20150520_Feillet_Le futur de notre alimentation Milan AAF

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Copyright – Académie d’Agriculture de France, 2015.
Le futur de notre alimentation
Pierre Feillet
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Résumé de la conférence présentée à Milan à l’occasion de l’exposition universelle
Juin 2015
Pour en savoir plus : Pierre Feillet, Quel futur pour notre alimentation ? Editions Quae, 2014
Les défis auxquels doit faire face le système alimentaire................................................................... 1
Un aliment est un système complexe. ................................................................................................ 2
Quel avenir pour les innovations très médiatisées ? .......................................................................... 2
Vers des agricultures durablement productives. ................................................................................ 2
Les OGM auront-ils leur place dans ces nouvelles agricultures ? ....................................................... 4
La viande disparaitra-telle de nos assiettes ? ..................................................................................... 4
Vers une alimentation plus personnalisée ? ....................................................................................... 5
Pour conclure, que mangerons-nous demain ? .................................................................................. 6
Les défis auxquels doit faire face le système alimentaire.
Pour nourrir le monde, les acteurs du système alimentaire - ceux qui produisent, transforment et
commercialisent nos aliment – ont à relever à l’horizon 2050 plusieurs défis que résument les chiffres
2, 50, 70, 2 et 4 :
- 2 milliards d’habitants de plus sur notre planète en 2050, mais surtout deux milliards
d’Africains à nourrir au lieu d’un seul aujourd’hui, ce qui un défi d’une autre ampleur que
celui de nourrir 30% d’individus supplémentaires dans le monde ;
- 50% de la population mondiale appartiendra aux classes moyennes, avec pour
conséquence une demande accrue en une alimentation relevant de ce qu’il est convenu
d’appeler la « transition nutritionnelle » dont l’une des caractéristiques est
l’accroissement de la consommation de viande ;
- 70% de la population vivra en milieu urbain, entrainant un développement important des
secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits alimentaires (il faut
éviter la dégradation des produits agricoles avant leur consommation par les habitants
des villes) ;
- 2 milliards d’humains seront âgés, beaucoup de santé fragile, laissant aux plus jeunes la
charge de les nourrir et de leur proposer des régimes alimentaires adaptés à leur état ;
- 4, enfin, comme la possible élévation de la température moyenne sur la terre en 2100
avec les conséquences que l’on connait sur la modification des climats et les problèmes
que cela posera aux agriculteurs, notamment en terme d’adaptation des plantes
cultivées à ces nouvelles conditions climatiques et d’accès aux ressources en eau.
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pierre.feillet@wanadoo.fr
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Ces contraintes, il faudra les gérer tout en s’assurant de la « durabilité » des réponses apportées en
limitant les émissions de gaz à effet de serre, en respectant la biodiversité, en économisant l’eau, en
occupant mieux les sols, en évitant la dissémination des polluants chimiques, en s’assurant du bien-
être des animaux et en diminuant les pertes et les gaspillages.
Un aliment est un système complexe.
Pour tenter de percevoir ce que pourrait être notre alimentation dans le futur, il faut comprendre
qu’un aliment est un système complexe formé de nombreuses composantes, parfois contradictoires :
nutritionnelles et sanitaires (apports de nutriments et de calories, effets positifs sur la santé, allergies
et intolérances, minimum de risques biologiques et chimiques), culturelles (avec la diversité des
points de vue sur le plaisir et la convivialité des repas, les interdits religieux, le refus de manger des
produits d’origine animale, l’aspiration à la « naturalité » et aux produits « traditionnels », la facilité
d’achat et de préparation des aliments), économiques (prix des aliments, commerce international) et
citoyennes (durabilité des moyens de production et de fabrication, solidarité de nos choix
alimentaires avec les pays pauvres, soutien à l’agriculture en achetant « français », réduction du
gaspillage). La première (nutrition et sécurité sanitaire) est partagée par tous les humains de manière
sensiblement identique (mêmes besoins en nutriments et micronutriments) alors que la deuxième
est éminemment variable avec les régions du monde, les cultures et les religions (on peut parler de
« biodiversité culturelle » de l’alimentation).
