Tribune des lecteurs
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 85, N° 7 - SEPTEMBRE 2009
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étudié les liens entre les manifestations de l’aliénation et
les désordres de son temps, les « convulsions sociales »,
il a fait œuvre d’épidémiologiste, a réalisé un rapport sur
la situation des aliénés, des structures et a délivré des
conseils auprès du régime en place. J.-E. Esquirol prenait
en considération l’intérêt du patient et le souci fi nancier :
« En formant de grands établissements, en les plaçant et
les distribuant convenablement, on obtiendra des résul-
tats utiles pour ceux qui sont reçus ; économiques pour
l’administration. »
Chaque époque est marquée par la nature des relations
avec l’autorité administrative et politique, le pouvoir en
place qu’il s’agisse du mouvement hygiéniste, de la poli-
tique de secteur, de l’ère de l’antipsychiatrie ou dans notre
actualité de l’alliance de la science, de l’épidémiologie et
de la gestion. De nombreux écrits témoignent de l’intérêt
des aliénistes puis des psychiatres pour la politique au sens
de la gestion de la cité mais aussi de l’autorité publique.
M. Foucault a consacré une part de son enseignement
dont le cours de l’année 1973-1974 donné au Collège de
France « le pouvoir psychiatrique » publié en 2003 (Galli-
mard-Seuil), de ses écrits et son engagement au sein du
« Groupe Information Asile » à dénoncer la psychiatrie
comme un instrument du pouvoir politique, comme une
instance répressive. Il a mis en garde contre le « marquage
médical » d’un régime disciplinaire. L’ « ordre disci-
plinaire » résulte de la démarche médicale objectivante
qui s’appuie sur « la distribution des corps, des gestes
des comportements, des discours ». Le concept d’ordre
est utilisé dans son acception première : qui s’oppose au
désordre de l’irrationnel et du hors-norme social de la
folie. R. Castel a consacré un chapitre, « De la psychia-
trie comme science politique », de son ouvrage précité à
décrire la « coïncidence entre les discours de savoirs et les
discours de pouvoirs ».
Les gouvernants de leur côté ont toujours perçu la
psychiatrie comme un facteur de régulation sociale. C’est
de là que naît la tentation de psychiatriser le malaise
social, la déviance et de contrôler les populations à risque.
La psychiatrie est sous cette infl uence. Cette extension
s’opère aux dépens de la maladie mentale résumée à un
catalogue de troubles et du patient dont l’expression est
recentrée au seul fait pathologique au prix du sens et de
la part d’invention. L’empiétement du politique sur notre
discipline n’est pas habituellement reconnu ou revendiqué
par les politiques, ce sont les psychiatres qui dénoncent
non pas une légitime implication du politique en charge
d’un ministère de la Santé mais la volonté d’emprise, de
contrôle des pratiques par le biais de l’instrumentalisa-
tion des concepts de dangerosité et de sécurité. Un pas
a été franchi : le président de la République à Antony
transgresse l’exigence de réserve, la hauteur attachée à sa
fonction, le ministre de tutelle revendique comme « choix
politique » dans son discours du 10 février dernier à
propos du projet de loi HPST, un assujettissement de la
santé au politique et à la volonté de réforme du président.
Extrait du discours : « […] D’ailleurs, pensez vous un
seul instant que la santé ne soit pas un sujet politique ?
[…] La santé n’est pas un sujet technocratique. C’est
fondamentalement un sujet politique. » Ailleurs : « On a
trop longtemps séparé l’organisation des soins du fi nan-
cement. » Le message est on ne peut plus clair… quant à
cette exclusive ; le fait de tyrannie niveau (II) rabaissé au
niveau (I) est consommé !
Nous aborderons dans cette même veine le discours
d’Antony qui nous a sidérés. Je ne reprendrai pas les
précédentes analyses qui en ont été faites, ni les débats
suscités en particulier dans un numéro ouvert de l’Infor-
mation Psychiatrique de décembre 2008, la mobilisation
des soignants (appel des 39, la nuit sécuritaire, et création
de collectifs de défense de la psychiatrie publique et de
l’hôpital public). Notre première impression était que dans
son intervention le président de la République n’était pas
à sa place, était en décalage avec sa « fonction suprême »,
d’où le malaise que nous avons ressenti.
La formalisation des ordres permet la encore un pas
de plus en précisant que la confusion est ici majeure. En
posture du niveau (II) celui de l’ordre politique et juri-
dique le président ravale son discours à un niveau médico-
technique (I) (critique de nos pratiques de terrain) pour
ensuite tenter de s’élever au niveau (IV) celui de l’éthique
(l’amour) par l’usage de l’émotion, de la compassion
victimaire. Le brouillage est ici maximal et nous pouvons
à partir de la formalisation des ordres, parler de discours
ridicule mêlant ravalement, angélisme, à dénommer popu-
lisme lors qu’il est utilisé par le pouvoir politique.
Psychiatrie et morale
La question de la morale traverse l’histoire de la
psychiatrie et de ses acteurs, ce dont témoignent dans leurs
écrits M. Foucault, G. Swain, J. Goldstein et R. Castel.
Nous l’aborderons à grands traits. Dans la période pré-
pinelienne, la folie était assimilée à la faute, au péché,
et les insensés ont été violentés, sacrifi és au nom de ces
représentations maléfi ques qui font retour dans la peur du
malade-criminel.
P. Pinel a introduit les notions de médecine spéciale, de
curabilité, de dignité, de respect mais au prix d’une mora-
lisation du malade au-delà du traitement dit moral.
Le terme moral du traitement est ici à entendre dans son
équivoque au sens de « psychique », de mental en oppo-
sition aux traitements physiques jusqu’alors pratiqués. La
visée est celle d’une normalisation selon les critères de la
moralité bourgeoise de l’époque. Les principes pragma-
tiques, développés par J.-B. Pussin seront théorisés par
E. Esquirol et surtout par F. Leuret, le premier à concevoir
une théorie de la pratique selon l’expression de G. Lanteri-
Laura. L’immoralité et la dangerosité d’abord familiale
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