Vision arachnéenne façon
“Spider-Man”… Le robot
chirurgien a déployé ses quatre
bras articulés autour du patient
allongé. L’un porte une caméra
3D, les trois autres sont équi-
pés d’instruments miniaturi-
sés. À quelques mètres de là, le
chirurgien (le vrai), installé à une console
qui lui restitue le champ d’opération en
relief et agrandi dix fois, commande le
robot à l’aide de petites manettes dont les
mouvements sont précisément reproduits
sur le corps du patient. Science-fiction ?
Pas du tout. Le robot chirurgical Da Vinci a
été mis sur le marché en France en 2000 et
est considéré aujourd’hui comme la Rolls-
Royce des outils mis à disposition des
chirurgiens, en dépit des réserves émises
par certains professionnels (voir encadré).
Il en existe plusieurs exemplaires
en Belgique. Produit de la firme
américaine Intuitive Surgical, il
détient jusqu’ici le monopole du
secteur. Pourtant, comme c’est le
cas pour un PC ou un lave-linge
qui, à peine a-t-il quitté le magasin,
se voit déjà remplacé par un nou-
veau modèle fraîchement sorti de
l’usine – encore plus performant ou
qui a réglé les inconvénients de la
série précédente –, le robot-chirur-
gien est contraint de s’améliorer
sans cesse. Qui plus est, le progrès
en matière de technologie médicale nétant
pas près de s’arrêter, d’autres robots de son
espèce pourraient bien déferler prochai-
nement sur le marché… Parmi les person-
nalités belges conscientes du phénomène
figurent le Pr Philippe Coucke, chef du
service de radiothérapie au CHU de Liège,
ainsi que Richard Van den Broek, direc-
teur de l’Unamec (Fédération belge de l’in-
dustrie des technologies médicales), que
nous avons interviewés à propos de ce que
l’avenir nous réserve en matière de robo-
tisation médicale. « Lavenir ? Mais nous
sommes déjà dedans ! Je parlerais même
de “science-réalité”, nous répond le Pr
Coucke. Des choses incroyables se mettent
en place ! Le robot chirurgien de la pre-
mière génération, tel que nous le connais-
sons aujourd’hui, nexistera sans doute
plus sous cette forme. Il sera amélioré. Par
ailleurs, deux projets européens sont en
train d’émerger. Il s’agit d’Arakness” et de
“Notes” (voir encadré). Dans les deux cas,
l’idée est de pouvoir réaliser un maximum
d’opérations par voie interne, afin de ne
pas laisser de cicatrice externe : les inter-
ventions se font par voie transgastrique,
transvésicale, vaginale, rectale, etc. »
INGÉNIEURS ET MÉDECINS
DOIVENT ŒUVRER ENSEMBLE
Ces robots chirurgiens ont-ils une réelle
utilité ? Qu’apportent-ils de plus qu’un
médecin en chair et en os ? Sont-ils aussi
fiables ? Que coûtent-ils ? On ne peut
s’empêcher de se poser ces questions, en
se demandant notamment si les hôpitaux
ne tiennent pas davantage à leur utili-
sation parce qu’elle donne d’eux l’image
de centres hospitaliers à la pointe de la
modernité. Ou pour répondre aux solli-
citations de patients tentés par l’aventure
robotique. Avec le risque in fine qu’ils
veuillent les utiliser à tout bout de champ,
notamment pour des opérations simples
qui ne devraient pas nécessiter tout un
déploiement robotique. Il faut dire que les
“honoraires” du robot chirurgien sont plus
élevés que ceux de ses confrères humains,
notamment pour rentabiliser son achat
dont le prix avoisine les 2 millions d’eu-
ros, mais aussi pour couvrir l’amortisse-
ment, son entretien qui s’élève à près de
200.000 euros par an et la formation des
chirurgiens amenés à l’utiliser. « Ce dernier
point est essentiel, nous confirme Richard
Van den Broek. Le scientifique français
Joël de Rosnay dit que “si le médecin
se cantonne à son expertise technique, il
deviendra rapidement inutile”. Or, le pro-
blème aujourd’hui ne tient pas tant dans
le fait que les robots ne sont pas capables
d’accomplir certaines tâches, mais plutôt
dans l’inadéquation qui existe entre la
formation des médecins et tout ce qui est
mis à leur disposition pour soigner les
patients… et dont certains ignorent non
seulement le mode d’emploi, mais parfois
même jusqu’à l’existence. » Se crée ainsi
un fossé entre les médecins “qui savent”
et sont en formation permanente et les
autres. « On nous parle souvent de la pénu-
