L’idée de paix perpétuelle dans l’horizon de la philosophie transcendantale - 1
Introduction
En 1795 fut publié le petit essai de Kant sur la paix perpétuelle. Ce
texte aura un retentissement historique immédiat et futur tout à fait
considérable. Les proches de Kant furent enthousiasmés. Le premier tirage
de 1 500 exemplaires est épuisé en quelques semaines. Une deuxième
édition, augmentée de la deuxième annexe, parait l'année suivante. Douze
éditions seront données jusqu'à la mort de Kant1. L'édition parisienne de
1796 introduisit la philosophie critique en France2.
Les "rêveries" - l'expression est de Kant3 - qui illuminèrent sa verte
vieillesse (il avait 71 ans quand il rédigea en quelques semaines l'Idée de
paix perpétuelle), étaient, somme toute, communes à son siècle. L'Idée de
paix perpétuelle s'inscrivait dans toute une tradition. A la suite du texte de
l'abbé de Saint-Pierre, le Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe,
de nombreux auteurs, que l'histoire laissera dans l'ombre, se lancèrent dans
des études sur la paix. Mais Saint-Pierre fut raillé par tout le dix-huitième
siècle, par les philosophes de son temps en particulier (Leibniz, Voltaire et
Rousseau). Son nom sonna et sonne toujours comme celui d'un rêveur,
d'un utopiste, d'un naïf.
En 1795, Kant était déjà un philosophe célèbre. Au lieu de faire mine
d'un certain scepticisme, il se rangea délibérément aux cotés des naïfs et
des rêveurs amoureux de la paix. Kant est en quelque sorte un transfuge du
camp des philosophes. Il est peut-être le seul grand esprit qui, surmontant
tous les doutes, décida de voler au secours de la simplicité naïve et non
philosophique4. Bien conscient que l'espérance en "un état de paix
perpétuelle... est universellement tournée en dérision, comme un songe
creux"5, il appuya tout de même de toute sa force les esprits obscurs et
simplement bons. On ne parlera plus seulement de Toze, de von Loen, de
Gottlob. On ne se moquera pas seulement de Saint-Pierre. Désormais, il
faudra compter avec Kant, compter avec la Critique de la Raison pure. Ce
1 Lefebvre J., Introduction de Pour la paix perpétuelle, projet philosophique, pp. 10-11. Pour
toutes les précisions sur les œuvres cités en note, cf. bibliographie.
2 Philonenko A., L'œuvre de Kant, tome second, p. 264..
3 Lettre à Kiesewetter du 15 octobre 1795, cf. Ruyssen T., Les origines kantiennes de la
Société des Nations, p. 355.
4 Hassner P., Les Concepts de Guerre et de Paix chez Kant, p. 651.
5 La Religion dans les limites de la simple raison, p78.