Lettres de mai 1928-1940 Extrait de la correspondance de Marie de Saint-Jean et Marie de la Trinité. Volume 1 : L’abîme appelant l’abîme (27.11.1928 – 28 août 1940), Cerf, 2013. Je vous demeure unie. Colmar, jeudi [23 mai 1929]. Dans son ineffable amour, je vous demeure unie, ainsi qu'à toutes les Sœurs. Paule de Mulatier Qu’Il fasse tout [en moi], comme en l’humanité de Jésus. [début mai ? 1930] […] Je vais tâcher de me conformer le plus possible à la vie régulière : recueillement, silence, prière – tout ce que je pourrai. Je me sens à tout heure accablée et chargée de mes fautes, et beaucoup trop vivante, beaucoup trop moi-même. Dans une âme toute remplie d’elle-même il n’y a pas de place pour le Christ Jésus. C’est en ce sens que la Règle fait vivre, en donnant la mort à la volonté, tandis que le monde fait mourir, parce qu’il a une grande estime pour la volonté propre. Le bon Dieu nous fait donc une grâce immense quand il nous soumet à l’obéissance, c’est le signe d’un amour infini. […] Le bon Dieu me demande un profond silence, et la solitude. A tout instant la parole du Christ m’est remise en mémoire : « Ne savez-vous pas que je dois être aux choses de mon Père1 ? » […] Lui seul sait quelle est la perfection qu’il veut et comment les âmes y arriveront. Il en sait tous les moyens, les surnaturels et les humains, parce qu’il a la science de tout et que tout est en Lui. Ainsi qu’il fasse tout, comme en l’humanité de Jésus, c’est lui qui a tout fait : « Je ne puis rien faire de moi-même, mais seulement ce que je vois faire à mon Père2. » Votre petite fille très indigne, très coupable – et très aimée ! Sœur Marie du Christ Jésus. Dieu ne voit que ma volonté attentive à ne pas se délier de la sienne. [Villers Farlay, mai 1930] Ma fille, Dans le silence intérieur, laissez-vous absorber par la Vie, et cette Vie découlera doucement sur les feuilles. C’est le Fils qui, par son petit instrument docile, travaillera aux choses de son Père. Moi, je ne fais rien, je prie, comme les moines de saint Benoît, vingt-quatre heures par jour. Ma prière est pleine de distractions et d’imperfections. Mais Dieu est si bon qu’Il ne regarde pas mes laideurs, il ne voit que ma volonté attentive à ne pas se délier de la sienne. […] Que votre coeur se réjouisse en Dieu ma chère fille, que vos péchés même ne vous attristent, sa charité en couvre la multitude. Sœur Marie de Saint-Jean. Il faut le suivre dans le pays aride… Il sera lui-même votre force. [Lundi], 5 Mai [1930]. 1 2 Lc 2, 49. Jn 5, 19. Moi aussi ma chère fille, je voulais, dès mon enfance, ne lui donner que du vin pur. Sans savoir ce que je disais, je déclarais : « Si je fonde une congrégation, on y adorera le Saint-Sacrement toute la journée ». Dans ma petite pensée d’enfant, cela voulait dire qu’on ne ferait pas autre chose que prier. A seize ans, j’ai offert à Jésus cette coupe de vin pur que j’avais préparée par ses soins. Il ne l’a pas voulue. J’ai apporté de l’eau. Faites comme moi puisque c’est sa volonté. Dans le cellier intérieur où Il vous introduira mourante, vous la trouverez changée en vin. […] Oh oui, elle est belle la liturgie que vous me traduisez ! Je la relis, elle me ravit ! Je la savoure pendant mon voyage car je vous écris dans le train qui m’emmène à Cousance3. Et puis, je gémis avec le Psalmiste « in terra deserta4 ». Le monde n’est vraiment qu’une terre déserte, aride et crevassée, un pays d’ombre et de mort. Ce serait doux à ma fille de le fuir, de s’enfermer derrière des grilles avec le Christ Jésus. Mais Il ne le veut pas. Tout est là. Il faut avec Marie faire tout ce qu’Il vous dira. Il faut le suivre dans le pays aride, et le traverser appuyée sur son Coeur. Il vous donnera la force. Il sera lui-même votre force. Il le sera d’autant plus qu’Il vous sait plus faible, Il est si bon. […] Priez pour votre pauvre mère. Sœur Saint-Jean. Que les postulantes et novices disent l’office en français. [Dimanche] 11 mai 1930. Ma mère, […] Au sujet de l’office, il me semble que ce serait