Pour un cadre visant à combattre
le changement climatique dans les
secteurs du bâtiment, des matériaux de
construction, de la sylviculture et du bois :
le point de vue des travailleurs
L’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) est la fédération syndicale
internationale qui regroupe des syndicats libres et démocratiques représentant les
membres du bâtiment, des matériaux de construction, du bois, de la sylviculture
et des secteurs connexes. L’IBB comprend 333 syndicats représentant 12 millions
de membres dans 130 pays. Son siège est basé à Genève, en Suisse. Ses bureaux
régionaux et projets se situent au Panama, en Malaisie, en Afrique du Sud, au Burkina
Faso, au Liban, en Inde, au Kenya, au Cambodge, en Russie, au Pérou, au Chili et au
Brésil. La mission de l’IBB consiste à promouvoir le développement de syndicats dans
les industries du bâtiment et du bois dans le monde entier, ainsi qu’à promouvoir et
renforcer les droits des travailleurs dans le contexte du développement durable.
© Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, Genève, mai 2015
www.bwint.org
Photographies de Philippines par Jan Kjær
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Pour un cadre visant à combattre le changement climatique dans les secteurs du bâtiment, des matériaux de construction, de la sylviculture et du bois : le point de vue des travailleurs
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat des Nations unies (ONU) a publié son cinquième
rapport d’évaluation sur la situation du climat mondial à
l’automne 2014. Le changement le plus notable depuis la
publication de leur quatrième rapport en 2007 est l’utilisation
du mot « irréversible ». Dans le premier rapport, le mot
« irréversible » apparaissait 4 fois. Dans le rapport actuel,
le mot apparaît 31 fois. Manifestement, les scientifiques du
monde entier nous expliquent qu’il doit y avoir un sentiment
d’urgence.
Les températures et le niveau de la mer ont déjà commencé
à s’élever. Des dégâts qui ont probablement été provoqués
ou aggravés par le changement climatique ont déjà été
constatés. Des vies et des moyens de subsistance ont été
détruits par des inondations, des tempêtes, des vagues de
chaleur et des sécheresses. Comme toujours, ce sont les
pays et les peuples les plus pauvres qui souffrent, et qui
souffriront, le plus : les migrants, les travailleurs informels, les
femmes et les populations indigènes ont tendance à payer
le plus lourd tribut au changement climatique, tandis qu’ils
bénéficient de la plus petite quantité de ressources. D’ici
2050, on estime que 200 millions à un milliard de personnes
– les réfugiés climatiques – pourraient être déplacées à
cause du changement climatique.
En milieu rural, les femmes et les enfants sont souvent
employés de façon informelle et / ou sont chargés
d’approvisionner leur famille en eau, en nourriture et en bois
de chauffage pour la cuisine. Dès lors, ce sont en général
eux les plus exposés aux conséquences du changement
climatique. Cependant, les femmes et les jeunes sont aussi
plus susceptibles d’adopter des modes de vie durables
et de modifier leurs anciennes habitudes, ce qui fait de
l’émancipation des femmes et des jeunes une politique
climatiquement judicieuse en soi.
On ne peut pas se fonder sur les pratiques et les politiques
néo-libérales actuelles du marché de l’emploi et du
commerce mondial, qui sont aujourd’hui l’une des causes
du changement climatique, pour résoudre la crise climatique
qu’elles contribuent à créer. Il est impossible de débattre
de solutions à la crise climatique sans débattre également
de la justice sociale. De même, la justice sociale n’est
pas réalisable au cœur d’une crise climatique qui nous
frappera durement si nous ne commençons pas à atténuer
le changement climatique ici et maintenant. Le mouvement
syndical a un rôle unique et crucial à jouer dans l’élaboration
de politiques pour affronter ces crises imbriquées. Ainsi,
des chercheurs du Fonds monétaire international (FMI)
ont découvert une corrélation entre la densité syndicale et
les inégalités sociales. Plus la densité syndicale est faible,
même dans les pays développés industrialisés, plus le
taux de concentration de la richesse parmi les 10 % de
personnes les plus riches du pays sera élevé.
Il est important de comprendre que les sources de gaz à
effet de serre (GES) ne peuvent pas être considérées dans
le contexte national étroit de simplement savoir quel pays
émet quelles émissions polluantes. Au lieu de cela, en
tant que travailleurs, nous savons qu’il faut que les pays
consommateurs assument une part aussi élevée du fardeau
des mesures d’atténuation des GES, sinon plus élevée,
que les pays producteurs. En partageant un minimum de
la charge de l’atténuation du changement climatique entre
ceux qui peuvent la financer, puisque ce sont eux qui ont
bénéficié de sa création, un cadre stratégique pourra être
élaboré afin d’éviter l’aggravation de la crise. Aborder les
inégalités de la même manière créera aussi des chemins
vers de nouvelles solutions.
