La vie dans les milieux humides de la Diable

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La vie dans les milieux humides
de la Diable
C’est vers la fin du mois d’avril, tout juste après
le coucher du soleil, que Elya arriva finalement à
destination, terminant ainsi son long vol solitaire
depuis Cuba. Volant au-dessus des hautes
Laurentides dans un ciel devenant de plus en plus
sombre, elle aperçu le paysage familier des
montagnes couvertes de forêt, avec leurs
sommets bossus et leurs falaises abruptes, ainsi
que les lacs et rivières tout juste dégelés. Enfin,
elle reconnu le lac des Mocassins et le lac du
Diable, tout ceinturés d’épinettes. Ce sont ces
lacs qui donnent naissance à la rivière du Diable.
À ce moment, Elya vira au sud-ouest, pour se
diriger vers les lieux dont elle avait rêvé tout
l’hiver, et elle commença sa descente vers le
bassin versant de la Diable, encore illuminé des
dernières lueurs du soleil couchant.
À l’intérieur de ce bassin montagneux, les eaux
de surface ruissellent toutes vers le même point
(un peu comme de l’eau versée dans une
baignoire qui s’écoule nécessairement par le
drain) pour ultimement se rejoindre là où la
rivière du Diable se jette dans la rivière Rouge, au
sud de Mont Tremblant. Elya suivit la Diable, dont
elle pouvait entendre l’eau frapper bruyamment
les rochers tout en bas. Bien qu’épuisée par son
long voyage, elle était tout excitée d’arriver à
destination. Elle ressentait l’appel de la nature,
et elle avait hâte de trouver un partenaire avec
qui elle pourrait fonder une famille.
La rivière scintillante la conduisit vers le sud,
dépassant le lac Monroe, le Mont Éléphant et le
lac Supérieur, puis vers l’ouest en direction du lac
Gauthier. Descendant de plus en plus bas, Elya
vola devant le flanc sud du Mont Tremblant, son
sommet enveloppé d’un nuage de brume.
Finalement, elle se détourna du trajet de la
rivière, se dirigea vers le sud et dépassa le Mont
Rivière du Diable, en bordure du chemin Duplessis
Saint-Bernard vers une petite île ovale. Cette
dernière était couverte de troncs d’arbres morts
encore debout et se trouvait au milieu d’une eau
peu profonde et herbeuse, qui n’était ni une
rivière ni un lac. Cet îlot n’avait pas de nom
précis, mais elle le connaissait bien. Son approche
suscita l’agitation et les cris stridents d’un grand
mâle, qui était occupé à construire une plateforme dans le haut d’un arbre au centre de l’île.
Elya plongea de l’aile afin de lui faire face,
claqua du bec et puis sourit. L’été s’annonçait
prometteur.
Non loin de là, dans un habitat similaire d’eau
peu profonde et envahi d’herbage à l’extrémité
sud du lac Tremblant, Zoé avait aussi ressentit
l’appel de la nature. Elle avait passé l’hiver dans
le New Hampshire, et elle était arrivée à la
rivière du Diable environ un mois avant Elya.
D’apparence plutôt simple, Zoé désirait une
grande famille. À son arrivée, elle avait assisté à
une rencontre, où plusieurs mâles s’étaient
présentés à elle. La petite taille des mâles était
compensée par leur plumage aux couleurs
contrastantes. Elle choisit un père pour sa
couvée, et il l’accompagna jusqu’au marais
choisi. Mais une fois Zoé enceinte, il la quitta.
Elya est un Grand Héron. Zoé est un Grand Harle,
un type de canard avec une alimentation de
prédateur et qui s’alimente en plongeant tel un
Plongeon huard, bien que son ossature robuste le
1
distingue des autres oiseaux. Elya et Zoé sont au
sommet de la chaîne alimentaire de leur habitat
aquatique, et elle fournissent à leur progéniture
une alimentation riche en protéines, provenant
principalement du poisson. Si elles ont choisi de
vivre dans ces milieux humides, ce n’est pas pour
leur biodiversité qui est surpassée peut être
uniquement par celle des forêts tropicales, mais
surtout parce qu’ils fournissent de la sécurité et
une abondance de nourriture aux jeunes familles.
