Quand la vie ne tient qu’à un fil Détecter les défauts à forte impédance provoqués par les fils électriques tombés à terre James Stoupis, Mohamed Maharsi, Reynaldo Nuqui, Steven A. Kunsman, Ratan Das Avec plus d’un million et demi de km de lignes électriques aériennes qui quadrillent le pays, les Etats-Unis sont particulièrement sensibles aux risques que représentent les conducteurs tombés à terre. Traversant différentes zones climatiques et topographiques, ces lignes sont soumises à un large éventail de situations normales et anormales. Un incident grave peut provoquer la chute brutale des conducteurs sur le sol et présenter ainsi un danger pour l’homme et l’environnement s’ils restent alimentés. Les ingénieurs des compagnies d’électricité doivent pouvoir rapidement détecter et réparer une ligne qui traîne au sol. Toutefois, pour ce faire, ils doivent d’abord identifier et analyser avec précision les défauts provoqués au moment du contact des conducteurs avec le sol. Malheureusement, un problème se pose si un défaut à forte impédance (FI) survient. En effet, en cas de chute de la ligne sur un sol en terre ou en asphalte, ou encore sur un feuillage, le courant de défaut est tellement faible que les protections traditionnelles sont incapables de le détecter. Un relais récemment développé par ABB résout ce problème au moyen d’algorithmes de détection. Chaque algorithme peut déclencher le relais de manière indépendante, mais il est également possible de faire en sorte que le déclenchement dépende de plusieurs types de signaux de défaut. 28 Revue ABB 1/2004 a chute ou la rupture de conducteurs peut constituer un danger pour la sécurité des personnes. Tout contact avec les lignes qui restent sous tension est susceptible de provoquer des blessures graves, voire mortelles. Les arcs électriques peuvent également être à l’origine d’incendies. De surcroît, si le conducteur défectueux est détecté par un relais et que celui-ci déclenche un disjoncteur dans un poste électrique, l’alimentation de services publics vitaux peut être coupée compromettant le fonctionnement d’hôpitaux, d’aéroports et de systèmes de gestion du trafic. Ce sont les effets potentiellement dévastateurs des lignes tombées à terre qui expliquent les efforts mis en œuvre par les compagnies d’électricité au cours des ans pour trouver une méthode fiable de détection. Des compromis pas toujours satisfaisants Un défaut à forte impédance survient lorsqu’un conducteur alimenté entre accidentellement en contact avec une surface quelconque : route, trottoir, branche d’arbre, etc. Toutes ces surfaces ont en commun de réduire la circulation de courant vers l’endroit du défaut à un niveau qui ne peut être détecté en toute fiabilité par les protections classiques contre les surintensités. Les courants de défaut à forte impédance (FI) types sur un réseau de distribution vont de 0 A dans le cas d’un contact avec l’asphalte et le sable sec à 50 A avec l’herbe humide ou 75 A avec le béton armé. La nature des défauts FI a été étudiée en détail depuis le début des années 70 dans l’espoir de trouver une méthode efficace pour détecter ces perturbations. Les chercheurs et ingénieurs chargés de la protection des réseaux ont examiné et testé plusieurs solutions, un certain nombre de techniques différentes ayant été développées au fil des ans. Le problème, cependant, est que les défauts FI ont tendance à présenter non seulement de faibles courants de défaut, mais également un comportement aléatoire avec des fluctuations instables et importantes du niveau du courant. Les signaux de défaut sont également riches en harmoniques et comportent des composantes haute fréquence 1 . La plupart des tra- vaux de recherche sur les défauts FI se sont focalisés sur le développement de détecteurs de défaut sensibles mais fiables. Les méthodes développées exploitent, entre autres, les composantes séquentielles, les réseaux neuronaux, des stratégies de communication et/ou l’analyse d’harmoniques. Problème supplémentaire, tous les défauts FI ne peuvent être détectés, quelle que soit la méthode utilisée. Par exemple, si un conducteur