L’introduction de nouvelles technologies dans nos trois
secteurs d’activité (bâtiment, matériaux de construction
et produits forestiers) nécessitera l’adaptation des
travailleurs. Si cette transition est planifiée et qu’elle
inclut des formations professionnelles sur la meilleure
façon d’utiliser ces nouvelles technologies, ainsi que des
mesures de protection sociale pour aider les travailleurs à
s’adapter, il demeure encore possible de rester sous le seuil
d’augmentation de 2° C des températures.
Pour un cadre visant à combattre le changement climatique dans les
secteurs du bâtiment, des matériaux de construction, de la sylviculture et
du bois : le point de vue des travailleurs1
Résumé
1 Document d’orientation politique publié par l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), la Fédération européenne des
travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB) et la Fédération nordique des travailleurs du bâtiment et du bois (FNTBB), préparé afin d’être
présenté avant et lors de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique COP21 à Paris du 30 novembre au 11 décembre
2015 (document publié en mai 2015).
(Economisons l’énergie : merci de n’imprimer ce rapport que si vous le lisez ou y faites référence plusieurs fois).
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Pour un cadre visant à combattre le changement climatique dans les secteurs du bâtiment, des matériaux de construction, de la sylviculture et du bois : le point de vue des travailleurs
Les politiques publiques doivent trouver un équilibre
judicieux sur le plan climatique entre les forêts considérées
comme des « musées arboricoles », des unités de stockage
de carbone, ou encore, des sources d’énergie, des abris,
des matériaux de construction à bilan carbone favorable, et
des emplois pour des millions de familles dépendantes de
la forêt. Ce que nous construisons à partir de maintenant
doit durer plus longtemps et être plus facile à entretenir,
à moderniser, à démanteler et à recycler. L’empreinte
carbone de ce qui est construit doit être sensiblement plus
faible que ce qu’elle était. Une façon de coordonner ces
problématiques est d’utiliser beaucoup plus de bois certifié.
Avant que le paradigme de la « déréglementation » néo-
libérale du commerce mondial ne soit accepté et que nos
économies ne soient dominées par les multinationales,
y compris des sociétés internationales de construction,
les bâtiments étaient construits dans le respect du milieu
environnant. De nos jours, on a tendance à construire
partout les mêmes édifices urbains sans tenir compte
des conditions locales et à utiliser des matériaux de
construction standardisés provenant de chaînes mondiales
d’approvisionnement. De tels bâtiments ont tendance
à avoir une empreinte carbone plus importante, ainsi
qu’à surgir en des endroits qui seraient considérés
comme « à risque » selon le savoir local, en raison des
conditions climatiques. En remettant la conception et la
construction des bâtiments dans leur contexte culturel
et environnemental local, nous créerions également des
occasions d’utiliser et de soutenir les compétences locales
et les entreprises locales de matériaux de construction,
renforçant de la sorte la durabilité sociale, environnementale
et économique.
Le taux élevé d’émissions de GES par habitant des
pays de l’OCDE ne doit pas constituer une barrière pour
empêcher le développement économique de l’hémisphère
Sud. De même, les pays de l’hémisphère Sud ne doivent
pas considérer le développement des pays occidentaux
de l’OCDE comme un modèle pour eux-mêmes, dans la
mesure où il devient de plus en plus évident que le mode de
vie « occidental » n’est pas durable sur le plan des biens de
consommation.
A tous les niveaux, les politiques publiques d’atténuation
du changement climatique doivent empêcher qu’une
population ou un groupe utilise sa richesse pour adopter
un mode de vie non durable, ou de se désolidariser des
émissions de carbone que leur mode de vie a externalisé
sous forme de coûts pour le reste de la planète. Les nantis
peuvent tirer de nombreux avantages de leur argent ; il n’est
plus admissible qu’empoisonner le reste de la planète en
fasse partie.
Une façon d’échapper à ce dilemme est de reconnaître qu’à
l’avenir, le développement de chaque pays devra emprunter
une voie plus locale. Les nécessités fondamentales de la
vie : soins de santé, habitat, sécurité alimentaire, ainsi qu’un
emploi décent pour tous, doivent faire partie intégrante
des solutions au changement climatique. Pour que ceci se
produise, il faut donner la parole à un ensemble différent de
négociateurs à tous les niveaux où les stratégies de lutte
contre le changement climatique sont décidées, y compris
aux réunions de la Conférence des parties.
Sans un engagement en faveur de la justice sociale et
sans la planification économique et industrielle globale
d’une transition ordonnée et tenant compte de la culture,
la possibilité d’accéder au pouvoir et aux ressources
du mouvement syndical mondial et de les utiliser risque
d’être perdue. Les États doivent augmenter le niveau
général des investissements, non seulement pour des
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Pour un cadre visant à combattre le changement climatique dans les secteurs du bâtiment, des matériaux de construction, de la sylviculture et du bois : le point de vue des travailleurs
raisons liées au climat, mais également pour des raisons
économiques (relance) et pour promouvoir la justice sociale.
Il est parfaitement clair que les politiques d’austérité sont
incapables de produire des performances économiques
optimales, qu’elles aggravent les inégalités mondiales, et
qu’elles constituent un obstacle réel aux investissements
judicieux nécessaires. En plus de leurs fonctions de
régulateur et de modèle, les gouvernements jouent aussi
directement un rôle de consommateur. Les gouvernements
devraient introduire des clauses environnementales et
sociales dans tous les documents d’appel d’offres pour les
travaux publics.
