La taxidermie, toujours au service de la recherche scientifique Pierre-Yves Gagnier * La taxidermie a toujours été d’un grand intérêt pour la recherche. Toutefois son image dans les milieux scientifiques au cours du XXe siècle a été mésestimée car les collections d’Histoire naturelle ont été associées à la notion d’objets renouvelables. Aujourd’hui avec le souci pour la biodiversité, le monde scientifique reconnaît leur intérêt inestimable pour comprendre le passé. Ces oiseaux sont un exemple de taxidermie en peau. Ils proviennent de la collection du laboratoire de Zoologie des mammifères et oiseaux du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris. * Pierre-Yves Gagnier est conservateur à la Grande Galerie de l’Évolution Muséum national d’Histoire naturelle 36 rue Geoffroy Saint-Hilaire 75005 Paris téléphone + 33 1 40 79 39 53 télécopieur + 33 1 40 79 39 54 [email protected] À l’âge du génome et de la molécule, la taxidermie a semblé avoir perdu ses lettres de noblesse. L’origine moderne de la taxidermie remonte vers les années 1650, elle était pratiquée par des médecins savants des choses de la Nature. Aujourd’hui elle est le fait d’artistes ou d’artisans. Dans la recherche scientifique, elle intéresse principalement les spécialistes de Mammalogie et d’Ornithologie qui, dans la plupart des cas, préparent les peaux pour la communauté scientifique sans les faire monter pour la présentation au public. Le taxidermiste d’autrefois, comme celui qui prépare aujourd’hui des spécimens d’exposition, recrée la réalité à travers les postures et l’expression de l’animal. Il utilise ses connaissances scientifiques et sa sensibilité. Développée à partir des exigences des naturalistes du XVIIIe siècle, la taxidermie s’est progressivement enrichie de l’avancée des sciences et de l’évolution des matériaux. Employée pour les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons, elle permet de donner à un spécimen l’apparence de l’animal vivant. Taxidermie 45 Comme dans la taxidermie ancienne, pour la taxidermie d’exposition, on réalise généralement un mannequin à partir d’une structure de bois et de métal, sur laquelle la peau tannée est tendue. Au XIXe siècle, les volumes des petits spécimens étaient reconstitués avec de la paille, d’où l’expression encore employée « d’animaux empaillés ». Les formes des grands animaux étaient recréées à partir de fibre de bois et de plâtre à modeler. Aujourd’hui, les volumes sont sculptés dans des matériaux plus légers : mousse de polyuréthane et polystyrène recouvert d’une coque de résine. La taxidermie s’inscrit dans un ensemble générique de pratiques de collections d’Histoire naturelle que l’on nomme aujourd’hui la naturalisation. La taxidermie ne s’intéresse qu’au travail de la peau (cuir). La naturalisation a un sens plus large, c’est l’art de préparer des organismes (animaux, plantes, champignons) pour les conserver durablement. Elle fait appel à des techniques diverses adaptées aux caractéristiques du spécimen. On parle ainsi évidemment de taxidermie, d’herbier tant de plantes que de poissons, de conservation en liquide, que se soit alcool, formol ou autre, d’imprégnation ou de minéralisation, de préparation à sec pour nombre d’arthropodes, etc. Dans le cas des vertébrés, les spécimens en collection se présentent sous des états variés : entiers en alcool, squelettes, mises en peau et peaux plates avec ou sans pièces osseuses, montages (animaux naturalisés). La taxidermie proprement dite est une technique de naturalisation, au cours de laquelle seule la peau de l’animal est conservée avec parfois le bec et une partie du crâne et une partie du squelette des pattes. Bien qu’elle s’applique à l’ensemble des animaux vertébrés, elle n’est guère plus utilisée que pour l’étude des mammifères et des oiseaux. Le terme de naturalisation ou d’animaux naturalisés appliqué aux vertébrés sous-entend qu’ils ont été préparés par la taxidermie. La taxidermie fait aussi référence à sa destination : collection de recherche, d’études, pédagogique, muséographique… Il est paradoxal de penser qu’à l’époque où la taxidermie avait ses lettres de noblesse, les spécimens préparés l’étaient dans un but