La morale cathare
Publié par Éric de Carcassonne le 14 décembre 2012 dans La doctrine chrétienne cathare
Ce texte, que j'avais publié début juin 2008, fit beaucoup parler tant il apparaissait comme restrictif.
Il est vrai que ce terme peut être revêtu de bien des acceptions qui vont de la connaissance du bien
et du mal en vue d'atteindre le bien à la mise en œuvre de règles de conduite absolues.
Bien entendu, chacun ayant sa lecture préférentielle, il fut logique que les réactions furent à leur
tour très tranchées.
Aussi aujourd'hui suis-je tenté de remettre ce travail sur le métier pour essayer de le traiter avec le
recul que me donnent ces quatre années et demi passée à tenter de la mettre en œuvre, fut-ce
partiellement. Pour autant je ne trouve pas de titre plus précis ni plus concis qui permette de décrire
ce que je souhaite développer.
Qu'est-ce que la morale cathare ?
Je trouve la définition initiale du Petit Robert tout à fait adaptée à la vision que j'en ai même s'il
convient d'en adoucir certains termes : « Science du bien et du mal : théorie de l'action humaine en
tant qu'elle est soumise au devoir et a pour but le bien. »
Dans notre monde d'aujourd'hui le mot science me semble mal définir ce qui est en fait davantage
une connaissance sans surévaluation excessive. En outre cette connaissance n'est jamais absolue et
demeure toujours en travaux ce qui interdit de prétendre lui accorder une valeur absolue sans lui
retirer son essence même qui est de tendre à identifier de plus en plus finement ce qui relève de ce
monde et ce qui est à rendre à la création du Principe du Bien.
La partie la plus inadaptée — et qui rappelle bien d'ailleurs la conception qu'a ce monde des
mobiles de nos actions — est celle qui fait référence à la soumission au devoir de nos actions.
Cela ne peut convenir à l'idée que nous avons du moteur de nos actions. Maintenant si nous
comprenons par devoir, non pas obligation restrictive mais mise en cohérence de ce que nous
croyons être — une émanation consubstantielle au Principe du Bien — avec ce que cela implique
logiquement dans notre façon d'être au quotidien et si nous voyons dans la soumission la notion de
céder humblement à notre nature profonde, cette terminologie présente un sens nettement plus
conforme à nos vues.
Une fois cela dit, nous pouvons adapter cette définition et dire de la morale cathare qu'elle est, dans
notre rapport au monde, le reflet de ce que nous avons compris de la révélation qui s'est faite à nous
et que nous appelons parfois Entendement du Bien.
Cette révélation s'appuie à la fois sur une connaissance objective que nous développons sans cesse
et que nous essayons d'affiner à l'aide des moyens mis à notre disposition et sur notre disposition
spirituelle qui nous aide à essayer de démêler ce qui paraît relever des manœuvres du Principe du
Mal et ce qui nous paraît faire apparaître en nous ce qui revient à notre nature originelle bénéfique.
La morale devra donc tenir compte de cette compréhension, forcément adaptative car nous n'avons
pas la capacité à être totalement éveillé dans notre incarnation.
Morale et doctrine cathare
La morale et la doctrine cathare sont intimement liées. On peut même dire que la première établit
les éléments de choix, de comportement et d'organisation de notre vie mondaine au moyen de
concepts qui prennent leur source dans les éléments développés par la seconde.
C'est par le biais de la seconde que nous devrions pouvoir retrouver le contenu de la première.
Cela nous amène logiquement à considérer que les éléments que nous mettrons dans notre vision de
la morale cathare dépendront largement de la compréhension que nous avons des éléments
doctrinaux que nous considérons correspondre au catharisme.
On le voit, comme la doctrine, la morale cathare va donc présenter un caractère de variabilité
important. D'abord parce que nous sommes nous-mêmes des croyants ou des sympathisants très
imprégnés de leur mondanité et en évolution permanente, ce qui nous conduit naturellement à
modifier et à affiner notre compréhension doctrinale, donc à adapter également nos concepts
moraux de façon à les mettre en pratique dans notre vie mondaine. Ensuite parce que la doctrine
cathare n'est pas taillée dans un bloc uniforme. Elle comporte des éléments centraux et d'autres
secondaires ce qui nous fait privilégier certains concepts moraux et à donner aux autres une
importance relative.
En clair il peut y avoir quasiment une morale cathare par individu se réclamant du catharisme, dans
certains points fondamentaux selon le degré de développement de notre éveil et de notre
cheminement et dans les points secondaires selon que nous privilégions certains éléments
doctrinaux. Cela peut provoquer des incompréhensions entre nous et même des phénomènes de
rejet.