En de trop nombreux endroits dans le monde, le capital est
en conflit tant entre ses propres filières d’approvisionnement
qu’au sein de celles-ci, mais également avec sa main-
d’œuvre.
Dans un des premiers rapports rédigés sur la problématique
du changement climatique, le rapport Stern rédigé à la
demande du gouvernement du Royaume-Uni, qui a été
largement reconnu par la majorité des ministères des
Finances dans le monde il y a plus de dix ans, Sir Nicolas
Stern invoquait le changement climatique comme la plus
grande défaillance mondiale du marché. En tant que syndicat,
nous devons être vigilants et être de fervents défenseurs de
nos convictions pour que nos recommandations influencent,
contrôlent ou règlent le marché, faute de quoi nous savons
que le marché continuera à faire ce qu’il fait le mieux, et nous
savons qui en seront les victimes.
Recommandations pour un cadre visant à
combattre le changement climatique dans
les secteurs du bâtiment, des matériaux
de construction, de la sylviculture et du
bois : le point de vue des travailleurs
En tant que groupe de la société civile reconnu d’Action 21, les
travailleurs et leurs représentants doivent être inclus dans les
discussions sur le changement climatique à tous les niveaux.2
Une planification en immobilisations et une planification
industrielle coordonnées et détaillées des investissements
proposés par le GIEC sont nécessaires pour maintenir la hausse
des températures en-deçà du seuil de 2° C. Ce n’est pas
nécessairement parce que quelque chose peut être vendu pour
générer du profit que cela bénéficiera au bien-être général dans
un monde sous contrainte carbone.
Les budgets d’austérité doivent être remplacés par des programmes
publics d’investissements et de prêts significatifs, visant à réduire
les émissions de carbone et à promouvoir la justice sociale, financés
par des systèmes de taxation des émissions de carbone fondés sur
le principe du « pollueur-payeur », ainsi que par des taxes sur les
transactions financières ou sur la fortune. Une partie des recettes doit
être consacrée à aider les zones géographiques avec les populations
les plus nombreuses qui risquent de devenir des réfugiés climatiques
à adopter les nouvelles technologies de réduction / limitation /
adaptation des émissions de carbone.
L’Organisation internationale du travail (OIT) doit reconnaître
la nécessité de promouvoir et de protéger les technologies de
réduction des émissions de carbone implantées localement
(en particulier en matière de réhabilitation énergétique des
bâtiments), et exempter les entreprises qui proposent des solutions
culturellement adaptées et à plus faibles émissions de carbone.
Les technologies de réduction des émissions de carbone doivent
être partagées dans le monde, et les travailleurs doivent recevoir
une formation
Tous les appels d’offre du secteur public devront inclure des
dispositions pour calculer des alternatives avec réduction des
émissions de carbone, ainsi qu’avec les normes fondamentales
du travail, et leur accorder la même importance qu’aux coûts
traditionnels pour déterminer la compétitivité de toutes les offres.
Les banques centrales nationales et les banques internationales
de développement devront suivre tous les bénéficiaires de
financements et exiger qu’ils se conforment aux normes
fondamentales du travail de l’OIT,3 et élaborer des dispositions
supplémentaires spécifiques sur la réduction des émissions de
carbone.
Les codes et les normes uniformes de la construction doivent
immédiatement inclure la réduction des émissions de carbone
et les objectifs à atteindre. Les bâtiments existants doivent être
réhabilités aussi vite que possible.
Les systèmes d’attribution de marchés publics, tout comme
les entreprises qui reçoivent des financements publics, doivent
exiger que tous les produits à base de fibres de bois soient issus
de forêts gérées de façon durable dans l’un des deux systèmes
internationaux de certification de la gestion forestière, Forest
Stewardship Council (FSC), Programme for the Endorsement
of Forest Certification (PEFC), jusqu’au moment où un accord
légalement contraignant, dont les normes seront plus strictes que
celles existant dans ces deux systèmes de certification forestière
volontaire, sera ratifié par la majorité des nations.
Il faut élaborer des calculs des émissions de carbone tenant
autant compte de l’endroit où les produits et les services sont
consommés que de celui où ils sont produits, et de la part
d’émissions de carbone qui sera allouée en conséquence.
2 Le principe de l’Union européenne de la cogestion travailleurs / patronat est un excellent point de référence et de départ.
3 Les normes fondamentales de travail (ou NFT) sont les normes de référence du travail instituées par l’Organisation internationale du travail
(OIT). Ces normes fondamentales comprennent : la liberté d’association et le droit à la négociation collective ; la suppression du travail forcé et
obligatoire ; l’abolition du travail infantil ; et l’élimination des discriminations sur le lieu de travail. D’autres normes ont été étudiées par l’OIT pour
améliorer les conditions de travail, mais celles-ci sont les principales à avoir été largement acceptées dans le droit international coutumier.
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