d’exposition. Ils représentaient l’état de nos connaissances de la Nature. Alors qu’aujourd’hui, où les spécimens sont essentiellement préparés dans un but d’études et de recherches, la question de l’intérêt de la discipline est ouvertement posée. Les montages de taxidermie qui ont fait la gloire de la science ne sont guère plus utilisés qu’à des fins muséographiques et pédagogiques. Les muséums ont toujours joué un rôle social important dans la divulgation de la science et les collections de montages de taxidermie sont un outil essentiel pour créer une vitrine de la recherche en Histoire naturelle. Malgré l’importance de l’image, celle ci ne saurait remplacer la perspective physique de l’objet, le spécimen. Parler de l’intérêt scientifique de la taxidermie c’est d’abord parler des collections. La taxidermie produit des spécimens qui assemblés forment les collections. Elles sont d’une importance fondamentale pour la connaissance. Depuis le commencement de la conscience humaine, l’homme a rassemblé et accumulé des objets pour les classer et les préserver. Les premières évidences de « collectionnites » sont confirmées par des vestiges archéologiques. Le « collectionnisme » a continué dans les périodes historiques jusqu’à la naissance d’un genre moderne « la muséologie » au cours des XVe et XVIe siècles. Au cours de l’Histoire, la taxidermie a connu des hauts et des bas. Nombreux sont les cycles d’intérêts pour les collections 46 Taxidermie d’animaux conservés. Aux XVIe et XVIIe siècles se fut l’accumulation de découvertes et l’inventaire des richesses lointaines. Aux XVIIIe et XIXe siècles se fut la rationalisation taxonomique ou le rangement. Aux XIXe et XXe siècles, d’une façon plus large, pour les collections, on voit apparaître l’exploitation économique et commerciale suivie de l’instruction populaire (Oliviero, 1996). Le regain scientifique du XXe siècle vient des nouvelles disciplines biologiques : l’Écologie, la Biologie des populations, la Systématique cladistique ou encore la Génétique moléculaire. De nombreuses collections scientifiques sont en constitution ou toujours en accroissement. Les programmes d’évaluation de la biodiversité, mis en place au niveau mondial dans les années 1990, tentent d’orienter la recherche vers l’identification de nouvelles espèces inconnues, vivant dans des biotopes précis, souvent en zones tropicales. Les principes de la collecte reposent sur ceux édictés par l’Écologie scientifique, qui ne sépare plus les animaux de leur environnement écologique global, tant minéral, que végétal ou animal. La constitution de ces nouvelles collections à partir de territoires peu ou pas connus d’un point de vue de la systématique des espèces, oblige à retourner vers les collections plus anciennes de référence qui permettent d’identifier les espèces déjà connues ou non. Les descriptions dans la littérature et les figurés ne sont pas toujours suffisants et le retour à l’objet vrai reste obligatoire. Ce fait signifie que l’analyse scientifique des animaux qui seront mis en collections repose sur les données fournies par les collections anciennes. Il est clair que l’intérêt des collections est tributaire des programmes de recherche, s’il n’y a pas de programme de recherche en systématique traditionnelle, même fait avec des moyens technologiques modernes comme les analyses biochimiques de la systématique moléculaire, il n’y a pas d’incitation à comparer les organismes. La question de l’intérêt scientifique se pose donc de façon plus générale : dans quels buts conserve-t-on les collections de spécimens naturalisés ? Quelles sont les recherches qui utilisent ces spécimens ? Quelles sont les fonctions des spécimens naturalisés ? Le spécimen, élément fondateur de la classification Beaucoup affirment que la base de la science se situe dans le quantitatif, le dénombrement ou la mesure, c’est-à-dire dans l’utilisation des mathématiques. Ni le dénombrement ni la mesure ne peuvent cependant être les processus fondamentaux dans notre étude de l’univers matériel. Avant de pouvoir faire l’un ou l’autre dans n’importe quel but, vous devez d’abord choisir ce que vous proposez de compter ou de mesurer, présupposant une classification (Crowson 1970, p. 2). Les typologies, classification d’objets, sont des réflexions de la pensée humaine ; elles expriment nos concepts fondamentaux sur les objets de notre univers. Chaque typologie est une théorie se rapportant aux objets qu’elle classifie. Appliqué au vivant, ce concept se transpose ainsi : les taxonomies sont des réflexions de la pensée humaine ; elles expriment nos concepts fondamentaux au sujet des êtres vivants de notre univers. Chaque taxonomie est une théorie au sujet des créatures qu’elle classifie. Panchen (1992) rappelle que la classification des êtres vivants peut naturellement être organisée de manières différentes : par leur taille, par leur écologie, ou par leur utilisation ou danger vis à vis de l’homme. Par exemple, le terme « poissons » exprime la nourriture vendue par un poissonnier, mais sa signification est tout autre pour le taxonomiste professionnel. Le travail du taxonomiste est de produire des classifications systématiques, des groupes d’organisations, ou, en d’autres termes, des groupes monophylétiques (qui partagent des nouveautés dans l’histoire de l’Évolution). La finalité de ces groupements est d’élucider leurs rapports phylogénétiques (leurs liens de parenté). L’énoncé contient la réponse, mais ce travail ne peut se faire que par itération. La collection restant ici l’outil de référence. L’exemple donné pour la systématique s’applique aussi aux autres champs d’investigations contemporains de la Biologie. Les nomenclatures utilisées en Botanique, en Zoologie et en Microbiologie sont un élément essentiel dans la systématique, mais elles ne font pas partie intégrante de l’investigation scientifique. La codification des noms, introduite par Linné et adoptée depuis par une majorité de naturalistes, a abouti aux codes de nomenclature en usage aujourd’hui qui permettent de communiquer entre biologistes des différents domaines. Le but initial de ces codes a été et demeure d’assurer la stabilité des noms des taxons afin d’éviter d’introduire une confusion inutile. Que serait devenue la communication à propos des objets naturels si les noms qui les désignent changeaient au gré des cultures, des auteurs ou des théories en vigueur ? Il s’agit, par les codes de nomenclature, d’assurer aux noms scientifiques appliqués à des objets naturels, un statut de nom propre. Bien que la nomenclature soit souvent vue par les biologistes, non-systématiciens, comme d’un formalisme désuet, il s’agit en réalité d’un élément majeur dans la transmission du message. Une confusion règne parfois, aussi bien chez les systématiciens que parmi les autres chercheurs à propos de la notion de type. Les codes zoologiques et botaniques font référence, pour les noms scientifiques, à des types. Ainsi un nom d’espèce est-il attaché à un exemplaire précis ou à un échantillon que l’on nomme type (selon le cas, holotype, cotype ou lectotype, voir encadré). L’espèce ne peut validement Le type ou l’objet porte nom L’attribution d’un nom unique et distinct qui permet d’identifier chacun des animaux commence dans son sens moderne en 1758. C’est cette année-là que le naturaliste suédois Carolus Linnaeus (anobli en 1761 sous le nom de Carl von Linné) publia la 10e édition de son Systema Naturae. Il étend une procédure uniformisée pour les animaux que certains avaient utilisés pour des groupes restreints et que lui-même avait utilisé précédemment en l’élevant au niveau de règle pour les plantes. L’idée était que chaque espèce puisse être identifiée par un nom simplifié fait d’un seul mot et d’un nom générique. L’utilisation de la nomenclature binomiale fut rapidement acceptée pour son aspect pratique. Le type représente l’étalon de référence qui détermine l’application d’un nom scientifique. Le type d’une espèce nominale est un spécimen. Le type d’un taxon est fixé conformément au code international de nomenclature zoologique (Stoll et al. 1961) et donc seule la commission de nomenclature a le pouvoir de le modifier. Lorsque l’objet portenom et les autres spécimens qui lui ont été adjoints sont détruits, un néotype peut être désigné. La série-type est l’ensemble des spécimens utilisés pour la description d’une nouvelle