La taxidermie, toujours au service de la recherche

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La taxidermie,
toujours au service de la recherche scientifique
Pierre-Yves Gagnier *
La taxidermie a toujours été d’un grand intérêt
pour la recherche. Toutefois son image
dans les milieux scientifiques au cours
du XXe siècle a été mésestimée car
les collections d’Histoire naturelle ont été
associées à la notion d’objets renouvelables.
Aujourd’hui avec le souci pour
la biodiversité, le monde scientifique
reconnaît leur intérêt inestimable
pour comprendre le passé.
Ces oiseaux sont un exemple de taxidermie en peau. Ils proviennent de la collection du laboratoire de Zoologie des mammifères et oiseaux du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris.
* Pierre-Yves Gagnier est conservateur à la Grande Galerie
de l’Évolution
Muséum national d’Histoire naturelle
36 rue Geoffroy Saint-Hilaire
75005 Paris
téléphone + 33 1 40 79 39 53
télécopieur + 33 1 40 79 39 54
[email protected]
À l’âge du génome et de la molécule, la taxidermie a semblé
avoir perdu ses lettres de noblesse. L’origine moderne de la
taxidermie remonte vers les années 1650, elle était pratiquée par des médecins savants des choses de la Nature.
Aujourd’hui elle est le fait d’artistes ou d’artisans. Dans la
recherche scientifique, elle intéresse principalement les spécialistes de Mammalogie et d’Ornithologie qui, dans la plupart des cas, préparent les peaux pour la communauté scientifique sans les faire monter pour la présentation au public.
Le taxidermiste d’autrefois, comme celui qui prépare aujourd’hui des spécimens d’exposition, recrée la réalité à travers
les postures et l’expression de l’animal. Il utilise ses connaissances scientifiques et sa sensibilité. Développée à partir des
exigences des naturalistes du XVIIIe siècle, la taxidermie
s’est progressivement enrichie de l’avancée des sciences et de
l’évolution des matériaux. Employée pour les mammifères,
les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons, elle
permet de donner à un spécimen l’apparence de l’animal
vivant.
Taxidermie
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Comme dans la taxidermie ancienne, pour la taxidermie
d’exposition, on réalise généralement un mannequin à partir
d’une structure de bois et de métal, sur laquelle la peau tannée est tendue. Au XIXe siècle, les volumes des petits spécimens étaient reconstitués avec de la paille, d’où l’expression
encore employée « d’animaux empaillés ». Les formes des
grands animaux étaient recréées à partir de fibre de bois et
de plâtre à modeler. Aujourd’hui, les volumes sont sculptés
dans des matériaux plus légers : mousse de polyuréthane et
polystyrène recouvert d’une coque de résine.
La taxidermie s’inscrit dans un ensemble générique de pratiques de collections d’Histoire naturelle que l’on nomme
aujourd’hui la naturalisation. La taxidermie ne s’intéresse
qu’au travail de la peau (cuir). La naturalisation a un sens
plus large, c’est l’art de préparer des organismes (animaux,
plantes, champignons) pour les conserver durablement. Elle
fait appel à des techniques diverses adaptées aux caractéristiques du spécimen. On parle ainsi évidemment de taxidermie,
d’herbier tant de plantes que de poissons, de conservation en
liquide, que se soit alcool, formol ou autre, d’imprégnation ou
de minéralisation, de préparation à sec pour nombre d’arthropodes, etc. Dans le cas des vertébrés, les spécimens en collection se présentent sous des états variés : entiers en alcool,
squelettes, mises en peau et peaux plates avec ou sans pièces
osseuses, montages (animaux naturalisés). La taxidermie proprement dite est une technique de naturalisation, au cours de
laquelle seule la peau de l’animal est conservée avec parfois le
bec et une partie du crâne et une partie du squelette des pattes. Bien qu’elle s’applique à l’ensemble des animaux vertébrés, elle n’est guère plus utilisée que pour l’étude des mammifères et des oiseaux. Le terme de naturalisation ou d’animaux naturalisés appliqué aux vertébrés sous-entend qu’ils
ont été préparés par la taxidermie.
