Marcel BIVEGHE MEZUI
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CONTROVERSES ET ENJEUX RECENTS SUR LA PHILOSOPHIE
AFRICAINE A L’ERE POSTMODERNE
Marcel BIVEGHE MEZUI
Chercheur à l’IRSH (CENAREST)
Libreville (GABON)
Résumé :
D’un côté, cette réflexion porte sur la philosophie africaine. L’ie d’une philosophie
authentiquement africaine émerge à partir de 1945, quand le père Tempels, missionnaire belge
écrit son ouvrage La philosophie bantu. Il y démontre que les Noirs africains ont une pensée
comparable à ce que les Occidentaux ont appephilosophie. Selon Tempels, dans leur parler,
les Bantu expriment la force vitale de leur être. Ces propos de Tempels ont suscité un vif débat.
Certains lui ont fait grief d’appeler philosophie, cette pensée qui manque de dimension critique,
une pensée collective, une philosophie sans philosophe. Les principaux critiques de l’auteur
sont : Marcien Towa, Paulin Hountondji, Eboussi Boulaga, Elungu PEA. Mais le bat sur la
philosophie africaine a connu un regain d’intérêt avec la postmodernité. On est passé de la
gation à la reconnaissance. La question qui persiste pourtant porte sur sa particularité et son
lien au discours philosophique universel. Pourtant, à partir de ce débat est l’objectif d’une
philosophie africaine originale mais participant au discours philosophique universel.
Mots-clés :
Bantu, ethnophilosophie, esprit critique, être, éveil philosophique, force vitale,
postmodernité.
Abstract :
The present article deals with the african philosophy. The idea of an authentic african
philosophy appears by Year 1945, when father Tempels, a Belgian missionary published his
work, The Bantu philosophy. In that book, he attempted to establish a similarity between Negro
Africans throught and what western people had called philosophy. According to
Tempels’analysis, Bantu people orally express the living energy of their being. As a result,
Tempels message instigated an involved debate. Certain analysts harboured resentment against
that; because it was quite unacceptable to consider as a philosophy that throught lacking any
critical dimension; that is to say a common throught, a philosophy without philosophers. Among
them, Marcien Towa, Paulin Hountondji, Eboussi Boulaga, Elungu PEA. But the interest
concerning the debate on the african philosophy was renewed with the advent of the post-
modernity era; thus from a mere negation of its existence, the african philosophy recovered a
full recognition. However, the persisting question concerns the specificity of that philosophy
and its relationship with the universal philosophical concepts.
Yet, on the basis of the above mentioned debate, emerged the objective of an original
african philosophy participating in the universal philosophical process.
Key Words:
Bantu, being, ethnophilosophy, living energy, negro-african, post-modernity, rationality.
Introduction
En 1945, Le père Placide Tempels, missionnaire catholique vivant au Congo Belge
(actuelle R.D.C.) écrit un livre quil intitule La philosophie bantu. Certes cet ouvrage nest pas
l’unique à sintéresser à la spiritualité négro-africaine. On songera notamment au livre de
Maurice Delafosse appelé Haut Sénégal, Niger Soudan fraais, publié en 1912 et au livre sur
Les Nuers du Soudan publié en 1937 par l’ethnologue Evans-Prithcard. On pensera également à
l’ouvrage intitu Dieu deau, publié en 1948 par lethnologue Marcel Griaule sur les Dogons
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du Mali. Mais la publication de l’ouvrage de Tempels, comme l’affirme Pierre Merlin, est un
tournant cisif, dans la mesure elle suscite les premières controverses sur la philosophie
africaine ? Elles se rapportent à lexistence de celle-ci. La première question est : existe-t-il une
philosophie africaine ? Cette question se justifie d’une part, par ce que souligne J. Howlett :
« En Afrique traditionnelle, nous ne trouvons rien de semblable à ce que l’Occident a appelé
philosophie, et singulièrement pas décrits philosophiques »1. Elle se justifie aussi par le fait
que ce que Tempels appelle philosophie à propos des Bantu est un ensemble de croyances, de
mythes, de rituels d’un peuple : les Bantu (sing. Muntu). Or, la définition de la philosophie
comme vision du monde pêche à la fois par défaut de précision et par excès d’extension. Voilà
pourquoi un bat très riche s’est préoccupé de réexaminer le statut de cette philosophie
africaine. Ce débat me par des auteurs africains a semb boucher sur des positions
contradictoires : l’une d’entre elles avançant quil existe une philosophie africaine mais qui est
différente de celle décrétée par Tempels. L’autre position estime quil n’y a pas de philosophie
sans dimension critique et que la philosophie africaine est à tir. Il faut rappeler que lidée
d’une philosophie attribuée à un peuple non occidental a toujours suscité de tels débats. Un
exemple, au symposium organisé par le Magazine Littéraire Bungakukai en juillet 1942 et qui
s’intitulait « Le dépassement de la modernité ». L’Ecole japonaise était représentée par
Nishutani Keiji. Cette Ecole qui prônait l’avènement d’une nouvelle philosophie qui
bouleverserait loccidentale par une récente approche bouddhique et orientale du sujet, avait
subi le reproche de vouloir faire une philosophie à travers un langage obscur à la traduction
des termes occidentaux.
