ment dans deux systèmes biologiques radicalement dif-
férents à tous égards. Il ne s’agit plus ici de franchir, de
temps à autre, une barrière d’espèce mais d’établir, au-
dessus d’un énorme fossé phylogénétique, un pont perma-
nent et fonctionnant alternativement dans un sens et dans
l’autre.
L’écologie d’un arbovirus comporte donc deux niveaux ; le
premier est son environnement immédiat : la cellule de
l’hôte (une cellule nerveuse ou une cellule de l’épithélium
intestinal d’un moustique par exemple) ; le second est
l’environnement de son insecte-hôte et de son vertébré-
hôte ; c’est à ce titre que l’on peut parler d’un virus « tropi-
cal », « de forêt », etc.
Nous connaissons aujourd’hui plus de 650 arbovirus. Ce
nombre témoigne de leur succès évolutif. On en trouve dans
diverses familles de virus : Togaviridae, Flaviviridae,
Rhabdoviridae, Reoviridae, Bunyaviridae, etc. Parmi eux,
plus d’une centaine sont connus pour être pathogènes pour
l’espèce humaine et beaucoup d’autres le sont pour des
animaux domestiques.
Ces virus constituent, avec leurs hôtes vertébrés et leurs
arthropodes vecteurs, des systèmes dont le fonctionnement
se révèle extrêmement complexe.
Une condition sine qua non, ou presque, pour qu’un virus
puisse être transmis par un vecteur hématophage est de
provoquer une phase de virémie chez le vertébré. Pour être
efficace, cette virémie doit répondre à deux critères : elle
doit être suffisamment élevée et suffisamment prolongée.
Son titre déterminera les arthropodes qui pourront
s’infecter (en fonction de la réceptivité de ces arthropodes
vis-à-vis du virus en question) ; sa durée déterminera le
nombre d’arthropodes réceptifs qui s’infecteront sur le
vertébré infectant (c’est-à-dire le pouvoir amplificateur du
vertébré pour le virus en question).
Par la suite, chez l’insecte vecteur, les virions ingérés avec
le sang pénètrent dans les cellules de l’épithélium de la
partie postérieure du mésentéron, s’y répliquent, avant de
déverser dans les espaces intercellulaires entre la couche
épithéliale et la membrane basale ; ils infectent alors
d’autres organes et s’y répliquent à nouveau. Une troisième
phase de réplication, très intense, survient enfin dans les
glandes salivaires (lobes latéraux surtout) et le virus est
stocké dans les canaux salivaires, prêt pour être injecté lors
du repas suivant. L’arthropode est alors dit « infectant ».
Mais la notion la plus importante est ici celle d’incubation
extrinsèque : la bonne réalisation de tous ces phénomènes
demande du temps ; après s’être gorgé sur un vertébré
virémique, notre arthropode ne sera infectant (c’est-à-dire
que sa salive contiendra des virions) que 10 à 12 jours plus
tard, cette durée étant variable suivant le virus,
l’arthropode, les conditions d’environnement (en particu-
lier la température). Pour les épidémiologistes, cela signifie
que, pour avoir une bonne capacité vectorielle, l’insecte en
question doit survivre suffisamment longtemps. Générale-
ment, le début d’une épidémie a lieu au moment du pic des
populations de vecteurs, alors que son acmé coïncide avec
une population vectorielle en déclin mais composée
d’individus âgés.
Par ailleurs, dans certains systèmes, il peut exister une
transmission verticale du virus, d’une génération à la sui-
vante. Si la fréquence de ce phénomène est suffisante, le
vecteur est alors aussi un réservoir de virus dont il peut
assurer la maintenance sur place pendant des périodes
défavorables à la transmission au vertébré, surtout s’il a des
œufs durables. Il faut alors, en outre, qu’existe une trans-
mission trans-stadiale. Enfin, il faut reconnaître que nous
ne savons rien sur la transmission sexuelle des virus (trans-
mission du mâle à la femelle lors de l’accouplement) dans
la nature, un phénomène parfois observé au laboratoire.
Quoi qu’il en soit, ces phases successives de développe-
ment viral dans l’organisme de l’arthropode sont suscep-
tibles de constituer autant de barrières potentielles qui,
lorsque l’une d’elles au moins est efficace, peuvent rendre
le système non fonctionnel. Par exemple, si une barrière
salivaire s’avère efficace, l’insecte infecté ne devient pas
infectant ; il n’est pas vecteur. L’arthropode est alors dit
« incompétent ».
Il faut d’emblée retenir que, pour un virus donné, cette
compétence vectorielle varie au sein d’une même espèce
d’arthropode, selon les populations. Il ne s’agit pas d’une
règle de « tout ou rien », de sorte que, pour un virus donné,
différents vecteurs interviendront, avec des compétences
vectorielles différentes : il y a des degrés dans la com-
pétence. Il s’agit, en fait, d’une modulation de l’infection
virale chez l’insecte, aboutissant à l’installation d’un cer-
tain état d’équilibre. Si la compétence est trop forte, il y a
risque d’emballement du système qui serait alors trop effi-
cace ; si elle est trop faible, on aboutit à l’arrêt de la
transmission.
C’est sur le terrain que l’on peut apprécier la seconde
dimension de l’écologie des virus. Là, c’est la biologie de
l’insecte vecteur qui va s’avérer déterminante pour com-
prendre les modalités de circulation du virus en question. Il
faut connaître, entre autres, les préférences écologiques du
vecteur, la dynamique de sa population, sa longévité, ses
préférences trophiques, etc. L’ensemble de ces paramètres
qui, généralement, varient avec la saison, va déterminer la
capacité vectorielle de l’arthropode, qui est la résultante de
la compétence et de l’action que tous les facteurs de
l’environnement exercent sur elle.
On conçoit bien que le rôle de l’insecte ne se limite pas à la
simple transmission du virus. L’insecte sélectionne un ou
plusieurs génotypes au sein de la population virale qu’il a
absorbée, il assure aussi son amplification, son passage
d’une espèce-hôte à une autre, sa maintenance dans le
foyer, sa persistance durant l’hiver ou la saison sèche, et
éditorial
Virologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007
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