La taxidermie fait aussi référence à sa destination : collection
de recherche, d’études, pédagogique, muséographique… Il est
paradoxal de penser qu’à l’époque où la taxidermie avait ses
lettres de noblesse, les spécimens préparés l’étaient dans un
but d’exposition. Ils représentaient l’état de nos connaissances
de la Nature. Alors qu’aujourd’hui, où les spécimens sont
essentiellement préparés dans un but d’études et de recherches, la question de l’intérêt de la discipline est ouvertement
posée. Les montages de taxidermie qui ont fait la gloire de la
science ne sont guère plus utilisés qu’à des fins muséographiques et pédagogiques. Les muséums ont toujours joué un rôle
social important dans la divulgation de la science et les collections de montages de taxidermie sont un outil essentiel pour
créer une vitrine de la recherche en Histoire naturelle. Malgré
l’importance de l’image, celle ci ne saurait remplacer la perspective physique de l’objet, le spécimen.
Parler de l’intérêt scientifique de la taxidermie c’est d’abord
parler des collections. La taxidermie produit des spécimens
qui assemblés forment les collections. Elles sont d’une
importance fondamentale pour la connaissance. Depuis le
commencement de la conscience humaine, l’homme a rassemblé et accumulé des objets pour les classer et les préserver. Les premières évidences de « collectionnites » sont
confirmées par des vestiges archéologiques. Le « collectionnisme » a continué dans les périodes historiques jusqu’à la
naissance d’un genre moderne « la muséologie » au cours des
XVe et XVIe siècles.
Au cours de l’Histoire, la taxidermie a connu des hauts et des
bas. Nombreux sont les cycles d’intérêts pour les collections
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Taxidermie
d’animaux conservés. Aux XVIe et XVIIe siècles se fut l’accumulation de découvertes et l’inventaire des richesses lointaines. Aux XVIIIe et XIXe siècles se fut la rationalisation taxonomique ou le rangement. Aux XIXe et XXe siècles, d’une
façon plus large, pour les collections, on voit apparaître l’exploitation économique et commerciale suivie de l’instruction
populaire (Oliviero, 1996). Le regain scientifique du XXe siècle vient des nouvelles disciplines biologiques : l’Écologie, la
Biologie des populations, la Systématique cladistique ou
encore la Génétique moléculaire.
De nombreuses collections scientifiques sont en constitution
ou toujours en accroissement. Les programmes d’évaluation
de la biodiversité, mis en place au niveau mondial dans les
années 1990, tentent d’orienter la recherche vers l’identification de nouvelles espèces inconnues, vivant dans des biotopes précis, souvent en zones tropicales. Les principes de la
collecte reposent sur ceux édictés par l’Écologie scientifique,
qui ne sépare plus les animaux de leur environnement écologique global, tant minéral, que végétal ou animal.
La constitution de ces nouvelles collections à partir de territoires peu ou pas connus d’un point de vue de la systématique des espèces, oblige à retourner vers les collections plus
anciennes de référence qui permettent d’identifier les espèces déjà connues ou non. Les descriptions dans la littérature
et les figurés ne sont pas toujours suffisants et le retour à
l’objet vrai reste obligatoire. Ce fait signifie que l’analyse
scientifique des animaux qui seront mis en collections repose sur les données fournies par les collections anciennes.
Il est clair que l’intérêt des collections est tributaire des programmes de recherche, s’il n’y a pas de programme de
recherche en systématique traditionnelle, même fait avec
des moyens technologiques modernes comme les analyses
biochimiques de la systématique moléculaire, il n’y a pas
d’incitation à comparer les organismes.
La question de l’intérêt scientifique se pose donc de façon
plus générale : dans quels buts conserve-t-on les collections
de spécimens naturalisés ? Quelles sont les recherches qui
utilisent ces spécimens ? Quelles sont les fonctions des spécimens naturalisés ?
Le spécimen, élément fondateur de la classification
Beaucoup affirment que la base de la science se situe dans le
quantitatif, le dénombrement ou la mesure, c’est-à-dire dans
l’utilisation des mathématiques. Ni le dénombrement ni la
mesure ne peuvent cependant être les processus fondamentaux dans notre étude de l’univers matériel. Avant de pouvoir faire l’un ou l’autre dans n’importe quel but, vous devez
d’abord choisir ce que vous proposez de compter ou de mesurer, présupposant une classification (Crowson 1970, p. 2).
