L’art musical n’est-il qu’une cause dispositive pour la
contemplation ?
Caroline DAVADIE, promotion XXXIX
25 mars 2010
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Les rapports entre art et philosophie ne cessent d’ˆetre discut´es. D´ej`a dans l’Antiq-
uit´e, Platon et Aristote les interrogeaient afin de d´eterminer si oui ou non l’art devait
entrer dans l’´education des enfants et dans quelle mesure. Plus tard, de nombreux au-
teurs comme Schiller ou les philosophes des Lumi`eres ont ´ecrit des trait´es d’esth´etique.
Cependant, parler de l’art en g´en´eral dans son rapport `a la philosophie ne semble pas
pertinent. De fait, les diff´erentes formes d’art ne peuvent entretenir des rapports iden-
tiques avec la philosophie, du fait mˆeme de la mani`ere dont elles se pr´esentent. Ainsi, la
Pi´et`a de Michel Ange nous montrera de mani`ere physique et tangible la douleur de la
Vierge pleurant son Fils descendu de la Croix. Le Stabat Mater Dolorosa de Pergol`ese
quant `a lui nous la fera connaˆıtre d’une mani`ere plus abstraite par les accords presque
dissonants des voix exprimant une certaine tension, les accents tragiques des airs et la
tonalit´e mineure dominante du morceau. Le Chemin de Croix de Paul Claudel, enfin,
nous fera saisir la douleur et l’intensit´e de la situation par le choix des mots employ´es
pour la d´ecrire. On pourrait penser, au vu des œuvres de Sartre ou de Camus, que la
philosophie se rapproche plus de la litt´erature que des autres formes d’art : il est en effet
plus ´evident d’´ecrire un roman `a vis´ee philosophique comme La Naus´ee ou L’ ´
Etranger
que de composer un morceau de musique philosophique. Cependant, c’est sur l’art mu-
sical en tant qu’œuvre et travail analytique `a partir de ces œuvres que se sont attard´es
de nombreux auteurs, au rang desquels Nietzsche dans ses rapports ambig¨us avec Wag-
ner, et Schopenhauer. De fait, la musique, parce qu’elle est fugace et implique, en plus
de l’activit´e sensible de l’ou¨ıe, celle de la m´emoire qui est une facult´e intellectuelle, est
de tous les arts celui qui est le plus abstrait des caract´eristiques sensibles. Par ailleurs,
la musique, comme tout art, puise sa source dans l’observation accrue de la ealit´e et
nous en donne ensuite, au travers des diff´erentes œuvres et interpr´etations, une certaine
connaissance qui ne peut ˆetre qu’intellectuelle puisque le son s’´eteint aussi vite qu’il est
n´e et qu’elle implique donc `a la fois la m´emoire pour se souvenir du son et l’imagina-
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tion pour le relier `a la r´ealit´e qu’il veut exprimer. On pourrait alors se demander si
la musique, en nous donnant cette connaissance et en faisant entrer en jeu les facult´es
intellectuelles de l’auditeur, ne pourrait pas ˆetre, plus qu’une cause dispositive pour la
contemplation, un art m´etaphysique nous menant `a la contemplation tant d´esir´ee des
philosophes.
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La lecture des philosophes ou des musiciens qui ont vu dans l’art musical quelque
chose de plus qu’une simple cause dispositive pour la contemplation, nous montre
d’abord comment art musical et contemplation peuvent s’articuler. Daniel Barenbo¨ım,
dans La musique ´eveille le temps part d’un constat : nombreux sont ceux qui, apr`es une
longue et dure journ´ee, ´ecoutent de la musique afin d’oublier leurs probl`emes pr´esents.