Mais la controverse qui porte sur l’existence d’une philosophie africaine a été rendue
caduque par l’ère postmoderne. L’âge postmoderne est celui de la libération des diversités et
l’affirmation des difrences. La postmodernité nous apprend, selon les mots de Gilbert Hottois,
que « tous les mythes, toutes les cultures ont leur valeur propre : aucune préférence ne peut
être universalisée et universellement fondée, encore moins légitimement imposée »2. Ainsi, l’ère
postmoderne a entraîné un recentrement de la controverse sur la philosophie africaine. Tout ce
qui était désigné comme barbarie ayant été considéré entre temps, comme originalité et me
rajeunissement. La question fondamentale est devenue, non plus celle concernant lexistence de
cette philosophie africaine, qui semble définitivement rége par M. Hegba, mais celle de son
rôle et de ses nouvelles tâches. Parmi ces tâches, il y a l’élucidation de notre actuel rapport au
monde (Towa), le retour à la pensée critique (Hountondji et Elungu PEA), la prise en compte de
l’histoire de lAfrique depuis l’Egypte pharaonique (Hegba). Certaines de ces missions
semblent passer les capacités de la philosophie, d’autres border son champ de compétence.
Cet article laisse apparoir que ce n’est pas la philosophie africaine qui est en question, comme
l’ont posé certains auteurs, cest plutôt le philosophe africain. Le débat sur la philosophie
africaine a connu donc un regain dintérêt à l’aune de la postmodernité.
Sur la base de ces considérations, notre hypothèse de travail est la suivante : montrer les
enjeux récents du débat sur la philosophie africaine cest préciser sa matière et sa manière. La
matière sur laquelle sapplique la philosophie africaine, est aussi bien lexistence de lhomme
africain que ses traditions. En ce qui concerne sa manière, la philosophie étant un discours
critique, elle implique un risque. Le contenu de cet article est fon sur un réexamen des textes
écrits sur le sujet.
Notre réflexion se déploie en deux temps : lidée de philosophie africaine et sa critique
d’une part, les enjeux récents du bat à son sujet d’autre part.
I. La controverse sur l'ethnophilosophie et ses enjeux
I. 1. La philosophie bantu selon Placide Tempels et Alexis Kagame
Tempels sintéresse aux Bantu. Mais qui sont les Bantu ? Le peuple bantu regroupe plus
de 150 millions d’hommes. Lhomme, Muntu a essa de comprendre la vie, le destin, la