Quel avenir pour les innovations très médiatisées ?
A l’aune de ces quatre familles de composantes, on comprend aisément que les « nouveaux
aliments » qui retiennent souvent l’attention des médias et des réseaux sociaux en raison de leurs
caractères inattendus et souvent pittoresques ont peu de chance de contribuer significativement à
l’alimentation de l’humanité en 2050. Parmi d’autres « nouveautés », on peut citer la poudre Soylent
(contenant les nutriments nécessaires à notre organisme) à « boire » une fois mise en suspension
dans l’eau en substitut des repas et les steaks fabriqués en conditions aseptiques par culture de
tissus (le premier d’entre eux aura coûté 250 000 euros !). Sans parler du mythe de se nourrir
uniquement de pilules. Plus sérieux, mais probablement d’impact limité face aux près de trois
milliards de tonnes de céréales et plantes à protéines (surtout le soja) qui entrent chaque année dans
l’alimentation de l’humanité, directement ou indirectement via la nourriture donnée aux animaux, la
culture des algues (microalgues comme la spiruline ou la chlorelle pour la fabrication de
compléments alimentaires, macroalgues pour la consommation directe) et l’élevage des insectes
pourraient bénéficier d’une croissance significative. Il est possible que ces derniers servent de base
protéique pour l’alimentation des animaux, plus spécialement les volailles et les poissons (la
consommation directe par les hommes restera sans doute très limitée).
Vers des agricultures durablement productives.
Quoiqu’il en soit, les productions végétales et animales resteront la source quasi-unique de
nutriments pour les hommes dans l’avenir comme elles le sont aujourd’hui : la terre continuera à
mériter son qualificatif de « nourricière ». La question est donc de savoir comment les agriculteurs
vont être capables de nourrir 9 à 10 milliards d’hommes en 2050. Pour relever ce défi, selon les
experts de la FAO, il faudra accroître de 70% la production de produits végétaux pour nourrir les
hommes en 2050 : doubler la production de céréales et de protéagineux, accroître de 50% celle
d’oléagineux Et donc réaliser au cours des quarante prochaines années des progrès équivalents à
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ceux des quarante dernières. L’humanité doit donc poursuivre le très grand effort d’accroissement
de la production agricole amorcée au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Mais la donne a
changé car cet objectif doit être atteint sans rompre les grands équilibres des écosystèmes, au risque
de mettre en grave danger l’avenir des prochaines générations. De plus, les agriculteurs devront faire
face au changement climatique, à l’érosion et à la salinité des sols, à la limitation de l’accès aux
ressources en eau et à des besoins accrus en énergie.
En France, il est fréquent d’opposer deux modèles d’agriculture : l’agriculture intensive et
l’agriculture biologique. Alors que l’avenir de ces deux modes d’agriculture est compromis : la
première, très productive, parce que son impact négatif sur l’environnement est mal maîtrisé ; la
deuxième, plus respectueuse de l’environnement, parce que ses rendements sont insuffisants pour
nourrir les hommes. On doit néanmoins porter au crédit de l’agriculture intensive de remarquables
succès : entre 1950 et 2000, grâce aux effets combinés des progrès de la génétique et de la
physiologie végétales et animales, d’un meilleur usage de l’eau et des produits phytosanitaires et
vétérinaires, de la généralisation de machines agricoles performantes (tracteurs, moissonneuses,
machines à traire) et de la grande technicité des agriculteurs les rendements en blé sont passés de 20
à 70, voire parfois à 100 quintaux à l’hectare dans les fermes les plus productrices. Mais pendant la
même période, l’utilisation d’engrais a été multipliée par six et la part des produits phytosanitaires
(en valeur par rapport à la production agricole) par cinq.
La comparaison de la « durabilité » des agricultures conventionnelles et biologiques réserve
cependant quelques surprises, les premières s’avérant plus durable que la seconde pour plusieurs
paramètres.
