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LE SOL BASE D’UNE VITICULTURE BIODYNAMIQUE ET DURABLE
Karim Riman, Consultant en agriculture écologique et Viticulteur
Le sol, une évolution sur des millé-
naires
Le sol prend naissance à partir d’un substratum miné-
ral lié à la géologie, dont il est long ici de détailler leur
formation. Toute omission ou préférence affichée se-
raient impardonnables. Ainsi nous invitons le lecteur à
consulter le livre fort intéressant, « Terroirs et vins de
France itinéraires œnologiques et géologi-
ques » (BRGM, sous la direction de Charles Pomerol).
Ce matériau originel va être transformé par la végéta-
tion et les êtres vivants, au départ peu visibles
(protozoaires, bactéries, champignons, …) et ensuite
ceux visibles (mousses, lichens, …) puis les plantes di-
tes « supérieures ».
Ces êtres vivants par leur sécrétion vont attaquer la
« roche-mère » en libérant les particules ultra-fines du
sol (argiles vraies et limons fins, dont la taille est infé-
rieure à 50 µm), si ce matériau en contient, et bien sûr
les éléments minéraux forts chers à l’approche miné-
rale de la fertilité des sols.
Ces particules ultra-fines vont intimement se lier avec
l’humus issu de la transformation des matières organi-
ques (microbiennes, animales et végétales). Cet hu-
mus, dit à tort « stable », peut avoir un âge supérieur
à 50 ans. Nous lui préférons le nom d’humus « lié ».
Cette liaison, façonnée par une alchimie entre liaisons
chimiques mais également actions biologiques prend
le nom de Complexe Organo-Minéral (COM).
Ce sol et son complexe seront en continuelle évolution
et changement sous l’effet du climat (gel-dégel, sec-
humide, circulation de l’eau), de la topographie (perte
ou rétention de particules fines) et bien sûr de l’Hom-
me.
Ce long processus de transformation, va aboutir à
une organisation horizontale par couches successi-
ves qui se différencient par leur couleur (en ral
couleur plus foncée en surface par rapport aux hori-
zons inférieurs).
Malheureusement, les sols nus, en pente, soumis à de
pluies diluviennes ne résisteront pas à l’entraînement
de leurs particules très fines (argiles, limons et humus)
qui iront se déposer dans les fonds marins, pour for-
mer les futurs substratums donnant naissance à de
nouveaux sols, bien sûr dans quelques milliers - voire
millions d’années - .
Tableau 1 : Perte par érosion en sol argilo-
limoneux avec une pente de 3 à 4%
Source : Chambre d’Agriculture du Var 1994
Le sol est un organisme vivant, com-
plexe mais organisé, tout à l’image du
vin.
Le viticulteur se doit :
1) de connaître son sol, fruit d’une
longue évolution,
2) de l’entretenir limitant perte par
érosion et limitant le tassement,
3) de faire enraciner sa vigne le
plus profond possible afin d’extraire
la quintessence du terroir.
Sous nos contrées, il faut environ un siècle pour for-
mer 1 cm de sol évolué, mélange intime entre argiles
-limons fins et l’humus. Ainsi, les sols que nous culti-
vons aujourd’hui sont millénaires ; ils restent fragiles
malgré la formation, dans la majorité des situations,
de complexe organo-minéraux qui les protègent.
Travail du sol Enherbement
3.9 T/ha/an 0.8 T/ha/an
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Tableau 2 : Erosion en climat méditerranéen
en viticulture selon méthode d’entretien du
sol
Source : Andrieux et al., 2007
Le sol, à observer en profondeur
Pour appréhender, cette terre nourricière, ce sol ac-
teur (et non support), cœur du domaine viticole, ap-
pelé par défaut « boîte noire », et base de l’agriculture
biodynamique, l’approche terrain est la base (toucher
la terre, observer sa vie, voire évoluer les racines en
profondeur). Les analyses de terre viendront complé-
ter ces observations. L’équilibre de la vigne, la qualité
du raisin et l’équilibre du vin seront les meilleurs indi-
cateurs de la fertilité du sol, sa fécondité (empruntée
par H.P. Rusch).
La fécondité du sol est « son aptitude du sol à produi-
re toute la chaîne alimentaire allant des micro-
organismes jusqu’à l’homme, en passant par la plante
et l’animal, et ce , pendant des générations ».
