JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ STATISTIQUE DE PARIS
RENÉ RISSER
Rien et l’infini
Journal de la société statistique de Paris, tome 89 (1948), p. 28-42
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IV
VARIÉTÉ
Rien et
l'Infini.
En
lisant,
en goûtant plus chaque jour, l'œuvre du grand Pascal, nous avons
été subjugué par la puissance de sa pensée, par son intuition à chaque instant
en éveil, par son esprit en qui le savant, le poète et le saint étaient confondus;
son œuvre géniale nous enseigne, suivant la magnifique expression de Renan,
«
les vérités qui dominent la mort, empêchent de la craindre et la font presque
aimer ».
Si
Ton
se reporte à l'opuscule VIII intitulé
«
De l'esprit géométrique et de
l'art de persuader », on est frappe par l'extrême rigueur des raisonnements,
et tout particulièrement par celui où Pascal rappelle
«
qu'ainsi il y a des pro-
priétés communes à toutes choses dont la connaissance ouvre l'esprit aux
plus grandes merveilles de la nature ».
« La principale, dit-il, comprend les deux infinités qui se rencontrent dans
toutes : l'une de grandeur, l'autre de petitesse. »
Pascal a très nettement mis en lumière le principe général posé par Cava-
lieri
dans sa géométrie des indivisibles, en soutenant la légitimité du calcul des
infiniment petits encore enveloppé de brumes; il répondait à certaines criti-
ques contre l'emploi dudit calcul par cette phrase lapidaire :
«
On n'augmente
pas une grandeur continue d'un certain ordre, lorsqu'on lui ajoute un tel nom-
bre que l'on voudra, ces grandeurs d'un ordre d'infinitu e supérieur. »
Si l'on pouvait avant Pascal grâce à la méthode d'Archimède et celle
des indivisibles de Cavalieri, résoudre certains problèmes de quadrature ou
de
cubature,
ressortissant au calcul intégral, et grâce aux méthodes de Des-
cartes et de
Fermât,
traiter le problème inverse relatif aux tangences se rat-
tachant au calcul différentiel, on reconnaît que c'est à Pascal à la suite de
29
ses belles recherches sur la roulette que revient le nrrite d'avoir formulé
le principe de la nouvelle analyse infinitésimale. Dans l'ouvrage de Pascal
sur la roulette, on trouve, écrit
Emile
Picard,
«
sous des formes
géométriques
extrêmement ingénieuses, les résultats fondamentaux se rapportant à ce que
les géomètres appellent aujourd'hui les intégrales curvilignes et les intégrales
doubles ».
J'ai donc été amené, en suivant l'idée de Pascal, dans le domaine des sciences
et aussi dans celui de la pensée humaine, à signaler le rôle des très petits et
des très grands nombres à travers la matière; il me suffit d'aborder l'atome qui
synthétise le très petit nombre, puis de comparer d'une part les masses des
étoiles qui peuplent l'Univers et, d'autre part, scruter les grandeurs des distan-
ces qui séparent ces mêmes étoiles de notre terre, pour faire apparaître des
nombres extrêmement grands.
Tel est l'objet de cette communication qui touche aussi bien à la statistique
qu'à l'histoire et à la philosophie des sciences.
Nous savons que les premiers philosophes grecs considéraient un morceau
de métal comme continu; ce n'est que Leucippe qui eut tout d'abord une cer-
taine intuition de la structure atomique de la matière.
Pour Leucippe et ses disciples, il était impossible de concevoir une divisi-
bilité indéfinie de la matière; l'atome était l'élément ultime, indivisible au
delà duquel il n'y avait plus rien à chercher. Cette conception propagée par le
philosophe
Démocrite,
qui ne précisait ni la grandeur, ni le mode d'attache
des atomes, fut combattue par certains grands esprits, et défendue avec non
moins d'énergie par d'autres, comme Épicure et Lucrèce, puis tomba
dans
l'oubli pendant plus de dix-huit siècles.