espèce à l’exclusion des spécimens désignés comme variants ou d’attribution incertaine. Le spécimen étalon, celui qui est porte-nom, est nommé holotype : il est unique. Tous les autres spécimens de la série-type sont dits paratypes. Si dans la description originale aucun spécimen n’est désigné comme étant l’holotype, la série-type est désignée sous le nom de syntype. Alors tout zoologiste est habilité à désigner un des syntypes pour représenter l’espèce, ce spécimen est nommé lectotype et donc les autres paralectotypes. L’article 72 f du code de nomenclature (Stoll et al. 1961) signale que les holotypes, syntypes, lectotypes et néotypes doivent être considérés comme la propriété de la science par tous les zoologistes et par les responsables de leur conservation. Le rhinocéros de Java, Rhinoceros sondaicus, que l’on retrouve dans une grande partie du Sud-Est asiatique est maintenant en danger d’extinction. Ce spécimen, récolté par Diard et Duvaucel en 1821, a été décrit pour la première fois représentant cette espèce par Desmarest en 1822. Il est le type de l’espèce, c’est-à-dire, le spécimen par lequel le nom a une existence. Il est conservé au Muséum national d’Histoire naturelle (C.G. 1981.561). Taxidermie 47 être nommée que si elle est accompagnée par ailleurs d’une définition. Il s’ensuit fréquemment une confusion entre le type et la définition de l’espèce, ce qui conduit à une conception fixiste ou essentialiste. Le type est un objet immuable, alors que la définition de ce taxon est subjective et susceptible d’être changée. En réalité, le type tel qu’il est conçu dans la littérature scientifique actuelle n’est pas un concept. Il s’agit bien d’un exemplaire réel, attestant que le nom (qui est, de fait, un nom propre) est bien attaché à un objet concret. Ainsi, le type du rhinocéros de Java, Rhinoceros sondaicus, est le spécimen numéroté CG 1981 561 des collections du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris mais l’espèce est un concept qui regroupe tous les rhinocéros qui correspondent à ce spécimen CG 1981 561. Par extension, les systématiciens définissent pour chaque catégorie supérieure à l’espèce un type : l’espèce type d’un genre, le genre-type d’une famille. Dans ces cas, il s’agit effectivement de concepts et non pas d’objets matériels. Ce n’est pas l’espèce type qui définit le genre ni le genre-type qui définit la famille. Ils constituent, comme l’exemplaire (ou les exemplaires) type de l’espèce, des preuves de la réalité d’un contenu objectif de ces catégories supra-spécifiques. cause les études morphométriques (Williams, Wallace, & Jones 1993). Les spécimens naturalisés conservent des informations utilisables pour la recherche L’importance qu’a représentée la taxidermie pour la recherche scientifique reste d’actualité dans les nouveaux thèmes d’étude (tableau 1). Elle demeure un élément majeur de la conservation des sources d’informations que sont les animaux prélevés dans la nature. La recherche qui utilise ces collections de vertébrés supérieurs naturalisés peut se répartir dans les disciplines liées à l’Environnement avec l’Écologie et celles liées à la Biodiversité avec la Systématique et Biologie des organismes. Mis à part la Systématique qui ne s’intéresse pas aux caractères quantitatifs des collections, l’ensemble des autres domaines de recherches utilise les collections tant du point de vue qualitatif, quantitatif qu’analytique. La taxidermie reste dans certains secteurs de la Biologie un outil primordial. Alors que pour l’Ichtyologie, les herbiers de poissons ne sont plus à l’heure actuelle qu’une curiosité historique, les spécimens étant majoritairement conservés dans des liquides conservateurs. Il en va tout autrement en Mammalogie et en Ornithologie où les spécimens naturalisés restent un élément essentiel à la Systématique. Aujourd’hui la recherche demande au taxidermiste de produire des animaux en peau, c’est-à-dire que la peau prélevée est tannée pour être conservée, comme pour un montage naturaliste, mais il n’est pas question de recréer l’aspect de la vie. Le spécimen est simplement rempli d’ouate afin de conserver un volume à l’animal. Cette technique permet au chercheur