Lettres de mai 1928-1940 Extrait de la correspondance de Marie de

Lettres de mai 1928-1940
Extrait de la correspondance de Marie de Saint-Jean et Marie de la Trinité.
Volume 1 : L’abîme appelant l’abîme (27.11.1928 28 août 1940), Cerf, 2013.
Je vous demeure unie. Colmar, jeudi [23 mai 1929].
Dans son ineffable amour, je vous demeure unie, ainsi qu'à toutes les Sœurs.
Paule de Mulatier
Qu’Il fasse tout [en moi], comme en l’humanité de Jésus. [début mai ? 1930]
[…] Je vais tâcher de me conformer le plus possible à la vie régulière : recueillement,
silence, prière tout ce que je pourrai.
Je me sens à tout heure accablée et chargée de mes fautes, et beaucoup trop vivante,
beaucoup trop moi-même. Dans une âme toute remplie d’elle-même il n’y a pas de place pour
le Christ Jésus. C’est en ce sens que la Règle fait vivre, en donnant la mort à la volonté, tandis
que le monde fait mourir, parce qu’il a une grande estime pour la volonté propre.
Le bon Dieu nous fait donc une grâce immense quand il nous soumet à l’obéissance,
c’est le signe d’un amour infini.
[…] Le bon Dieu me demande un profond silence, et la solitude. A tout instant la
parole du Christ m’est remise en mémoire : « Ne savez-vous pas que je dois être aux choses
de mon Père
1
? »
[…] Lui seul sait quelle est la perfection qu’il veut et comment les âmes y arriveront.
Il en sait tous les moyens, les surnaturels et les humains, parce qu’il a la science de tout et que
tout est en Lui.
Ainsi qu’il fasse tout, comme en l’humanité de Jésus, c’est lui qui a tout fait : « Je ne
puis rien faire de moi-même, mais seulement ce que je vois faire à mon Père
2
. »
Votre petite fille très indigne, très coupable et très aimée !
Sœur Marie du Christ Jésus.
Dieu ne voit que ma volonté attentive à ne pas se délier de la sienne.
[Villers Farlay, mai 1930]
Ma fille,
Dans le silence intérieur, laissez-vous absorber par la Vie, et cette Vie découlera
doucement sur les feuilles. C’est le Fils qui, par son petit instrument docile, travaillera aux
choses de son Père.
Moi, je ne fais rien, je prie, comme les moines de saint Benoît, vingt-quatre heures par
jour. Ma prière est pleine de distractions et d’imperfections. Mais Dieu est si bon qu’Il ne
regarde pas mes laideurs, il ne voit que ma volonté attentive à ne pas se délier de la sienne.
[…] Que votre coeur se réjouisse en Dieu ma chère fille, que vos péchés même ne vous
attristent, sa charité en couvre la multitude. Sœur Marie de Saint-Jean.
Il faut le suivre dans le pays aride… Il sera lui-même votre force.
[Lundi], 5 Mai [1930].
1
Lc 2, 49.
2
Jn 5, 19.
Moi aussi ma chère fille, je voulais, dès mon enfance, ne lui donner que du vin pur.
Sans savoir ce que je disais, je déclarais : « Si je fonde une congrégation, on y adorera le
Saint-Sacrement toute la journée ». Dans ma petite pensée d’enfant, cela voulait dire qu’on ne
ferait pas autre chose que prier.
A seize ans, j’ai offert à Jésus cette coupe de vin pur que j’avais préparée par ses
soins. Il ne l’a pas voulue. J’ai apporté de l’eau. Faites comme moi puisque c’est sa volonté.
Dans le cellier intérieur où Il vous introduira mourante, vous la trouverez changée en vin. […]
Oh oui, elle est belle la liturgie que vous me traduisez ! Je la relis, elle me ravit ! Je la
savoure pendant mon voyage car je vous écris dans le train qui m’emmène à Cousance
3
. Et
puis, je gémis avec le Psalmiste « in terra deserta
4
». Le monde n’est vraiment qu’une terre
déserte, aride et crevassée, un pays d’ombre et de mort. Ce serait doux à ma fille de le fuir, de
s’enfermer derrière des grilles avec le Christ Jésus. Mais Il ne le veut pas. Tout est là. Il faut
avec Marie faire tout ce qu’Il vous dira. Il faut le suivre dans le pays aride, et le traverser
appuyée sur son Coeur. Il vous donnera la force. Il sera lui-même votre force. Il le sera
d’autant plus qu’Il vous sait plus faible, Il est si bon. […]
Priez pour votre pauvre mère. Sœur Saint-Jean.