Durabilité comparée de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle
Dans le monde, gouvernements et instituts de recherche agronomique visent à promouvoir de
nouvelles pratiques agricoles souvent qualifiée « agriculture écologiquement intensive », « agro-
écologie » ou encore «agriculture à performance économique durable ». Elle vise à assurer
compétitivité et respect de l'environnement. Pour notre part, nous préférons parler d’« agricultures
durablement productives » : le pluriel, car elles devront s’adapter à des situations environnementales
et culturelles diverses dans le monde, durablement pour tenir compte des composantes écologiques,
économiques et sociales du développement, productives et non pas intensives car produire le
maximum du possible par hectare n’est pas nécessairement souhaitable, productives néanmoins car
il faut bien nourrir le monde. Sur le plan technique, ce n’est pas gagné ! Ce qui doit changer, c’est le
regard porté sur les relations entre les plantes d’intérêt agronomique et leurs écosystèmes. Il faut,
ainsi que le souligne l’économiste Michel Griffon « augmenter les capacités naturelles des plantes
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par la science ». L’enjeu scientifique est d’arriver à mieux comprendre la nature des relations qui
unissent plantes, animaux et milieux.
Les OGM auront-ils leur place dans ces nouvelles agricultures ?
En général, les biologistes moléculaires et les généticiens ont un regard plus positif sur les OGM que
les agronomes et les environnementalistes. Les cultures d’OGM (résistant à des insectes ou tolérant à
des herbicides) occupaient 180 millions d’hectares en 2014, soit 12 % des terres cultivées,
essentiellement quatre espèces (maïs, coton, soja et colza) dans cinq pays (Etats Unis, Brésil,
Argentine, Inde et Canada). La très grande majorité des nutritionnistes et des toxicologues estiment
que les OGM cultivés ne présentent aucun danger pour la santé et que leur valeur nutritionnelle est
semblable à celle des plantes traditionnelles. Quelques très rares chercheurs affirment le contraire.
La controverse porte davantage sur les impacts environnementaux. Pour apprécier ses impacts,
quatre paramètres sont pris en compte : la nature et la quantité de produits phytosanitaires de
synthèse et d’engrais minéraux utilisés, les émissions de gaz à effet de serre, les atteintes à la
biodiversité et les taux d’occupation des sols.
Avantage aux Avantage aux
plantes plantes
tiquement modifiées conventionnelles
Dispersion d'insecticides Oui
Dispersion d'herbicides Oui
Utilisation d'engrais de synthèse
Emission de GES Oui ?
Biodiversité Oui
Occupation des sols
Mieux nourrir le monde Oui, dans l'avenir
Pas de différence
Pas de différence
Durabilité comparée des plantes génétiquement modifiées et conventionnelles
Un autre aspect de la « durabilité » de la culture des OGM est son impact social et économique. S’il
ne fait guère de doute que les retombées financières des plantes génétiquement modifiées sont
positives pour les semenciers, les avis sont plus nuancés sur les bénéfices que peuvent en tirer les
agriculteurs et les consommateurs.
On conclura que les OGM sont un atout dans la main des professionnels pour mieux nourrir
l’humanité. Que d’un point de vue technique, il serait dommage de s’en passer, mais qu’ils ne sont
pas une solution miracle. Que leur développement dépendra de la capacité des semenciers à
proposer de nouvelles plantes répondant mieux à la demande des consommateurs, notamment en
termes de santé, de goût et de réduction du prix des aliments. Mais qu’il n’est pas exclu que le rejet
des OGM par les européens gagne progressivement l’ensemble de la planète.
La viande disparaitra-telle de nos assiettes ?
La consommation de produits d’origine animale, et plus particulièrement de viande (notamment de
bœuf), fait également polémique. Un argument avancé pour s’y opposer est que ses effets sur
l’environnement et la sécurité alimentaire de l’humanité sont catastrophiques : le rendement de la
transformation des protéines végétales en protéines animales est mauvais ; la production d’un kilo
de viande (surtout de bœuf) consomme de gros volumes d’eau ; l’impact des ruminants sur le
réchauffement climatique est important car ils rejettent dans l’atmosphère des quantités
importantes de méthane. L’examen des données de la littérature montre que ce n’est pas si simple
et que les chiffres avancés méritent une analyse plus fine que celle habituellement faite.