Les typologies, classification d’objets, sont des réflexions de
la pensée humaine ; elles expriment nos concepts fondamentaux sur les objets de notre univers. Chaque typologie
est une théorie se rapportant aux objets qu’elle classifie.
Appliqué au vivant, ce concept se transpose ainsi : les taxonomies sont des réflexions de la pensée humaine ; elles
expriment nos concepts fondamentaux au sujet des êtres
vivants de notre univers. Chaque taxonomie est une théorie
au sujet des créatures qu’elle classifie. Panchen (1992) rappelle que la classification des êtres vivants peut naturellement être organisée de manières différentes : par leur taille,
par leur écologie, ou par leur utilisation ou danger vis à vis
de l’homme. Par exemple, le terme « poissons » exprime la
nourriture vendue par un poissonnier, mais sa signification
est tout autre pour le taxonomiste professionnel. Le travail
du taxonomiste est de produire des classifications systématiques, des groupes d’organisations, ou, en d’autres termes,
des groupes monophylétiques (qui partagent des nouveautés
dans l’histoire de l’Évolution). La finalité de ces groupements est d’élucider leurs rapports phylogénétiques (leurs
liens de parenté). L’énoncé contient la réponse, mais ce travail ne peut se faire que par itération. La collection restant
ici l’outil de référence. L’exemple donné pour la systématique
s’applique aussi aux autres champs d’investigations contemporains de la Biologie.
Les nomenclatures utilisées en Botanique, en Zoologie et en
Microbiologie sont un élément essentiel dans la systématique,
mais elles ne font pas partie intégrante de l’investigation
scientifique. La codification des noms, introduite par Linné et
adoptée depuis par une majorité de naturalistes, a abouti aux
codes de nomenclature en usage aujourd’hui qui permettent
de communiquer entre biologistes des différents domaines.
Le but initial de ces codes a été et demeure d’assurer la stabilité des noms des taxons afin d’éviter d’introduire une
confusion inutile. Que serait devenue la communication à
propos des objets naturels si les noms qui les désignent
changeaient au gré des cultures, des auteurs ou des théories
en vigueur ? Il s’agit, par les codes de nomenclature, d’assurer aux noms scientifiques appliqués à des objets naturels,
un statut de nom propre.
Bien que la nomenclature soit souvent vue par les biologistes, non-systématiciens, comme d’un formalisme désuet,
il s’agit en réalité d’un élément majeur dans la transmission
du message. Une confusion règne parfois, aussi bien chez les
systématiciens que parmi les autres chercheurs à propos de
la notion de type. Les codes zoologiques et botaniques font
référence, pour les noms scientifiques, à des types. Ainsi un
nom d’espèce est-il attaché à un exemplaire précis ou à un
échantillon que l’on nomme type (selon le cas, holotype, cotype ou lectotype, voir encadré). L’espèce ne peut validement
Le type ou l’objet porte nom
L’attribution d’un nom unique et distinct qui permet d’identifier chacun des animaux commence dans son sens moderne en 1758. C’est cette année-là que le naturaliste suédois
Carolus Linnaeus (anobli en 1761 sous le nom de Carl von
Linné) publia la 10e édition de son Systema Naturae. Il étend
une procédure uniformisée pour les animaux que certains
avaient utilisés pour des groupes restreints et que lui-même
avait utilisé précédemment en l’élevant au niveau de règle
pour les plantes. L’idée était que chaque espèce puisse être
identifiée par un nom simplifié fait d’un seul mot et d’un
nom générique. L’utilisation de la nomenclature binomiale
fut rapidement acceptée pour son aspect pratique.
Le type représente l’étalon de référence qui détermine l’application d’un nom scientifique. Le type d’une espèce nominale est un spécimen. Le type d’un taxon est fixé conformément au code international de nomenclature zoologique
(Stoll et al. 1961) et donc seule la commission de nomenclature a le pouvoir de le modifier. Lorsque l’objet portenom et les autres spécimens qui lui ont été adjoints sont
détruits, un néotype peut être désigné.