rie de médecins qui s’annonce pour 2020-
2025. Cela me fait rire !, poursuit le direc-
teur de l’Unamec. Quand on vit dans la
“science-réalité”, on se rend compte qu’un
seul médecin pourra faire beaucoup plus
qu’aujourd’hui. Ingénieurs et médecins
doivent œuvrer ensemble pour dévelop-
per les outils d’avenir. Nous connaissons
l’existence des nouvelles technologies et
sommes prêts à participer à la formation
permanente des médecins. Celle-ci devrait
se faire de manière structurée et obliga-
toire. On ne peut plus attendre ! Le défi
est d’ailleurs le même partout en Europe
occidentale et dans d’autres régions du
monde. » Le groupe hospitalier américain
“Kaiser permanente” veut remédier au
décalage entre le “terrain” qui évolue à
toute vitesse et le savoir séculaire
des universités. « Une situation qui
produit des gens en décalage avec
le monde qui évolue, constate le
Pr Coucke. La Suisse, le Canada et
les États-Unis sortent cependant
du lot. » Cela dit, toutes roboti-
sées qu’elles soient, les opérations
requerront toujours la présence
d’un chirurgien, ne serait-ce que
pour manipuler les “joy sticks” et
guider l’intervention en cours. Qui
plus est, le médecin devra toujours
être capable de reprendre la main
(ou plutôt le bistouri) en cas de panne. Le
système de secours n’offre actuellement
qu’une autonomie de 20 minutes au robot.
“UNE TEMPÊTE NUMÉRIQUE”
Le robot chirurgien n’est pas la seule
innovation technologique en train de
bouleverser le monde médical. D’autres
concepts voient le jour, qui pourraient
bien transformer du tout au tout le rôle
du médecin qui va devenir davantage
un conseiller de santé. Pour le reste, la
technologie et sa numérisation vont per-
mettre au patient non seulement d’être
capable de suivre seul ses paramètres
physiologiques, mais aussi de savoir
précisément comment réagir au cas où
l’objet connecté lui signale un problème.
Cette personnalisation de la médecine
évitera peut-être l’automédication via
le Net basée sur un simple ressenti,
de même que le risque d’achat de faux
médicaments ou encore les échanges de
“bons” tuyaux via les réseaux sociaux.
Myriam Bru.
High-tech
28 29
Le bistouri tenu par un robot,
le labo portable, les objets
connectés qui vous auscultent
en permanence, le pilulier
délateur… Sous l’influence
des high-tech, le rôle du
toubib est en train de se
transformer du tout au tout !
ledecin
robot
remplace
Le
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Le robot chirurgien Da Vinci : bien, mais…
Capable de réaliser des opérations à la pointe
et de diminuer le stress et la fatigue du
chirurgien, qui opère assis, le robot Da Vinci
de la société Intuitive Surgical (qui bénéficie
aujourd’hui d’une double console permettant
à deux médecins de s’atteler à la tâche) a
néanmoins fait l’objet de quelques critiques.
Une étude de la Johns Hopkins University
à Baltimore (États-Unis) a ainsi évoqué une
forte sous-déclaration des effets indésirables
liés à son utilisation. Parmi ceux déclarés, des accidents (perforation
d’un organe, hémorragie, brûlure interne…) ont été rapportés, que
certains imputent à un manque de retour de force et à un champ de
vision limité, mais que la plupart attribuent au manque de formation
des médecins. Dans un article du “Standaard” à propos
des robots chirurgiens est évoqué aussi le risque plus
élevé d’“oubli” de cellules cancéreuses, notamment
lors d’un cancer de la prostate. Ce robot est en effet
utilisé principalement en urologie. Larticle révèle aussi
que les patients opérés de la vésicule biliaire restent
3/4 d’heure de plus sous narcose que lors d’une opé-
ration manuelle. Enfin, l’augmentation du prix de l’opé-
ration, imputable à l’utilisation du robot, n’est pas prise
en charge par la mutuelle. Lenquête menée en 2014
par lANSM (agence française de sécurité des médicaments et des
produits de san) a conclu qu’il fallait encourager la formation per-
manente des équipes utilisatrices ; en effet, plus grand est le nombre
d’interventions, moins on enregistre deffets indésirables. M.B.
ledecin
robot
remplace
Le
Entrez dans la famille
des robots
Ces innovations
volutionnent la médecine.