vraiment une bonne chose que les postulantes et novices le disent en français – au moins un an. Car l’office n’est pas une récitation de psaumes, mais une louange à Dieu. Étant louange au « Dieu des vivants » la louange doit être vivante – et c’est l’adhésion de l’âme aux paroles de l’office, qui donne vie à cette louange. Chaque âme, aidée et soutenue par l’Esprit Saint doit s’identifier à ce qu’elle dit – mais comment y parvenir si le sens des mots prononcés demeure caché ? Vous savez ce que dit saint Paul sur les langues5. Il me semble que c’est le grand écueil à la perfection de cette prière liturgique de la dire en commençant par ne pas comprendre – bien que l’Église accepte qu’il suffise de bien prononcer toutes les paroles. Veuillez m’excuser de vous dire ainsi mon avis – je n’ai aucune expérience, et bien souvent je me trompe. […] Priez pour votre petite fille qui est à peine née. Marie du Christ Jésus. Ce ne sont pas les hommes qui fondent, c’est Dieu… Le [jeudi] 15 mai 1930. Ma chère fille, […] depuis longtemps nous aimons et désirons le grand office. Pendant quatre ans nous l’avons récité en français et nous nous préparions à le dire en latin quand le père nous l’a fait abandonner pour l’office de la Sainte Vierge. Mais nous n’avons pas cessé de le regretter et de désirer le reprendre. Quand vous avez résolu la question posée par le père en proposant de n’exiger que l’office de jour, vous étiez dans les idées primitives. Et je crois que les idées primitives, dans une congrégation, viennent de l’Esprit Saint. Ce ne sont pas les hommes qui 3 Département du Jura. Allusion aux Ps 63, 2 et à Jr 2, 6. 5 A ce sujet voir 1 Co 14, 1-19 ; « Je dirai un hymne avec l’esprit mais je le dirai aussi avec l’intelligence. » 4 fondent, c’est Dieu qui meut leur intelligence et leur volonté dans un but déterminé par sa Sagesse. Si vous venez à Dienville en mon absence, allez à la chapelle et regardez le pauvre crucifix de l’autel. Dites-moi où je pourrais en trouver un très beau qui parle à l’âme. Audessus de l’autel, à la place de la Vierge qui est trop petite, je mettrai l’image du Sacré-Coeur, pour que ce Coeur adorable bénisse le noviciat qui commencera le jour de sa fête. Le malheur est que je n’aime aucune image du Sacré-Coeur. […] Je prie pour […] vous de toute mon âme. Sœur Saint-Jean. Par notre union au Christ Jésus se forme, en nous, une âme sacerdotale. [Mardi], 20 mai 1930. Ma mère, Je vous remercie de tout ce que m’apporte votre lettre. Au sujet de l’office, je pense que si la maison mère pouvait être une « Maison de Prière » comme le Cénacle, où les Apôtres attendirent en priant l’Esprit Saint, avant de se disperser dans le monde, ce serait fonder toute l’oeuvre sur la prière […] Dans ma pensée, quand je ne vous connaissais pas encore, lorsque je me vis fermée la forme de vie toute contemplative, j’avais eu en vue cet apostolat dans les campagnes, un peu, très peu, par la parole et l’action – et beaucoup, surtout, par la prière. Je pensais que le prêtre étant absent, il n’y avait là personne pour rendre gloire à Dieu au nom de ces âmes. Aussi je désirais pouvoir passer à peu près tout le temps à l’église. La prière attire la prière plus que toutes les paroles. […] Comme vous, je ne connais point de statue du Sacré-Coeur qui donne de la dévotion, – le sujet étant très difficile à réaliser selon la vérité. Quand on représente Jésus-Christ crucifié, je vois dans ses plaies toutes les souffrances de la nature humaine, ressenties en son corps. C’est par l’union des [deux] natures qu’elles furent attribuées à sa personne divine. […] Personnellement, je préfère, à tout autre représentation, celle de Jésus en croix. […] Du reste, cela représente aussi le Sacré-Coeur puisqu’on voit la plaie de la lance. Ce n’est pas possible de placer un grand Christ au-dessus de l’autel ? Un seul grand Christ. La messe étant le sacrifice de la croix, le même prêtre, la même victime, je trouve qu’un Christ en croix suffit à tout. C’est en sa mort qu’est toute notre