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Quand des tours, symboles d’un empire de la toute puissance, s’effondrent, ce sont tous nos rêves qui
s’écroulent avec elles. De la Perse antique, de Babel pays du brouillage, à New York, Singapour city, des tours
de Tokyo, ou celle de Dubaï, l’humain n’a de cesse de vouloir inlassablement rejoindre, ou gratter ce ciel au-
dessus de lui, pour en crever les nuages, afin de voir à quoi ressemblerait cette divinité, qui le créa à son
image. L’humain veut toujours contenir, uniformiser pour s’approprier Dieu. Pourquoi y aurait-il plus fort et
plus grand que moi ?
Quand il s’agit du choix de la communication et du langage, c’est bien souvent celui ou celle qui parle le plus
fort ou le mieux qui emporte la partie, et qui prend l’initiative et le pouvoir. Rien ne l’arrête.
La division finit toujours par prendre le pas sur l’unique, et la diversité ne cesse de grandir.
Bien des civilisations sont passées, enfouies dans les sables des déserts, dans les étendues d’eau, ou au fond
des mers. D’autres prennent la place, et, à leur tour, tentent d’unir le monde pour aller au-delà des nuages, mais
en vain.
L’auteur de la Genèse explique le pourquoi de la différence, des langues et des cultures.
Il explique la volonté de Dieu de se révéler au travers même de cette diversité. Pour rester ce « Tout-Autre »,
encore et toujours créateur que l’on ne cesse de vouloir atteindre ou dépasser, Dieu oblige l’homme à se
projeter, non pas plus haut, en construisant tours et ziggurats, mais à grandir, à évoluer, non pas à l’aide de la
matière, mais du verbe. Pour aller plus haut désormais, l’humain devra ne jamais oublier que le Verbe est
premier.
Et si le Verbe se fait « Rouâh » des origines, mystère accroché aux charpies des déserts de pierres du Wadi
Rum, aux montagnes du Caucase, il se fait chair et s’incarne pour nous rassembler malgré nos différences, par
une langue unique, celle de l’amour. Ainsi, le Verbe se fait chair.
Dieu voyage ainsi, se fait langage, communication, afin de sortir l’humain de son incorrigible désir de toute-
puissance. Dieu déjoue ainsi les plans de l’homme, afin de l’obliger à la rencontre et à l’échange.
Aujourd’hui encore, nos ziggurats de verre et d’acier ne nous renvoient que l’image de nous-mêmes, et
l’espace se restreint autour de nous. Ce n’est pas Dieu que nous rencontrons mais notre simple désir de toute-
puissance.
Pour nous rejoindre et nous laisser l’appréhender, Dieu se fait langage, partage. Partage, comme le pain qui
passe de main en main autour de nos tables de fêtes. Dieu se fait à la fois un, ou deux, ou trois, et pourquoi pas
plus. Dieu est qui il est « je suis qui je suis » dira-t-il à Moïse, et lui seul en décide. Mais pour dire Dieu il faut
la complémentarité de nos compréhensions et de nos interprétations.
Le verbe est nomade, voyageur, insaisissable et léger comme le vent ; Le verbe est impossible à contenir.
Rien ne le limite, personne ne peut se l’approprier et en faire sa chose, ne serait-ce qu’un instant pour dominer
son prochain.
Nous ne serons jamais, malgré tous les moyens que nous possédons, capables de le comprendre et de le
retraduire dans son intégralité.
Il reste toujours un peu le mystère à découvrir de notre existence, ce qui nous conduit inévitablement à notre
humanité et à plus d’humilité.
Nul besoin de vouloir scruter et atteindre le ciel. Être avec l’autre, c’est se rencontrer et partager. Dieu ne se
révèle pas dans la hauteur mais il se tient à la table de tous nos partages.
Frères et sœurs en humanité, plus tard, bien plus tard, le Christ nous appelle tous et toutes à nous unir en une
seule foi, certes, mais que chacun reste ou soit un morceau du rêve de Dieu pour sa création.
Dieu est pour tous, et nous sommes tous différents unis dans la foi, appelés à la vie en liberté, à la rencontre
avec le Christ vivant, mais chacun doit avoir la liberté de l’exprimer avec ses mots, sa culture et sa sensibilité.
Nous sommes appelés à apporter à la table de nos partages notre indispensable contribution à la
compréhension et à la révélation du Tout-Autre. Amen.