1 J. HOWLETT J. : « La philosophie africaine en question » in Présence Africaine, n° 91, 1974, p. 19.
2 HOTTOIS, De la Renaissance à la postmodernité, Bruxelles, De Boeck, 1998. p. 445.
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société, la nature, la mort, l’univers. Il a ainsi une conception globale de l’univers et des forces
qui l’orientent et le sous-tendent. Le père Tempels a travail sur les Baluba du Katanga au
Congo et il a reconnu que les peuples africains avaient une pensée que l’on pouvait assimiler à
la philosophie. Il soutient que les Bantu, dans leur parler, expriment la vérité ultime de leur
vision du monde : « Leur langage n ‘est pas comme le tre, ils parlent de manière tellement
concrète, en des mots qui se rapportent immédiatement aux choses mêmes, ces peuples parlent
ontologiquement »3. Selon Tempels, la langue bantu exprime la force vitale. Elle exprime létat
de celle-ci. Souleymane Bachir Diagne rappelle que cette remarque du Père Tempels « se
rapporte à la fon dont les diverses manières de désigner un homme indiquent, de façon très
concrète, l’état de la force vitale qui constitue son être, depuis le deg de force proche de zéro,
chez celui qui est alors dit mort (mufu), jusqu’au niveau ultime de celui qui s’avère un chef
(mfumu), par la puissance qu’il est »4. Il y a donc ici ce que S. B. Diagne appelle une échelle
ontologique de lintensité de la force vitale qui constitue lêtre. Cette force peut diminuer ou
croître. Dans ce cas, c’est lêtre qui diminue ou croît. Le muntu, lêtre humain, n’a pas la
puissance, il l’est. Il est ce qu’il a, parce que « ce qu’il possède ne lui est pas extérieur, mais
s’incorpore véritablement à ce quil est ». La conception bantu du monde est anthropocentrique,
c’est-dire que tout est consiré en termes de relation avec l’être humain (Muntu). Les Bantu,
nous dit Tempels, ont une pensée qui pèse sur eux comme « une force déterminante » 5. Cette
force les « domine et oriente leur comportement »6
Les catégories essentielles de cette vision anthropocentrique du monde sont : d’abord
Dieu, explication ultime de l’origine de la substance de lhomme et de toute chose ; ensuite les
esprits : faits dêtres humains et des esprits des hommes morts auparavant ; puis lhomme
comprenant les vivants et ceux qui sont sur le point de naître ; puis encore les animaux et les
plantes ou le reste de la vie biologique ; enfin les phénomènes et objets qui ne participent pas à
la vie.
Ainsi, l’homme nest pas exilé dans le monde : « En termes anthropocentriques, Dieu
est le créateur et celui qui nourrit lhomme ». Les esprits expliquent la destie de l’homme ;
l’homme est le centre. Les animaux, les plantes, les phénones et les objets constituent le
milieu il vit, et lui procurent les moyens d’exister. L’homme n’est pas quoi que ce soit, il vit
en union du divers dans l’univers concret. Il a des rapports distincts et solidaires avec chaque
être de l’univers. Cela va dans le me sens que ce que dit Alexis Kagame « Ainsi le
préexistant a fait surgir les commençant-à-exister, les a créés y compris les Ancêtres reculés.
Ces derniers, à leur tour ont fait surgir les membres de la société ».
Ici le fondement, le subsistant, dans le système des natures et l’ordre des choses, cest
l’homme. Il établit des rapports de communauté et de communion avec chaque plan de la
création. Il existe chez le Muntu une parenté de l’homme et des choses. Dieu est l’Ancêtre
lointain, le plus haut en dignité et le plus ancien. Il est la source permise de toute vie. Ce Dieu
unique qui a créé toute chose reste tout de même assez distant dans la vie quotidienne. Aucun
acte de culte en conséquence ne lui est vraiment rendu. Dieu dépasse l’homme en intelligence et
en puissance. Après Dieu, il y a les esprits. Ce sont des êtres surhumains, des Ancêtres reculés
du commencement. Ce monde des esprits et des ancêtres est plus proche de la socté humaine
que de l’univers proprement divin. Il y a de bons et de mauvais esprits des Ancêtres
primordiaux. Le bien et le mal apparaissent visiblement à ce niveau dans la cosmogonie bantu.
Les Ancêtres lointains, tels les dieux grecs, restent sujets aux passions, à la colère, à la rancune,
à la haine, à la vengeance, à l’amour, à la générosité. Il existe des rites et cérémonies pour
apaiser leur colère et demander leur bédiction.
Dans le monde des vivants, il existe des hommes peu ordinaires, capables d’avoir des
relations mystiques avec le monde des esprits et avec celui des morts. Ce sont des maîtres, des
initiés, des sorciers, des tradi-praticiens, des guérisseurs. Tout est en relation avec l’homme :
3 P. TEMPELS, La philosophie bantu, Paris, Présence Africaine, 1949, p. 101.
4 S. B. DIAGNE, « Revisiter la philosophie bantu », Revue Politique Africaine, n° 77, mars 2000, p. 46.
5 P. TEMPELS, op. cit., p. 6.
6 Ibid., p. 9.
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Dieu, par l’intermédiaire de la vie qu’il donne, les Esprits et Ancêtres primordiaux parce quils
agissent constamment dans le monde des vivants. La vision bantu du monde, non seulement
tourne autour de l’homme, mais encore fait de celui-ci, en tant que tel, toute une communauté.
L’être humain en vie a la vie. Il possède un esprit qui rejoint l’univers des génies et des morts.
De ce fait, il connaît l’immortalité.