Que les postulantes et novices disent l’office en français. [Dimanche] 11 mai 1930.
Ma mère,
[…] Au sujet de l’office, il me semble que ce serait vraiment une bonne chose que les
postulantes et novices le disent en français au moins un an.
Car l’office n’est pas une récitation de psaumes, mais une louange à Dieu.
Étant louange au « Dieu des vivants » la louange doit être vivante et c’est l’adhésion
de l’âme aux paroles de l’office, qui donne vie à cette louange.
Chaque âme, aidée et soutenue par l’Esprit Saint doit s’identifier à ce qu’elle dit
mais comment y parvenir si le sens des mots prononcés demeure caché ?
Vous savez ce que dit saint Paul sur les langues
5
.
Il me semble que c’est le grand écueil à la perfection de cette prière liturgique de la
dire en commençant par ne pas comprendre bien que l’Église accepte qu’il suffise de bien
prononcer toutes les paroles.
Veuillez m’excuser de vous dire ainsi mon avis – je n’ai aucune expérience, et bien
souvent je me trompe. […]
Priez pour votre petite fille qui est à peine née. Marie du Christ Jésus.
Ce ne sont pas les hommes qui fondent, c’est Dieu… Le [jeudi] 15 mai 1930.
Ma chère fille,
[…] depuis longtemps nous aimons et désirons le grand office. Pendant quatre ans
nous l’avons récité en français et nous nous préparions à le dire en latin quand le père nous l’a
fait abandonner pour l’office de la Sainte Vierge. Mais nous n’avons pas cessé de le regretter
et de désirer le reprendre. Quand vous avez résolu la question posée par le père en proposant
de n’exiger que l’office de jour, vous étiez dans les idées primitives. Et je crois que les idées
primitives, dans une congrégation, viennent de l’Esprit Saint. Ce ne sont pas les hommes qui
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Département du Jura.
4
Allusion aux Ps 63, 2 et à Jr 2, 6.
5
A ce sujet voir 1 Co 14, 1-19 ; « Je dirai un hymne avec l’esprit mais je le dirai aussi avec l’intelligence. »
fondent, c’est Dieu qui meut leur intelligence et leur volonté dans un but déterminé par sa
Sagesse.
Si vous venez à Dienville en mon absence, allez à la chapelle et regardez le pauvre
crucifix de l’autel. Dites-moi où je pourrais en trouver un très beau qui parle à l’âme. Au-
dessus de l’autel, à la place de la Vierge qui est trop petite, je mettrai l’image du Sacré-Coeur,
pour que ce Coeur adorable bénisse le noviciat qui commencera le jour de sa fête. Le malheur
est que je n’aime aucune image du Sacré-Coeur. […]
Je prie pour […] vous de toute mon âme. Sœur Saint-Jean.
Par notre union au Christ Jésus se forme, en nous, une âme sacerdotale.
[Mardi], 20 mai 1930.
Ma mère,
Je vous remercie de tout ce que m’apporte votre lettre.
Au sujet de l’office, je pense que si la maison mère pouvait être une « Maison de
Prière » comme le Cénacle, où les Apôtres attendirent en priant l’Esprit Saint, avant de se
disperser dans le monde, ce serait fonder toute l’oeuvre sur la prière […]
Dans ma pensée, quand je ne vous connaissais pas encore, lorsque je me vis fermée la
forme de vie toute contemplative, j’avais eu en vue cet apostolat dans les campagnes, un peu,
très peu, par la parole et l’action – et beaucoup, surtout, par la prière.
Je pensais que le prêtre étant absent, il n’y avait là personne pour rendre gloire à Dieu
au nom de ces âmes. Aussi je désirais pouvoir passer à peu près tout le temps à l’église. La
prière attire la prière plus que toutes les paroles. […]
Comme vous, je ne connais point de statue du Sacré-Coeur qui donne de la dévotion,
le sujet étant très difficile à réaliser selon la vérité.
