Un succès public retentissant. L`appui enthousiaste de très

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mieux que des bonbons?
Un succès public retentissant. Lappui enthousiaste
de très nombreux médecins et scientifiques.
Pourtant, Santé Canada la déconseille.
Que penser alors de la «vapoteuse»?
Par Binh An Vu Van
De la fumée
sans feu
our cesser de fumer, Jean-Fran-
çois Tremblay avait tout essayé:
patch de nicotine, Zyban,
Cham pix, traitements au laser.
Rien ne fonctionnait pour lui
qui brûlait au moins un paquet par jour
depuis 30 ans. En vrier 2012, pendant un
voyage aux États-Unis, alors quil est à court
de cigarettes, un collègue lui présente un
étrange gadget: une cigarette électronique.
À premre vue, l’appareil rappelle une
cigarette. Mais à son extmité, la braise
est remplacée par une ampoule DEL. Bien
r, le dispositif ne consume pas de tabac;
plutôt, un élément chauffant alimen par
une pile évapore un liquide contenant de
la nicotine à partir d’une cartouche rechar-
geable. Les utilisateurs rejettent non pas de
la fumée, mais de la vapeur. C’est pour cette
raison qu’on dit d’eux qu’ils «vapotent»
.
«À la première bouffée, mon cerveau
P
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s’est illuminé, jai trouvé ça extraordinaire!
explique Jean-François Tremblay. Au-
jourd’hui, le tabac ne fait plus partie de
ma vie!» Chez lui, plus de mégots, de cen-
dres ni de fue, seulement des cartouches
de nicotine. «J’ai retroule plaisir de va-
poter au lit avec ma conjointe. Grâce aux
cartouches aromatisées, le matin, ça sent
l’orange ou la menthe dans la maison.»
Le phénomène est nouveau au Québec,
mais en Europe, la «vapoteuse» a connu
un succès éclair. Ils seraient déjà 10 millions
d’utilisateurs, et 75% des fumeurs français
l’auront essayée en 2014.
La cigarette électronique a été inventée
en Chine en 2002, par Hon Lik, un phar-
macien, pour soulager son père mourant
d’un cancer du poumon. Le gadget chinois
a été repéré et perfectionpar des entre-
preneurs états-uniens avant de conquérir
l’Europe en 2005.
Jean-Fraois Tremblay : «Le tabac ne fait plus partie de ma vie.»
LOUISE BILODEAU
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mieux que des bonbons?
La cigarette électronique plaît de par
son côté pratique mais, surtout, elle re-
présente pour plusieurs médecins l’une
des plus grandes révolutions du siècle en
santé publique. En évitant de brûler des
feuilles de tabac pour en extraire la
nicotine, les vapoteurs n’inhalent pas de
goudron ni aucune des quelque 4 000
substances chimiques issues de la com-
bustion, dont des dizaines sont potentiel-
lement cancérigènes. Les cartouches des
vapoteuses contiennent principalement de
la nicotine et des arômes, puis du
propylène glycol, abondamment utilisé
dans des produits pharmaceutiques et ali-
mentaires ainsi que dans la «boucane»
des spectacles. À l’Institut de cardiologie
de Montréal, le docteur Martin Juneau,
directeur de la prévention, observe quo-
tidiennement les bienfaits de la cigarette
électronique chez ses patients. «J’avais
jeté l’éponge pour beaucoup d’entre eux
qui me disaient: “Arrêtez de me soigner
et laissez-moi fumer!” Grâce aux vapo-
teuses, j’ai les ai vus rapidement cesser.
En tant que clinicien, je n’avais jamais vu
d’aide à la cessation tabagique qui fonc-
tionne aussi bien.»
son retour au Québec, Jean-
François Tremblay ouvre Va-
poclub, un commerce de
va po teuses et de cartouches.
Dans les prochains mois, il
inaugurera cinq nouvelles boutiques et
souhaite poursuivre avec une dizaine d’au-
tres d’ici la fin de l’ane. «Si vous pouviez
entendre les commentaires de reconnais-
sance de mes clients! Je reçois des cancé-
reux, des vieux, des femmes heureuses de
pouvoir de nouveau embrasser leur mari»,
raconte passionment Jean-François
Tremblay.