Les hérons et les harles savent instinctivement ce
que les militaires ont appris au cours des guerres :
les milieux humides ne peuvent être traversés par
les mammifères prédateurs.
sol. Les marais et les marécages retiennent
environ 70 % des sédiments contenus dans l’eau
des rivières et des lacs ainsi que dans l’eau de
fonte des neiges qui les traverse. En retour, ces
sédiments et les divers micro-organismes captent,
absorbent ou décomposent près de 95 % de
l’azote et près de 92 % du phosphore présents
dans l’eau. Aussi, les organismes à la base de la
chaîne alimentaire (poux, cladocères, copépodes
et autres insectes) consomment jusqu’à 90 % des
bactéries, algues et protozoaires qui absorbent
les éléments nutritifs. Ainsi, la nature permet
qu’une eau propre et bien filtrée se rende à votre
puits.
Les milieux humides du bassin versant de la
Diable, comme les marais, les marécages (marais
boisés) et les étangs (lacs peu profonds entourés
de végétation aquatique) furent formés il y a
environ 10 000 ans, lorsque les glaciers se
retirèrent. En fondant, les glaciers qui avaient
recouvert les terres pour environ 62 000 ans,
laissèrent un relief plat entrecoupé de petites
dépressions, de lacs et de rivières. Les sédiments
et les restes d’organismes microscopiques se sont
graduellement accumulés dans les dépressions,
formant une boue riche où les premières plantes
aquatiques prirent racine. Des végétaux de plus
en plus gros se sont succédés, joignant leurs
racines à la masse. Au moment où les plus gros
animaux, tels Elya et Zoé arrivèrent pour trouver
un refuge, de la nourriture et un lieu de
reproduction, la matière humide contenait des
milliards d’organismes microscopiques et des
centaines d’espèces d’invertébrés.
Elya avait bien vite développé une relation avec
le bel individu rencontré, et ensemble ils
terminèrent leur massif nid de branches, situé
dans une fourche bien au sommet d’un arbre
mort. Peu après, quatre œufs remplirent le nid et
les parents se relayèrent pour les couver. Une fois
les œufs éclos, Elya a gardé les petits au nid
jusqu’à ce qu’ils puissent voler. Pendant ce
temps, elle et son partenaire les nourrirent
chacun à leur tour, elle la nuit et lui le jour, en
régurgitant du poisson, des grenouilles et des
insectes.
Grands Harles (photo : Parc du Mont-Tremblant)
Lorsque l’on boit l’eau provenant d’un puits, ces
organismes y font figure d’usine naturelle de
traitement d’eau, car l’eau souterraine a traversé
des milieux humides avant de pénétrer dans le
Tout comme certains pêcheurs, le partenaire
d’Elya avait un lieu de pêche favori. Aux
premières lueurs de l’aube lors des journées
d’été, il déploya ses ailes (qui faisaient 180 cm
d’envergure) et quitta l’îlot. D’un lent
mouvement de battement d’ailes, son long cou
replié et ses longues jambes étendues vers
l’arrière, il se dirigea vers l’ouest, dépassa le lac
Ouimet, puis il vola en direction du nord en
longeant le lac Mercier et vira vers la gauche. Là,
il aperçu un point de repère qu’il pouvait
reconnaître même sous la pluie : un Pin blanc âgé
de plus de 200 ans. L’arbre s’élevait au-dessus
des buissons d’aulnes bordant les rives de son site
de pêche préféré : le tout petit lac du Sommet.
Le lac du Sommet est un étang en forme de « J »,
l’extrémité étroite pointant vers le lac Mercier,
en direction duquel il se draine. Le héron mâle
atterrit dans cette extrémité du lac, en face du
vieux pin, dans une section marécageuse. Une
bande de pins blancs ornaient l’élévation juste
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derrière lui, et des érables à sucre couvraient la
petite montagne en arrière-plan. Ce matin là, il
aperçu un couple de canards branchus ainsi qu’un
grèbe à bec bigarré, déjà installés. Se tenant bien
droit, le héron était presque le reflet de la gracile
Elya, bien que plus grand qu’elle avec ses 130 cm
de taille. De chaque côté de sa tête, deux bandes
noires descendaient de ses yeux jaunes jusqu’à
l’aigrette à l’arrière de son crâne. Sa poitrine
était blanche marquée de noir et son dos bleugris. De longues plumes ornaient sa poitrine, ses
flancs et son dos.
