Comprendre le monde
14Septembre 2016
Lancien colonel des services secrets suisses dénonce
les responsabilités de l’Occident face au terrorisme
Jacques Baud : « Le terrorisme n’est que le résultat de stratégies
mal appliquées dans tous ces pays. »
Jacques Baud est colonel d’état-
major général et ancien analyste
des services suisses de rensei-
gnement stratégique. Spécialiste du
renseignement et de la probléma-
que du terrorisme, il est l’auteur de
plusieurs ouvrages sur ces sujets et
son dernier livre devrait faire couler
beaucoup d’encre. En effet, il analyse
le terrorisme djihadiste en meant
en lumière les responsabilités occi-
dentales et il n’hésite pas à souligner
que «les gouvernements américain,
britannique et français ont été les
principaux promoteurs du terrorisme
islamiste». Cest un entreen excep-
onnel et sans langue de bois que
nous a consacré l’ancien responsable
des services secrets suisses sur cee
queson qui préoccupe la planète.
« Terrorisme. Mensonges poliques
et stratégies fatales de l’Occident »
de Jacques Baud est publié aux Édi-
ons du Rocher.
La Baule+ : Vous rappelez que le
terrorisme djihadiste se situe
hors de la logique cartésienne
occidentale et il y a une leçon
importante dans votre livre :
nous ne gagnerons pas cette
guerre tant que nous ne nous
mettrons pas dans l'esprit des
terroristes. Vous estimez que
nos pays ont une grande fai-
blesse en matière de renseigne-
ment stratégique, parce que
nous sommes incapables de
comprendre le monde avec les
yeux de l’adversaire, notam-
ment sur la question du spiri-
tuel et de la temporalité…
Jacques Baud : C’est effective-
ment le problème que nous
avons en Occident. Nous avions
déjà ce problème avec le com-
munisme et on en retrouve au-
jourd’hui des traces quand on
confond encore l’empire sovié-
tique, c’est-à-dire communiste,
et la Russie, qui sont deux enti-
tés géographiquement sembla-
bles, mais culturellement très
différentes. On a toujours cette
tendance en Occident à réfléchir
avec l’arrogance de celui qui a
du succès. En Occident, on a
réussi à définir des notions
d’État de droit et de démocratie,
or cela nous donne une sorte
d’arrogance par rapport aux au-
tres. Cela nous donne le droit de
critiquer les autres et d’essayer
de leur imposer une vision qui
est celle qui nous semble juste.
À certains égards, on retrouve
ce me comportement avec les
Américains, parce qu’ils ont dé-
fini la démocratie et le succès
économique. On souffre de cela.
Si le problème était un peu
moins aigu quand il s’agissait
de combattre le communisme,
aujourd’hui, avec l’islam, on se
retrouve vraiment dans un pro-
blème asymétrique : les erreurs
que nous faisons engendrent
toujours davantage de pro-
blèmes.
Ces gens font ces
aentats pour nous faire
réfléchir sur nos propres
acons dans leur pays.
On dit souvent que lorsqu’un
groupe gagne une guerre, celui
qui était le terroriste devient le
résistant, mais que tant qu’il
n’a pas gagné la guerre, il reste
un terroriste… Imaginons qu’un
Irakien vienne déposer une
bombe dans un grand magasin,
on le présentera comme un ter-
roriste, en occultant le fait qu’il
a sans doute perdu son frère ou
son cousin lorsqu'une bombe a
été larguée dans une enseigne de
Bagdad…
C’est exactement cela. Les re-
vendications que l’on observe
après chaque attentat, depuis
vingt-cinq ans, ont toutes un
point commun. Ces gens font
ces attentats pour nous faire ré-
fléchir sur nos propres actions
dans leur pays. C’est encore
plus frappant lorsqu’il y a des
bombardements avec des
drones. Nous allons bombarder,
souvent au mépris du droit in-
ternational, comme nous le fai-
sons en Syrie - pays qui ne nous
a jamais clala guerre - en
utilisant des moyens qui ne per-
mettent finalement aucune ri-
poste de leur part. Leur seul
moyen de répondre, c’est en réa-
lité d’utiliser, de leur point de
vue, la même méthode que
nous: le terroriste qui se suicide
est le missile de croisière du
pauvre. On retrouve au-
jourd’hui dans les écrits de
l’État islamique la même expli-
cation : vous nous bombardez,
nous n’avons pas les bombar-
diers mais nous avons des gens
qui sont prêts à se sacrifier...
