La courbure de l’espace Par Jean E. CHARON
décrire “ rigoureusement ” des situations géométriques dans notre espace physique réel. Cet état de
choses fait qu’ensuite, lorsque l’enfant aura atteint l’âge mûr, il lui sera absolument impossible de
concevoir ce qu’on entend réellement par un espace “ courbé ” où les parallèles finissent par se
rencontrer.
Essayons de prendre l’exemple très simple d’une droite, et cherchons à raisonner dans notre
espace physique seulement (indépendamment de tout postulat du type de celui d’Euclide). Je
demande donc à quelqu’un (que j’appelle X) de m’expliquer comment il va réaliser matériellement
ce qu’il entend par une ligne “ droite ” dans notre espace physique. La première réaction de X, s’il a
bien compris les leçons sur la géométrie d’Euclide, va être de chercher à réaliser une droite comme
un corps matériel placé dans le cadre de l’espace, mais indépendant de ce cadre : X va donc prendre
une règle “ droite ” et il me dira que ceci matérialise pour lui un segment de droite. Je demande
alors à X de me représenter une droite “ plus longue ” ; il me répondra, fort justement, qu’il lui
suffit pour cela de prendre autant de règles “ droites ” qu’il faudra et de les mettre “ bout à bout ”. Je
demande maintenant à X si cette longue ligne droite présente une “ courbure ” ; il me dira que non,
bien entendu, car chacune des règles “ droites ” qui lui ont servi à construire sa ligne droite ne
possédait aucune courbure : la somme des règles mises bout à bout n’en présente donc pas non plus.
(paragraphe auquel il manque les mots : dont – entre – lui – pour – soi )
Je m’avise alors qu’il convient de poser à X une question plus délicate : comment s’est-il
assuré que la règle il se sert construire sa ligne droite est “ vraiment droite ” ? Après quelques
réflexions , X finira par me déclarer que sa règle est “ droite ” parce qu’elle coïncide parfaitement
avec une ficelle tendue entre les deux extrémités de la règle ; comme je dirai alors que je ne suis pas
assuré que la ficelle elle-même, ainsi tendue, “ vraiment ” parfaitement droite, X conviendra, de
guerre lasse, et avec quelque énervement, que sa ficelle est droite “ par définition ” parce qu’elle est
le plus court chemin les deux extrémités de la règle.
Mais voilà alors le grand mot lâché : “ par définition ” ; autrement dit, par définition, la
droite est le plus court chemin entre deux points (sous-entendu :choisis dans l’espace physique). X
convient alors avec moi qu’il ne sait nullement “ comment ” est une droite dans l’espace physique
s’il ne sait pas au préalable “ comment est fait ” cet espace physique. Une image va immédiatement
éclairer ce point : si, en pays de montagne, je recherche, “ le plus court chemin ” entre deux points
(c’est-à-dire l’analogie de notre définition de la droite) je ne suis pas sûr du tout qu’il s’agira d’un
chemin (d’une ligne) sans courbure ; en fait, il n’y a guère que dans un pays de plaine que le plus
court chemin entre deux points est, très sensiblement, une ligne sans courbure. Il en va de même
dans notre espace physique : je suis dans l’impossibilité d’affirmer que je serais capable de tracer
dans cet espace une “ droite ” (avec la définition que nous avons acceptée) sans courbure ; pour
répondre, il me faut au préalable savoir “ comment ” est constitué l’espace physique dans lequel je
me propose de tracer ma droite ; et, si cet espace physique est lui-même courbé, quand je
“ croirai ”tracer une droite sans courbure (en parcourant le plus court chemin entre deux points) je
tracerai, en fait, une “ droite ” courbée. Cela n’a donc rien de mystérieux, il faut bien se rendre
compte que cela n’a aucun sens physique de parler de la disposition géométrique d’objets dans
notre espace comme si cet espace était l’espace idéal (mais sans réalité physique) de la géométrie
d’Euclide : dans le réel une “ droite ” de l’espace n’est jamais rigoureusement sans courbure.