C'est le chimiste John Dalton qui formula, en
1807,
que chacune des substan-
ces élémentaires dont se composent les différents corps est constituée par une
espèce de molécules rigoureusement identiques, qui restent insécables au tra-
vers de transformations physiques et chimiques; ce savant doit être considéré
comme le fondateur de la théorie atomique avec les notions de poids atomique
et de poids moléculaire.
Reprenant l'observation faite
en 1827
par le
botaniste
Brown,
JeanPerrina
réussi à filmer l'une des particules et à suivre ses évolutions; la découverte du
mouvement brownien
confirmait
pour Jean Perrin, s'appuyant sur une théorie
d'Einstein, la réduction des corps à des éléments extrêmement petits, et aussi
la théorie cinétique de la matière. Jusque vers 1900, tous les savants
étaient
d'accord pour affirmer qu'un corps quelconque est formé de très petites
parti-'
cules
dites molécules, représentant
la
plus petite quantité de matière qui
pou-
vait exister. Ces molécules, qui ne sont pas en repos, sont animées de
mouve-
ments incessants, d'une amplitude variable avec l'état physique du corps
consi-
déré.
Dans les gaz, les molécules sont très écartées, relativement à leur propre
grandeur, et l'attraction produite sur l'une d'elles par les autres est très
faible.
La théorie cinétique des gaz a permis d'expliquer de la façon la plus simple,
la pression exercée par le gaz sur les parois du vase qui le contient, ainsi que
les*
lois de Mariotte et de Gay-Lussac et de démontrer à partir de principes plus
30 -
généraux l'hypothèse qu'Avogadro avait formulée au début du
xixe
siècle.
Rappelons, à ce propos, qu'Avogadro spécifie que
«
dans les mêmes condi-
tion
de température et de pression, deux volumes égaux de deux gaz diffé-
rents contiennent le même nombre de molécules ».
L'étude des gaz a mis
eh
évidence des nombres extrêmement petits et extrê-
ment
grands qu'il est intéressant de signaler; c'est ainsi que les molécules du
gaz carbonique se meuvent à la température habituelle avec une vitesse
moyenne de 400 mètres par seconde, qu'elles subissent au cours d'une seconde
environ 7 milliards de chocs, qu'en les assimilant à des sphères, il faut en ali-
gner 100 millions pour réaliser une longueur de 1 centimètre, et que l'on en
emmagasine 27,2 trillions dans 1 centimètre cube.
Si l'on pouvait abaisser la pression à un dix-millionième d'atmosphère, il
y aurait 3 milliards de molécules par centimètre cube. On est parvenu à déter-
miner le nombre de molécules contenues dans 1 centimètre cube de gaz, grâce
à une douzaine de méthodes empruntées aux diverses branches de la physique;
le résultat obtenu ayant été le même, qu'elle qu'ait été la méthode utilisée,
a entraîné chez les physiciens la conviction en la réalité des molécules. En par-
ticulier, les belles expériences de Jean Perrin ont permis d'attribuer au nom-
bre d'Avogadro une valeur comprise entre 6 x
102:J
et 7 x 1023 (nombre de
molécules contenues dans une molécule gramme); ce nombre connu aujour-
d'hui, à 1/2
%
près, est égal à (6,03 x 1023).
Les molécules sont elles-mêmes divisibles; ainsi la molécule du chlorure
de sodium (sel marin) fournit sous l'action du courant électrique deux
corps purs : le chlore et le sodium. Et comme le chlore et le sodium ne peuvent
être décomposés en corps plus simples, on leur donne le nom de corps simples.
Quant à la molécule de chlore, elle n'est pas le plus petit fragment de cette
matière dont on puisse concevoir l'existence; en effet, elle est constituée par
l'union intime de deux particules, que l'on appelle atomes de chlore.
A côté des molécules d'hélium, d'argon, de xénon, de
krypton....,
qui ne
renferment qu'un atome et sont dites monoatomiques, on voit les molécules
d'oxygène, constituées par deux atomes. L'oxygène, le soufre, le calcium,
susceptibles de
s'unir
à deux atomes d'un élément monovalent sont diva-
lents ou diatomiques.
La notion de valence implique la notion d'équivalence de substitution; les
atomes, en effet, ne peuvent se
substitijer
l'un à l'autre dans une molécule sans
en compromettre la stabilité qu'à la condition de présenter le même nombre
de valences.