Nous devons repenser notre ac-
tion contre ces pays, car nos ac-
tions ne font que stimuler leurs
propres actions. Il est très symp-
tomatique de voir dans les vi-
déos de l’État islamique des
séquences des bombardements
coalisés en Irak ou en Syrie, avec
des enfants qui sont dans des
états terribles. Cela ne justifie
pas l’attentat, mais cela veut
dire que dans notre appréciation
stratégique, on ignore volontai-
rement l’impact que nous avons
sur leur volonté de se battre.
Pendant plus de dix ans, les hô-
pitaux irakiens, en raison de
l’embargo, n'ont pas pu soigner
des nouveau-nés ou des femmes
enceintes et ces images sont au-
jourd’hui dans l’esprit de tous
les Irakiens, notamment ces an-
ciens militaires de Saddam Hus-
sein qui représentent
maintenant Daech…
C’est exactement cela et
j’évoque dans mon livre cette in-
terview de Madeleine Albright,
qui était à l’époque ambassa-
drice des États-Unis aux Na-
tions Unies. On lui demande si
l’embargo contre l’Irak justifie la
mort de 500 000 enfants et elle
répond assez froidement : « Oui,
cela en vaut la peine… » On pense
à l’émoi causé par les attentats
en France en 2015 et en 2016,
alors que nous avons impo
500 000 victimes parmi les en-
fants irakiens, sans même sour-
ciller Tout cela, les Irakiens,
mais aussi les Arabes qui se sen-
tent solidaires et la communauté
musulmane qui se sent souvent
marginalisée en France, tous ces
gens, ont une certaine compas-
sion par rapport aux victimes de
ces attentats. C’est là-dessus que
nous devons travailler au-
jourd’hui pour atténuer les ef-
fets du terrorisme.
Vous expliquez que selon les
théoriciens de l’État islamique,
l’Occident a fait disparaître la
zone grise, c’est-dire la zone de
paix contractuelle entre les com-
munautés musulmanes et non
musulmanes, dite Dar-al-Ahd, et
que, maintenant, tous les
moyens sont bons pour renverser
l’Occident et l’islamiser. Peut-on
faire un parallèle avec l’affaire
du burkini sur les plages, est-ce
une manière pour l’islam de mar-
quer son territoire ?
J’ai surtout le sentiment que
c’est une affaire qui vient de
nous. Depuis vingt-cinq ans, de-
puis le début de la guerre en
Irak, on assiste à une polarisa-
tion des mentalités du côté isla-
mique et du côté chrétien, avec
un sentiment croissant dans les
pays musulmans, mais aussi
dans les populations musul-
manes, cette idée que l’Occident
s’en prend à l’islam en tant que
religion. On a stimulé, à travers
toutes nos actions militaires, un
sentiment identitaire qui se ma-
nifeste par des habillements qui
ne sont pas nécessairement dans
l’islam. On parle toujours de la
burqa, mais on ne la trouve
qu’en Afghanistan et nulle part
ailleurs…
On aurait voulu créer du
terrorisme en France,
que l'on ne s’y serait pas
pris différemment !
Donc, ils veulent agir sur le plan
psychologique…
Pas dans le sens où l’on veut
bien le comprendre en France.
En Grande-Bretagne, le port du
niqab ou du tchador n’a jamais
posé de probme, y compris
dans les écoles. Le burkini, c’est
un peu le même problème. Re-
gardez la question des horaires
séparés dans les piscines pu-
bliques : il est très intéressant de
constater, alors que la polé-
mique est montée après la de-
mande des organisations
musulmanes d’avoir des ho-
raires parés, que l’on n’a ja-
mais fait la même polémique
lorsque des organisations israé-
lites, à la fin des années 70, ont
demandé aussi la possibilité
d’avoir des horaires séparés
pour les hommes et les femmes.
On a aujourd’hui, en France en
particulier, une hypersensibilité
à tout ce qui est musulman et le
burkini en fait partie. Dans les
piscines, il semble logique d’in-
terdire le burkini ou tout autre
survêtement pour des raisons
d’hygiène. Mais pour le bord de
mer, c’est différent… En Austra-
lie, il y a des mesures de préven-
tion contre le cancer de la peau
et beaucoup de gens sont incités
à rester habillés sur la plage. Je
ne dis pas que les musulmanes
mettent le burkini dans cette fi-
nalité mais, au lieu d’essayer de
le voir positivement, on le voit
négativement. Ces voiles ne font
pas partie de l’islam, mais de
traditions que l’on retrouve
dans toute la Méditerranée et il
y a différentes manières d’appli-
quer cela. Aujourd’hui encore,
dans le sud de l’Italie, en Es-
pagne et en Grèce, on retrouve
l’usage du foulard. Le fait de de
ne pas porter un foulard pour
une femme dans le sud de l’Ita-
lie était considéré comme étant
un peu provocateur… On de-
vrait voir cela avec un peu plus
de recul chez nous. Je com-
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