La série-type est l’ensemble des spécimens utilisés pour la
description d’une nouvelle espèce à l’exclusion des spécimens désignés comme variants ou d’attribution incertaine.
Le spécimen étalon, celui qui est porte-nom, est nommé
holotype : il est unique. Tous les autres spécimens de la
série-type sont dits paratypes. Si dans la description originale aucun spécimen n’est désigné comme étant l’holotype, la
série-type est désignée sous le nom de syntype. Alors tout
zoologiste est habilité à désigner un des syntypes pour
représenter l’espèce, ce spécimen est nommé lectotype et
donc les autres paralectotypes.
L’article 72 f du code de nomenclature (Stoll et al. 1961)
signale que les holotypes, syntypes, lectotypes et néotypes
doivent être considérés comme la propriété de la science
par tous les zoologistes et par les responsables de leur
conservation.
Le
rhinocéros
de
Java,
Rhinoceros sondaicus, que
l’on retrouve dans une grande partie du Sud-Est asiatique est maintenant en danger d’extinction. Ce
spécimen, récolté par Diard et
Duvaucel en 1821, a été décrit pour
la première fois représentant cette
espèce par Desmarest en 1822. Il
est le type de l’espèce, c’est-à-dire,
le spécimen par lequel le nom a une
existence. Il est conservé au
Muséum national d’Histoire naturelle (C.G. 1981.561).
Taxidermie
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être nommée que si elle est accompagnée par ailleurs d’une
définition. Il s’ensuit fréquemment une confusion entre le
type et la définition de l’espèce, ce qui conduit à une conception fixiste ou essentialiste. Le type est un objet immuable,
alors que la définition de ce taxon est subjective et susceptible d’être changée.
En réalité, le type tel qu’il est conçu dans la littérature scientifique actuelle n’est pas un concept. Il s’agit bien d’un exemplaire réel, attestant que le nom (qui est, de fait, un nom propre) est bien attaché à un objet concret. Ainsi, le type du rhinocéros de Java, Rhinoceros sondaicus, est le spécimen
numéroté CG 1981 561 des collections du Muséum national
d’Histoire naturelle à Paris mais l’espèce est un concept qui
regroupe tous les rhinocéros qui correspondent à ce spécimen CG 1981 561.
Par extension, les systématiciens définissent pour chaque
catégorie supérieure à l’espèce un type : l’espèce type d’un
genre, le genre-type d’une famille. Dans ces cas, il s’agit
effectivement de concepts et non pas d’objets matériels. Ce
n’est pas l’espèce type qui définit le genre ni le genre-type
qui définit la famille. Ils constituent, comme l’exemplaire (ou
les exemplaires) type de l’espèce, des preuves de la réalité
d’un contenu objectif de ces catégories supra-spécifiques.
cause les études morphométriques (Williams, Wallace, &
Jones 1993).
Les spécimens naturalisés conservent
des informations utilisables pour la recherche
L’importance qu’a représentée la taxidermie pour la recherche
scientifique reste d’actualité dans les nouveaux thèmes d’étude (tableau 1). Elle demeure un élément majeur de la
conservation des sources d’informations que sont les animaux
prélevés dans la nature. La recherche qui utilise ces collections de vertébrés supérieurs naturalisés peut se répartir
dans les disciplines liées à l’Environnement avec l’Écologie et
celles liées à la Biodiversité avec la Systématique et Biologie
des organismes. Mis à part la Systématique qui ne s’intéresse
pas aux caractères quantitatifs des collections, l’ensemble des
autres domaines de recherches utilise les collections tant du
point de vue qualitatif, quantitatif qu’analytique.
La taxidermie reste dans certains secteurs de la Biologie un
outil primordial. Alors que pour l’Ichtyologie, les herbiers de
poissons ne sont plus à l’heure actuelle qu’une curiosité historique, les spécimens étant majoritairement conservés dans
des liquides conservateurs. Il en va tout autrement en
Mammalogie et en Ornithologie où les spécimens naturalisés
restent un élément essentiel à la Systématique.