d’avoir accès à l’ensemble des données qualitatives comme la couleur et certaines valeurs quantitatives comme les mesures morphologiques. Il n’en demeure pas moins essentiel de conserver un témoignage de la forme du vivant, une mémoire tridimensionnelle, ce qui ne se voit pas sur les peaux. Dans tous les cas se pose cependant la question de la fiabilité des valeurs quantitatives de morphométrie qui peuvent être extraites de tels spécimens. Le spécimen naturalisé est-il porteur d’informations fiables pour la recherche ? Une étude menée sur le rétrécissement des fibres de collagène, constituant une grande partie du cuir, sous l’effet de la température a simulé des effets directs ou indirects subits par les spécimens des collections biologiques de recherche. Ses résultats montrent qu’il existe un phénomène de rétrécissement de faible ampleur et proportionnel à la surface du spécimen (Williams 1991). De la même façon pour simuler les conditions hygrométriques rencontrées dans les collections, une série de crânes de mammifères a été mesurée à 25 % et 85 % d’humidité relative. Les résultats montrent qu’il existe une variabilité mais que celle-ci se situe en deçà de la variabilité individuelle et ne remet pas en 48 Taxidermie Les collections sont une base de connaissances Les collections existantes de tous les groupes de vertébrés restent une base de connaissances inestimable pour la science. Longtemps les spécimens naturalisés ont été considérés comme une ressource renouvelable mais de plus en plus ces spécimens sont considérés comme les témoins d’un lieu et d’une époque et constituent des sources de connaissances à exploiter. Les collections sont la mémoire des changements intervenus aussi bien dans les milieux naturels que modifiés. Ainsi, la Biogéochimie isotopique (voir encadré) permet de comprendre les relations des animaux avec leur environnement d’un point de vue analytique. Elle permet d’établir si les animaux étudiés ont eu des relations d’ordre alimentaire avec des milieux marins ou dulçaquicoles ou encore entre milieux forestiers et de savanes. Ceci est rendu possible par l’absorption différentielle d’isotope stable dans les différents cycles des plantes qui ont été consommées soit par les herbivores, soit par les carnivores de premier niveau ou de niveaux supérieurs. Environnement Une autre approche est l’évolution avérée du paysage. Ainsi, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les espaces ont Environnement Biodiversité Science sociale Science de la nature Phylogénie Systématique Écologie Écologie Écologie Agronomie Agronomie Agronomie Biogéographie Biogéographie Toxicologie Ethnobiologie L’Environnement et la Biodiversité sont des champs de recherches scientifiques imbriqués par un ensemble de disciplines qui utilisent les collections d’Histoire naturelle. connu une évolution rapide grâce aux progrès techniques réalisés en agriculture, occasionnant une intensification de la production qui a conduit au remembrement. Cette évolution a provoqué une prise de conscience de l’impact et la création d’espaces protégés à proximité des espaces exploités. L’Écologie, la Géographie et l’Agronomie s’ouvrent dès lors aux enjeux de l’environnement avec une attention permanente à l’analyse des activités humaines et de leurs déterminants. Les spécimens des collectes antérieures sur ces lieux sont les témoins de cette évolution, tant qualitative, quantitative qu’analytique. Toujours dans ce contexte, l’Ethnobiologie, qui se situe d’emblée au croisement de ces disciplines complémentaires, apporte des clés de compréhension des interactions nature-sociétés. Les collections sont une référence et permettent l’identification des changements naturels intervenus au cours du temps. Elles sont donc au cœur des enjeux de la Biodiversité pour l’utilisation des ressources biologiques. La nécessité d’analyser, de valoriser, de conserver le patrimoine naturel sont de plus en plus reconnus comme la base d’un développement durable des sociétés humaines (Raven 1998). Ces ressources représentent une base de connaissance qui vient en soutien de nombreux services de l’Écologie. Plus spécifiquement, pour l’Écologie dans ses deux