LEÇON XVII
BAPTÊME PAR IMMERSION
ourbe-toi, fier Sicambre ! Brûle ce que tu as
adoré, adore ce que tu as brûlé. » Telles sont les
paroles qu’on prête à saint Remi lors du bap-
tême de Clovis. A quoi les plaisantins disent que Clovis
aurait rétorqué : « Cambre-toi, vieux si courbe ! »
C
C’est ainsi qu’en 496, la France devint la fille aî-
née de l’Église. Mais que veut dire au juste cette ex-
pression ? Les Francs, on l’a vu, n’ont pas été les pre-
miers barbares de l’empire à se convertir, mais les
derniers. Les Wisigoths et les Burgondes, présents en
Gaule avant les Francs, étaient chrétiens. De plus, la
France n’existait pas encore au sens strict, ni même
au sens large.
Clovis s’est fait baptiser en même temps que trois
mille de ses guerriers, dit-on. Le chiffre est sujet à
caution : il faut retenir qu’ils se firent baptiser en
masse, et rien ne dit que ce fut au même endroit ni le
même jour. Mais les habitants de la Gaule, eux,
étaient chrétiens depuis longtemps. Et ils étaient su-
jets d’un empire qui l’était au moins depuis Constan-
tin, en 313, et depuis Théodose, en 380. Ce n’est
donc pas parce que Clovis s’est fait baptiser que la
Gaule est devenue chrétienne, mais le contraire : Clo-
vis a adopté la religion de ses sujets – par immersion,
si l’on ose dire !
Les Wisigoths et les Burgondes étaient déjà chré-
tiens, certes ; mais ils étaient ariens. C’est-à-dire
qu’ils avaient adopté l’hérésie professée par Arius, et
encouragée par l’empereur d’Orient (Constantin lui-
même avait été baptisé par un évêque arien). Il faut
noter que l’arianisme favorisait l’exercice par les rois
barbares d’un pouvoir religieux, dans une sorte de cé-
saro-papisme qui a perduré dans la religion ortho-
doxe. Tandis que le peuple de la Gaule en était resté
au christianisme défini par le concile de Nicée, et le
pape aussi, bien entendu. Cette différence maintenait
un fossé entre la population et ses nouveaux maîtres.
Quoique nièce du roi des Burgondes, Clotilde était
restée fidèle à la foi des origines. Si bien que c’est le
christianisme romain (celui de Rome, ville du pape,
et non celui de l’empereur de Constantinople) que,
sous son influence, Clovis se décida à embrasser. Dès
lors, les mariages des nouvelles élites franques avec
les familles des grands propriétaires terriens et des
fonctionnaires gallo-romains se multiplièrent. C’est
pour cette raison, entre autres, que ce fut en France
(et non en Italie, n’en déplaise aux humanistes ita-
liens) que la civilisation romaine, latine, perdura le
mieux, parce que les nouvelles élites s’y mélangèrent
plus vite au reste de la population.
Une des causes du déclin des Francs, au
IV
e
siècle,
avait été le fait qu’ils étaient restés païens. Mais en
adoptant au
V
e
siècle le christianisme de Nicée, ils re-
çurent l’appui du pape. Ainsi la guerre contre
Alaric II, roi des Wisigoths, qui se termina en 507 par
la bataille de Vouillé, prit-elle une allure de guerre
contre l’hérésie. Clovis avait, en quelque sorte, choisi
le pape contre l’empereur. Dans l’histoire de l’empire
romain en train de se dissoudre, ou dans celle de
l’Europe en train de naître, le baptême de Clovis est
donc une date capitale.