Comme dans la taxidermie ancienne, pour la taxidermie
d’exposition, on réalise généralement un mannequin à partir
d’une structure de bois et de métal, sur laquelle la peau tan-
née est tendue. Au XIXesiècle, les volumes des petits spéci-
mens étaient reconstitués avec de la paille, d’où l’expression
encore employée « d’animaux empaillés ». Les formes des
grands animaux étaient recréées à partir de fibre de bois et
de plâtre à modeler. Aujourd’hui, les volumes sont sculptés
dans des matériaux plus légers : mousse de polyuréthane et
polystyrène recouvert d’une coque de résine.
La taxidermie s’inscrit dans un ensemble générique de prati-
ques de collections d’Histoire naturelle que l’on nomme
aujourd’hui la naturalisation. La taxidermie ne s’intéresse
qu’au travail de la peau (cuir). La naturalisation a un sens
plus large, c’est l’art de préparer des organismes (animaux,
plantes, champignons) pour les conserver durablement. Elle
fait appel à des techniques diverses adaptées aux caractéristi-
ques du spécimen. On parle ainsi évidemment de taxidermie,
d’herbier tant de plantes que de poissons, de conservation en
liquide, que se soit alcool, formol ou autre, d’imprégnation ou
de minéralisation, de préparation à sec pour nombre d’arthro-
podes, etc. Dans le cas des vertébrés, les spécimens en collec-
tion se présentent sous des états variés : entiers en alcool,
squelettes, mises en peau et peaux plates avec ou sans pièces
osseuses, montages (animaux naturalisés). La taxidermie pro-
prement dite est une technique de naturalisation, au cours de
laquelle seule la peau de l’animal est conservée avec parfois le
bec et une partie du crâne et une partie du squelette des pat-
tes. Bien qu’elle s’applique à l’ensemble des animaux verté-
brés, elle n’est guère plus utilisée que pour l’étude des mam-
mifères et des oiseaux. Le terme de naturalisation ou d’ani-
maux naturalisés appliqué aux vertébrés sous-entend qu’ils
ont été préparés par la taxidermie.
La taxidermie fait aussi référence à sa destination : collection
de recherche, d’études, pédagogique, muséographique… Il est
paradoxal de penser qu’à l’époque où la taxidermie avait ses
lettres de noblesse, les spécimens préparés l’étaient dans un
but d’exposition. Ils représentaient l’état de nos connaissances
de la Nature. Alors qu’aujourd’hui, où les spécimens sont
essentiellement préparés dans un but d’études et de recher-
ches, la question de l’intérêt de la discipline est ouvertement
posée. Les montages de taxidermie qui ont fait la gloire de la
science ne sont guère plus utilisés qu’à des fins muséographi-
ques et pédagogiques. Les muséums ont toujours joué un rôle
social important dans la divulgation de la science et les collec-
tions de montages de taxidermie sont un outil essentiel pour
créer une vitrine de la recherche en Histoire naturelle. Malgré
l’importance de l’image, celle ci ne saurait remplacer la per-
spective physique de l’objet, le spécimen.
Parler de l’intérêt scientifique de la taxidermie c’est d’abord
parler des collections. La taxidermie produit des spécimens
qui assemblés forment les collections. Elles sont d’une
importance fondamentale pour la connaissance. Depuis le
commencement de la conscience humaine, l’homme a ras-
semblé et accumulé des objets pour les classer et les préser-
ver. Les premières évidences de « collectionnites » sont
confirmées par des vestiges archéologiques. Le « collection-
nisme » a continué dans les périodes historiques jusqu’à la
naissance d’un genre moderne « la muséologie » au cours des
XVeet XVIesiècles.
Au cours de l’Histoire, la taxidermie a connu des hauts et des
bas. Nombreux sont les cycles d’intérêts pour les collections
d’animaux conservés. Aux XVIeet XVIIesiècles se fut l’accu-
mulation de découvertes et l’inventaire des richesses lointai-
nes. Aux XVIIIeet XIXesiècles se fut la rationalisation taxo-
nomique ou le rangement. Aux XIXeet XXesiècles, d’une
façon plus large, pour les collections, on voit apparaître l’ex-
ploitation économique et commerciale suivie de l’instruction
populaire (Oliviero, 1996). Le regain scientifique du XXesiè-
cle vient des nouvelles disciplines biologiques : l’Écologie, la
Biologie des populations, la Systématique cladistique ou
encore la Génétique moléculaire.
De nombreuses collections scientifiques sont en constitution
ou toujours en accroissement. Les programmes d’évaluation
de la biodiversité, mis en place au niveau mondial dans les
années 1990, tentent d’orienter la recherche vers l’identifi-
cation de nouvelles espèces inconnues, vivant dans des bio-
topes précis, souvent en zones tropicales. Les principes de la
collecte reposent sur ceux édictés par l’Écologie scientifique,
qui ne sépare plus les animaux de leur environnement éco-
logique global, tant minéral, que végétal ou animal.
La constitution de ces nouvelles collections à partir de terri-
toires peu ou pas connus d’un point de vue de la systémati-
que des espèces, oblige à retourner vers les collections plus
anciennes de référence qui permettent d’identifier les espè-
ces déjà connues ou non. Les descriptions dans la littérature
et les figurés ne sont pas toujours suffisants et le retour à
l’objet vrai reste obligatoire. Ce fait signifie que l’analyse
scientifique des animaux qui seront mis en collections repo-
se sur les données fournies par les collections anciennes.
Il est clair que l’intérêt des collections est tributaire des pro-
grammes de recherche, s’il n’y a pas de programme de
recherche en systématique traditionnelle, même fait avec
des moyens technologiques modernes comme les analyses
biochimiques de la systématique moléculaire, il n’y a pas
d’incitation à comparer les organismes.
La question de l’intérêt scientifique se pose donc de façon
plus générale : dans quels buts conserve-t-on les collections
de spécimens naturalisés ? Quelles sont les recherches qui
utilisent ces spécimens ? Quelles sont les fonctions des spé-
cimens naturalisés ?
Le spécimen, élément fondateur de la classification
Beaucoup affirment que la base de la science se situe dans le
quantitatif, le dénombrement ou la mesure, c’est-à-dire dans
l’utilisation des mathématiques. Ni le dénombrement ni la
mesure ne peuvent cependant être les processus fondamen-
taux dans notre étude de l’univers matériel. Avant de pou-
voir faire l’un ou l’autre dans n’importe quel but, vous devez
d’abord choisir ce que vous proposez de compter ou de mesu-
rer, présupposant une classification (Crowson 1970, p. 2).
Les typologies, classification d’objets, sont des réflexions de
la pensée humaine ; elles expriment nos concepts fonda -
mentaux sur les objets de notre univers. Chaque typologie
est une théorie se rapportant aux objets qu’elle classifie.
Appliqué au vivant, ce concept se transpose ainsi : les taxo-
nomies sont des réflexions de la pensée humaine ; elles
expriment nos concepts fondamentaux au sujet des êtres
vivants de notre univers. Chaque taxonomie est une théorie
au sujet des créatures qu’elle classifie. Panchen (1992) rap-
pelle que la classification des êtres vivants peut naturelle-
ment être organisée de manières différentes : par leur taille,
par leur écologie, ou par leur utilisation ou danger vis à vis
de l’homme. Par exemple, le terme « poissons » exprime la
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