Grand héron (photo : Québec en images)
direction. Si ces perches avaient su qu’elles
étaient menacées, elles auraient hérissé leurs
nageoires pointues et épineuses sur-le-champ.
Mais, le héron fondit sur elles, saisit une perche
dans son bec, sortit sa tête de l’eau et avala tête
première le poisson. Il en saisit plusieurs autres,
assurant ainsi un repas à Elya et à ses quatre
petits.
Contrairement aux laborieux hérons, Zoé n’a pas
nourrit ses petits après leur naissance, car son
partenaire l’avait quittée pour rejoindre ses amis.
L’on pouvait facilement reconnaître ces mâles
allant et venant sur la rivière du Diable, de par
leur corps de 45 cm blancs excepté pour la tête
d’un vert noirâtre, leurs becs oranges et leur dos
noirs. Zoé, elle, se fondait parfaitement dans la
végétation du marécage avec sa tête et sa huppe
brun rouille, la tache blanche sur sa joue et sa
poitrine et puis le gris pâle de son dos, de sa
queue et de ses ailes. Sans l’aide de son
partenaire, elle dut apprendre à ses petits
comment se nourrir et se protéger eux-mêmes.
À l’autre extrémité de l’étang, les trois
croassements des corbeaux annoncèrent les
rayons du soleil, qui touchaient maintenant le bas
du « J ». Le héron était déjà à la chasse,
traversant avec de longs et lents pas les troncs
dressés pour atteindre l’eau stagnante. Ce jourlà, son habitude d’atterrir loin de l’eau lui fût
favorable. Dans les hautes herbes, il happa une
souris des champs, puis sur la rive il attrapa une
rainette crucifère, qui eu tout juste le temps
d’émettre son dernier « peep, peep, peep ».
Puis, il s’engagea dans l’eau peu profonde, au
travers des roseaux et des pontédéries cordées
aux délicates fleurs mauves. Arrivé à son
emplacement de choix, il se figea tel une statue,
son cou étendu formant un angle avec la surface
de l’eau. Seuls ses yeux et sa tête bougeaient
alors qu’il surveillait et attendait un poisson qu’il
lui soit possible d’avaler, soit de moins de 15 cm
de long. Il n’aura pas à attendre bien longtemps.
Zoé avait placé son nid près d’un tronc couché
dans un marécage dense d’aulnes et de thuyas,
situé en bordure du Chemin des Voyageurs, tout
près du stationnement 2 de la station de ski. Par
un après-midi couvert et venteux, 30 heures
seulement après que ses œufs aient éclos, Zoé
quitta son nid caché dans une petite dépression
et abrité par le tronc d’arbre. Elle étira ses ailes
de toute leur 90 cm d’envergure, puis elle les
rabattit et bondit dans l’eau tranquille. Elle
pataugea sur quelques mètres, puis observa
autour d’elle mais ne vit rien d’inhabituel, alors
elle appela ses poussins. Un par un, ils pointèrent
leur tête hors du nid couvert de feuilles, virent
leur mère à quelques mètres devant eux et se
jetèrent immédiatement à l’eau pour la
rejoindre. Deux poussins grimpèrent sur son dos,
tandis que les neuf autres nageaient autour
d’elle, semblables à neuf petites balles jaunes.
Un banc de jeunes perches voraces s’approcha de
lui d’un côté. Avalant tout ce qui bouge devant
eux, insectes, vers ou jeunes écrevisses, les
poissons ne réalisèrent pas que le héron avait
replié son cou et avancé une patte dans leur
Zoé avança, ses petits tout près derrière, passa
les troncs des thuyas et des épinettes, puis les
fougères femelles et la tortue peinte, vers l’eau
libre. Une fois arrivée, elle s’enfonça lentement
dans l’eau, pour ne laisser que sa tête émerger.