Si l'on s'en tient à cette définition de la valence, celle-ci semble être une
propriété atomique, mais l'expérience contredit cette conception simpliste;
c'est ainsi que l'oxygène, le plus souvent divalent, peut devenir trivalent;
l'azote, le phosphore sont tantôt trivalents, tantôt quintivalents, le carbone est
bivalent ou quadrivalent.
En définitive, la valence est une propriété essentiellement variable; elle ne
doit être considérée que comme une première approximation, permettant de
concevoir les structures moléculaires.
L'atome d'hydrogène peut être assimilé à une sphère d'un rayon égal à
un dix-millionième de millimètre; les atomes des autres éléments chimiques,
31
dont les masses peuvent être très différentes de celle de l'atome d'hydrogène,
ont généralement des dimensions supérieures à celle de l'atome d'hydrogène.
Il est un moyen curieux de se rendre compte de l'extrême petitesse des
atomes qui a été suggéré par le physicien Scandinave
Cari
Stormer; il consiste
à agrandir les objets dans le rapport de 1 à (100)4
=
100 millions.
L'atome d'hydrogène atteindrait un diamètre de 1 centimètre environ, mais
un cheveu, dont l'épaisseur est de un dixième de millimètre, atteindrait
10
kilo-
mètres et les microbes apparaîtraient comme des monstres de 100 mètres.
Les physiciens et les chimistes qui s'étaient demandé s'il n'était pas pos-
sible de scinder les atomes en particules plus petites ont d'abord cru devoir
renoncer à cette conception;
mais,
après les progrès réalisés au cours de ces cin-
quante dernières années, les savants ont été amenés à admettre que l'atome
n'est plus l'ultime particule indivisible du monde matériel,
Les premiers physiciens qui parvinrent à reconnaître dans les rayons catho-
diques une forme de matière plus ténue que la matière habituelle des parti-
cules constituant les atomes, furent Crookes en 1880, et plus tard, de manière
plus
précise,
Jean Perrin et
J.-J.
Thomson
(1895-1897).
Ces corpuscules
que
l'on
Tetrouve dans toute matière, dans toute espèce d'atomes et molécules, sont les
électrons négatifs ou
négatons.
Les hypothèses sur la structure des atomes et des molécules, sur le rôle
qu'y jouent les électrons négatifs, sur la nature des charges positives restèrent
assez vagues et
peu
satisfaisantes jusqu'en 1911. Rutherford parvint alors à
les préciser grâce à des expériences extrêmement ingénieuses et hardies; ces
expériences le conduisirent à comparer l'atome à un système planétaire très
compliqué. On peut envisager ce système comme composé d'un centre électrisé
positivement, autour duquel gravitent
des
corpuscules électrisés négativement
nommés négatons, qui sont en nombre suffisant pour neutraliser la charge
positive du noyau.
Le négaton est
extraordinairement
léger; en effet, pour en avoir un gramme,
il faut en grouper un nombre égal à
1
milliard au cube (soit 1027).
En ce qui concerne le dispositif du noyau et
da
ses satellites à l'intérieur de
l'atome, il a été émis diverses hypothèses dont la première présentée
en
1909
par Rutherford à la suite d'une suggestion faite par Jean Perrin, consiste à
considérer l'atome comme un système analogue au système solaire.
Le
«
soleil
»
de l'atome est un corpuscule très petit, extrêmement dense qui
contient presque toute la masse
de.l'atome;
ce noyau qui diffère d'ailleurs d'un
atome à l'autre, est chargé d'une quantité d'électricité positive, variable avec
chaque élément.
A des distances énormes par rapport au diamètre du noyau central, gravitent
les grains d'électricité négative ou négatons avec des vitesse formidables; le
nombre de ces négatons, qui diffère d'ailleurs d'un
élément
au suivant, est
égal au nombre atomique, ou numéro d'ordre de l'élément dans la fameuse
qui
représentait,
jusqu'en
1939,
le plus complexe de ces mondes
infra
microscopique.
Quelques mois plus tard, à la suite des suggestions de
Fermi,
le
neptunium
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