Aujourd’hui la recherche demande au taxidermiste de produire des animaux en peau, c’est-à-dire que la peau prélevée
est tannée pour être conservée, comme pour un montage
naturaliste, mais il n’est pas question de recréer l’aspect de
la vie. Le spécimen est simplement rempli d’ouate afin de
conserver un volume à l’animal. Cette technique permet au
chercheur d’avoir accès à l’ensemble des données qualitatives comme la couleur et certaines valeurs quantitatives
comme les mesures morphologiques. Il n’en demeure pas
moins essentiel de conserver un témoignage de la forme du
vivant, une mémoire tridimensionnelle, ce qui ne se voit pas
sur les peaux. Dans tous les cas se pose cependant la question de la fiabilité des valeurs quantitatives de morphométrie qui peuvent être extraites de tels spécimens. Le spécimen naturalisé est-il porteur d’informations fiables pour la
recherche ? Une étude menée sur le rétrécissement des fibres de collagène, constituant une grande partie du cuir,
sous l’effet de la température a simulé des effets directs ou
indirects subits par les spécimens des collections biologiques
de recherche. Ses résultats montrent qu’il existe un phénomène de rétrécissement de faible ampleur et proportionnel à
la surface du spécimen (Williams 1991). De la même façon
pour simuler les conditions hygrométriques rencontrées
dans les collections, une série de crânes de mammifères a été
mesurée à 25 % et 85 % d’humidité relative. Les résultats
montrent qu’il existe une variabilité mais que celle-ci se
situe en deçà de la variabilité individuelle et ne remet pas en
48
Taxidermie
Les collections sont une base de connaissances
Les collections existantes de tous les groupes de vertébrés
restent une base de connaissances inestimable pour la
science. Longtemps les spécimens naturalisés ont été considérés comme une ressource renouvelable mais de plus en
plus ces spécimens sont considérés comme les témoins d’un
lieu et d’une époque et constituent des sources de connaissances à exploiter. Les collections sont la mémoire des changements intervenus aussi bien dans les milieux naturels que
modifiés. Ainsi, la Biogéochimie isotopique (voir encadré)
permet de comprendre les relations des animaux avec leur
environnement d’un point de vue analytique. Elle permet
d’établir si les animaux étudiés ont eu des relations d’ordre
alimentaire avec des milieux marins ou dulçaquicoles ou
encore entre milieux forestiers et de savanes. Ceci est rendu
possible par l’absorption différentielle d’isotope stable dans
les différents cycles des plantes qui ont été consommées soit
par les herbivores, soit par les carnivores de premier niveau
ou de niveaux supérieurs.
Environnement
Une autre approche est l’évolution avérée du paysage. Ainsi,
au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les espaces ont
Environnement
Biodiversité
Science sociale
Science de la nature
Phylogénie
Systématique
Écologie
Écologie
Écologie
Agronomie
Agronomie
Agronomie
Biogéographie
Biogéographie
Toxicologie
Ethnobiologie
L’Environnement et la Biodiversité sont des champs de recherches scientifiques imbriqués par un ensemble de disciplines qui
utilisent les collections d’Histoire naturelle.
connu une évolution rapide grâce aux progrès techniques
réalisés en agriculture, occasionnant une intensification de
la production qui a conduit au remembrement. Cette évolution a provoqué une prise de conscience de l’impact et la
création d’espaces protégés à proximité des espaces exploités. L’Écologie, la Géographie et l’Agronomie s’ouvrent
dès lors aux enjeux de l’environnement avec une attention
permanente à l’analyse des activités humaines et de leurs
déterminants. Les spécimens des collectes antérieures sur
ces lieux sont les témoins de cette évolution, tant qualitative,
quantitative qu’analytique. Toujours dans ce contexte,
l’Ethnobiologie, qui se situe d’emblée au croisement de ces
disciplines complémentaires, apporte des clés de compréhension des interactions nature-sociétés. Les collections sont
une référence et permettent l’identification des changements
naturels intervenus au cours du temps. Elles sont donc au
cœur des enjeux de la Biodiversité pour l’utilisation des ressources biologiques. La nécessité d’analyser, de valoriser, de
conserver le patrimoine naturel sont de plus en plus reconnus comme la base d’un développement durable des sociétés
humaines (Raven 1998). Ces ressources représentent une
base de connaissance qui vient en soutien de nombreux services de l’Écologie.