près de l’extrémité d’une ligne tombe au sol, très peu de courant de défaut circule et la charge perdue est très faible, compliquant la détection de l’événement. Bref, il est pratiquement impossible de détecter tous les défauts FI et d’atteindre un haut degré de sécurité contre les déclenchements intempestifs (ces derniers surviennent lorsque le relais pense qu’un défaut FI existe, alors qu’il est provoqué en réalité par une perturbation de type différent quelque part dans le système). De même, alors que les stratégies de communication sont extrêmement utiles pour détecter la perte de potentiel dans une ligne de distribution, elles tendent à être uniquement intéressantes en termes de coût. Au vu de tous ces problèmes, il semblait quasiment impossible par le 2 Forme d’onde type du courant de défaut à forte impédance 1 6 4 2 I [A] L 0 -2 -4 -6 0.415 0.425 0.435 0.445 0.455 t [s] passé de concevoir un système parfait de détection des défauts FI. L’ingénieur en charge de la protection des réseaux doit peser le pour et le contre lorsqu’il s’agit de réaliser le meilleur compromis pour la détection des défauts FI. Il peut ne pas être judicieux, par exemple, de déclencher immédiatement le circuit car l’impact de l’arrêt des feux de circulation, ascenseurs, systèmes de chauffage, équipements d’urgence, etc., doit être pris en compte. Au lieu de cela, l’ingénieur peut décider de signaler une alarme. Dans ce cas, la population est avertie Algorithme de réseau neuronal Input layer Hidden layer Sliding window . NN Input processing . . Output . . . Revue ABB 1/2004 29 3 Algorithme d’ondelettes mis en œuvre par ABB dans un relais de distribution pour détecter les défauts à forte impédance Wavelet decomposition Input signal Approximations and details 600 400 400 200 200 0 0 -200 -200 -400 -600 -400 0 0.02 0.04 0.06 0.08 0 0.02 0.04 0.06 0.08 0 0.02 0.04 0.06 0.08 6 4 2 0 Approximation-1 Detail-1 -2 -4 -6 Approximation-2 Detail-2 HIF Output detection algorithm 20 10 0 -10 Approximation-3 -20 Detail-3 0 0.02 0.04 0.06 0.08 0 0.02 0.04 0.06 0.08 60 40 20 . . . 0 -20 -40 -60 du danger et le personnel d’astreinte est envoyé pour localiser la ligne tombée à terre. Si, par ailleurs, la méthode de détection permet de faire la distinction entre les défauts FI sur une ligne principale et ceux sur une ligne secondaire, la compagnie d’électricité peut décider un déclenchement lorsque la ligne principale est affectée, mais uniquement une alarme si le défaut se situe sur une ligne secondaire. Le choix – déclenchement ou alarme – dépendra des conséquences dans chaque cas. Algorithmes de détection Les fabricants de relais ont développé, 30 Revue ABB 1/2004 par le passé, plusieurs détecteurs de défauts FI, mais avec un succès mitigé. Les produits basés sur des stratégies de communication se sont avérés trop coûteux alors que ceux basés sur des algorithmes de détection avec relais n’ont pas tenu leurs promesses. Plus récemment, des travaux réalisés sur la détection des défauts FI par l’université américaine Lafayette College1) ont dé- 1) Les travaux de développement des algorithmes de détection des défauts FI au Lafayette College furent menés sous la direction du Prof. Ismail Jouny. bouché sur de nouveaux algorithmes dans le domaine de l’intelligence artificielle : réseaux neuronaux, ondelettes et statistiques d’ordre supérieur. Ceux-ci furent également testés ultérieurement sous MATLAB. Algorithme de réseau neuronal L’algorithme de réseau neuronal développé pour la détection de défauts FI est un réseau à deux couches 2 , entraîné par rétropropagation avec une vitesse d’apprentissage adaptative. Les données d’apprentissage du réseau étaient issues de tests réalisés au Lafayette College. Après emploi d’un filtre passe-bas, une fenêtre à trois cycles de données fut ramenée à l’unité avant d’être utilisée comme entrée. Les sorties ciblées pour l’apprentissage furent mise à « 1 » en présence de défauts FI et à « 0 » en l’absence de défauts FI. Algorithme d’ondelettes L’algorithme d’ondelettes est basé sur une analyse multirésolution des charges de courant enregistrées par une transformée