Malgl’enthousiasme de ses clients, et
de plusieurs médecins, les institutions ca-
nadiennes de santé publique se font pru-
dentes. La cigarette électronique s’est
pandue plus rapidement que les connais-
sances à son sujet. Peu d’études existent,
ses effets à long terme sont inconnus et,
partout au monde, les législateurs
cherchent la meilleure façon de la règle-
menter. Au Canada, les cartouches de ni-
cotine sont soumises à la Loi sur les
aliments et drogues. «À ce jour, il n’existe
pas suffisamment de preuves qui permet-
tent de dire que le bénéfice potentiel des
cigarettes électroniques […] l’emporte sur
les risques potentiels, nous répond par
courriel Gary Holub, agent de commu-
nications à Santé Canada. Une compagnie
devra fournir des preuves de sécurité, de
quali et d’efficacité avant que son produit
soit approuvé. Sans ces preuves scienti-
fiques, Santé Canada continuera de dé-
conseiller l’utilisation de ces produits par
les Canadien(ne)s.» À ce jour, aucun pro-
duit n’ayant été autori, il donc est ilgal
d’en commercialiser au Canada.
me son de cloche du côté de l’Institut
national de santé publique du Québec
(INSPQ), qui évalue la possibilité d’interdire
les vapoteuses dans les lieux publics. «Nous
ne disposons que d’une information partielle
sur la cigarette électronique, résume la cher-
cheuse Annie Montreuil qui a travaillé sur
une recension de la littérature scientifique
pour l’Institut. Nous ne connaissons pas
les effets à long terme de ce produit.»
Cette prudence est jugée excessive par
de très nombreux médecins et cliniciens.
«Je recommande un produit illégal pour
que mes patients arrêtent de fumer. Est-
ce que je manque d’éthique parce que je
permets à mon patient de continuer à fumer
autrement demande Martin Juneau.
Comme lui, plusieurs scientifiques de
renom, convaincus que cette nouvelle façon
d’absorber de la nicotine est moins meur-
trière que la cigarette traditionnelle, ont
pris la parole. Récemment, le docteur Derek
Yach, un des grands pionniers de la lutte
contre le tabac à l’Organisation mondiale
de la santé, écrivait en éditorial dans
The
South Africa Medical Journal
que, grâce
à la cigarette électronique, «nous pourrions
«Nous pourrions être en route vers une i
percée en santé publique qui favorisera l
des maladies causées par la cigarette
À
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être en route vers une importante percée
en santé publique pour la réduction des
maladies causées par la cigarette, grâce à
un mouvement financé directement par
les fumeurs, qui demanderait peu ou pas
d’investissement de la part des gouverne-
ments». De la même manière, en mars, le
Collège royal des médecins du Royaume-
Uni recommandait aux professionnels de
la santé d’encourager les fumeurs à essayer
la cigarette électronique.
Qu’en est-il de la nicotine? «La nicotine
n’est pas canrigène», pond And Cas-
tonguay, professeur retraide la faculté
de pharmacie de l’Universi Laval, expert
en toxicologie du tabac, qui a publ une
centaine d’articles sur le sujet. «La question
a été souvent poe et amplement étudiée
pendant des décennies, poursuit-il. La ré-
ponse est claire : la molécule de nicotine
elle-même ne présente pas les caractéristiques
des substances potentiellement cancérigènes.
Son principal inconvénient, c’est qu’elle
cause une pendance, ce qui a des consé-
quences économiques et peut entrner des
symptômes de sevrage.» De son , Alain
Dagher, neurologue à lInstitut neurologique
de Montréal et spécialiste des dépendances
précise : «La dépendance elle-même n’est
pas un problème si la substance n’a pas de
conséquence néfaste sur la santé. Or, à notre
connaissance, peu d’effets fastes de la ni-
cotine ont été documens. Elle pourrait,
par exemple, avoir des effets mineurs sur
la pression artérielle.»
