la morale cathare dépendront largement de la compréhension que nous avons des éléments
doctrinaux que nous considérons correspondre au catharisme.
On le voit, comme la doctrine, la morale cathare va donc présenter un caractère de variabilité
important. D'abord parce que nous sommes nous-mêmes des croyants ou des sympathisants très
imprégnés de leur mondanité et en évolution permanente, ce qui nous conduit naturellement à
modifier et à affiner notre compréhension doctrinale, donc à adapter également nos concepts
moraux de façon à les mettre en pratique dans notre vie mondaine. Ensuite parce que la doctrine
cathare n'est pas taillée dans un bloc uniforme. Elle comporte des éléments centraux et d'autres
secondaires ce qui nous fait privilégier certains concepts moraux et à donner aux autres une
importance relative.
En clair il peut y avoir quasiment une morale cathare par individu se réclamant du catharisme, dans
certains points fondamentaux selon le degré de développement de notre éveil et de notre
cheminement et dans les points secondaires selon que nous privilégions certains éléments
doctrinaux. Cela peut provoquer des incompréhensions entre nous et même des phénomènes de
rejet.
Il faut donc être circonspect quand nous remarquons des différences de compréhension que
manifestent les autres par rapport à la nôtre. Les causes peuvent en être multiples et d'origine très
variée, à commencer par nous et notre lecture des éléments qui participent à ce différent.
C'est pourquoi je vais essayer dans un premier temps de formuler ma compréhension des éléments
composant la morale cathare en m'appuyant sur les éléments que je considère comme faisant partie
de la doctrine cathare.
N'oublions pas cependant qu'il s'agit de parler ici d'une lecture cathare du christianisme et non d'une
autre approche, quand bien même nous considérerions cette autre approche comme antérieure et de
la même veine théologique que le catharisme.
Enfin gardons aussi à l'esprit que la mise en pratique la plus complète de cette pratique ne
concernait — et ne concernera dans l'avenir s'il y a lieu — que les bons-chrétiens ayant reçu le
Consolamentum et les novices en préparation pour atteindre cette situation.
Morale cathare et choix de vie
On peut imaginer que l'Amour — qu'on l'appelle agapê, dilection ou Bienveillance — est
vraisemblablement l'élément doctrinal principal et premier de la doctrine cathare. D'abord parce
qu'il est le seul commandement donné par Jésus aux apôtres comme le rapportent les évangiles
1
.
Que recouvre ce concept ? Contrairement à l'idée que nous avons naturellement de l'amour, il n'est
pas un état réciproque, c'est-à-dire que l'on n'aime pas dans l'espoir d'être aimé. Il n'est pas sélectif.
On aime tout le monde et en cela l'évangile selon Jean vient encore compléter les autres évangiles
qui prescrivaient d'aimer Dieu et son prochain — ce qui est une prescription vétéro-testamentaire —
et d'aimer ses ennemis. À ce point particulier qui s'oppose à l'Ancien Testament et au Dieu de
Moïse, le dernier évangile canonique ajoute un élargissement total de l'amour en y incluant toute la
communauté humaine. Désormais l'amour ne s'applique pas selon des critères de proximité (le
prochain) ou selon des critères de pardon (l'ennemi) mais selon le simple critère de reconnaissance
d'appartenance à la même fratrie (les uns les autres). Il y a même un élément d'égalité entre Jésus et
nous puisqu'il dit établi une comparaison entre l'amour qu'il nous porte et celui qu'il nous demande
d'apporter aux autres.
Mais l'amour, outre qu'il nous met en permanence sur le même rang que nos frères humains, peut
1. « Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent… » (Matth. V 44), Luc VI 35, « Jésus
lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta vie et de tout ton esprit. » (Matth. XXII 37, Marc
XII 30, Luc X 27), « Tu aimeras ton proche comme toi-même. » (Matth. XXII 39, Marc XII 31 Luc X 27), « Je vous
donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimé, vous aussi vous aimer les uns
les autres. » (Jean XIII 34)