Il faut donc être circonspect quand nous remarquons des différences de compréhension que
manifestent les autres par rapport à la nôtre. Les causes peuvent en être multiples et d'origine très
variée, à commencer par nous et notre lecture des éléments qui participent à ce différent.
C'est pourquoi je vais essayer dans un premier temps de formuler ma compréhension des éléments
composant la morale cathare en m'appuyant sur les éléments que je considère comme faisant partie
de la doctrine cathare.
N'oublions pas cependant qu'il s'agit de parler ici d'une lecture cathare du christianisme et non d'une
autre approche, quand bien même nous considérerions cette autre approche comme antérieure et de
la même veine théologique que le catharisme.
Enfin gardons aussi à l'esprit que la mise en pratique la plus complète de cette pratique ne
concernait — et ne concernera dans l'avenir s'il y a lieu — que les bons-chrétiens ayant reçu le
Consolamentum et les novices en préparation pour atteindre cette situation.
Morale cathare et choix de vie
On peut imaginer que l'Amour — qu'on l'appelle agapê, dilection ou Bienveillance — est
vraisemblablement l'élément doctrinal principal et premier de la doctrine cathare. D'abord parce
qu'il est le seul commandement donné par Jésus aux apôtres comme le rapportent les évangiles
1
.
Que recouvre ce concept ? Contrairement à l'idée que nous avons naturellement de l'amour, il n'est
pas un état réciproque, c'est-à-dire que l'on n'aime pas dans l'espoir d'être aimé. Il n'est pas sélectif.
On aime tout le monde et en cela l'évangile selon Jean vient encore compléter les autres évangiles
qui prescrivaient d'aimer Dieu et son prochain — ce qui est une prescription vétéro-testamentaire —
et d'aimer ses ennemis. À ce point particulier qui s'oppose à l'Ancien Testament et au Dieu de
Moïse, le dernier évangile canonique ajoute un élargissement total de l'amour en y incluant toute la
communauté humaine. Désormais l'amour ne s'applique pas selon des critères de proximité (le
prochain) ou selon des critères de pardon (l'ennemi) mais selon le simple critère de reconnaissance
d'appartenance à la même fratrie (les uns les autres). Il y a même un élément d'égalité entre Jésus et
nous puisqu'il dit établi une comparaison entre l'amour qu'il nous porte et celui qu'il nous demande
d'apporter aux autres.
Mais l'amour, outre qu'il nous met en permanence sur le même rang que nos frères humains, peut
1. « Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent… » (Matth. V 44), Luc VI 35, « Jésus
lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta vie et de tout ton esprit. » (Matth. XXII 37, Marc
XII 30, Luc X 27), « Tu aimeras ton proche comme toi-même. » (Matth. XXII 39, Marc XII 31 Luc X 27), « Je vous
donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimé, vous aussi vous aimer les uns
les autres. » (Jean XIII 34)
être élargi à tout ce qui nous entoure car il est consubstantiel à notre nature spirituelle.
Donc, si l'on veut décliner ce concept dans le cadre d'une vie quotidienne, il faut le considérer dans
ses effets positifs, c'est-à-dire manifester l'amour autour de soi et dans sa façon de contrer les effets
négatifs du monde sans pour autant user de violence envers le monde, c'est-à-dire ne pas participer
en conscience à la violence du monde et à sa perpétuation maléfique.
Au quotidien cela pourrait donner les choix de vie suivants :
- ne nuire à personne dans la mesure du possible
;
- ne participer en aucune façon à l’œuvre maléfique de génération matérielle
;
- être dans la justice et la vérité.
1- Ne nuire à personne dans la mesure du possible
Cela inclut de ne pas se nuire à soi-même, de ne pas nuire aux autres hommes, de ne pas nuire aux
autres formes de vie animales et végétales sous réserve des deux points précédents.
Les choix qui en découlent sont les suivants :
considérer tout un chacun comme un autre soi-même et ne faire aucune préférence entre les
gens selon des critères de proximité, d'intérêt, de réciprocité ou de jugement
;
ne pas tuer, fut-ce pour se défendre ou se nourrir
;
ne pas spolier l'autre, soit directement (vol, destruction du bien d’autrui, calomnie ou
médisance, conflit pendant ou dette), soit indirectement (excès de pouvoir ou de possession).
