URSS - NICARAGUA : les liaisons dangereuses
Olivier CORTEN
Chercheur au Centre de droit
international de l’ULB.
Table des Matières
INTRODUCTION
Partie 1 LURSS ET LE NICARAGUA SANDINISTE ETAIENT
PREDESTINES A ADOPTER UNE ATTITUDE PRUDENTE L’UN
ENVERS LAUTRE.
Chapitre I Une Union Sovtique traditionnellement opposée aux mouvements
volutionnaires
Chapitre II Un régime sandiniste en quête dalliances diversifes
Partie 2 LA NAISSANCE PUIS LAMPLIFICATION DE LA GUERRE ONT
POUR CONSEQUENCE UN RESSERREMENT RELATIF DES
LIENS ENTRE L’URSS ET LE NICARAGUA.
Chapitre I Un resserrement des liens économiques qui ne sopère que dans la mesure
l’amplification de la guerre lexige
Chapitre II Des affinités politiques et idéologiques qui restent limitées à une
opposition commune aux Etats-Unis
CONCLUSION
1 Tout régime issu dune révolution est-il ame à tomber sysmatiquement
sous influence sovtique? La question présente un intét particulier lorsquelle
concerne un Etat situé dans le bassin des Carbes, zone dont on connaît
l’importance, tant économique que militaire, pour les Etats-Unis 1. Et les officiels
nord-américains ne se privent pas de la poser à propos du Nicaragua. Ou plut ne se
lassent-ils pas dy pondre : selon eux, le gime sandiniste ne serait devenu rien de
moins quune tête de pont sovtique en Amérique centrale etc., 2.
La plupart des commentateurs, même s’ils considèrent parfois que cette crainte
est injustifiée, saccordent pour la présenter comme le fondement principal de Ha
politique de force menée par les Etats Unis en Amérique centrale. Une politique dont
le coût sest rélé énorme : généralisation de la guerre et multiplication des troubles
sociaux dans tout listhme centreaméricain^ét, sur un autre pian, condamnation
éclatante par la Cour internationale de justice en 1986.
Mais la subordination du Nicaragua sandiniste serait-elle si flagrante quelle
constitue un justificatif cdible à une réaction nord-américaine de cette envergure?
Lobjet de cette étude est de répondre par la gative et ce, en démontrant le
caractère tout relatif de cette subordination. Le raisonnement sopérera en deux
temps :
- dans une premre partie, nous verrons que, au moment du triomphe de
la révolution sandiniste, lURSS et le Nicaragua étaient prédestinés à
maintenir une certaine distance l’un envers lautre;
- dans une seconde, nous constaterons que leurs relations ne se sont
améliorées que dans la stricte mesure lamplification de la guerre
lexigeait.
Le schéma est donc à la fois analytique et chronologique.
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PARTIE 1 : LURSS ET LE NICARAGUA SANDINISTE ETAIENT
PREDESTINES A ADOPTER UNE ATTITUDE PRUDENTE
L’UN ENVERS L’AUTRE.
2. En 1979, il ny avait nullement lieu de craindre une quelconque mainmise
soviétique sur le jeune Nicaragua révolutionnaire et ce, eu égard à la position
traditionnelle de l’URSS tant (Chapitre I) quà la situation particulière du gime
sandiniste (Chapitre II).
Chapitre I UNE UNION SOVIETIQUE TRADITIONNELLEMENT OPPOSEE
AUX MOUVEMENTS REVOLUTIONNAIRES LATINO-
AMERICAINS.
3. L’attitude mitigée de l’URSS à légard des mouvements révolutionnaires
latino-américains sexplique par la position conservatrice des théoriciens soviétiques
(Section 1), position ts largement suivie dans la pratique (Section 2).
Section X Les théoriciens sovtiques rejettent l’option révolutionnaire et
prônent laïliance avec la bourgeoisie.