espérance, la source de notre vie. [...] Une raison de plus, c’est que c’est sur la croix que Jésus, en prêtre, seul prêtre, offrit le sacrifice de lui-même. Or nous allons dans des villages où manquent les prêtres, nous n’aurons pas leurs pouvoirs, nous ne sommes pas appelées à leur ministère – mais par notre union au Christ Jésus peut et doit se former, en nous, une âme sacerdotale. Ce Jésus qui vit en nous, sans cesse, en union à son offrande, nous pouvons l’offrir au Père – et s’il veut, au moment de la consécration, il peut, demeurant en l’âme, prononcer sur elle les paroles de la consécration. Saint Paul voyait si loin l’identification de lui-même au Christ qu’il disait : « J’achève en mon corps ce qui manque aux souffrances du Christ6. » et « Je vis, mais plus moi : le Christ vit en moi7. » […] Ma mère, priez pour votre petite fille – en amour de Dieu je suis aussi petite que mes neveux – nourrissez-moi de vos prières. Marie du Christ-Jésus. 6 7 Col 1, 24 Gal 2, 20 C’est une grande grâce de souffrir pour l’amour de Dieu. Lyon, [mardi] 27 mai 1930. Ma mère, Je serai sans doute à Dienville le jour de la Pentecôte [le 8 juin] , au soir, ou le lundi dans la matinée. C’est seulement au retour de Mayence que j’y passerai. Tout ce voyage se faisant en auto, la date est plus difficile à préciser. […] La copie du coutumier s’avance, c’est plus long que je ne croyais. Il y a bien des choses que je désire vous dire au sujet de ce coutumier, mais je n’ose pas – je crains déjà d’avoir pris trop de liberté dans ma dernière lettre, puisque vous ne me répondez pas. […] Pour le trousseau, j’ai fait faire ce que je pense être utile. Faut-il du linge de table ? des serviettes de toilette ? des tabliers ? […] Priez pour moi, n’est-ce pas ? Et remerciez encore plus – c’est une si grande grâce de souffrir pour l’amour de Dieu et de ne vouloir vivre qu’en sa volonté. C’est par l’union de volonté que l’âme est introduite en Lui. C’est elle qui a conduit le Christ Jésus au Calvaire – pour moi, j’entre à peine au Jardin – qu’au moins je ne m’y endorme pas ! Votre petite fille, Marie du Christ Jésus. Qu’iI me revête de tout lui-même et qu’Il m’absorbe en lui. [Dienville] – jeudi [12 mai 1932] Ma mère, que Dieu soit béni de tout ce qu’il fait – et qu’il soit béni d’accomplir sa volonté sanctifiante malgré la nôtre qui est si souvent opposée à la sienne. Je pensais hier – toute seule loin de vous – loin selon la nature et cependant si proche selon la grâce, si unie en celui qui nous communique sa vie – je pensais à ce qu’a dit Mgr [Feltin] à votre dernière visite : « Celle-là, c’est un pilier ! » – et je pensais que si un évêque vous avait dit cela, vous étant à ma place, vous l’auriez reçu comme parole de Dieu et n’auriez pas voulu vous dérober si Dieu vous choisissait pour soutenir l’édifice8 – et comme il suffit au serviteur d’être comme son maître – et à la fille d’être comme sa mère, je demande à Dieu de revêtir de sa volonté ce pauvre pilier vermoulu et branlant – qu’il me revête non seulement de sa volonté mais de tout lui-même et que par ce total revêtement du dedans et du dehors il m’absorbe en lui. […] Je vais maintenant prier et mettre cet être de misère en la présence de Dieu – il faut que les rayons de sa gloire envahissent cette misère et qu’à travers eux il ne voie plus que l’unique agréable à ses yeux, son bien aimé en l’humanité duquel il a mis toutes ses complaisances. Votre fille abjecte et vile, sœur Marie de la Trinité. La grâce de Dieu supplée à mon néant. [Dienville], – vendredi 13 mai 1932. Ma mère, Je suis bien incapable de ce dont vous m’avez chargée9 – j’espère que cette expérience de quelques jours vous suffira. La grâce de Dieu supplée à mon néant et je me cache à son ombre, veillant surtout à ne pas troubler son action sanctifiante – parmi toutes les distractions que j’ai en priant il m’est venu celle-ci : voudriez-vous que j’emmène demain soeur MarieColette ? J’ai pensé qu’elle était libre ces jours-ci, l’atelier10 étant fermé pour les fêtes [de la Pentecôte], et que soeur Henri-Dominique est là pour les jeunes filles. […] 8 A cette époque, mère Saint-Jean pense à Marie de la Trinité pour lui succéder à la tête de la congrégation. Remplacer la mère maîtresse des novices pour une petite période. 