composantes, l’Écologie évolutive et l’Écologie fonctionnelle, la taxidermie est toujours une source de connaissances. L’Écologie évolutive qui repose sur la génétique et la dynamique des populations et des communautés utilise les ressources de la taxidermie pour la recherche sur la systémati- que et l’évolution de la diversité du vivant, la Biologie intégrée des organismes ou la diversité de leurs plans d’organisation, leur comportement ou la dynamique des populations et des écosystèmes. De manière moins directe, l’Écologie fonctionnelle, utilise les collections pour étudier les mécanismes d’adaptation aux contraintes du milieu, la gestion des peuplements et la recherche des grands cycles biogéochimiques et des changements globaux. La taxidermie peut être utilisée dans de nombreux autres domaines de l’Environnement, par exemple l’Éco-toxicologie, qui s’intéressent aux effets néfastes des composés chimiques. Nombreux sont ces composés chimiques, comme les pesticides, qui laissent des traces résiduelles plus ou moins dégradées sur les dépouilles des animaux naturalisés. Biodiversité Ces dernières années, le développement de nouveaux concepts et l’extension de techniques d’analyses moléculaires et informatiques appropriées ont permis un regard nouveau sur les disciplines liées à la Biodiversité. Comme pour l’Environnement, la taxidermie à travers les collections, joue un rôle primordial principalement basé sur la notion d’inventaire. La compréhension de cette évolution implique la coopération de plusieurs disciplines. La diversité biologique est le résultat d’une histoire au cours de laquelle les mécanismes de l’évolution ont opéré. En conséquence, la taxidermie, comme élément constituant de collections, est essentielle à la gestion de la Biodiversité permettant un traite- Diversité Bénéficiaires Rôle des collections Avantage Économique Organismes Industrie de la biodiversité Découvrir l’histoire biologique dans la composition et les relations de la biodiversité des organismes Richesse et allégement de la douleur humaine Organismes Santé humaine La connaissance et le contrôle des maladies Richesse et allégement de la douleur humaine Organismes Agriculture Découverte de nouvelles possibilités Nourriture et richesse Organismes/ Écologie Économie et esthétisme La connaissance et le maintien des ressources naturelles Richesse et efficacité économique (en procurant du repos et de la récupération) Écologique Services de qualité de l’environnement Surveillance et mesures écologiques Stabilité atmosphérique, eau potable, sols fertiles Écologique Intégrité des écosystèmes et stabilité économique Engrenage de la biodiversité des organismes et écologique Réduire au minimum les impacts des perturbations sur les écosystèmes et les marchés Illustration de raisons pour lesquelles les collections sont essentielles pour établir et conserver la connaissance des paysages écologiques, dans le cadre du maintien d’économies nationales ou régionales. Cet argument repose sur l’axiome qu’une connaissance de la biodiversité suffisamment représentative et fiable crée la richesse, maintient la qualité de la vie, et peut-être d’une manière primordiale, soutient l’intégrité des paysages écologiques dans lesquels les sociétés existent. (modifié de Cotterill, 1996). Taxidermie 49 ment des données biologiques de manière comparative. L’analyse de la Biodiversité est fondée sur une approche phylogénétique de la Systématique, utilisant aussi bien les outils morphologiques que moléculaires. Les outils morphologiques comme la Morphométrie ou l’Anatomie comparée font appel de façon classique à la taxidermie. Les progrès de la Biologie par ses approches évolutionnistes et écologiques permettent de mieux comprendre et surtout d’appréhender les mécanismes d’émergence, de maintien et d’évolution de la diversité biologique. Les spécimens naturalisés qui ont servi au recensement du vivant permettent aujourd’hui d’aborder le vivant simultanément dans son unité et dans sa diversité. La taxidermie est un élément fondateur de la recherche scientifique en Histoire naturelle. Elle continue de produire des acquis culturels contenus dans les collections biologiques des musées d’Histoire