L’année 1945 est significative. Ce que Tempels a voulu montrer, à une époque où la
rationalité occidentale montre ses limites, est que, malgré la diversité des cultures, l’esprit
humain est identique.
L’un des premiers à faire une critique scientifique de l’œuvre de Tempels est un autre
ethnophilosophe, le Rwandais Alexis Kagame. Elungu PEA rappellera plus tard que Placide
Tempels s’appuie sur la tradition scolastique et Alexis Kagame sur la métaphysique
aristotélicienne et thomiste. Etant d’origine africaine, Kagame connaissait mieux que le
missionnaire belge le contexte culturel et surtout la langue du peuple qu’il étudie. Ce qui en soi,
ne constitue pas un avantage. Il conteste les principes fondamentaux de Tempels, notamment
l’identité que le Belge pose entre l’être et la force vitale. Kagame fait grief à Tempels de
«Parler en généralisant d’une manière indue, sans preuves ». Selon le Rwandais, ce que
Tempels appelle philosophie bantu est l’exposition de ses propres idées. Il écrit ceci dans La
philosophie bantu comparée : « Nous ne disons pas que le livre du père Tempels ne renferme
pas une certaine philosophie. Mais elle aurait gag à être présentée comme cogitations
personnelles ».
I. 2. La critique de l’ethnophilosophie par Marcien Towa, Eboussi Boulaga, Paulin Hountondji
et Elungu PEA
La critique de la philosophie bantu ou de l’ethnophilosophie est presquaussi ancienne
que l’annonce de cette philosophie. Il semble néanmoins que, revendiquer une telle critique,
c’est sexposer au reproche de discrimination en faveur de la philosophie occidentale. Point
n’est besoin ici, d’examiner en détail les objections formulées contre cette philosophie négro-
africaine. Revenons tant soit peu au père Tempels. Il affirme que la langue bantu est une langue
concrète, dans laquelle les mots représentent les choses, par opposition aux langues abstraites
des sociétés qui ont atteint un haut degré de sophistication. A ce niveau, l’auteur a préparé pour
ses adversaires un angle d’attaque. Deux principaux reproches ont été faits à Tempels : on lui a
fait grief non seulement de reproduire le scma de l’ethnologie traditionnelle quil a voulu
combattre, mais également d’identifier une philosophie sans philosopher, et de faire de la
philosophie, une vision du monde collective. Le vrai sujet de cette philosophie n’est personne
en particulier, mais l’ethnie. Cest à cause de cette démarche, affirme S. B. Diagne, que la
philosophie africaine a été critiquée, mais au nom de ce qu’est véritablement la philosophie,
c’est-dire un acte conscient et une activité critique, et non la transmission d’un ensemble de
préjus par une collectivité. Sur ce débat, Théoplile Obenga qui semble insister plus sur
l’expression vision du monde que sur le terme philosophie, nous dit qu’il s’agit d’un débat
caduc et peu substantiel.
Il y a néanmoins une cessité, au moins académique, de revenir aux reproches adressés
à la philosophie africaine. Nous allons nous appuyer essentiellement sur les critiques faites par
quatre philosophes : Marcien Towa, Eboussi Boulaga, Paulin Hountondji et Elungu PEA
Marcien Towa. Selon lui, la philosophie est « la seule discipline qui a le courage et la
force de soumettre ouvertement l’Absolu à la discussion. On entrevoit ici la critique adressée à
l’ethnophilosophie. Pour Marcien Towa : « L’ethnophilosophie trahit la philosophie ». Ce qui
motive la critique de Marcien Towa est cette idée que la philosophie est avant tout, une analyse,
une pensée critique. Il expose cet aspect dans son ouvrage principal sur le sujet, Essai sur la
problématique philosophique dans lAfrique Actuelle. Il y écrit ceci : « Pour ouvrir la voie à un
veloppement philosophique en Afrique, il faut que,solument, nous nous détournions de
l’ethno-philosophie, aussi bien de sa problématique que de ses méthodes (…). La redécouverte
d’une telle philosophie ne saurait résoudre notre problème philosophique actuel, à savoir,
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l’effort délucidation de notre actuel rapport au monde. Notre monde nétant plus celui de nos
Ancêtres »7.