Puis, elle plongea sa tête sous l’eau et nagea vers
3
le fond, imitée par les 11 poussins qui
pataugeaient énergiquement. Ceux-ci n’avaient
pas encore pleinement développé le long bec
effilé et denté de leur mère pour attraper les
poissons glissants. Chaque poussin commença par
attraper des éphémères, des larves de libellules
et des patineurs qui tourbillonnaient tout autour
d’eux. Durant environ 12 jours, les insectes leur
suffiront comme nourriture. Puis, ils se
tourneront vers les ménés, comme le ventre
rouge du nord et le méné à nageoires rouges, puis
vers les épinoches à 3 épines et les suceurs,
maintenant avalés par Zoé.
Cependant, Zoé avait l’esprit occupé à autre
chose qu’à pêcher. Plongeant dans l’eau plus
profonde, elle remarqua un large poisson qui
l’observait à travers les roseaux, ses branchies
bougeant doucement de chaque côté de sa tête.
Elle savait que c’était un brochet. Un harle adulte
nage assez rapidement sous l’eau pour qu’aucun
poisson ne le menace. Mais, pour de jeunes
poussins, il en était autrement.
Rapidement, Zoé piqua vers sa couvée et le
brochet se précipita à sa suite. Tous les poussins,
se trouvant avec elle sous l’eau ou à la surface,
saisirent l’urgence dans sa nage et réagirent
rapidement. Ils la suivirent alors qu’elle se
dépêchait d’atteindre l’eau moins profonde. Zoé
se projeta hors de l’eau sur un tapis de mousse
humide, elle tourbillonna autour des petits qui
sortaient
à
leur
tour
de
l’eau :
..sept…huit…neuf…dix…dix.
Au fur et à mesure que les petits de Zoé
grandissaient, les mâles et les femelles prirent
tous les couleurs de leur mère. Elle se mit à les
conduire de plus en plus loin en direction du lac
Tremblant, dans les marais de quenouilles, de
scirpes, de sagittaires à larges feuilles et de
nymphées odorantes, où ils pouvaient chasser les
alevins d’achigan à petite bouche, de perchaude,
de crapet-soleil et de brochet. En même temps,
elle leur montrait où dormir et se cacher, ou
comment se camoufler. Ils rencontrèrent d’autres
prédateurs, aussi bien dans l’eau que sur les
rives : le maskinongé, le vison d’Amérique, la
chouette rayée et le balbuzard pêcheur. Certains
eurent du succès, d’autres non ; mais chaque
rencontre
permit
aux
jeunes
survivants
d’apprendre une importante leçon.
Marais (photo : Québec en images)
Elya et son partenaire rencontraient des ennuis
différents en élevant leurs quatre petits hérons.
Ils évitaient la plupart des prédateurs en
s’assurant qu’au moins un des parents demeure
dans le nid haut perché. Aucun corbeau,
corneille, hibou, goéland ou raton-laveur
n’oserait risquer un coup de bec d’un héron en
colère. Leur plus sérieux problème était de garder
les jeunes au nid jusqu’à ce qu’ils puissent voler,
ce qui arriverait lorsqu’ils auraient atteint l’âge
de deux mois. Plus les oisillons grandissaient, plus
cette tâche devenait difficile.
Alors que les petits étaient âgés d’environ un
mois, le grondement du tonnerre les agita
grandement. Au même moment, des gens
s’étaient rassemblés pour observer les hérons
depuis le stationnement sur le Chemin du lac
Gauthier. Le conducteur de la dernière voiture à
rejoindre le groupe klaxonna pour annoncer son
arrivée. Ce bruit étrange et inconnu effraya les
petits, déjà agités, qui se bousculèrent sur les
bords du nid. Elya, seule à ce moment, essaya
rapidement de les ramener au centre en les
poussant de son bec, mais un mâle bascula en
bordure du nid, perdit l’équilibre et tomba sur le
sol. Une fois tombé, Elya et son partenaire ne
pouvait rien faire pour le sauver. Ils ne le
nourrirent pas au sol, et il mourut peu après.
