Vers quoi peut-on alors se tourner pour trouver un guide
afin de faire face à cet avenir menaçant? Afin d’analyser les
défis moraux de cette guerre au terrorisme, j’en reviendrai à
certaines des plus vielles traditions que l’on puisse encore
utiliser : les critères sur lesquels repose la théorie de la
« guerre juste ». Ces critères, étudiés depuis longtemps dans des
institutions comme le CMR, peuvent aider à prévoir quelques-
uns des défis qui surgiront dans les mois et les années à venir.
Je me pencherai sur le jus in bello et le jus ad bellum ainsi que
sur les asymétries de la moralité dans une guerre au terrorisme.
Il faut également analyser les différences et les contrastes qui
existent entre les guerriers et les terroristes. On doit aussi tenter
d’identifier les problèmes éthiques liés à une guerre au
terrorisme, laquelle privilégiera les opérations spéciales. Je
conclurai par un plaidoyer, tant pragmatique qu’éthique, en
faveur de l’exercice de la plus grande modération même dans
ce genre de combat.
Tout d’abord, dans la théorie de la « guerre juste », le jus
ad bellum traite du droit de partir en guerre. Qu’est-ce qui
justifie la guerre au terrorisme? Dans la tradition classique de
la guerre juste, on avait recours à deux principes pour évaluer
s’il était légitime d’entrer en guerre. Le premier principe est
celui du dernier recours : A-t-on épuisé tous les moyens
pacifiques de résoudre un problème particulier avant de
recourir à la violence militaire? Dans le cas présent, certains
prétendent que non; mais il faut être conscient d’une chose que
tout le débat découlant du 11 septembre a laissé dans l’ombre :
les instruments normaux de la loi et de l’ordre (enquêtes de
police et poursuite des personnes suspectées de terrorisme) ont
été utilisés mais n’ont pas été efficaces. Les efforts des polices
de plusieurs pays ont amené devant la justice les auteurs de
l’attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993,
ceux des explosions de 1998 visant les ambassades des États-
Unis ainsi que les responsables de l’attentat à la bombe contre
des soldats américains dans une discothèque d’Allemagne.
Pourtant, aucun effet dissuasif ne s’en est suivi. C’est ce fait
bien évident qu’ignorent ceux qui prétendent qu’il ne faudrait
pas partir en guerre, mais s’occuper de ces incidents par un
effort international des corps policiers. On l’a fait et cela n’a
rien donné.
Une autre question se rattache aussi au jus ad bellum :
celle de l’autorité appropriée. Qui a l’autorité de mener une
guerre contre le terrorisme? Dans le système international,
cette autorité réside, depuis 1945, dans la Charte des Nations
Unies; et, en ce qui concerne les récentes activités terroristes,
cette Charte est-on ne peut plus claire. Son Article 51 autorise
le recours à la force militaire pour raison d’autodéfense. C’est
ce qu’ont confirmé des résolutions du Conseil de sécurité dans
les jours qui ont suivi les attaques du 11 septembre. La
légitimité de la réponse dirigée par les États-Unis a
acquis, au plan international, un statut unique. Cette
coalition militaire a, autant que toute autre dans le
passé, le bon droit international de son côté.
Toutefois, on doit en outre se demander avec
honnêteté si la justification par l’autodéfense peut rester
valable pour une durée indéterminée. La plupart des
experts en droit international affirment que l’Article 51
légitime une réponse immédiate à la violence sous
forme d’une action d’autodéfense sans pour autant
justifier l’emploi de la force militaire pour aussi
longtemps qu’on le veuille. Une des questions cruciales
du jus ad bellum est de savoir si le critère de
l’autodéfense justifie une campagne militaire de durée
indéfinie ou si les États-Unis devraient retourner devant
le Conseil de sécurité pour obtenir la ratification d’une
prolongation de cette campagne. Mon sens politique me
dit que, plus la guerre se prolongera, plus le critère du
jus ad bellum s’affaiblira et plus il aura besoin d’être
renforcé par des résolutions du Conseil de sécurité. Je pense
franchement que de telles résolutions seront de plus en plus
difficiles à obtenir. La poursuite de cette guerre est donc
tributaire d’une marge de légitimité qui pourrait disparaître à la
longue. Il faut songer sérieusement à cette question qui ne
manquera pas de se poser.
L’objectif des opérations militaires doit aussi retenir
l’attention. Dans le cas présent, on a énuméré une série
d’objectifs : on a dit qu’il fallait aller en guerre pour punir des
malfaiteurs, pour chercher à se venger, pour imposer un
châtiment et des représailles. Or, dans la tradition du jus ad
bellum, aucun de ces motifs n’est une raison valable de
déclencher une guerre. Nul n’a le droit d’employer la violence
militaire pour punir des gens qui lui ont fait du tort. Il est licite
d’utiliser cette violence pour atteindre des objectifs politiques
tels que la neutralisation d’une base de terroristes ou celle d’un
État qui les appuie. Il ne s’agit pas alors de vengeance ou de
châtiment, mais plutôt d’un recours à la force en vue d’obtenir
des avantages politiques d’importance. J’estime que la
rhétorique du châtiment, loin de renforcer la légitimité d’une
opération militaire, la mine au contraire. La violence militaire
ne se justifie qu’en autant qu’elle sert des objectifs politiques
majeurs et identifiables. Elle ne doit pas servir à atteindre les
objectifs d’une psychologie dynamique apaisante comme le
seraient les châtiments ou la vengeance, mais à remplir une
mission précise. Si l’on demandait à de jeunes soldats de poser
des gestes ne visant qu’à punir des gens, ils seraient en droit de
répliquer en disant : « Ce n’est pas là ce pour quoi je suis
entré dans les forces armées. » En tant que futurs officiers des
forces armées d’un État démocratique, il importe que vous
soyez toujours conscients de ces restrictions et des objectifs qui
justifient l’utilisation de la violence militaire.
Il faut maintenant se pencher sur le jus in bello, c’est-à-
dire les règles qui président à la conduite des opérations
militaires déjà considérées justes. Tout officier les connaît. Il
importe d’utiliser une force commensurable aux besoins. Il faut
obéir aux lois des nécessités militaires. On doit respecter
6Revue militaire canadienne ●Hiver 2001-2002
Département américain de la Défense
Le 11 septembre. Attaque terroriste sur le Pentagone, à Washington.