10 Les sœurs avaient monté à Dienville un atelier de bonneterie qui occupait une vingtaine de jeunes filles, sous la direction de sœur Henri-Dominique qui avait été se former dans une usine de Troyes. 9 Bénissez ce petit rien qu’est votre fille. Sœur Marie de la Trinité. Aujourd’hui, je n’ai pas même pu lire la Bible. Le lendemain de la [fête de la ] Trinité, [lundi 23 mai 1932] Ma mère, Je viens finir la journée auprès de vous – avant d’aller à la visite [du Saint-Sacrement] « entrer dans le repos de Dieu » ; ce sera encore bien meilleur lorsque ce sera le repos véritable in sinu Patris. Voici comment votre fille a employé son temps, ou plutôt comment il a plu au Seigneur d’en user, car je n’ai pas eu à choisir : […] S’il plaît à Dieu que je m’occupe de tous ces riens, je suis bien heureuse – mais qu’il m’en coûte ! Veuillez me bénir, ma mère, et dire à toutes les sœurs ma très affectueuse pensée – je leur écrirai aussitôt que possible. Mais voyez, aujourd’hui, je n’ai pas même pu lire la Bible – je suis votre enfant toute misérable. Sœur Marie de la Trinité, o. p. Le Seigneur m’a envoyée pour être avec vous. [Couvent de la] Très Sainte Trinité, [mardi] 22 mai 1934. Ma mère, Vous ne savez pas ce que m’est ce couvent sans vous. Le Seigneur m’a envoyée pour être avec vous – et quand il y a distance, il me semble ne plus être dans l’ordre ni dans sa volonté. Le père a été sombre toute la journée. Il ne peut aller à Doulaincourt, jeudi, devant se trouver à Château-Thierry ce jour-là. Voulez-vous me télégraphier où il faut aller vous chercher, et à quelle heure jeudi ; ou si vous préférez que je vienne jusqu’à Doulaincourt ? Je n’ai pas trouvé la lettre de Rouen dans votre tiroir. Veuillez nous bénir. Votre fille, sœur Marie de la Trinité, o. p. Je vous écris à genoux à cause du Seigneur. [Couvent de la] Très Sainte Trinité, vendredi 10 mai 1935. Ma mère, J’ai bien hâte de venir vers vous et je pense que vous avez aussi grand désir d’avoir des nouvelles de vos enfants. […] J’ai bien honte, je ne me suis levée qu’à 6 heures ces jours-ci. Je me suis aperçue que j’oubliais beaucoup de choses et n’arrivais pas à fixer mon attention. C’est habituellement l’effet de la lassitude – c’est pour cela que j’ai fait ainsi – mais je pense qu’à partir de demain je me lèverai comme les novices – voilà une lettre toute de petits détails. […] Je crois bien être disposée à faire tout ce que vous voudrez, n’importe quoi. […] Voulez-vous, ma mère, bénir votre fille et vos filles que vous lui avez confiées. Je vous écris à genoux à cause du Seigneur. Sœur Marie de la Trinité, o. p. Demander à Dieu de me convertir. [Couvent de la] Très Sainte Trinité, [lundi], 13 mai 1935. Ma mère, […] Je vous donne tout de suite quelques détails du noviciat, comme ils se présentent. Quant aux autres sœurs il n’y a rien de nouveau – elles continuent chacune dans le même sens. Soeur Marie du Christ est un grand secours et remplit parfaitement son rôle. Si le Seigneur le veut bien ce serait un grand avantage qu’elle soit ici – et vienne en aide à mon incapacité11. Je sais que pour cela, comme pour le reste, ce que vous déciderez sera le meilleur. Je regrette tant toutes mes plaintes et mes résistances – que tout cela est contraire à l’amour et à la gloire de Dieu. […] Je vous demande, ma mère, votre bénédiction et m’appuie sur vos prières que je sais incessantes – votre petit mot m’aurait fait encore plus plaisir s’il avait été plus long. Je vous supplie de demander à Dieu de me convertir. Votre fille, sœur Marie de la Trinité, o. p. Je ne veux plus vouloir que par vous. [sans date] Ma mère, Après tout ce que je vous ai dit je viens mettre mon âme entre vos mains. J’ai déformé l’image de Dieu et le temple où le Père voulait