Quand on représente Jésus-Christ crucifié, je vois dans ses plaies toutes les
souffrances de la nature humaine, ressenties en son corps. C’est par l’union des [deux] natures
qu’elles furent attribuées à sa personne divine. […]
Personnellement, je préfère, à tout autre représentation, celle de Jésus en croix. […]
Du reste, cela représente aussi le Sacré-Coeur puisqu’on voit la plaie de la lance. Ce
n’est pas possible de placer un grand Christ au-dessus de l’autel ? Un seul grand Christ. La
messe étant le sacrifice de la croix, le même prêtre, la même victime, je trouve qu’un Christ
en croix suffit à tout. C’est en sa mort qu’est toute notre espérance, la source de notre vie.
[...] Une raison de plus, c’est que c’est sur la croix que Jésus, en prêtre, seul prêtre,
offrit le sacrifice de lui-même.
Or nous allons dans des villages où manquent les prêtres, nous n’aurons pas leurs
pouvoirs, nous ne sommes pas appelées à leur ministère mais par notre union au Christ
sus peut et doit se former, en nous, une âme sacerdotale. Ce Jésus qui vit en nous, sans
cesse, en union à son offrande, nous pouvons l’offrir au Père et s’il veut, au moment de la
consécration, il peut, demeurant en l’âme, prononcer sur elle les paroles de la consécration.
Saint Paul voyait si loin l’identification de lui-même au Christ qu’il disait : « J’achève
en mon corps ce qui manque aux souffrances du Christ
6
. » et « Je vis, mais plus moi : le
Christ vit en moi
7
. » […]
Ma mère, priez pour votre petite fille en amour de Dieu je suis aussi petite que mes
neveux nourrissez-moi de vos prières. Marie du Christ-Jésus.
6
Col 1, 24
7
Gal 2, 20
C’est une grande grâce de souffrir pour l’amour de Dieu. Lyon, [mardi] 27 mai 1930.
Ma mère,
Je serai sans doute à Dienville le jour de la Pentecôte [le 8 juin] , au soir, ou le lundi
dans la matinée. C’est seulement au retour de Mayence que j’y passerai. Tout ce voyage se
faisant en auto, la date est plus difficile à préciser. […]
La copie du coutumier s’avance, c’est plus long que je ne croyais. Il y a bien des
choses que je désire vous dire au sujet de ce coutumier, mais je n’ose pas – je crains déjà
d’avoir pris trop de liberté dans ma dernière lettre, puisque vous ne me répondez pas. […]
Pour le trousseau, j’ai fait faire ce que je pense être utile. Faut-il du linge de table ? des
serviettes de toilette ? des tabliers ? […]
Priez pour moi, n’est-ce pas ? Et remerciez encore plus c’est une si grande grâce de
souffrir pour l’amour de Dieu et de ne vouloir vivre qu’en sa volonté. C’est par l’union de
volonté que l’âme est introduite en Lui. C’est elle qui a conduit le Christ Jésus au Calvaire
pour moi, j’entre à peine au Jardin – qu’au moins je ne m’y endorme pas ! Votre petite fille,
Marie du Christ Jésus.
Qu’iI me revête de tout lui-même et quIl m’absorbe en lui.
[Dienville] jeudi [12 mai 1932]
Ma mère, que Dieu soit béni de tout ce qu’il fait – et qu’il soit béni d’accomplir sa
volonté sanctifiante malgré la nôtre qui est si souvent opposée à la sienne.
Je pensais hier toute seule loin de vous loin selon la nature et cependant si proche
selon la grâce, si unie en celui qui nous communique sa vie je pensais à ce qu’a dit Mgr
[Feltin] à votre dernière visite : « Celle-là, c’est un pilier ! » et je pensais que si un évêque
vous avait dit cela, vous étant à ma place, vous l’auriez reçu comme parole de Dieu et
n’auriez pas voulu vous dérober si Dieu vous choisissait pour soutenir l’édifice
8
et comme il
suffit au serviteur d’être comme son maître – et à la fille d’être comme sa mère, je demande à
Dieu de revêtir de sa volonté ce pauvre pilier vermoulu et branlant qu’il me revête non
seulement de sa volonté mais de tout lui-même et que par ce total revêtement du dedans et du
dehors il m’absorbe en lui. […]
Je vais maintenant prier et mettre cet être de misère en la présence de Dieu il faut
que les rayons de sa gloire envahissent cette misère et qu’à travers eux il ne voie plus que
l’unique agréable à ses yeux, son bien aimé en l’humanité duquel il a mis toutes ses
complaisances. Votre fille abjecte et vile, sœur Marie de la Trinité.