Avant tout diagnostic de sol, il est nécessaire de défi-
nir les unités de sol (cartographie) afin d’y réaliser les
observations approfondies. Le profil de sol reste le
meilleur moyen de découvrir son sol en profondeur et
l’enracinement de la vigne dans ce sol. Ces observa-
tions de terrain seront complétées par des analyses de
terre afin de déterminer :
sa fertilité physique
sa fertilité biologique et organique
la qualité de son complexe organo-
minéral
sa richesse minérale
son état d’évolution
Le viticulteur en biodynamie a le de-
voir de respecter ses sols
Nous invitons le lecteur à consulter la synthèse de l’es-
sai de longue durée (21 ans) réalisé au FIBL en Suisse
comparant en grandes cultures l’impact des modes de
productions biodynamique, organo-biologique et
conventionnel intégré sur la fertilité du sol.
h tt p s: // w ww . f i bl . o r g/ f il e a dm i n / do c um e n ts /
shop/1190-dok.pdf
1. Protéger le sol, maintenir la terre
fertile en place
La vigne plante pérenne, cultivée en monoculture et
pour de longues années. Elle n’a pas une forte densité
racinaire de surface pour retenir le sol, ni une
végétation suffisante dans nos systèmes de culture
actuels pour le couvrir et réduire ainsi l’impact des
rayons du soleil et celui des gouttelettes d’eau.
L’enherbement, qu’il soit naturel ou semé,
temporaire ou permanent fera partie intégrante de
la gestion du sol et du maintien de sa fécondité.
Les racines de l’herbe vont former des agrégats
(grumeler la terre autour de leurs radicelles) et
stimuler l’activité des microorganismes dans sa
rhizosphère ; ces microorganismes vont par leurs
mucus, hyphes et autres sécrétions jouer un rôle
fondamental sur la structure du sol, rôle souvent
sous-estimé et méconnu.
Extrait des résultats obtenus après 25
ans dapplication des différents
traitements à la Station de Recherches
viticoles Dràgàsani - Roumanie
Pour nous, l’enherbement monovariétal qu’il soit
temporaire ou permanent n’est qu’une étape pour
stabiliser les sols et freiner l’érosion.
La biodiversité doit être privilégiée : mélange
d’espèces, sinon alternance des espèces d’une année
sur l’autre, alternance rang enherbé et rang travaillé.
sur sol désherbé chimi-
quement
Pertes de sol de 8,4 T/
ha
sur sol enherbé, Pertes de sol de 1,4 T/
ha
en sol travaillé Pertes de sol de 2 T/
ha
enherbement naturel
maîtrisé
Pertes de sol de 4 T/
ha
Analyse
Désher-
bage
mécani-
que
Désher-
bage
chimi-
que
Enher-
bement
perma-
nent
Agrégats stables pro-
fondeur 0-10 cm (%) 71 76 89
Porosité totale, profon-
deur 0-5 cm, % 52 46 53
Humus 1.7 1.5 2.1
Bactéries 106 /g de sol
sec 209 113 413
Champignons 103 /g de
sol sec 428 234 714
3
L’enherbement permanent, vieillissant, contraire-
ment à ce que nous pouvons imaginer n’améliore pas
toujours la porosité du sol en profondeur ; il joue tout
au plus un rôle de portance par rapport aux engins
agricoles.
Dans ce domaine, le viticulteur, adaptera à chaque
parcelle les mélanges à semer (ou l’herbe naturelle à
gérer), la durée de vie du couvert végétal, son faucha-
ge en vue de son incorporation ou non (mulch),
La flore «naturelle » peut être intéressante à gérer.
Cela passe impérativement par un inventaire floristi-
que du couvert végétal au printemps et à l’automne,
ceci en se guidant de la démarche initiée par Gérard
DUCERF-Promonature (Encyclopédie des plantes bio-
indicatrices).
Dans le cadre d’une réflexion globa-
le sur la biodiversité, chère à la bio-
dynamie, l’entretien des haies natu-
relles ou l’implantation de haies
diversifiées est à réaliser pour ac-
cueillir abeilles et héberger la faune
auxiliaire entre autre.
2 Protéger la structure, limiter le
Tassement
Nous assistons à un alourdissement du poids des ou-
tils de travail du sol, à des passages de plus en plus
nombreux pour protéger les vignes, pulvériser les pré-
parâts et autres produits, sans compter les passages
pour d’autres travaux et la vendange. Ceci sans évo-
quer le passage d’outils rotatifs animés qui devraient
être utilisés à titre exceptionnel en agriculture biody-
namique.
Ce nombre de passage élevé entraînera :
La réduction de la porosité du sol avec comme
conséquence la perturbation de l’exploration
racinaire, l’écrasement des racines et la mau-
vaise circulation de l’eau.