prendre ses délices, je l’ai profané. Lorsqu’il m’invitait à sommeiller sur son sein, je me suis détournée. Lorsqu’il m’attirait à Lui pour m’insuffler le Verbe de Vie j’ai résisté. Je suis abjecte et méprisable et parce que je me suis détournée par ma faute de la lumière, je me suis plongée dans les ténèbres, d’autant plus obscures qu’elles succèdent aux clartés de la lumière incréée. Je remets entre vos mains cette âme qui n’est capable que d’offenser Dieu. Disposez d’elle en tout ce que le Père vous inspirera. Je ne veux plus vouloir que par vous, ni chercher ou désirer que ce que la Trinité sainte me donnera par vous. Je suis abjecte, digne d’être renvoyée, rejetée, méprisée, séparée comme une brebis galeuse. Qu’Il ait pitié de vous et vous élève… [sans date] Après avoir montré votre imperfection aux hommes par votre inégalité de caractère, l’avez-vous montrée à Dieu, pour qu’Il ait pitié de vous et vous élève dans sa bonté, de votre imperfection vue et détestée jusqu’à son infinie perfection ? […] Le Père est épris de vous. [Lundi] 3 mai 1937. « C’est à cause de cela que Dieu l’a exalté12 » Ma fille, C’est parce qu’avant que vous me le disiez, je savais que le Père est épris de vous que je désire si fort vous voir humble et petite, toute recueillie en votre bassesse pour avoir sa visite. C’est ainsi qu’Il trouvait la Vierge quand il venait la trouver et lui parler comme un Père à sa fille. Il convient que vous ayez de petits sentiments de vous-même, et que vous vous réjouissiez quand vous les trouvez chez les autres. Car, comment supporteriez-vous le poids d’un tel amour s’il n’était appuyé sur les profondes racines de votre humilité ? […] Sœur Saint-Jean. 11 12 Comme sous-maîtresse des novices, mais mère Saint-Jean pense à une autre sœur. Ph 2, 9. Je demande incessamment la sainteté. Rome, [lundi] 3 mai 1937. Ma mère, ma si douce mère, Je prie avec vous, continuellement, sans interruption, et je suis toute avec vous dans le Seigneur, en Dieu. Je pense qu’il le permet ainsi – ayant si longtemps désiré faire ce voyage avec vous, il laisse ma pensée tout unie à la vôtre, et je ne vous quitte à aucun moment – de sorte que, vraiment, tout ce que je fais et vois est avec vous. Je dis le Rosaire pour vous toute la journée. Je pense aussi que vous priez pour nous – pour moi. La première fois que je suis venue à Rome, à quinze ans, tout mon désir qui remplissait mes prières était d’être religieuse. Dieu a exaucé ce désir – maintenant je lui demande incessamment la sainteté – et plus je vois mon néant, plus je la lui demande, avec ardeur. Je demande aussi beaucoup, pour vous, la sainteté – et puis pour toutes les soeurs – mais spécialement pour nous deux, vous et moi. Il n’y a que cela à demander, et rien d’autre. On ne demande que ce qu’on désire, et la sainteté c’est tout mon désir – et je supplie Dieu de nous la donner pour sa gloire. […] Gardez-moi bien dans votre prière, ma mère. Loin de vous je ne vis qu’à moitié. Bénissez-nous, ma mère. Votre pauvre petite fille, unique en misère. Sa richesse vous arrive par ma pauvreté. [Vendredi] 7 mai 1937. Ma fille, Une douce mère ne donne à son enfant que du très doux lait tiré de sa substance. Moi je vous donne bien autre chose : des boissons vinaigrées qui font du mal aux enfants, une nourriture pauvre, pauvre parce que je suis pauvre. Cependant, quand j’ai bien prié et que j’ai attiré le Christ en moi avant de m’approcher de vous, c’est Lui qui se donne par moi, sa richesse vous arrive par ma pauvreté. Elle vous arrive petitement parce que je la retiens, les mauvaises herbes qui encombrent mon âme empêchent cette eau vive de couler dans la vôtre. Et j’ai bien du remords de n’avoir pas donné à mon enfant la vie que le Christ voulait que je lui donne. […] Merci des bonnes lettres de Rome qui arrivent imprégnées des grâces que le Seigneur vous donne pour nous. Merci surtout de me garder avec vous, tout près. Merci aussi de demander pour moi la sainteté, je ne veux rien d’autre, c’était la prière de mon