1.1 – Égalité de considération de l'autre et de soi-même
C'est quelque chose de très difficile à mettre en œuvre et cela demande beaucoup de temps. Aussi
faut-il d'abord en comprendre toute la logique dans la notion de l'Amour, ou en l'occurrence de la
Bienveillance qui nous pousse à vouloir du bien à tous.
On comprend d'ailleurs très bien que cela peut présenter des désagréments quand l'autre n'est pas
dans les mêmes dispositions d'esprit. C'est pour cela que ceux qui pratiquaient totalement ce
principe étaient entourés d'une communauté de croyants qui leur assurait un peu de protection
contre les abus les plus manifestes.
1.2 – Ne pas tuer
C’est la règle d’évidence, mais sa mise en œuvre porte des implications qui dépassent souvent ce
que nous considérons comme légitime.
Cela concerne le suicide, l’euthanasie, le meurtre (y compris en légitime défense) et l’abattage des
animaux.
Cela touche plus généralement au respect de toute forme de vie animale, végétale ou minérale dans
la limite des nécessités vitales concernant sa propre vie.
Par conséquent la nécessité de se nourrir doit faire préférer une alimentation végétarienne
(idéalement végétalienne) à l’alimentation pisci-végétalienne des cathares médiévaux.
Par contre cela n’implique pas le maintien de la vie à tout prix. La mort fait partie de la vie et
l’empêcher serait aussi empêcher potentiellement un esprit de se libérer de sa condition matérielle.
Dans le domaine de la santé, cela interdit l’euthanasie mais autorise de respecter la demande d’arrêt
des soins – y compris vitaux – quand l’agonie est engagée.
Bien entendu ce choix de vie doit se faire sans contrainte et demande du temps pour être considéré,
compris, accepté et désiré au point d'être mis en œuvre. Ne pas se sentir capable de mettre en œuvre
tous ces préceptes ne doit pas être vécu négativement mais, il faut plutôt se dire que l'on est en
progression constante
1.3 – Ne pas spolier autrui
Excepté la nuisance vitale qui ressort de l’article précédent, la nuisance à autrui doit être rejetée en
ce qui concerne son intégrité morale et ses biens.
Il ne faut donc chercher, ni à s’approprier le bien d’autrui, ni à le détruire sans l’accord explicite du
propriétaire. Il ne faut pas non plus porter atteinte à son intégrité morale en portant sur lui des
jugements moraux, fondés ou non, susceptibles de lui causer des torts. De la même façon il ne faut
avoir – de son fait – de conflit en suspens avec quiconque qui ne soit réglé définitivement (procès,
contrat, dette, etc.). Il ne faut pas non plus que, par son comportement personnel, l’on puisse nuire à
une autre personne connue ou non.
C’est pour cela qu’il faut limiter ses possessions au strict nécessaire car, le surcroît de biens
personnels se fait obligatoirement au détriment des autres et engendre l’envie. Sauf pour des motifs
visant à l’intérêt de l’autre, il faut s’abstenir de toute domination car nous sommes tous égaux.
Cependant, une domination temporaire visant à rendre à l’autre un service important est acceptable.
Cela peut être un rapport de soignant à soigné, d’enseignant à élève, etc.
2 – Ne participer en aucune façon à l’œuvre maléfique de génération matérielle
Le christianisme cathare nous enseigne que le principe mauvais a enfermé les esprits dérobés à la
création divine dans des prisons matérielles que nous appelons « tuniques de peau » .
Quand un de ces corps imparfaits meurt, l’esprit est réintroduit dans une autre prison de chair
(transmigration).
Ainsi, l’esprit prisonnier demeure dans l’incapacité de retourner à la création à laquelle il appartient
et le Mal se maintient ici.
Il y a donc deux comportements à observer pour réduire au minimum les effets de ce processus :
ne pas avoir de relations sexuelles
;
ne rien consommer qui soit obtenu via une relation sexuelle.
2.1 – Abstinence sexuelle
Elle doit être totale car le désir sexuel est profondément ancré en nous.
Étant le « moteur » principal du système mis en place par le principe mauvais, ce dernier ne peut se
maintenir que par ce biais et en fait un élément majeur de la soumission à laquelle l'esprit est
soumis. Pour détacher notre part humaine de ce désir compulsif, il faut l’éloigner de nous le plus
possible. C’est pour cela qu’il faut rejeter, non seulement la pratique sexuelle potentiellement
fécondante mais, aussi toute autre pratique sexuelle et toute pensée de sexualité.
L’abstinence sexuelle ne peut être efficace que si elle est totale car il serait irresponsable de se
croire plus fort que le Mal. En outre, cette abstinence ne doit pas constituer un effort et, encore
moins, une douleur mais il faut parvenir à un état de satisfaction par l’abstinence.