alg l’interdiction de San
Canada, des dizaines de
commerces ayant pignon
sur rue distribuent des car-
touches de nicotine. Jean-
François Tremblay est à présent en croisade
pour vanter les avantages des vapoteuses
et souhaite un dialogue avec Ottawa. Il
n’est pas seul. En avril, une dizaine de mé-
decins et spécialistes signaient une lettre
ouverte à Rona Ambrose, ministre dérale
de la Santé, l’incitant à viser la position
du gouvernement sur la cigarette électro-
nique. «Ottawa ne doit pas continuer à
sous-entendre que la vapoteuse est dan-
gereuse et à la rendre moins accessible que
le tabac, ce qui favorise indirectement la
vente de cigarettes», insiste Martin Juneau,
un des signataires de cette lettre. Si la
science ne fournit pas toutes les réponses
sur les usages à long terme du niveau dis-
positif, «il faut opposer à cela la certitude
des dommages causés par la cigarette»,
dit-il. Les scientifiques signataires recom-
mandent également un encadrement de la
production, de l’importation, de la pro-
motion et de la vente de cigarettes élec-
troniques. «Je ne crains pas la nicotine,
mais les risques de contamination causés
par les cigarettes importées de faible qua-
lité», précise Martin Juneau. «Nous ai-
merions pouvoir produire ici, au Québec,
des cartouches de qualité contrôlée, avec
des quantités de nicotine contrôlées, dans
un cadre industriel et non pas artisanal»,
insiste Jean-François Tremblay, qui se dit
bientôt prêt à fabriquer ses propres car-
touches.
«Les effets à long terme de la nicotine
ou du propylène glycol? Ces produits sont
employés depuis des années, partout autour
de nous, sans susciter ni remords ni
crainte!» répond le docteur Gaston Osti -
guy, directeur de la clinique d’abandon du
tabagisme à l’Institut thoracique de Mont-
al. Considécomme l’un des pionniers
de la lutte contre le tabagisme, le pneumo-
logue reçoit quotidiennement des patients
qui souffrent de graves troubles cardiovas-
culaires, respiratoires ou neurologiques
causés par le tabac. Certains sont même
en phase terminale. Souvent, ces gens ont
tout tenpour arrêter de fumer. «Je ne
connais pas un seul patient pour qui la ci-
garette électronique n’a pas été utile. Cer-
tains ont duit le nombre de leurs
cigarettes, d’autres ont même comptement
cesde fumer.» Martin Juneau ajoute :
«S’il y a des effets irritants à moyen terme,
ils sont mineurs. Ce que nous voyons chez
nos patients, c’est une amélioration de leurs
capacités cardiaques et respiratoires.
quelques mois après la transition. Et puis,
s’il y avait danger, l’expérience euroenne
nous aurait envoun signal.»
La principale crainte des opposants à la
cigarette électronique est que la réapparition
des cigarettes et de leurs saveurs duisantes
dans les lieux publics et chez les vedettes
remette à la mode le geste de fumer et incite
à nouveau les jeunes à consommer: «Nous
avons peu de données concernant les effets
de la cigarette électronique sur les jeunes.
Peut-elle représenter pour eux une porte
d’entrée vers le tabagisme? se demande
Mario Bujold, directeur ral du Conseil
québécois sur le tabac et la santé (CQTS).
Nous voyons la promotion de la vapoteuse
comme la réapparition des stragies d’au-
trefois pour vendre du tabac, vendre un
style de vie.» À cela, Martin Juneau répond
en reprenant les données des centres pour
le contrôle et la prévention des maladies
(CDC) aux États-Unis, recueillies sur deux
ans : les jeunes ne semblent pas fumer da-
vantage, mais utilisent les vapoteuses
comme substitut. «Aussi, ajoute-t-il, le ta-
bagisme continue à croître en Europe,
malgré la popularité soudaine de la cigarette
électronique.»
Jusqu’à psent, les quelques études exis-
tantes semblent indiquer à tout le moins
que la cigarette électronique offre une aide
à la cessation tabagique équivalente aux
approches conventionnelles. Mais les spé-
cialistes reprochent à ces études la faiblesse
de leurs protocoles de recherche, et sou-
lignent qu’elles ont été menées sur
d’anciens modèles de vapoteuses qui ne
livraient pas la nicotine en quantités suf-
fisantes.
Cela dit, la cigarette électronique a déjà
bénéficié de nombreuses améliorations tech-
niques depuis son invention pour lesquelles
les grandes entreprises de tabac investissent
des millions de dollars. De son cô, Jean-
François Tremblay souhaite développer de
nouveaux liquides de cartouches à base de
produits biologiques.
QS
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e importante
a la réduction
»
M
Martin Juneau, directeur de la prévention
à l’Institut de cardiologie de Montal:
«Beaucoup de mes patients
me disent: “Artez de me soigner et
laissez-moi fumer.”» Il leur recommande
aujourd’hui les vapoteurs.
ALAIN DÉCARIE
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