4. Les publicistes soviétiques citent souvent pour expliquer leur position une
déclaration que Lénine aurait émise au 1 léme Congs du Komintern :
"II faudra beaucoup de temps avant quune révolution
puisse ussir dans le Nouveau Monde. Les conditions
pourraient mûrir dans un proche avenir. Mais
l’impérialisme américain est sur ses gardes et pt à
intervenir comme il la fait dans le passé"
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Cest sur cette base que sont dic! deux lignes politiques complémentaires : le rejet
de ia lutte armée dune part, lalliance avec la bourgeoisie, dautre part.
5, Le rejet de toute option volutionnaire à court terme dans cette région du
monde se fonde principalement sur deux facteurs.
Le premier est le fruit dune analyse marxiste orthodoxe. 5 L ’Amérique latine
connaît un faible deg de développement des forces productives. Elle comprend
pour la plupart des pays à économies extmement dépendantes de létranger,
faiblement intégrées et encore largement rurales, les rapports de production peuvent
en conquence y être qualifiés de semi-féodaux : la classe des latifundistes domine,
la petite et moyenne bourgeoisie reste faible et la paysannerie, largement majoritaire,
est totalement dépourvue de conscience de classe. Quant au prolétariat, seul apte à
engager le processus révolutionnaire, il demeure à un stade embryonnaire.
; Le second facteur défavorable est dordre géopolitique. 6 La proximi de la
puissance impérialiste, conjuguée avec l’importance de sa pénétration économique
dans la région rendent inconcevable un changement radical et acléré de société.
L histoire a démont que, s quils se sentent menas dans leurs intéts, les Etats
-1
Unis nhésitent pas à intervenir militairement.
Ces deux facteurs sobservent avec une acuiparticulre en Amérique
centrale : le sous-développement et la faiblesse concutive du protariat s’y vèlent
extmes et la situation géographique spécialement défavorable. 8 Cest pourquoi,
avant 1979, la majori des auteurs soviétiques considèrent que le Nicaragua est un
des lieux dAmérique latine où la domination nord-américaine est la moins menacée.
6. Abandonnent-ils pour autant le projet de létablissement du socialisme? Non,
car si la lutte armée est rejee, un autre moyen doit permettre datteindre cet objectif,
dont laccomplissement est seulement repor à long terme.
La tâche prioritaire est de dépasser le stade féodal et pour y parvenir, il faut
abattre les "latifundistes". Or la bourgeoisie se vèle à cet égard, la force la plus
appropre : elle aspire à développer et donc à intégrer léconomie, notamment en
lirant une force de travail maintenue dans des rapports patriarcaux par les grands
propriétaires fonciers. Cette bourgeoisie est qualifiée de "nationale" car elle soppose
aussi aux intérêts des Nords-américains, soucieux de perpétuer le modèle agro-
exportateur. 10
Dans ce contexte, toujours selon les analystes sovtiques, lalliance avec la
bourgeoisie nationale s’are doublement avantageuse. Elle doit permettre
létablissement puis lélargissement de la mocratie, en même temps quune
diminution de la dépendance économique envers les Etats Unis. 11 Ainsi, seront
cées les conditions indispensables au renforcement du protariat et à une
possibilité réelle de prise du pouvoir.
Mais cette alliance a aussi lénorme avantage de ne pas provoquer
immanquablement une réaction brutale de F impérialisme, action qui retarderait
considérablement le processus en rétablissant le pouvoir des "latifundistes". Les
changements doivent donc être opés en douceur. Limportant nest pas la rapidité
mais lirréversibilité de lévolution. 11
7. On nous reprochera peut-être de caricaturer la pene de la doctrine soviétique.
Il sest certes trouvé çà et des auteurs qui ont soutenu loption révolutionnaire en
Amérique latine, en particulier aps le succès de la révolution castriste. 13
Cependant, il est indéniable que, dans lensemble, la position des analystes
sovtiques sest maintenue avec une remarquable constance. Même si elles ont
revêtu des modalités diverses, lalliance avec la bourgeoisie nationale et la nécessi
d’une longue phase de transition vers le socialisme sont reses les lignes directrices.
14 Preuve en est que, comme nous allons le voir à présent, ces dernres ont été
suivies dans la pratique par lURSS dans ses relations avec l’Amérique latine.
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