Le Pr Philippe Coucke (ULg)
nous les explique.
Araknes (Array of Robots Augmenting the Kinematics of
Endoluminal Surgery) et Notes (Natural Orifice Transluminal Endoscopic
Surgery) sont deux projets européens au but identique : créer une chirurgie
robotique non invasive. Dans le cas d’Araknes (projet italien), le robot minia-
turisé entre dans le corps du patient… par le nombril. Une petite capsule y
est ensuite introduite, à travers laquelle le chirurgien fera passer, l’un après
l’autre, les deux bras du robot. Celui-ci renvoie alors au chirurgien qui le
manipule depuis sa console les images en 3D de ce qui se passe à l’intérieur du
corps. Outre l’extrême précision chirurgicale, ce système permet une absence
de cicatrice, une diminution des douleurs, du risque de complications et de la
durée d’hospitalisation.
iKnife (intelligent knife) est un bistouri électrique, inventé
en Grande-Bretagne, capable de distinguer un tissu sain d’un tissu
cancéreux. Comment ça marche ? Au moment où le chirurgien
coupe dans le tissu avec le bistouri, la vapeur émise par l’électro-
coagulation des tissus est analysée en temps réel. L’instrument
détermine ainsi si le tissu est sain ou non. Cette technique peut
remplacer celle qui consiste, en cours d’opération, à envoyer au
labo un échantillon du tissu opéré et à attendre ensuite le résultat,
qui parvient entre 20 et 30 minutes plus tard. Avec le iKnife, la
prise de décision du médecin est immédiate. Mieux : cette tech-
nique peut aussi éviter au patient de devoir être réopéré.
MedWand est la suite logique d’une expérience lancée à l’université de
Baltimore, permettant de réaliser, à l’aide d’une application sur smartphone,
le bilan clinique d’un patient en maximum 10 minutes ! Tout en un, comme
un couteau suisse : le stéthoscope, l’otoscope, l’ophtalmoscope, l’électrocar-
diogramme, le thermomètre, l’oxymètre, le tensiomètre et le dermatoscope.
Autrement dit : en dix minutes, le médecin connaît la tension, l’état des yeux, des
oreilles, du cœur et de la peau de son patient. Toutes ces informations numéri-
sées sont envoyées par le MedWand dans le “cloud” (nuage numérique), avant
d’atterrir dans le DPI du patient (dossier informatisé). La société MedWand
collabore depuis avec Doctor On Demand, un des leaders dans le domaine de la
télémédecine. Aux États-Unis, certaines sociétés d’assurances mettent cet ins-
trument à disposition de leurs affiliés. Il coûte 199 dollars. Livré avec le logiciel
permettant l’analyse des résultats, son prix avoisine les 500 dollars.
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Le Tricorder dAezon,
Le “Qualcomm Tricorder Xprize”, un prix
doté de 10 millions de dollars, leur sera peut-
être décerné (verdict en 2017). Aezon est un
groupe de jeunes chercheurs américains à
l’origine d’un collier destiné aux personnes
âgées, capable de calculer en continu tous
leurs paramètres physiologiques. Les résul-
tats sont ensuite envoyés dans le “cloud” où
ils seront comparés à des profils existants
et, si un profil de maladie est reconnu, un
message d’alerte sera renvoyé au patient afin
qu’il puisse faire, à domicile, une analyse
d’urine ou d’une goutte de sang prélevée sur
son doigt, à l’aide d’un petit labo portable.
Le patient obtiendra ensuite les résultats,
débouchant sur un diagnostic… et la sug-
gestion d’un traitement. Lauto-médecine
progresse. « Ce concept de télémédecine et
de “Do-it-yourself” est fort intéressant pour
le milliard et demi d’humains qui n’ont pas
accès à des médecins », estime le Pr Coucke.
Theranos est un laboratoire
mobile qui porte le nom de la société qui l’a
conçu, propriété d’Elizabeth Holmes. Cette
femme, qui avait hésité entre des études de
médecine ou d’ingénierie, a finalement opté
pour celles-ci tout en décidant qu’elles lui
serviraient à révolutionner la médecine !