Plus spécifiquement, pour l’Écologie dans ses deux composantes, l’Écologie évolutive et l’Écologie fonctionnelle, la
taxidermie est toujours une source de connaissances.
L’Écologie évolutive qui repose sur la génétique et la dynamique des populations et des communautés utilise les ressources de la taxidermie pour la recherche sur la systémati-
que et l’évolution de la diversité du vivant, la Biologie intégrée des organismes ou la diversité de leurs plans d’organisation, leur comportement ou la dynamique des populations
et des écosystèmes. De manière moins directe, l’Écologie
fonctionnelle, utilise les collections pour étudier les mécanismes d’adaptation aux contraintes du milieu, la gestion des
peuplements et la recherche des grands cycles biogéochimiques et des changements globaux.
La taxidermie peut être utilisée dans de nombreux autres
domaines de l’Environnement, par exemple l’Éco-toxicologie,
qui s’intéressent aux effets néfastes des composés chimiques.
Nombreux sont ces composés chimiques, comme les pesticides, qui laissent des traces résiduelles plus ou moins
dégradées sur les dépouilles des animaux naturalisés.
Biodiversité
Ces dernières années, le développement de nouveaux
concepts et l’extension de techniques d’analyses moléculaires et informatiques appropriées ont permis un regard nouveau sur les disciplines liées à la Biodiversité. Comme pour
l’Environnement, la taxidermie à travers les collections, joue
un rôle primordial principalement basé sur la notion d’inventaire. La compréhension de cette évolution implique la
coopération de plusieurs disciplines. La diversité biologique
est le résultat d’une histoire au cours de laquelle les mécanismes de l’évolution ont opéré. En conséquence, la taxidermie, comme élément constituant de collections, est essentielle à la gestion de la Biodiversité permettant un traite-
Diversité
Bénéficiaires
Rôle des collections
Avantage Économique
Organismes
Industrie de la biodiversité
Découvrir l’histoire biologique
dans la composition et
les relations de la biodiversité
des organismes
Richesse et allégement
de la douleur humaine
Organismes
Santé humaine
La connaissance et le contrôle
des maladies
Richesse et allégement
de la douleur humaine
Organismes
Agriculture
Découverte de
nouvelles possibilités
Nourriture et richesse
Organismes/
Écologie
Économie et esthétisme
La connaissance et le maintien
des ressources naturelles
Richesse et efficacité économique
(en procurant du repos et
de la récupération)
Écologique
Services de qualité
de l’environnement
Surveillance et mesures
écologiques
Stabilité atmosphérique,
eau potable, sols fertiles
Écologique
Intégrité des écosystèmes
et stabilité économique
Engrenage de la biodiversité
des organismes et écologique
Réduire au minimum les impacts
des perturbations sur
les écosystèmes et les marchés
Illustration de raisons pour lesquelles les collections sont essentielles pour établir et conserver la connaissance des paysages écologiques, dans le cadre du maintien d’économies nationales ou régionales. Cet argument repose sur l’axiome qu’une connaissance de la biodiversité suffisamment représentative et fiable crée la richesse, maintient la qualité de la vie, et peut-être d’une manière primordiale, soutient l’intégrité des paysages écologiques dans lesquels les sociétés existent. (modifié de Cotterill, 1996).
Taxidermie
49
ment des données biologiques de manière comparative.
L’analyse de la Biodiversité est fondée
sur une approche phylogénétique de la
Systématique, utilisant aussi bien les
outils morphologiques que moléculaires.
Les outils morphologiques comme la
Morphométrie ou l’Anatomie comparée
font appel de façon classique à la taxidermie. Les progrès de la Biologie par
ses approches évolutionnistes et écologiques permettent de mieux comprendre et surtout d’appréhender les
mécanismes d’émergence, de maintien
et d’évolution de la diversité biologique.
Les spécimens naturalisés qui ont servi
au recensement du vivant permettent
aujourd’hui d’aborder le vivant simultanément dans son unité et dans sa
diversité.