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Pour leur part, les économistes n’ont guère de doute : dans le monde, la consommation de viande
continuera à augmenter en raison de l’élévation du niveau de vie des habitants des pays émergents,
en Asie tout particulièrement (dans un pays, la consommation de viande par habitant croît avec
l’augmentation du PNB) : en 2050, celle de porc devrait être multipliée par 1,4, celle de bœuf par 1,6,
celle de volaille par 2,6 et celle de mouton par 1,8.
Faut-il que les Français consomment moins de viande ? La réponse est oui parce que notre ration
alimentaire contient trop de protéines et que la part des protéines animales est trop élevée
comparativement à celle des protéines végétales. Faut-il diminuer la part des viandes rouges au
profit des viandes blanches (poulet, porc) ? La réponse est oui d’un point de vue environnemental et
plus nuancée sur le plan nutritionnel. Attention notamment à ce que l’apport en fer assimilable soit
suffisant. Faut-il donc s’abstenir de manger de la viande, voire bannir de son assiette tous les
produits d’origine animale comme le préconise les végétaliens ? Il revient à chacun d’en décider,
mais si on prend en compte les paramètres environnementaux et nutritionnels, la réponse est non.
Vers une alimentation plus personnalisée ?
Dans les années 1950, c’était simple, on attendait de nos aliments qu’ils apportent à notre corps les
calories et les nutriments dont il a besoin. Au début des années 1980, une nouvelle priorité se
dessine : il faut mieux prendre en compte les effets de l’alimentation sur la santé. En 2015, les
industriels procèdent à des enrichissements en minéraux et en vitamines : les produits laitiers et les
produits céréaliers sont les principaux vecteurs de ces apports. Sans oublier le fluor dans le sel. Dans
le même registre, des industriels modifient leurs formulations pour diminuer la teneur en sel et
bannir les acides gras trans d’origine industrielle. Plus récemment, des aliments sans gluten sont
proposés à ceux qui souffrent de la maladie cœliaque. Dernière des innovations, la fabrication d’un
lait dont la teneur en lactose a été duite de 90 % permet à ceux qui sont intolérants à ce sucre de
boire du lait sans craindre d’effets secondaires indésirables.
Les aliments santé de deuxième génération ont des effets physiologiques spécifiques. Ce sont des
produits qui se déclinent au sein de cinq grandes familles : enrichis en phytostérols, en acides gras
oméga-3, en probiotiques (des microorganismes qui exercent un effet positif sur la santé au-delà des
effets nutritionnels traditionnels), en fibres et en antioxydants. Les plus connus sont des margarines
et des produits laitiers « qui font baisser la teneur du sang en cholestérol ». Des aliments sont vendus
pour faciliter la digestion, réduire les risques cardiovasculaires, rester jeune plus longtemps et même
accroître les fonctions cognitives. En Europe, heureusement, la période les entreprises pouvaient
tout revendiquer, ou presque, est passée. Face à la prolifération d’allégations parfois fantaisistes, les
pouvoirs publics ont mis de l’ordre.
Deux nouveaux domaines d’investigation conduisent à repenser la conception que nous avons des
fonctions biologiques des aliments : celui des relations qui s’établissent entre notre génome et nos
aliments et celui de l’impact majeur du microbiote intestinal humain (les microorganismes qui
pullulent au sein de notre tube digestif) sur de multiples facettes de notre métabolisme. Les résultats
attendus de ces études pourraient sensiblement modifier les connaissances actuelles sur l’impact de
notre alimentation sur notre santé. Au cours des 10 ou 20 prochaines années, les industriels
devraient pouvoir s’appuyer sur ces connaissances pour concevoir de nouveaux produits à « effets
physiologiques spécifiques ». Mais de là à déclarer que l’analyse de notre génome et de notre
microbiote permettra de définir une diète alimentaire personnalisée, il y a un pas qu’on ne saurait
(encore) franchir même si certains des aliments seront le fruit d’une double innovation : une
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