d'utiliser ce merveilleux instrument de gestion qu'est l'écriture, inventée presque en même temps en
Mésopotamie et en Égypte dès le début de l'âge du Bronze. D'autre part, les prêtres, qui, d'un bout à
l'autre du pays, rendent aux dieux le culte au nom du pharaon, dont ils ne sont que les modestes
représentants, même s'ils se situent dans les sommets de la hiérarchie ecclésiastique, tel «le premier
prophète d'Amon» à Thèbes. Les uns organisent le pouvoir et l'exploitation, les autres les justifient
grâce à l'incomparable secours de l'imaginaire.
Le pharaon est un personnage éminemment charismatique, en tant que relais unique des faveurs
divines. La stèle du mariage de Ramsès II est un texte remarquable qui insiste sur ses rapports avec
le dieu-soleil Rè : «Rè se lève dans l'horizon chaque jour pour entendre toutes ses prières. Le roi de la
Haute et de la Basse Égypte lui dit chaque fois qu'il brille : «Qu'y a-t-il dans ton cœur, afin que je
l'accomplisse pour toi ? Les paroles que le roi prononce sur la terre sont entendues dans les cieux».
Ces rapports sont tellement étroits qu'ils prennent une nature hiérogamique. Au IIe millénaire
apparaissent des textes qui montrent les relations charnelles entre Amon et la reine, qui font de
l'enfant qui va naître de leurs étreintes un vrai fils de dieu. Voici comment est chanté l'amour d'Amon
pour la reine Aakmosé : «A l'odeur du dieu elle s'éveilla et sourit à Sa Majesté. Aussitôt il se dirige
vers elle, brûle d'amour pour elle et lui exprime son désir... Son amour pour lui pénétra dans son corps
à elle... Après que la Majesté du dieu eut accompli tout ce qu'il désirait faire avec elle, Amon lui dit :
«Hatchepsout est le nom de cette fille que j'ai mise dans ton corps».
DIEUX ET STRUCTURES DU PANTHEON
Le panthéon marque une continuité évidente avec le passé du Prédynastique (4600-3150) : sur les
palettes de schiste tardives de la vallée du Nil on voit des animaux incarnant les dieux : l'ibis de Thot,
le faucon d'Horus ; émergent aussi le dieu-faucon et la déesse-vache. Mais on peut annexer des
documents sahariens antérieurs fournis par l'art pariétal néolithique de la zone vallée du Nil + Sahara
oriental. La «Dame blanche» ou déesse cornue d'Aouanrhet (5e millénaire), le corps couvert de
scarifications, danse et sa tête dotée de cornes surmonte un champ de céréales d'où tombent les
grains. N'est-ce pas une préfiguration très ancienne d'Isis ? Et que dire de la mystérieuse «Antinéa»
de Jabbarem (4e millénaire) agenouillée avec sur la tête un motif qui sera celui du pschent ? Tous les
documents qui montrent des relations très anciennes avec l'Afrique noire sont à retenir, car ils
confirment l'hypothèse qu'un fonds néolithique africain immémorial a perduré du Niger au Nil, avec
des degrés divers d'élaboration : mythes de l'antagonisme de Ciel et Terre qui se termine par leur
séparation ; création de l'univers par le Verbe ; similitudes de vocabulaire pour tout ce qui touche au
répertoire cosmique...
En conservant ce riche passé néolithique, se structure un panthéon original dont on a pu dire qu'il est
le reflet dans le surnaturel de la cour pharaonique. Plusieurs remarques peuvent être présentées :
- le Soleil domine la mythologie et le panthéon, comme il est naturel dans une vallée où il règne en
maître. C'est lui qui a créé le monde en se tirant lui-même au-dessus du magma liquide originel.
Ensuite, il y a un processus de solarisation qui identifie Rè à bien d'autres divinités, dont Horus et
Amon ;
- l'évolution va, depuis l'Ancien Empire, vers des dieux moins animaux, plus proches de l'homme
donc, même s'ils gardent souvent un caractère zoomorphique qui passe pour caractéristique de
l'Égypte ; à l'époque hellénistique, il y a au reste un retour en force retro des cultes des animaux ;
- chaque figure divine a des fonctions bien définies et s'intègre dans un couple dieu/déesse de nature
évidemment hiérogamique ;
- les dieux habitent dans les sanctuaires qui se multiplient et deviennent de plus en plus grandioses.
On les y installe dans l'endroit le plus inaccessible, sorte de saint des saints, où de grandes statues
les incarnent. Elles ont les mêmes besoins que les hommes. Donc chaque jour on les éveille, on les
vêt, on les nourrit. C'est le culte quotidien, mais il y aussi des fêtes superbes, mensuelles ou
annuelles. On ne néglige pas d'assouvir leur sexualité : ainsi chaque année l'Horus d'Edfou va visiter
et aimer son épouse, l'Hathor de Dendéra.
Naturellement, sur 35 siècles d'histoire égyptienne, des évolutions profondes se sont accomplies.
Amon, un dieu-bélier très obscur (qu'on a pu comparer à des dieux-béliers africains) prend une
personnalité plus nette avec le Moyen-Empire et l'énergie de ses prêtres de Thèbes fait vite de lui la
plus importante des divinités, ce qui permet de comprendre que Hérihor, son premier prophète, puisse
s'emparer du pouvoir royal dans un véritable golpe en 1080.
De fait ces évolutions traduisent bien le rapport des forces dans le palais : Aménophis IV, «le roi ivre
de dieu», essaie, vers 1370, de réagir contre l'insupportable pouvoir des prêtres ; il fait remplacer le
nom d'Amon par celui d'Athon (le Soleil en tant que simple disque céleste, accessible donc à toutes
les adorations, même celles des sujets les plus lointains du pharaon). Mais l'œuvre de ce grand
mystique, auteur d'un magnifique hymne à Athon, ne lui survit pas et la faiblesse de son successeur,