naturelle. Ces collections sont l’une des meilleures manières de maintenir le lien direct entre la société humaine et son environnement. Ce rapport datant de milliers d’années fait maintenant face à un sérieux danger, celui de la distance progressive et croissante de l’homme et de son habitat. La taxidermie, par les collections produites permet à l’homme moderne, si intéressé à repousser les frontières de la technologie, de mainte- 50 Taxidermie nir le lien phylogénétique fort qui existe avec son environnement. La préservation de ce rapport culturel intrinsèque entre l’homme et son environnement est principalement réalisée par les musées d’Histoire naturelle qui conservent et accroissent leurs immenses collections historiques et modernes. C’est incontestablement dans le patrimoine historique que l’on retrouve une source irremplaçable d’informations. Malgré les développements fulgurants de la recherche scientifique, de nombreuses données ne sont plus aujourd’hui disponibles que dans ces collections. Nombre d’espèces disparues ne sont de nos jours connues que grâce aux derniers spécimens conservés dans les musées. Les incidences sur l’environnement, provoquées par l’espèce humaine principalement au cours des derniers 4 ou 5 siècles, ont été si fortes et impressionnantes que les effets de changements globaux sur la distribution de la Biodiversité sont quotidiens. Dans beaucoup de cas, les seules informations biologiques accessibles des environnements passés doivent être trouvées dans des collections de musées. La taxidermie, en plus de son rôle patrimonial, a toujours une importance scientifique pour la compréhension de la nature et de l’Environnement. n Je tiens à remercier Annick Abourachid et Anne Nivart ainsi que Jacques Maigret pour les relectures constructives de cet article. Bibliographie Cotterill, F.-P.-D. The socio-economic values of biodiversity collections and the challenges of measuring organismal and ecological biodiversity. Cambridge : second world congress on natural science collections, 1996, pp. 1-17. Crowson, R.-A. Classification and Biology. London : Heinemann, 1970, 350 p. Oliviero, P. Les collections animales institutionnelles françaises : Études des représentations et pratiques socioprofessionnelles. Rapport de recherche pour le ministère de l’Environnement, 1996, 271 p. Panchen, A.-L. Classification, evolution, and the nature of biology. New York : Cambridge university press, 1992, 1ère édition, 403 p. Raven, P. Teaming with Life : Investing in Science to Understand and Use America’s Living Capital. In Report of President’s Committee of Advisers on Science and Technology (PCAST), 1998. Stoll, N.-R., Dollfus R.-P., Forest J., Riley N.D., Wright C.-W. et Melville R.-V. Code international de nomenclature zoologique. Bungay : Richard Clay & co, 1961, 176 p. Williams, S.-L. Variability in measurements resulting microscopic analyses of collagen shrinkage-temperature. SPNHC (éd.) Collection Forum, 7(2), 1991. Williams, S.-L., Wallace A.-M. et Jones C. Effect of relative humidity on cranial dimensions of mammals. SPNHC (éd.) Collection Forum, 9 (1), 1993. Les documents taxidermiques : un support pour la Biogéochimie isotopique appliquée à l’Écologie et à la Paléoécologie La Biogéochimie isotopique est utilisée en Écologie et en Paléoécologie depuis la fin des années 1970 (1). En effet, les signatures isotopiques en hydrogène (D/H), carbone (13C/12C), azote (15N/14N), oxygène (18O/16/O) et soufre (34S/32S) des matières organiques permettent de caractériser l’origine des nourritures et des eaux consommées par les animaux, notamment de distinguer celles d’origine marine, dulçaquicole, terrestre forestier ou savane. Il est aussi possible de replacer des animaux à leur niveau trophique au sein d’une chaîne alimentaire. Ces signatures isotopiques peuvent être mesurées sur les tissus organiques anciens contenus dans les documents taxidermiques (peaux, poils, plumes, cornes, os, dents…). Comme elles ont été enregistrées à l’échelle de l’individu en fonction de ses conditions de vie, il est possible d’effectuer des comparaisons entre spécimens géographiquement ou chronologiquement distants, et donc d’évaluer des