La baisse du taux d’oxygène du sol entraînant
des perturbations de la vie du sol et la difficulté
d’assimilation des éléments comme le phos-
phore, le soufre, l’azote et les oligo-éléments.
La dérive du cycle des matières organiques par
anaérobiose, avec des dérives microbiennes.
Ou des phénomènes d’ordre géochimique : par
exemple la précipitation du calcaire et le
risque de formation de zones
«encroûtées » dans le profil entravant vie
(comme les vers de terre anéciques) et
enracinement.
Afin de réduire le tassement le viticulteur devra :
mener une réflexion sur la protection du
vignoble qui passe par un équilibre du
cep et l’aération de la vigne, ce qui
induira une réduction du nombre de
passages,
maintenir l’enherbement le plus longtemps
possible selon les contraintes
hydriques de chaque parcelle,
introduire des espèces à enracinement
fasciculé profond type seigle ou à fort
pivot type radis fourrager ou sainfoin
dans le cas d’un sol nécessitant un
décompactage en profondeur.
vérifier régulièrement la pression des
pneus et remplacer quand cela est
possible les pneus « classiques par
des pneus larges voire extra-larges,
remplacer le tracteur, par des engins plus
légers à moindre impact sur le sol pour
certains travaux ( ramasser/distribuer
piquets et fils de fer, ramasser le bois
morts, etc.).
3 Protéger la vie du sol, la nourrir
Les êtres vivants du sol interviennent à différents
niveaux dans la construction du sol, favorisant les liens
entre les composantes organique et minéral ; ils
participent aux processus de transformation des
matières organiques, jouant les intermédiaires
indispensables entre les radicelles de la vigne et les
éléments nutritifs au sens large.
Leur répartition dans le sol est souvent hétérogène,
mais concentrée surtout dans les premiers cm du sol
(20-30 cm) et autour des racines (rhizosphère) ; elle
est également présente en profondeur avec une
densité proportionnelle à la présence de la matière
organique et surtout des racines.
Les chiffres de son importance sont variables selon les
sources bibliographiques, nous pouvons donner un
ordre de grandeur pour sur 20 cm de profondeur et
par ha :
500 kg à 5 T de vers de terre, 10 à 1000
individus /m2 de surface observée
5 à 50 T de matières vivantes microbiennes
3.1018 de bactéries
150 millions de km d’hyphes fongiques, dont
les mycorhizes
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Ces êtres vivants sont répartis en deux grands
compartiments : les macroorganismes (appelés
souvent faune) et les microorganismes (souvent
dits flore).
Les macroorganismes du sol
«Vie et fertilité vont de pair, la vigueur des systèmes
radiculaires va de pair avec la diversité de la faune»
Wilcke 1963
Les organismes macroscopiques du sol exercent
une action physique, chimique et biologique.
L’importance de leur activité est illustrée par celles
des vers de terre qui sont étudiés depuis de longue
date en France (Lombriciens de France BOUCHE
1972). Ils exercent :
a) Une action mécanique
Leurs galeries verticales (anéciques) augmen-
tent la percolation de l’eau et diminuent le ruis-
sellement (important dans les sols méditerra-
néens) et la battance de certains sols compac-
tés.
En 1975, EHCLERS a montré que la porosité des sols
non labourés à activité lombricienne significative était
beaucoup plus forte qu’en sols labourés.
KIRKHAM (1981) a prouvé expérimentalement
que la vitesse d’infiltration est doublée dans les
sols non labourés. En effet, les galeries des lom-
briciens traversent tout le profil (hors labours)
alors que les labours interrompent les galeries
(donc l’infiltration) au niveau de la semelle de
labour.
La bioturbation provoque l’enfouissement de la
matière organique et la remontée de matériel
minéral par les mouvements verticaux des
anéciques par digestion et défécation dans des
horizons différés.
Les galeries se ramifient en surface et en profondeur ;
leurs parois sont recouvertes d’un mélange organo-
minéral rigide et enrichi en microorganismes.
La fragmentation des débris végétaux- herbe,
sarments et feuilles broyés - par les lombriciens
mène à la libération des contenus cellulaires. Ce
mélange intime donnera des agrégats à l’origine
de la stabilité structurale sur toute la face
verticale du profil colonisé. La stabilisation des
agrégats s’accompagnera d’une oxydation
ménagée de la matière organique.
Les dépôts des fèces des vers se font en surface
sous forme de turricules lorsque le sol est
compacté ou dans toutes les cavités et fissures
en profondeur. Ils sont à l’origine de la structure
grumeleuse et de la macro-porosité du sol, qui
permet la circulation des gaz et des liquides et
l’exploration du système racinaire des
profondeurs du sol, recherchant minéralité et
protection.