Enfin, à l’âge de 11 semaines, les jeunes hérons
arrivèrent à voler convenablement. Elya célébra
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ce moment en les amenant à l’un de ses marais
favoris. Menant le groupe, elle remonta la rivière
du Diable, en direction opposée à celle qu’elle
avait empruntée lors de son arrivée au printemps.
Elle se dirigea au nord à l’approche du lac
Supérieur, et suivit la rivière jusqu’à un
élargissement nommé lac Chat. Ce lac recelait
plusieurs sites où sa progéniture pourrait chasser
plus tard, mais pour le moment elle voulait leur
montrer le marécage du Lac Chat, où sa propre
mère l’avait amenée dix ans plus tôt. Elle fit un
large virage pour s’éloigner de la rivière, et
survola un endroit appelé le lac aux Atocas, ou
lac des Canneberges, mais l’endroit n’avait que
peu d’intérêt à ses yeux.
Il y avait bien une raison à cela : cet endroit était
une tourbière, un lieu étrange où il n’y avait pas
grand-chose à manger pour un héron. Les
tourbières constituent un autre type de milieu
humide trouvé dans le bassin versant de la rivière
du Diable. Assez fréquentes dans les forêts
boréales canadiennes, les tourbières sont
différentes des autres milieux humides. Il s’agit
de dépressions isolées qui ne sont pas alimentées
par une source d’eau courante, qui ne subissent
pas d’inondations saisonnières et qui sont mal
drainées. La tourbière ne reçoit que l’eau
provenant des précipitations et de la fonte des
neiges, donc de l’eau plus propre. En conséquent,
durant des milliers d’années, très peu d’éléments
nutritifs et de sédiments se sont accumulés dans
la dépression, limitant ainsi la prolifération
d’algues, de microbes et de plancton. Ce sont ces
organismes qui permettent l’explosion de vie
animale que l’on retrouve dans les marais, les
marécages et les étangs.
Cela ne signifie pas pour autant que les tourbières
soient dépourvues de vie. Les mousses qui
poussaient au départ dans leurs eaux stagnantes
peuvent absorber jusqu’à dix fois leur propre
poids en eau et ont créé des conditions acides qui
ont favorisé la croissance des sphaignes. Les
sphaignes sont un type de petites mousses
caractéristiques des tourbières. Elles ont
graduellement rempli la dépression. Mais, sous la
couche en surface, l’acidité et la teneur réduite
en oxygène ont ralentit la décomposition de la
matière organique. Donc, la croissance des
sphaignes
a
surpassé
leur
vitesse
de
décomposition et les débris de sphaigne
partiellement décomposés se sont accumulés,
formant une matière appelée tourbe. La tourbe
ressemble à une gigantesque éponge, et ne
contient aucun sol. Des plantes ont ensuite
commencé à envahir la tourbe, et aujourd’hui
nous pouvons voir la même chose qu’Elya et ses
petits: des épinettes noires et des mélèzes, des
sarracénies pourpres (des plantes qui se
nourrissent d’insectes), des kalmias aux feuilles
pourpres et toxiques, et bien entendu la
canneberge. Avec un peu de chance, il est
possible d’apercevoir le cypripède acaule, plus
connu sous le nom de sabot de la vierge, dont la
fleur ressemble à une petite poche rose à trois
pétales.
Marécage de l’Étroit (photo : Parc du Mont-Tremblant)
Comme Elya cherchait quelque chose à manger,
elle se dirigea vers le marécage du lac Chat. Ce
joli petit marécage est une composante
importante de la zone riveraine
de la Diable. Cette zone consiste en des bandes
de terre et de végétation entre la partie peu
profonde d’un cours d’eau et les rives surélevées.