changements environnementaux ou comportementaux qui sont intervenus au sein d’espèces. Les documents taxidermiques peuvent ainsi fournir le support d’une information isotopique pour des espèces ou des populations éteintes ayant modifié leur environnement ou leur comportement alimentaire, en liaison avec des modifications de l’environnement naturelles ou anthropiques. Du point de vue méthodologique, il est préférable de travailler sur des tissus bien identifiés biochimiquement, tels que collagène ou kératine, ce qui permet d’éliminer d’éventuels traitements de conservation et de s’affranchir des différences isotopiques entre tissus d’un même individu (2). Par exemple, l’approche isotopique a permis d’étudier l’impact des barrages sur la migration des saumons dans les rivières et sur l’alimentation des ours bruns de la côte Pacifique nord-américaine à partir des signa- tures de collagène osseux et de poils datant de 1890 à 1931 (3). Il a également été possible de déterminer le régime alimentaire du grand pingouin, espèce aujourd’hui éteinte, à partir des signatures isotopiques de son collagène osseux (4). Un apport tout à fait intéressant de l’analyse isotopique des phanères, poils ou plumes, est lié à leur mode de croissance qui permet d’accéder à d’éventuels changements alimentaires au cours de leur période de formation (5). Ainsi, il a été possible de reconnaître des changements saisonniers de nourritures pour des humains momifiés du Soudan à partir d’analyses isotopiques effectuées le long de leurs cheveux (6). Des changements saisonniers ont également été mis en évidence par l’analyse isotopique de couches de croissance de fanons de baleines (7). Un autre type de matériel intéressant pour des études similaires est constitué par les étuis cornés de bovidés (8). Il apparaît donc que les documents taxidermiques constituent un support sous-exploité, très riche d’informations paléoécologiques sous la forme de signatures isotopiques. Quand ces restes ont une origine spécifique, géographique et chronologique bien établie, ils représentent des archives de valeur inestimable qui devraient permettre de préciser la situation paléoécologique des individus auxquels ils correspondent, et qui pourraient être intégrés aux études sur les variations de la biodiversité au cours des périodes passées. n Notes (1) Bocherens H. Isotopes stables et reconstitution du régime alimentaire des hominidés fossiles, Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, n° 11, tome 3/4, 1999, pp. 261-287. (2) Bocherens H., Pacaud G., Lazarev P. et Mariotti A. Stable isotopes abundances (13C, 15N) in collagen and soft tissues from Pleistocene mammals from Yakutia. Implication for the paleobiology of mammoth steppe, Paleogeography, Paleoclimatology, Paleoecology, n° 126, tome 1/2, 1996, pp. 31-44. (3) Hilderbrand G.-V., Farley S., Robbins C.-T., Hanley T.-A., Titus K. et Servheen C. Use of stable isotopes to determine diets of living and extinct bears, Canadian Journal of Zoology, n° 74, 1996, pp. 20802088. (4) Hobson K.-A. et Montevecchi W.-A. Stable isotopic déterminations of trophic relations hip of grat auks, Oecologia, n° 87, 1991, pp. 528-531. (5) Jones R.-J., Ludlow M.-M., Troughton J.-H. et Blunt C.-G. Changes in the naturel carbon isotope ratios of the hair frommsteers fed of C4, C3 and C4 species in sequence, Search n° 12, tome 3/4, 1981, pp. 85-87. (6) White C.-D. Isotopic determination of seasonality in diet and death from Nubian mummy hair, Journal of Archaeological Science, n° 20, 1993, pp. 657-666. (7) Schell D.-M., Saupe S.-M. et Haubenstock N. Natutral isotope abundances in Bowhead Whale baleen : makers of aging and habitat usage, Ecological Studies, n° 88, 1988. (8) Iacumin P., Bocherens H. et Chaix L. C and N stable isotope ratios of fossil cattle kératine horn from Kerma (Sudan) : a record of diergol changes, Il Quaternario, Italian journal of International Science (sous presse). Hervé Bocherens chercheur au laboratoire de Paléoécologie à l’institut des sciences de l’Évolution, université de Montpellier II Place Eugène Bataillon Case courrier 064 34095 Montpellier cedex 5 téléphone + 33 4 67 14 32 60 [email protected] Taxidermie 51