La vitesse de creusement est 4 à 5 fois plus grande en
sols limono-argileux qu’en sols argileux lourds.
(EDWARDS & LOFTY 1972).
b) une action biologique et chimique
Le contexte biochimique et enzymatique de
l’intestin du ver de terre favorise une
dégradation rapide de la matière organique. Le
lombricien digère la matière organique et
transforme l’énergie biochimique en énergie
calorique et mécanique. Ils entrent ainsi dans
une chaîne trophique la matière organique à
rapport carbone/azote (C/N) > 30 est dégradée
en C/N proche de 8 ou 9.
Le carbone est rejeté sous forme de CO2 et il libère les
éléments biogènes N, P, K, S.
L’intestin du ver de terre propose également un milieu
favorable à la stimulation et à l’activation des
microorganismes par une humidité, une température
et un pH adéquats (conditions qui se perpétuent dans
les fèces des vers).
En 1992, BAROIS a prouvé cette activation de la
microflore par sécrétion digestive de
mucopolysaccharides.
5
Les dépôts des fèces dans les horizons non colo-
nisés mènent à un ensemencement des micro-
organismes. Ce brassage est une source nouvel-
le de nourriture pour le monde microbien égale-
ment par l’éclatement des structures d’agré-
gats.
En effet d’après FAYOLLE, seulement 10% des agrégats
sont en contact avec les microorgansimes, les 90%
restant sont hors d’atteintes sans cet éclatement.
De plus la colonisation en profondeur met les microor-
ganismes à l’abri des conditions climatiques extrêmes.
Les lombriciens agissent sur l’ensemble des
phénomènes du sol et par conséquent sur l’acti-
vité racinaire ;
L’aération profonde du sol créée par l’activité lombri-
cienne augmente le volume du sol explorable par les
racines.
De même dans les sols compactés, les racines em-
prunteront préférentiellement les axes des galeries
(BOUCHE).
De récentes expériences ont soulevée des inte-
ractions entre le peuplement lombricien et les
nématodes phytoparasites. Le transit à travers
le tube digestif du ver de terre perturbe les ca-
pacités physiologiques des nématodes à donner
une descendance normale. Une « microflore »
antagoniste serait activée lors du passage dans
l’intestin du ver et la protéase responsable de
ces perturbations dans le développement du
peuplement des nématodes a été identifiée.
(BOYER, MICHELLON, REVERSAT).
Les macroorganismes préparent les conditions
favorables aux microorganismes.
Les microorganismes du sol
Les organismes microscopiques du sol sont nombreux,
ils se dénombrent par milliers voire millions par gram-
me de terre fine..
Les bactéries, de l’ordre 108 à 109 par gramme de ter-
re, prélèvent leur énergie des matières organiques
(amidon, cellulose, lignine, protéines), elles partici-
pent ainsi à l'humification et à la minéralisation.
D’autres bactéries fabriquent leurs propres substances
organiques à partir des éléments minéraux, exemple
des bactéries nitriques qui oxydent l'acide nitreux et
les nitrites en acide nitrique et en nitrates NO3
-.
D’autres sont libres fixatrices d'azote type
Azotobacter ou associées en symbiose comme les
Rhizobium (association avec les gumineuses
principalement). D’où l’importance de l’introduction
de ces esces dans les rotations d’engrais verts en
règle général et en particulier notamment dans les
sols en convalescence.
Les champignons du sol eux vivent soit en parasites,
en saprophytes sur de la matière organique morte
qu’ils transforment ou en symbiose avec des
organismes vivants comme les racines des plantes
(ce sont les mycorhizes).
Les champignons filamenteux peuvent représenter
de 50 m jusqu’à 1k m d’hyphes par gramme de terre.
Ces endomycorhizes sultent de l'association intime
entre certains champignons du sol et les racines des
plantes dont la vigne. Leur survie pend
directement des pratiques culturales : apport
d’engrais (azote et phosphore), utilisation de
pesticides, travail du sol, etc. La symbiose
endomycorhizienne existe depuis plusieurs millions
d’années.
Nous savons aujourd’hui, que les
endomycorhizes interviennent positivement
dans plusieurs processus physiologiques chez la
vigne.
Ils jouent un rôle déterminant non seulement
dans la croissance et la vie des plantes, (de la
plantation à la récolte) mais aussi dans tout le
système de production y compris la gestion du
sol :
- réduction du stress à la plantation et du
stress hydrique assurant une meilleure
reprise des jeunes plants (surtout quand les
racines ne sont pas trop raccourcies) et un
meilleur développement racinaire,
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