La grâce de Dieu supplée à mon néant. [Dienville], vendredi 13 mai 1932.
Ma mère,
Je suis bien incapable de ce dont vous m’avez chargée
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j’espère que cette expérience
de quelques jours vous suffira. La grâce de Dieu supplée à mon néant et je me cache à son
ombre, veillant surtout à ne pas troubler son action sanctifiante parmi toutes les distractions
que j’ai en priant il m’est venu celle-ci : voudriez-vous que j’emmène demain soeur Marie-
Colette ? J’ai pensé qu’elle était libre ces jours-ci, l’atelier
10
étant fermé pour les fêtes [de la
Pentecôte], et que soeur Henri-Dominique est là pour les jeunes filles. […]
8
A cette époque, mère Saint-Jean pense à Marie de la Trinité pour lui succéder à la tête de la congrégation.
9
Remplacer la mère maîtresse des novices pour une petite période.
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Les sœurs avaient monté à Dienville un atelier de bonneterie qui occupait une vingtaine de jeunes filles, sous
la direction de sœur Henri-Dominique qui avait été se former dans une usine de Troyes.
Bénissez ce petit rien qu’est votre fille. Sœur Marie de la Trinité.
Aujourd’hui, je n’ai pas même pu lire la Bible.
Le lendemain de la [fête de la ] Trinité,
[lundi 23 mai 1932]
Ma mère,
Je viens finir la journée auprès de vous avant d’aller à la visite [du Saint-Sacrement]
« entrer dans le repos de Dieu » ; ce sera encore bien meilleur lorsque ce sera le repos
véritable in sinu Patris. Voici comment votre fille a employé son temps, ou plutôt comment il
a plu au Seigneur d’en user, car je n’ai pas eu à choisir : […]
S’il plaît à Dieu que je m’occupe de tous ces riens, je suis bien heureuse – mais qu’il
m’en coûte !
Veuillez me bénir, ma mère, et dire à toutes les sœurs ma très affectueuse pensée je
leur écrirai aussitôt que possible. Mais voyez, aujourd’hui, je n’ai pas même pu lire la Bible –
je suis votre enfant toute misérable. Sœur Marie de la Trinité, o. p.
Le Seigneur m’a envoyée pour être avec vous. [Couvent de la] Très Sainte Trinité,
[mardi] 22 mai 1934.
Ma mère,
Vous ne savez pas ce que m’est ce couvent sans vous. Le Seigneur m’a envoyée pour
être avec vous et quand il y a distance, il me semble ne plus être dans l’ordre ni dans sa
volonté.
Le père a été sombre toute la journée. Il ne peut aller à Doulaincourt, jeudi, devant se
trouver à Château-Thierry ce jour-là.
Voulez-vous me télégraphier où il faut aller vous chercher, et à quelle heure jeudi ; ou
si vous préférez que je vienne jusqu’à Doulaincourt ?
Je n’ai pas trouvé la lettre de Rouen dans votre tiroir.
Veuillez nous bénir. Votre fille, sœur Marie de la Trinité, o. p.
Je vous écris à genoux à cause du Seigneur. [Couvent de la] Très Sainte Trinité,
vendredi 10 mai 1935.
Ma mère,
J’ai bien hâte de venir vers vous et je pense que vous avez aussi grand désir d’avoir
des nouvelles de vos enfants. […]
J’ai bien honte, je ne me suis levée qu’à 6 heures ces jours-ci. Je me suis aperçue que
j’oubliais beaucoup de choses et n’arrivais pas à fixer mon attention. C’est habituellement
l’effet de la lassitude – c’est pour cela que j’ai fait ainsi – mais je pense qu’à partir de demain
je me lèverai comme les novices voilà une lettre toute de petits détails. […]
Je crois bien être disposée à faire tout ce que vous voudrez, n’importe quoi. […]
Voulez-vous, ma mère, bénir votre fille et vos filles que vous lui avez confiées. Je
vous écris à genoux à cause du Seigneur. Sœur Marie de la Trinité, o. p.
Demander à Dieu de me convertir. [Couvent de la] Très Sainte Trinité,
[lundi], 13 mai 1935.
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