C’est chose faite : elle a même réussi à
associer la Nasa à son projet Theranos. Les
astronautes ont pu tester son laboratoire
mobile qui permet, à partir d’une seule
goutte de sang, d’analyser toute une série
de choses. Deuxième coup de génie : asso-
cier la chaîne de pharmacies américaine
Walgreens à l’implantation de comptoirs
Theranos au sein de leurs boutiques. Vous
faites vos achats, au passage vous demandez
au comptoir que l’on vous pique le doigt et
le résultat de cette prise de sang… se retrou-
vera sur votre ticket de caisse ! Cela dit, en
octobre 2015, une enquête du “Wall Street
Journal” a révélé que la société n’utiliserait
pas sa propre technologie pour faire les
tests sanguins et qu’elle aurait tenté de mas-
quer certaines incohérences.
Les Health Spot
Stations
Dans les rues de l’Ohio, ils ressemblent
à des kiosques à journaux. Vous y
entrez, vos paramètres médicaux y
sont enregistrés (tension, température,
poids…) et vous êtes ensuite mis en
contact, par écran interposé, avec le
médecin que vous aurez sélectionné
parmi tous ceux répertoriés sur un site
précisant leurs qualités respectives. Le
diagnostic est fait en direct. Il ne vous
reste ensuite plus qu’à vous rendre
dans une pharmacie.
Watson, le programme déployant de l’intelligence arti-
ficielle, développé par IBM, avait battu le challenger humain
dans le jeu télévisé Jeopardy. Watson est donc capable de faire
des choix corrects. D’où son introduction dans le domaine
médical. « Imaginez, d’un côté, des centaines de milliers de
dossiers d’oncologie de patients vivant partout dans le monde,
contenus dans la mémoire d’IBM. De l’autre, un médecin
lambda du fond de l’Italie ou d’ailleurs, qui ne sait que penser
de l’état de son patient, nous explique le Pr Coucke. Il entre le
profil de celui-ci dans le programme Watson, ainsi que tous
les résultats de ses analyses. Des algorithmes puissants per-
mettent, en tenant compte de toutes les variables introduites
et de leurs poids relatifs, de rapidement comparer le profil du
patient aux cas en mémoire et de proposer ensuite un diagnos-
tic et un traitement. Vu l’explosion du nombre de variables par
patient, l’esprit humain n’est plus capable de rivaliser avec sa
fiabilité. »
Merge
Healthcare
IBM a signé avec un
fabricant de systèmes de
stockage de radiologies
qui donne accès aux radios
d’un consortium dhôpi-
taux américains, soit à des
millions de sets d’images.
Grâce à cela, les méde-
cins de ces hôpitaux ont
accès à l’imagerie de tous
les patients, ce qui peut
les aider à établir leurs
diagnostics par reconnais-
sance de profils types. À
terme, Watson va pouvoir
développer des algorithmes
tels qu’il pourra même
remplacer l’être humain à
l’interprétation des images.
Un des problèmes les plus
fréquents auxquels sont
confrontés les médecins est
le fait que les patients ne
prennent pas, ou mal, les
médicaments qui leur sont
prescrits. Il a été constaté,
par exemple, que 88 %
des patients ne prennent
toujours pas leur médica-
ment une semaine après
avoir fait un infarctus.
Pour remédier aux oublis,
il existe déjà des piluliers
électroniques qui sonnent
pour vous rappeler l’heure
de prendre votre médica-
ment.
Proteus est un système de capteur placé sous la peau
du patient, approuvé par la Food and Drug Administration. Il
est associé à la pilule prescrite. Quand elle arrive dans l’esto-
mac, la pilule se dissout. Ce faisant, elle envoie un signal au
capteur qui, lui-même, envoie un message au smartphone de
la personne chargée de veiller sur le patient ou à son médecin
traitant, qui sait ainsi que le patient a bien avalé sa pilule.
Autre exemple : « Aux Pays-Bas, lors d’une fracture de l’avant-
bras ou du poignet, le taux de compliance, en kinésithérapie,
n’est que de 5 % », constate le Pr Coucke. Or, cela entraîne un
coût sociétal énorme car les gens retournent moins vite au
travail. Des développeurs de jeux vidéo ont mis une parade en
place : des jeux amusants (par exemple celui où le patient est
un requin qui doit se mouvoir) obligeant des mouvements de
poignets ou des avant-bras, avec des niveaux de difficulté pro-
gressifs.
Myriam Bru.
ledecin
robot
remplace
Le
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