Mais, allant plus loin que ce simple constat, Barenbo¨ım affirme que “la musique nous
donne un autre outil, beaucoup plus pr´ecieux, avec lequel on peut apprendre sur nous-
mˆemes, sur notre soci´et´e, sur la politique - bref sur l’ˆetre humain”1. La musique jouerait
donc un rˆole de r´ev´elateur du monde, nous en donnant une connaissance plus intuitive
que l’exp´erience sensible que nous en avons. De fait, l’art musical, non content d’ac-
compagner l’homme dans de nombreuses ´etapes de sa vie comme le font les marches
fun`ebres ou nuptiales ou encore les nombreuses messes compos´ees au cours du temps,
pr´etend traduire et repr´esenter les passions qui l’animent. Ainsi le compositeur, ayant
compris l’homme, am`ene l’auditeur `a le comprendre lui aussi par la musique, ce qui
fait dire `a Barenbo¨ım que “la musique n’est pas s´epar´ee du monde, elle peut nous aider
`a oublier et `a comprendre simultan´ement”2. De fait, en nous introduisant dans l’œu-
vre d’un autre, la musique nous permet d’oublier le monde qui nous entoure en nous
faisant nous concentrer uniquement sur l’harmonie d’un morceau qui nous d´etache des
consid´erations mat´erielles qui ont occup´e notre journ´ee. La musique semble donc `a
la fois vouloir repr´esenter le monde et ouvrir `a une dimension plus spirituelle en le
repr´esentant de mani`ere certes mat´erielle mais plus abstraite que ce que pourrait faire
un tableau puisque le son est fugace et doit donc ˆetre m´emoris´e pour continuer d’exister.
Si la contemplation est d´efinie comme une connaissance claire du monde et de ce qu’il
est, il semble donc bien que la musique puisse y mener l’homme. En effet, si l’œuvre
1Barenbo
¨
ım, Daniel, La musique ´eveille le temps, p.12.
2op.cit., p.25.
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musicale exprime, ou du moins tend `a exprimer les passions de l’homme, comme dans
les operas par exemple, ou `a repr´esenter la nature, comme les Chants d’Oiseaux d’O-
livier Messiaen ou Le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Sa¨ens, elle ne le fait pas
de mani`ere d´esordonn´ee ni al´eatoire. Il y a toujours un ordre dans la partition, un ordre
entre les notes ou entre les diff´erents mouvements d’une symphonie. L’art musical, au
sens o`u il suppose non seulement une ´ecoute attentive de la pi`ece qui est donn´ee mais
aussi une connaissance de la th´eorie et de l’analyse de la musique, nous livre `a la fois
une connaissance de l’homme et de la ealit´e par sa repr´esentation dans la musique, et
une saisie de l’ordre et de l’harmonie du monde par la saisie de l’ordre pr´esent dans
la partition. Cette saisie semble par ailleurs plus simple et plus intuitive que celle qui
pourrait ˆetre permise par la lecture des classiques de la litt´erature puisqu’elle parle
directement `a nos sens et nous livre un son qui, `a peine jou´e, est ej`a abstrait pour ˆetre
m´emoris´e.
Par ailleurs, Schopenhauer voit dans la musique une repr´esentation de la vie et du
monde. De fait, Schopenhauer consid´erait l’art musical comme le premier des arts dans
lesquels se d´egrade la Volone, il en est donc l’expression la plus imm´ediate. Il affirme
ainsi dans Le Monde comme Volont´e et Repr´esentation que la musique est “l’exp´erience
directe de la Volont´e elle-mˆeme”. Schopenhauer consid´erant la Volone comme l’essence
mˆeme des choses, la musique devient de fait l’art m´etaphysique par excellence qui
nous donne `a connaˆıtre non seulement le monde ph´enom´enal en tant qu’elle cherche `a
l’imiter, mais aussi l’ˆetre des choses en tant qu’elle est l’expression la plus imm´ediate de
la Volont´e. Il voyait ainsi dans l’architecture musicale une repr´esentation des diff´erents
degr´es de l’ˆetre : la basse repr´esentait la mati`ere inerte, les voix moyennes le monde
v´eg´etal et animal, et les voix aig¨ues la Volont´e. Il semble donc que, dans la perspective
de Schopenhauer, la musique et l’art musical en g´en´eral soient bien plus qu’une simple
cause dispositive pour la contemplation mais bien la voie qui m`ene par excellence `a la
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