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Le sens politique du travail
Dans cette contribution, je vais tenter de montrer l’intérêt du concept
de génération ainsi défini pour aborder la multiplication des mouvements
ouvriers en Chine dans un contexte marqué par une transition vers l’éco-
nomie de marché. Il permet un éclairage intéressant sur les divers types de
protestations ouvrières qui apparaissent à partir du milieu des années 90.
Ces mouvements ont tous comme caractéristiques communes de se déve-
lopper dans un contexte réprimant l’émergence de syndicats autonomes et
toute tentative de s’organiser collectivement. Marqués par une très grande
fragmentation, ces mouvements ne développent pas un mouvement ouvrier
national ou même régional, mais regroupent des employés d’une même
entreprise.
Malgré la multiplication de ces actions et d’une certaine manière leur
banalisation, la répression continue à fortement marquer la forme prise par
ces mouvements et le contenu des revendications. Pour s’inscrire dans un
espace de relative tolérance, elles doivent mettre en avant des plaintes précises
liées à leur condition de travail. Ainsi ces mobilisations n’ont pas exprimé
explicitement jusqu’en 2010, à ma connaissance en tout cas, des revendica-
tions plus larges. En ce sens, elles s’inscrivaient dans le répertoire du dépôt
de plainte institutionnalisé de longue date par le régime. Des débats autour
de la question de la réforme du permis de résidence existaient certes mais
restaient confinés aux cercles universitaires.
Dans un tel contexte, le concept de génération permet de mettre en
lumière les similitudes entre certaines mobilisations tout en les distinguant
d’autres. En effet, les mobilisations ouvrières qui se développent en Chine
depuis les années 90, sont le fait de différentes classes d’âge ou « générations »
d’ouvriers n’ayant connu ni la même socialisation politique, ni ne bénéfi-
ciant des mêmes conditions de travail et de protection sociale. Ce phéno-
mène « générationnel » est d’autant plus marqué en Chine que le rythme de
la transition chinoise est relativement lent. Les réformes économiques lan-
cées par Deng Xiaoping, il y a plus de 30ans, ont été, et restent encore, très
progressives, cherchant à étaler pour rendre socialement plus supportable le
coût humain du passage à l’économie de marché.
Pour cette contribution, je m’appuie sur des recherches menées en Chine
depuis de nombreuses années. Au cours des années 90, je me suis inté-
ressé aux conséquences sociales du processus de privatisation dans une ville
très industrielle du Nord-Est de la Chine, Shenyang, avant de porter mon
intérêt plus récemment sur le secteur associatif et les mouvements ouvriers
de contestation qui se développent dans la ville de Shenzhen et ses environs
dans la province du Guangdong au Sud de la Chine. Outre l’observation
directe de la réalité de ces mouvements ouvriers effectués lors de séjours sur
place, j’ai conduit de nombreux entretiens avec les différents protagonistes
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