambassadeur d'Algerie en France publie un communique : «M. Tedjini Haddam est toujours membre du Haut Comite d'Etat. » Si Hamza l3oubakeur a gagne la partie. Le Corif, qui avait designe un musulman, frangais de souche, comme candidat å la succession, a l'impression de compter pour du 74 /LE NOUVEL OBSERVATEUR /NOTRE BPOQUE TedjiniHaddamålamosqu&deParis beurre. Le gouvernement frangais est perplexe. avait interprete le retour de Tedjini Haddam comme un pelerinage å Canossa. Ii esperait du meme coup imposer une reforme å la Societe des Habous. Notamment la faire passer du regime de la loi 1901 sur les associations au regime de la loi sur les cultes de 1905. Ce changement de statut devait permettre å la nouvelle association de recevoir des dons, meme etrangers, mais la France pouvait alors en contröler l'origine et la destination ; et la gestion de la mosquee serait partagee. Bref, le gouvernement frangais s'est fait rouler. L'Algerie est plus que jamais maitresse des Heine. Et les retombees de l'affaire Habache ainsi que la montee du FIS en Algerie empechent Paris de frapper sur la table. Pourquoi cet inter& pour la mosquee ? Ce n'est pas pour la beaute des lieux, pourtant bien reelle. Inauguree en 1926 au cceur du 5e arrondissement de Paris, entre le jardin des Plantes et les arenes de Lutece, c'est un ilot mauresque, aux rnerveilleuses ceramiques vertes et bleues. Ses patios, jardins et colonnades å l'ombre du minaret evoquent l'Alhambra. Un havre de paix å quelques metres de la grouillante rue Monge, qui ne s'anime vraiment que le vendredi vers 13 h 30 pour la priere... L'interet de la mosquee est ailleurs. Longtemps, elle a ete le lieu emblematique de l'islam en France, å une epoque oii celui-ci se confondait avec les pays du Maghreb. Et justement, les choses ont change : « II faut sortir de la confusion Arabe-islam, explique Serigne Drame, Frangais d'origine senegalaise, membre du Corif. Jusque-J, les travailleurs immigres etaient de passage en France, et souvent ils mettaient entre parentheses leurs preoccupations religieuses. » Avec la montee du chömage et Les restructurations, les OS ont decouvert etait risque cl'abandonner leur emploi. Ils se sont installes. Et le regroupement familial leur a permis de faire venir femmes et enfants. En outre, le « paysage islamique frangais » le PIF comme on dit å l'Interieur, s'est modifie pays musulmans fournisseurs de main-d'ceuvre se sont diversifies. Aux traditionnels Etats du Maghreb et de l'ex-AOF se sont ajoutes la Turquie, le Pakistan, les Comores, l'ex-AEF, les DOM-TOM... Resultat : l'islam est en France la seconde religion avec trois ou quatre millions de fideles. Et c' est un islam eclate, divers. Qu'y a-t-ii de commun entre un musulman venu de Casamance et un musulman turc ? En meme temps, ces hommes souvent mal accueillis, exploites, sont facilement influences par leurs imams, eux-memes finances par des Etats etrangers ou des organisations integristes. Enfin, contrairement aux autres grandes religions — catholique, juive, protestante n'y a pas de responsables musulmans legitimement designes pour discuter avec le gouvernement. Longtemps la mosquee de Paris a rempli cette fonction mais sans titre et sans pouvoir reels. Aujourd'hui, alors qu'elle est entre les mains de l'Algerie qui lui accorde 10 millions de francs de subventions et paie plusieurs centaines d'imams, il n'est plus possible de la reconnaitre comme interlocutrice, comme representative d'un islam eclate. C'est dans ce but que Pierre Joxe a cree le Corif, en esperant donner les moyens aux islams de France de degager avec le temps une sorte de conseil permanent » representatif de l'islam et interlocuteur du gouvernement. Et pourquoi ce conseil permanent n'aurait-il pas son siege å la mosquee de Paris ? Ii deviendrait le signe visible'd'un islam å la frangaise, moderne, capable de s'adapter å un Etat laique, sans se renier. Nous n'en sommes pas lå. Pour le moment, Alger et Si Hamza Boubakeur bloquent l'evolution, prenant le risque de laisser les courants integristes se developper en France. Hors la grande mosquee. CLAUDE-FRANQOIS JULLIEN