Une zone riveraine saine est couverte d’arbres,
d’arbustes, d’herbacées et d’autres plantes
adaptées à ces conditions de croissance
particulières. Par exemple, autour du lac Chat et
de son marécage, l’on retrouve les plantes
suivantes, en ordre commençant dans l’eau peu
profonde et en augmentant progressivement de
taille : les utriculaires vulgaires flottant juste
sous la surface, les pontédéries cordées, les
lobélies du cardinal, les divers éléocharides,
ériocaulons et carex, les aulnes rugueux, les
mélèzes laricins et les thuyas occidental, ou
cèdres. Mais c’était les grenouilles léopard, les
salamandres, les couleuvres rayées, les crevettes,
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les écrevisses, les libellules et les criquets, sans
oublier les différents ménés qui intéressaient
vraiment Elya et sa famille,
Elya et ses enfants planèrent vers le sol et virent
un groupe de canards plongeurs sur le lac Chat,
près de la rivière. La femelle avait le corps gris et
était suivie de cinq plus petits canards de même
couleur qu’elle, mêlés à trois petits mâles au
corps blanc avec le dos et la tête noirs. Il y avait
aussi d’autres canards dispersés sur le lac : un
remarquable garrot à œil d’or qui plongeait avec
des canards de plus grande taille que lui, soit
deux canards noirs et trois canards colverts qui
pataugeaient à la surface. Elya surveillait ses
petits, robustes mais encore gauches, qui
débutaient leur festin. Elle savait qu’ils n’avaient
maintenant plus besoin d’elle, mais qu’elle les
reverrait souvent au cours de l’été. Si elles
survivaient à l’hiver, Elya et Zoé reviendraient
l’été suivant pour trouver de nouveaux
partenaires, pondre leurs œufs et encore une fois
perpétuer leur espèce.
Il est agréable de contempler un marais ou un
marécage, car leurs eaux calmes reflètent à
merveille les forêts, les montagnes, les nuages
ainsi que les couchers de soleil. Mais, ce miroir
détourne l’attention de l’eau elle-même et de ce
qui fait en sorte que les milieux humides sont
différents des lacs et des cours d’eau. Nous
acceptons cette illusion, car nous désirons que
notre eau soit propre et claire, peu importe
qu’elle provienne d’un puits, d’une bouteille ou
du robinet. Inconsciemment, lorsque nous portons
un verre d’eau à nos lèvres, nous surveillons la
moindre trace de saleté. Nous nous attendons à
ce que l’eau de surface soit propre et claire, tout
comme celle des lacs et rivières. Mais sous leur
surface lisse, les milieux humides intacts sont de
véritables bouillons de vie et de phénomènes si
complexes qu’ils défient notre compréhension.
Aucun milieux humide ne demeure exactement le
même plus d’un instant.
En effet, les milieux humides sont en constant
changement, transformés par la faute d’une de
leur principales caractéristiques: la capture de
sédiments (ou dans le cas d’une tourbière, la
production de tourbe). L’accumulation qui en
résulte fait que le terrain s’élève constamment,
pour éventuellement rejoindre le niveau de l’eau.
Lorsque vous regardez le Lac-aux-Atocas, vous
contemplez des terres humides qui se remplissent
depuis près de 10 000 ans.
Les marais et
marécages peuvent avoir au moins 5000 ans. À
l’échelle des temps géologiques, tous les milieux
humides sont en constante évolution et la plupart
finiront un jour par se remplir et s’assécher.
La végétation des milieux humides, par contre, se
transforme sur une plus courte période, soit des
décennies ou des siècles. Tandis que la cuvette du
Lac-aux-Atocas se remplissait, la tourbière
maintenait des conditions acides qui favorisait la
croissance des sphaignes. Mais lorsque les marais,
les étangs et les marécages vieillissent, une
succession d’espèces végétales a lieu avec le
temps et différentes plantes sont favorisées. De
façon générale, ces milieux accumulent des
sédiments, puis les nymphées et autres plantes
flottantes finissent par priver de lumière les
algues vivant au fond de l’eau. Les plantes
flottantes seront éventuellement remplacées par
des roseaux. Il n’est pas rare de trouver ces
différents types de plantes à différentes
profondeurs dans un même marais.
Le
rythme
des
changements
augmente
rapidement pour les espèces animales vivant dans
les milieux humides. Des espèces peuvent
apparaître et disparaître au fur et à mesure que
leur habitat évolue. Il peut y avoir jusqu’à 600
espèces animales différentes dans un milieu
humide sain, allant de millions d’organismes
microscopiques jusqu’à une famille d’orignaux.