2.2 – Rejet de la nourriture obtenue par relation sexuelle
Ce choix vient en surimpression de celui interdisant la nourriture animale et limitant la nourriture
végétale. En fait elle étend le choix d'une alimentation non animale à des produits qui ne nécessitent
pas la mise à mort d'un animal comme le lait. Mais en fait, et nous le verront plus loin, ce sont
toutes les graisses d'origine animale qu'il convient de ne pas consommer, qu'elles soient obtenues
par violence ou par reproduction sexuée, mais aussi celle que l'on pourrait obtenir sans reproduction
sexuée (les œufs). C'est un choix qui relève du principe d'humilité auquel contrevient une
alimentation trop riche.
3 – Être dans la justice et la vérité
Le chrétien cathare ne peut espérer accéder à un salut quelconque s’il n’est pas capable de cheminer
sur la sente étroite et pentue de la justice et de la vérité.
Or, ce chemin demande une véritable révolution des mentalités qui ont cours dans ce monde.
Voici les points qu’il faut observer :
s'abstenir de tout mensonge et de tout jugement envers un autre
;
veiller à la justice dans ses rapports aux autres
;
demeurer modeste vis-à-vis du monde.
3. 1 – Ni mensonge, ni jugement
En fait cela revient à dire qu'on refuse d'avoir envers les autres une relation qui leur serait
défavorable ou qui nous placerait dans une position que l'on jugerait supérieure à la leur.
Il ne faut donc mentir, ni par action volontaire, ni par omission. Cela n’impose pas de révéler plus
que ce qui est nécessaire et la discrétion n’est pas le mensonge.
Les bons-chrétiens prisonniers de l’Inquisition révélaient tout ce que l’inquisiteur leur demandait
sur leur entourage et leur activité au grand dam des croyants qui les soutenaient et qui, eux,
subissaient parfois la torture sans révéler quoi que ce soit pour protéger les bons-hommes dont ils se
sentaient moralement responsables. Même si cela peut choquer nos esprits cartésiens, n’oublions
pas que nous sommes tous égaux et que les considérations de préférence qui nous sont inculquées
par la famille, la société et les contingences matérielles n’ont plus cours quand on est entré dans la
voie cathare.
La vérité est un état et non une disposition verbale. On est vrai car, en ayant reçu la manifestation de
l’esprit on n’est déjà plus tout à fait de ce monde. Des considérations mondaines – qui ne sont que
des considérations à courte vue – n’ont plus cours désormais.
De la même façon, le serment est un mensonge potentiel, soit parce que ce à quoi l’on s’engage
formellement ne sera pas réalisé pour diverses raisons, soit parce que l’on n’est pas absolument
certain de la validité de ce que l’on va jurer. Cela n’empêche pas d’engager sa bonne foi par une
promesse émise sous réserve.
Notre position nous met dans l’incapacité de porter un jugement valable car nous sommes aveugles
de nos propres tares mais attentifs aux défauts des autres. Tout jugement est donc faux et
mensonger. Nous ne pouvons même pas juger de la gravité des torts qui nous sont faits. En garder
rancune serait donc leur attribuer une fausse valeur. La non-considération de ce que nous percevons
comme un mal qui nous est fait est donc la seule attitude valable.
3. 2 – Rapport juste envers les autres
Le bon-chrétien sait que, seul peut pécher celui qui a l’entendement du Bien. Donc, seul le parfait
revêtu peut connaître le péché. Cela doit nous rendre modeste dans notre considération de ce que
nous croyons percevoir du comportement des autres. La relation à autrui doit donc être empreinte
d’équité et de bienveillance. Tout problème doit se résoudre par un arbitrage équilibré et honnête.
Ce principe d’équité interdit de vivre en profitant des autres ou en leur causant du tort. Il faut donc
travailler de ses mains au sens où le travail personnel doit résulter d’un effort personnel et non
s’appuyer sur des systèmes visant à l’exploitation des autres ou de leurs biens.
Bien entendu, le jeu est un mode gain qui nuit à autrui et n'a pas sas place dans la vie évangélique.
Le bon-chrétien évite tout emploi imposant le recours à la violence ou nécessitant de prêter serment
ou de juger autrui.
3. 3 – Modestie et humilité
Pour rester au plus près des principes d’équité qui sont les siens, le bon homme organise sa vie de
façon à disposer du strict nécessaire à une vie saine et détachée. Il dispose du surplus à sa
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