en ondelettes discrète 3 . Cet algorithme fournit une description des charges de courant lorsqu’elles évoluent dans le temps sur différentes échelles, avec les grandes échelles associées aux composantes basse fréquence et les petites échelles aux composantes haute fréquence. La transformée en ondelettes décompose le signal courant en petites ondelettes repérées temps/fréquence qui sont toutes des répliques à l’échelle et dilatées de la même ondelette mère. Algorithme de statistiques d’ordre supérieur L’algorithme de statistiques d’ordre supérieur est basé sur les spectres d’ordre supérieur, à savoir le bispectre et le trispectre, qui sont par définition des transformées de Fourier bidimensionnelle et tridimensionnelle, avec cumulants des ordres trois et quatre. Cet algorithme est influencé par la non-stationnarité des courants de défaut FI, leurs dissymétries (plus spécifiquement aux hautes fréquences) ainsi que leur nonnormalité ou absence de ressemblance au bruit blanc. Le détecteur a été développé pour qu’une décision de détection soit prise en utilisant uniquement les statistiques d’ordre deux des valeurs de courant ou en utilisant les statistiques des ordres trois et quatre des valeurs de courant à une étape supplémentaire. Ici, la question est la suivante : disposant d’un ensemble de données et d’un taux fixe de fausses alarmes (ou probabilité d’une erreur de détection), quelle est la décision de détection réalisable en supposant l’accès aux statis- tiques d’ordres deux, trois et quatre ? Près de 100 % des défauts à forte impédance détectés ABB collabora avec l’équipe du Lafayette College lors des essais et de la mise en œuvre des algorithmes de détection développés. Mais avant de pouvoir implémenter un des algorithmes dans un relais de protection de réseau de distribution, il fallait déterminer le taux optimal d’échantillonnage et la taille optimale de la fenêtre pour l’analyse des données. On détermina qu’une fenêtre de quelques secondes permettait une bonne détection des défauts FI et que celle-ci était efficace avec un taux d’échantillonnage de 32 échantillons par cycle. La décision fut donc prise de mettre en œuvre les algorithmes d’ondelettes et de statistiques dans le nouveau relais de protection de réseau de distribution ABB qui présentait justement le taux d’échantillonnage requis. Il était également impératif de disposer de nouvelles données collectées sur le terrain pour tester les algorithmes. ABB obtint de l’Association canadienne de l’électricité (ACE) des données sur les signaux des défauts FI et les courants de charge, de même que des résultats d’essais avec des conducteurs tombés sur différents types de surface. Ces données ont permis à ABB d’optimiser les algorithmes de détection de ces perturbations. de détection des défauts FI avec le relais en utilisant ces données approche les 100 %, avec un taux de fausses alarmes d’environ 8 %. Vote de confiance La conception du nouveau relais de distribution permet la mise en œuvre ultérieure du réseau neuronal comme troisième algorithme, fonctionnant soit comme un mécanisme de détection indépendant, soit comme une configuration de « vote ». Cette spécificité est un différentiateur marketing important, tout particulièrement aux Etats-Unis où une telle protection offre un fort potentiel et où les avantages que peuvent en tirer les compagnies d’électricité sont les plus significatifs. Les résultats des essais réalisés avec les nouvelles données montrent que les algorithmes fonctionnent efficacement avec un bon niveau de fiabilité. Le taux James Stoupis Mohamed Maharsi Reynaldo Nuqui ABB Inc. Raleigh, NC (USA) Steven A. Kunsman Ratan Das ABB Inc. Allenton, PA (USA) [email protected] Bibliographie [1] Downed power lines: Why they can’t always be detected. IEEE Power Engineering Society, New York, Feb 1989. [2] B. M. Aucoin, R. H. Jones : High impedance fault detection implementation issues. IEEE Trans on Power Delivery, vol 11, no 1, Jan 1996, 139–148. [3] I. Jouny, S. Kaprielian : High impedance fault detection. Lafayette College, Electrical Engineering Department. Revue ABB 1/2004 31