Chacune d’entre elles subit les variations dans la
disponibilité des abris et de la nourriture, qui
6
influenceront son cycle de vie. Aussi, il se produit
des variations génétiques à l’intérieur d’une
même espèce, mais cela se produit sur des
générations. Certaines espèces s’adaptent mieux
aux changements que d’autres. Finalement, les
maladies peuvent causer des perturbations
difficiles à prévoir.
Le Canada possède plus de milieux humides que
tout autre pays, soit près du quart du total
mondial, et le gouvernement canadien fût le
premier à mettre sur pied une politique fédérale
de conservation des terres humides. Globalement,
ces milieux occupent environ 6 % de la surface de
la terre. La Convention de Ramsar sur les zones
humides est un traité signé en 1971 qui vise à
conserver
ces
écosystèmes
exceptionnels.
Aujourd’hui, ce sont 136 pays qui y participent, et
le Canada détient la plus grande proportion des
terres (10 %) figurant sur la «Liste des zones
humides d’importance internationale Ramsar »
font pour l’eau des bassins versants…comment
votre peau, telle la surface lisse de l’eau des
lieux humides, reflète votre beauté tout en
masquant les processus élaborés et mystérieux
qui ont lieu à l’intérieur de votre corps…et
constatez que, tout comme nous, les milieux
humides vieillissent et changent, suivant un cycle
de mort et de naissance.
Savourez votre thé !
Alors, comment observer les milieux humides ?
À moins que vous ne vouliez devenir la proie des
insectes voraces qui ont réussi à échapper au
réseau de toiles d’araignées tendus dans ces
lieux, il se peut que vous préféreriez avoir un
point de vue situé en-dehors de la zone riveraine.
Il existe un moyen plus confortable de participer
à la transformation des milieux humides, une
vieille tradition qui s’est transmise de générations
en générations chez les peuples Amérindiens qui
ont vécu à proximité de ces endroits. Il s’agit de
se préparer une tasse de thé !
La recette traditionnelle est simple: trouvez la
plante Ledum groenlandicum, ou thé du Labrador,
qui pousse dans les milieux humides. Déposez
environ 15 feuilles dans de l’eau et portez à
ébullition, puis laissez infuser deux minutes. Et
voilà!
Tandis que vous êtes assis et sirotez votre thé,
réfléchissez à l’idée que les milieux humides sont
comme votre corps… tout comme eux, nous
sommes constitués principalement d’eau et avons
un système complexe….pensez à ce que vos reins
font pour vous et à ce que les milieux humides
Marais du bassin versant du lac Ouimet
Auteur : Tom Peery
Traduit de l’anglais par Catherine Rivard, AGIR pour la
Diable
Références :
Personnes-ressources et révision technique
André Bouchard, Club Ornithologique des Hautes Laurentides,
Lac Superieur
Judith Kirby, aménagiste du territoire, Canards Illimités
Canada
Louise Nadon, ministère des Ressources Naturelles et de la
Faune du Québec, St-Faustin- Lac-Carré
Nancy Plessis-Belair & Mathieu Lemay, Parc national du MontTremblant
Serge Leonard, Service de l’Environnement, Ville de MontTremblant
7
Bibliographie:
Leo Smith, R; Harper; Row (1980): Ecology and Field Biology,
New York.
National Wetlands Working Group (1988): Wetlands of Canada,
Ecological Land Classification Series, No.24. Environnement
Canada, Ottawa.
Ministère des Ressources naturelles de l’Ontario (1994):
Ontario Wetland Evaluation System, Southern Manual,
Toronto.
Sites Web consultés :
Wetlands at Whistler (Association of Whistler Area Residents
for
the
Environment
AWARE):
http://www.awarewhistler.org/wetlandswhattheheck.html
Faune et Flore du Pays (Service canadien de la Faune) :
http://www.hww.ca/hww.asp?id=38&pid=6
Centre for Conservation of Boreal Biodiversity (CCBB):
http://www.borealie.org/page.php/en/1/54.html
Wildlife Habitat Canada :
http://www.whc.org/wetlandfund/en/home/seeWetlands/we
tTypes/wetTypes.html
8
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