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No41, 10 OCTOBRE 2011 MIGROS MAGAZINE
ENTRETIEN LAURENT ALEXANDRE
Vous avez fondé doctissimo.fren 2000.
Qu’est-ce que ce site a changé dans le rap-
port patient-médecin?
Les forums ont apporté une dimension
communautaire à la santé. Désormais,
les gens ont la possibilité de discuter de
leur maladie sans passerpar l’intermé-
diaire du médecin. Avant les forums,il
n’y avait pas de lieu de rencontre per-
manente pour se soutenir.
Un réconfort que ne peut pas apporterle
corps médical?
Il faut bien l’admettre, il est assez com-
pliqué pour le patient d’appeler sur son
téléphone portable soncancérologue
pourdiscuter deux
heures au milieu
de la nuit. Mais ça
ne remplace pas le
médecin.
N’est-ce pas trou-
blant que le patient
se renseigne sur sa
maladie sur inter-
net?
En tant que médecin, c’est insupporta-
ble.Commepropriétaire de Doctissimo,
je voyais ça d’un meilleur œil.
Pourquoi avoir vendu Doctissimo,une affaire
qui marche si bien?
J’ai vendu le site et arrêté d’opérer en
2007 pour me consacrer à la généti-
que.
Justement,vous parlezde génétique dans
votre livre «La mort de la mort»,dans lequel
vous dépeignezun avenir de science-fiction:
une terre peuplée de mi-hommes mi-machi-
nes.
Laphasedetransformationestprogres-
sive.La prothèse de hanche ou celle de
cristallin représente une étape. Vien-
nent ensuite les implants auditifs et ré-
tiniens,cérébraux. Il s’agit déjà d’une
forme d’humanité modifiée, de trans-
humanisme,mêmesiellenese transmet
pas héréditairement.
Mais ce sont de petites choses!
Oui, mais on voit bien qu’on va vers des
technologies de plus en plus invasives.
Vous auriez annoncé cela en 1960,on
aurait crié au cyborg. Aujourd’hui, on
trouve celatrès bien.Etlà,celaévoluede
manière exponentielle. Les puces élec-
troniques intracérébrales constituent
une étape importante: personne a dit
qu’il ne fallait pas traiter les personnes
atteintes de Parkinson ou d’Alzheimer
avec des implants. L’acceptation sociale
est non seulement rapide mais aussi très
forteetonn’estqu’audébutdutoboggan
transhumaniste.Toutesles armes dispo-
niblespournousmodifier,nous lesavons
utilisées.Le slogan du XXIesiècle, ce se-
ra: plutôt transhumain que mort.
Avec votre laboratoire de génétique appli-
quée, DNAVision, vous avez un pied dans le
transhumain...
DNAVision est centré sur le séquençage
intégral des patients, notamment des
cancéreux, afin d’établir un diagnostic
complet de nos prédispositions ou des
caractéristiques de nos tumeurs.
Aquoi sert le séquençage intégral de l’ADN?
A mieux maîtriser notre destin médical
et mieux orienter les traitements. Dans
le futur,à piloter les manipulations gé-
nétiques sur notre patrimoine ADN.
N’importe qui peut demander le séquençage
de son ADN?
Oui. Moi j’ai été séquencé. Bien que je
sois médecin, il n’est pas si facile de
prendre connaissance de sesfacteurs de
risque.
Le résultat vous a chamboulé...
Mon séquençagem’a unpeusecoué etme
fait penser qu’il vaut mieux être accom-
pagné par un médecin que de recevoir les
résultats parinternet.Selonlapathologie,
la probabilité de développer la maladie
quand vous avez un gène de prédisposi-
tion varie. Elle atteint 100% concernant
la trisomie 21 ou la mucoviscidose.
Vous connaissez vosgènes, ne pouvez-vous
pas intervenir?
On peut prendre des mesures pour retar-
der une maladie. La dépister tôt pour in-
tervenirdemainenentreprenantunethé-
rapiegéniquecorrectrice.Concernantles
maladiesoùiln’yapasdecertitudesetoù
l’environnement joue un rôle, modifier
son mode de vie.
Si vous pouviezreprogrammer votre patri-
moine génétique, que changeriez-vous?
Je ne modifierais rien pour moi, mais je
corrigerais un mauvais gène que j’ai pro-
bablement transmis – une chance sur
deux – à certains de mes enfants.
Allez-vous faire séquencer leur ADN?
Oui, pour savoir lesquels sont porteurs
de cette anomalie afin de les prendre en
charge tôt.
«La médecine va de plus
en plus prévoir et prévenir»
Fondateur du site Doctissimo et chirurgien, Laurent Alexandre signe un ouvrage
prédisant une révolution dans l’avenir de l’homme.
«Le résultat
du séquençage de
mon ADN m’a un
peu secoué»
Bio express
Parisien de 51 ans, Laurent Alexandre vit
en Belgique avec sa compagne et leurs
trois enfants de 10,9et 5 ans. Chirurgien, il
aégalement accompli des études à
Sciences Po,la HEC et à l’ENA. Décrit
comme un «serial entrepreneur», il a fondé
six entreprises qu’il a ensuite revendues.
Parmi elles: Medcost (1995), spécialiste
dans les services informatiques médicaux,
le début du web médical.
En 2000,il lance le site médical Doctissimo
avec Claude Malhuret.La plate-forme est
vendue en 2008 à Arnaud Lagardère pour
une somme estimée à 140 millions d’euros.
Depuis 2008,il est à la tête de DNAVision,
une entreprise belge spécialisée dans la
recherche et le développement sur les
gènes, leader européen privé en analyse de
génétique et de génomique. Laurent
Alexandre a écrit deux livres grand public
en 2011: «La mort de la mort.Comment la
technomédecine va bouleverser l’humani-
té», JC Lattès,et,avec David Angevin,
«Google Démocratie», Ed.Naïve.