La taxidermie est un élément fondateur
de la recherche scientifique en Histoire
naturelle. Elle continue de produire des
acquis culturels contenus dans les collections biologiques des musées d’Histoire naturelle. Ces collections sont l’une
des meilleures manières de maintenir le
lien direct entre la société humaine et
son environnement. Ce rapport datant
de milliers d’années fait maintenant
face à un sérieux danger, celui de la distance progressive et croissante de l’homme et de son habitat. La taxidermie, par
les collections produites permet à l’homme moderne, si intéressé à repousser les
frontières de la technologie, de mainte-
50
Taxidermie
nir le lien phylogénétique fort qui existe
avec son environnement.
La préservation de ce rapport culturel
intrinsèque entre l’homme et son environnement est principalement réalisée
par les musées d’Histoire naturelle qui
conservent et accroissent leurs immenses
collections historiques et modernes.
C’est incontestablement dans le patrimoine historique que l’on retrouve une
source irremplaçable d’informations.
Malgré les développements fulgurants
de la recherche scientifique, de nombreuses données ne sont plus aujourd’hui disponibles que dans ces collections. Nombre d’espèces disparues ne
sont de nos jours connues que grâce aux
derniers spécimens conservés dans les
musées. Les incidences sur l’environnement, provoquées par l’espèce humaine
principalement au cours des derniers 4
ou 5 siècles, ont été si fortes et impressionnantes que les effets de changements globaux sur la distribution de la
Biodiversité sont quotidiens. Dans beaucoup de cas, les seules informations biologiques accessibles des environnements
passés doivent être trouvées dans des
collections de musées. La taxidermie, en
plus de son rôle patrimonial, a toujours
une importance scientifique pour la
compréhension de la nature et de
l’Environnement.
n
Je tiens à remercier Annick Abourachid
et Anne Nivart ainsi que Jacques
Maigret pour les relectures constructives
de cet article.
Bibliographie
Cotterill, F.-P.-D. The socio-economic values
of biodiversity collections and the challenges
of measuring organismal and ecological biodiversity. Cambridge : second world congress
on natural science collections, 1996, pp. 1-17.
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London : Heinemann, 1970, 350 p.
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l’Environnement, 1996, 271 p.
Panchen, A.-L. Classification, evolution, and
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Committee of Advisers on Science and
Technology (PCAST), 1998.
Stoll, N.-R., Dollfus R.-P., Forest J., Riley N.D., Wright C.-W. et Melville R.-V. Code international de nomenclature zoologique.
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Williams, S.-L., Wallace A.-M. et Jones C.
Effect of relative humidity on cranial dimensions of mammals. SPNHC (éd.) Collection
Forum, 9 (1), 1993.
Les documents taxidermiques :
un support pour la Biogéochimie isotopique
appliquée à l’Écologie et à la Paléoécologie
La Biogéochimie isotopique est utilisée en Écologie et en Paléoécologie
depuis la fin des années 1970 (1). En
effet, les signatures isotopiques en
hydrogène (D/H), carbone (13C/12C),
azote (15N/14N), oxygène (18O/16/O)
et soufre (34S/32S) des matières organiques permettent de caractériser l’origine des nourritures et des eaux
consommées par les animaux, notamment de distinguer celles d’origine
marine, dulçaquicole, terrestre forestier ou savane. Il est aussi possible de
replacer des animaux à leur niveau
trophique au sein d’une chaîne alimentaire. Ces signatures isotopiques
peuvent être mesurées sur les tissus
organiques anciens contenus dans les
documents taxidermiques (peaux,
poils, plumes, cornes, os, dents…).
Comme elles ont été enregistrées à
l’échelle de l’individu en fonction de
ses conditions de vie, il est possible
d’effectuer des comparaisons entre
spécimens géographiquement ou
chronologiquement distants, et donc
d’évaluer des changements environnementaux ou comportementaux qui
sont intervenus au sein d’espèces.
Les documents taxidermiques peuvent
ainsi fournir le support d’une information isotopique pour des espèces ou des
populations éteintes ayant modifié
leur environnement ou leur comportement alimentaire, en liaison avec
des modifications de l’environnement
naturelles ou anthropiques. Du point
de vue méthodologique, il est préférable de travailler sur des tissus bien
identifiés biochimiquement, tels que
collagène ou kératine, ce qui permet
d’éliminer d’éventuels traitements de
conservation et de s’affranchir des différences isotopiques entre tissus d’un
même individu (2).
