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Dans leur film Pour l’amour de Dieu, Zakia et Ahmed Bouchaâla
s’interrogent sur les ambivalences de l’islam, à travers le parcours
d’un adolescent en rupture.
Comment est né le projet de ce film ?
Zakia Bouchaâla : ARTE et notre producteur nous avaient
demandé de réfléchir à quelque chose autour de l’Islam en
France aujourd’hui. Au début, on s’est dit : « bon, on est des
Arabes… »
Ahmed Bouchaâla : Et puis, on n’y connaissait pas grand-
chose. Difficile d’avoir un point de vue, sinon épidermique,
quand on n’a pas les clefs. Cette religion dont on parle tous
les jours, la plupart des gens la connaissent mal, y compris
certains musulmans. On savait qu’il s’agissait d’un terrain
miné, donc on y est allé un peu à reculons.
Z.B. : À la fois, ça avait quelque chose de rebutant et
de fascinant. À chaque polémique, des militants, des
sociologues, des écrivains d’origine musulmane prennent
position, et nous jamais alors qu’on se sent concerné. Ce
film nous donnait enfin l’opportunité d’exprimer notre point
de vue.
Quel a été le point de départ ?
A.B. : Tout s’est éclairé avec Roman, le poème de Rimbaud :
« on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… » À
partir de là, on s’est dit que l’Islam serait présent, mais que
l’histoire qu’on voulait traiter était celle de cet adolescent en
rupture qui aurait aussi bien pu tomber dans la drogue ou la
délinquance et qui s’enlisait dans la religion.
Z.B. : Comme c’est le cas pour beaucoup de jeunes
musulmans. Là, on avait quelque chose en main : cette
histoire d’amour et ce moment d’incroyable fragilité, d’où la
difficulté du casting. Nous voulions absolument que Kévin-
Mohammed soit blanc de peau, pas typé arabe. Un gamin de
Paris, au milieu de tout le monde, sans vraie identité, parce
que ça correspondait à son état. Rachid, ce jeune comédien
magnifique, a ce côté transparent. Une douceur presque
angoissante qui peut le faire basculer en une fraction de
seconde. Enfin, Paris a été essentiel pour nous et surtout pas
les banlieues, parce que cela faisait partie de son intégration
et de celle de ses parents.
En même temps, le traitement de l’Islam exigeait une
vraie rigueur.
Z.B. : Il a fallu s’initier à cette religion, un peu comme le
spectateur au début de l’histoire. On s’est tout à coup
plongé dans un univers immense, dont chacun avait son
interprétation. On a lu le Coran. Ahmed s’y est collé jour
et nuit et me nourrissait pour l’écriture du scénario. C’était
essentiel et à la fois presque accessoire, technique. Il ne
fallait pas forcément être inspiré pour ça, et nous voulions
d’abord tenir notre fil de fiction.
A.B. : En étant aussi exigeant sur le plan didactique. C’était
important que le film soit émaillé de citations du Coran
par exemple. J’ai beaucoup lu, consulté des sites Internet
d’islamistes, des chats dont le film se fait parfois l’écho,
comme le passage sur les tomates où « Allah » serait écrit
dessus, ça existe vraiment…
Z.B. : On s’est laissé porter là-dedans, avec des moments de
frayeur, et d’autres où on a beaucoup ri, d’où certaines scènes
qui frôlent la comédie. Mais avant de remettre la première
version, on a été pris de panique, parce qu’encore une fois,
c’était une manière d’interpréter l’Islam. Et dans cette religion,
il y a tout et son contraire. On peut l’utiliser comme on veut.
A.B. : C’est le grand drame de l’Islam, l’absence d’instances
pour le décrypter, à la différence du christianisme. Jusqu’au
XIIè siècle, il y a eu les Ijtihâd, un mot de la même racine
que Jihad (effort en arabe). Des « efforts d’interprétation »
pour faire coller le texte à la réalité. Et puis ça s’est arrêté.
Mais aujourd’hui, on va peut-être y revenir. Des gens vont
avoir moins peur de remettre le dogme en question, de se
demander si vraiment la parole de Mahomet est une parole
révélée ou pas. Une question que dans le monde arabe
personne n’ose même aborder. Lorsque Mohand Alili, le
recteur de la mosquée de la porte d’Aix à Marseille, déclare
après les propos du pape que les musulmans devraient
d’abord s’interroger sur leur religion avant de s’adresser à lui,
il a raison. L’islam est né dans la violence, comme beaucoup
de religions. Mahomet était chef de guerre et l’a imposé par
la force. On ne peut pas remettre ça en cause, de même qu’il
fut en son temps un féministe.
Avez-vous été conseillé par des spécialistes ?
A.B. : Slimane Zeghidour (1), spécialiste des religions, a
relu le scénario et nous a précisé quelques points de détail,
de vocabulaire.
Z.B. : Tout de même, il nous a apporté un élément important.
Dans notre première version, les islamistes étaient un peu
plus théologiens, plus érudits. Et Slimane nous a éclairé sur
le fait que certains d’entre eux pouvaient aussi avoir un côté
pieds nickelés. Du coup, on les a décalés un peu.
Interview de Zakia et Ahmed Bouchaâla