Les objections adressées à lethnophilosophie portent d’abord sur la méthode. La
marche de cette philosophie n’est ni purement philosophique ni purement ethnologique:
« L’ethnophilosophie expose objectivement les croyances, les mythes, les rituels, puis
brusquement, cet exposé se mue en profession de foi métaphysique, sans se soucier, ni de
réfuter la philosophie occidentale, ni de fonder en raison son adhésion à la pensée africaine»8.
Si au niveau de la thode, l’ethnophilosophie trahit la philosophie, cest parce que, nous dit
Towa, l’ethnologue décrit sans sengager. Or, l’ethnophilosophie sengage. Ce qui ne veut pas
dire qu’il s’agit pour cela, d’une philosophie au sens strict du terme. Car le choix entre les
opinions ici et l’adhésion à telle ou telle position ne sont pas motivés par la force des arguments
mais l’appartenance ou la non-appartenance à la tradition africaine9. L’ethnophilosophie ne doit
plus consister à célébrer un âge doré africain, ni à magnifier les valeurs et la grandeur de
l'Afrique. De lenthousiasme téméraire quelle était, la pensée doit devenir hypercritique et
senchantement, « Elle doit permettre le diagnostic d’un mal à guérir, la délimitation dune
lacune à combler ; la nouvelle finali est de trouver le point de départ dun mouvement et non
plus des raisons d’autosatisfaction et de conservation »10.
La pensée de Marcien Towa repose sur cette conviction quil existe entre les hommes
une identité générique. Ici paradoxalement, la défense de l’identité aboutit à l’universalisme, à
la tolérance, à l’ouverture à autrui. Dans Identité et Transcendance, Towa montre que les
différences raciales sont inessentielles et ne déterminent pas les difrences culturelles.
L’humanité n’est pas génériquement identique malgré la diversité culturelle, mais précisément
en raison de la multiplicité des cultures. La pensée philosophique de Marcien Towa bouche
sur une pensée politique, un appel à la prise de conscience des peuples africains, mais aussi à
l’universalisme et me à l’humanisme.
Contre l’ethnophilosophie, nous pouvons retenir ensuite la critique de Fabien Eboussi
Boulaga. Il est né en 1934 et est de nationalité camerounaise. Il fait partie, avec Marcien Towa,
de ceux qui ont formulé les critiques les plus sévères contre Placide Tempels et
l’ethnophilosophie. Cette dernière ne serait rien dautre qu’une formation, une construction
en forme de philosophie des matériaux de l’ethnologie traditionnelle. Pour Eboussi Boulaga,
dont la critique rejoint ici un peu celle de Towa qui l’approuve, lethnophilosophie n’est pas une
philosophie mais la description d’une culture négro-africaine qui présente une unité : « Nous ne
prétendons certes pas, nous dit Eboussi Boulaga, que les Bantous soient à même de nous
présenter un traité philosophique, exposé dans un vocabulaire adéquat »11.
A ce niveau, on a bien limpression quEboussi Boulaga nous conduit, non vers un
dilemme mais plutôt vers une impasse. Il critique à la fois l’ethnophilosophie et ce qu’il appelle
la conception des serviles imitateurs des philosophes occidentaux. Mais cette impasse ne
signifie pas que nous sommes sur une fausse route, car la critique montre la cessité pour
l’Africain de sengager sur le chemin de la philosophie, en se fondant sur ses propres valeurs et
visions. La particularité africaine peut ainsi enrichir le discours philosophique.
Le troisième critique de lethnophilosophie est Paulin Hountondji. Son argument
principal est quil n’existe pas de philosophie collective comme le prétendent les
ethnophilosophes. Sa critique rejoint celle d’Eboussi Boulaga en ceci que, pour Hountondji,
l’ethnophilosophie est « Une philosophie qui, plutôt que de fournir ses propres justifications
rationnelles, se réfugie paresseusement derrière lautorité d’une tradition, et projette dans ses
propres thèses, ses propres croyances »12.
7 M. Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique Actuelle, Yaoundé, éd. Clé, 1981, p. 35.
8 S. AZOMBO-MENDA et M. ENOBO KOSSO , Les philosophes africains par les textes, Paris, Fernand Nathan, 1978, p. 99.
9 Il convient de nuancer ici ce que dit Towa dans la mesure où cela ne s’applique que partiellement au cas de Tempels.
4 Ibid., pp. 53-54.
11 F. EBOUSSI BOULAGA , « Le Bantu problématique » in Présence Africaine, n°66, 1968, pp. 9-10.
12 P. HOUNTONDJI, Sur la philosophie africaine, Paris, Maspero, 1977, pp. 55-66.
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