Par exemple, l’approche isotopique a
permis d’étudier l’impact des barrages sur la migration des saumons
dans les rivières et sur l’alimentation
des ours bruns de la côte Pacifique
nord-américaine à partir des signa-
tures de collagène osseux et de poils
datant de 1890 à 1931 (3). Il a également été possible de déterminer le
régime alimentaire du grand pingouin, espèce aujourd’hui éteinte, à
partir des signatures isotopiques de
son collagène osseux (4). Un apport
tout à fait intéressant de l’analyse isotopique des phanères, poils ou plumes, est lié à leur mode de croissance
qui permet d’accéder à d’éventuels
changements alimentaires au cours
de leur période de formation (5). Ainsi,
il a été possible de reconnaître des
changements saisonniers de nourritures pour des humains momifiés du
Soudan à partir d’analyses isotopiques effectuées le long de leurs cheveux (6). Des changements saisonniers
ont également été mis en évidence par
l’analyse isotopique de couches de
croissance de fanons de baleines (7).
Un autre type de matériel intéressant
pour des études similaires est constitué par les étuis cornés de bovidés (8).
Il apparaît donc que les documents
taxidermiques constituent un support
sous-exploité, très riche d’informations paléoécologiques sous la forme
de signatures isotopiques. Quand ces
restes ont une origine spécifique, géographique et chronologique bien établie, ils représentent des archives de
valeur inestimable qui devraient permettre de préciser la situation paléoécologique des individus auxquels ils
correspondent, et qui pourraient être
intégrés aux études sur les variations
de la biodiversité au cours des périodes passées.
n
Notes
(1) Bocherens H. Isotopes stables et
reconstitution du régime alimentaire des
hominidés fossiles, Bulletins et Mémoires
de la Société d’Anthropologie de Paris,
n° 11, tome 3/4, 1999, pp. 261-287.
(2) Bocherens H., Pacaud G., Lazarev P. et
Mariotti A. Stable isotopes abundances
(13C, 15N) in collagen and soft tissues
from Pleistocene mammals from Yakutia.
Implication for the paleobiology of mammoth steppe, Paleogeography, Paleoclimatology, Paleoecology, n° 126, tome
1/2, 1996, pp. 31-44.
(3) Hilderbrand G.-V., Farley S., Robbins
C.-T., Hanley T.-A., Titus K. et Servheen C.
Use of stable isotopes to determine diets of
living and extinct bears, Canadian
Journal of Zoology, n° 74, 1996, pp. 20802088.
(4) Hobson K.-A. et Montevecchi W.-A.
Stable isotopic déterminations of trophic
relations hip of grat auks, Oecologia, n° 87,
1991, pp. 528-531.
(5) Jones R.-J., Ludlow M.-M., Troughton
J.-H. et Blunt C.-G. Changes in the naturel carbon isotope ratios of the hair
frommsteers fed of C4, C3 and C4 species
in sequence, Search n° 12, tome 3/4, 1981,
pp. 85-87.
(6) White C.-D. Isotopic determination of
seasonality in diet and death from Nubian
mummy hair, Journal of Archaeological
Science, n° 20, 1993, pp. 657-666.
(7) Schell D.-M., Saupe S.-M. et
Haubenstock N. Natutral isotope abundances in Bowhead Whale baleen : makers
of aging and habitat usage, Ecological
Studies, n° 88, 1988.
(8) Iacumin P., Bocherens H. et Chaix L. C
and N stable isotope ratios of fossil cattle
kératine horn from Kerma (Sudan) : a
record of diergol changes, Il Quaternario,
Italian journal of International Science
(sous presse).
Hervé Bocherens
chercheur au laboratoire de
Paléoécologie à l’institut des sciences
de l’Évolution,
université de Montpellier II
Place Eugène Bataillon
Case courrier 064
34095 Montpellier cedex 5
téléphone + 33 4 67 14 32 60
[email protected]
Taxidermie
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