Stacy McGaugh, de l’université Case Western Reserve, aux États-Unis, et ses collègues ont-
ils mis le doigt sur une faille du scénario standard de la matière noire ? Il est beaucoup trop tôt
pour le dire. Ce qui est certain, c’est que le comportement de la matière noire dans les
galaxies spirales semble bien plus subtil qu’on ne le pensait.
Ironie de l’histoire, c’est par l’étude de ces mêmes galaxies spirales que l’idée de matière
noire a émergé à la fin des années 1960. À cette époque, l’astronome Vera Rubin, alors à
l’institut Carnegie de Washington, mesurait la vitesse des objets dans plusieurs galaxies
spirales en observant le décalage de la longueur d’onde de la lumière émise dû à l’effet
Doppler. Ce décalage étant proportionnel à la vitesse de déplacement par rapport à
l’observateur, Vera Rubin a ainsi pu établir le profil de vitesse de plusieurs galaxies. Elle a
montré que la vitesse devenait constante à une certaine distance du centre galactique, au lieu
de décroître selon la racine carrée de la distance d’après les lois de la gravitation de Newton.
Les étoiles en périphérie des galaxies spirales tournent trop vite et auraient dû être éjectés. Or
la vitesse de rotation des étoiles est déterminée par la quantité de matière contenue dans la
galaxie. La masse observée directement (les étoiles et le gaz, ou matière baryonique) ne
semblait ainsi pas correspondre à la masse déduite de la dynamique.
Pour résoudre ce problème, les cosmologistes, dont James Peebles de l’université Princeton,
ont fait l’hypothèse dans les années 1970 qu’un vaste halo de matière invisible et
n’interagissant pas avec la matière ordinaire englobait les galaxies et contribuait à la majeure
partie de leur masse et donc de leur champ gravitationnel. La matière noire est devenue un
élément incontournable de la cosmologie. Représentant environ 80 % de la matière de
l'Univers, elle explique la dynamique des galaxies spirales, mais aussi le mouvement trop
rapide des galaxies au sein des amas des galaxies, une anomalie signalée dès les
années 1930 par l’astronome Fritz Zwicky. Elle intervient aussi dans certains phénomènes
de lentille gravitionnelle et dans l'interprétation des anisotropies du fond diffus cosmologique.
Problème : sa nature reste toujours inconnue...
L’approche de Stacy McGaugh et ses collègues pour étudier la dynamique des galaxies est
proche de celle de Vera Rubin. Les trois chercheurs ont créé le catalogue SPARC (Spitzer
photometry and accurate rotaton curves) en combinant les données du télescope spatial
Spitzer sur la distribution de la lumière infrarouge avec des données sur le champ de vitesse
du gaz. Ils ont établi le profil de vitesse du gaz interstellaire pour 153 galaxies à partir d’une
vingtaine de points par galaxie, et calculé l’accélération centripète (dirigée vers le centre et
dépendant de la masse totale). Ils ont aussi recensé l’ensemble de la matière baryonique à
partir de la lumière émise dans l’infrarouge et ont alors calculé l’accélération centripète
correspondant à la matière baryonique seule. C’est là la nouveauté de leur travail, car la
relation masse-luminosité est plus fiable dans l’infrarouge que dans le visible, et c’est la
première fois que l’accélération centripète du gaz observée est comparée à l’accélération
centripète calculée à partir du recensement de la matière baryonique pour un si grand nombre
de galaxies. Une étude similaire avait été réalisée en 2011 par Gianfranco Gentile, de
l’université de Gand, en Belgique, et Benoît Famaey, de l’observatoire de Strasbourg, mais
sur seulement 12 galaxies.
L'étude de Stacy McGaugh et ses collègues confirme le résultat de Vera Rubin : la matière
baryonique ne suffit pas à elle seule à expliquer l’accélération centripète observée, et donc le
profil de vitesse. L’hypothèse de la matière noire semble donc confortée.