enfance et c’est la supplication incessante de ma vieillesse. « Faites-moi sainte, ô mon Dieu, votre gloire y est intéressée... » Maintenant, je veux être parfaite, parce que mon Père céleste est parfait, pour qu’Il me reconnaisse pour son enfant. Votre mère bien indigne qui vous garde sous son scapulaire. Sœur Saint-Jean, o. p. Je voudrais que ce séjour à Rome nous ait rapprochées de la volonté de Dieu. [Rome], vendredi 7 mai 1937. Ma mère, Je vous ai bien dit, n’est-ce pas, que chaque jour je dis pour vous tout le Rosaire. J’y ai pensé parce que c’est votre pensée qui m’est la plus habituelle, et qu’en même temps, le Rosaire est ce qui occupe tout mon temps de liberté ; donc je prie pour vous ainsi continuellement – d’autant plus que ce Rosaire de chaque jour a une grande abondance de dizaines et d’Ave, que seule la Sainte Vierge peut compter avec précision. […] Je voudrais surtout que ce séjour à Rome nous ait rapprochées de la volonté de Dieu sur nous, nous qui sommes ici – et toute la congrégation – et qu’il nous ait fait croître dans l’accomplissement de sa volonté, parce que c’est la voie de la sanctification – et que la sainteté c’est le terme. […] Voulez-vous me bénir ? Je fais tout pour le mieux, mais ne sais pas si ce qui me paraît le mieux l’est réellement. […] Votre fille sans vertu, sœur Marie de la Trinité, o.p. Les petites vertus font les grands saints. [Jeudi] 5 mai 1938. Ma fille, Le Seigneur n’a pas permis que je puisse vous écrire autre chose que ce mot, mais ma pensée vous a suivie, tout imprégnée de prière, pour que vous soyez remplie de bénédictions pendant ce voyage qui vous coûte tant [à Paris pour une réunion de religieuses infirmières]. […] Demain, nous avons l’adoration, vous serez avec moi, car qui pourrait nous séparer ? Il me semble que je vous aime davantage depuis que votre coeur s’est tourné vers la Sainte Vierge. Et puis, j’aime à vous voir cheminer humblement dans la plaine, cultivant les petites vertus qui font les grands saints. […] Soyons saintes, ma fille, nous les racines, pour que la sainteté courre dans les branches jusqu’à la fin. In caritate Dei. Sœur Saint-Jean, o. p. Etre utile au salut des âmes en écoutant. Paris, jeudi 5 mai 1938. Ma mère, C’est l’avant-coureur du retour. Nous venons de quitter la dernière réunion, ce soir auront lieu les visites qui peuvent nous intéresser. Nous sommes, cette année, neuf cents religieuses. Il faut écouter tout le temps – et tout ce qui est dit est très intéressant et très utile pour nous. Je remercie le Seigneur de m’avoir donné ce moyen d’être utile au salut des âmes, en écoutant ce qui est dit, et qui pourra contribuer à notre développement et notre adaptation à ce que l’Église attend de nous. Je le remercie aussi de ces jours de silence : écouter n’est rien à côté d’avoir à parler. J’ai pu aussi, dans le train et le métro, consulter ou lire des brochures et livres qui attendaient depuis octobre et novembre. […] J’ai l’adresse d’une école d’infirmières qui nous conviendrait bien : pour apprendre à soigner hors des hôpitaux et dispensaires, avec des moyens de fortune, on y prépare des religieuses au diplôme d’État. Bénissez-moi ma Mère. Votre fille, sœur Marie de la Trinité. Ma mère, par qui Dieu m’a tant donné. [Couvent de la] Très Sainte Trinité, [samedi] 14 mai 1938. Ma mère, Ma mère si douce, si bonne, par qui Dieu m’a tant donné – et à qui je voudrais tant que Dieu donne divinement tout ce dont je vous ai privée par ma faute. Notre Seigneur a réparé pour moi auprès du Père – qu’il répare aussi lui-même, pour moi, auprès de ma mère. J’ai cherché la solitude de votre cellule pour ma retraite du mois que je n’ai pu faire qu’aujourd’hui. J’y suis aussi plus avec vous. Il me semble que Dieu me demande de continuer l’effort de douceur et d’humilité – et puis le progrès dans la foi et l’adhésion à sa volonté. […] Depuis votre départ, j’ai revu toutes les sœurs, […] Il me semble que je suis maintenant plus objective, mais je ne les aide pas assez. J’ai parlé de la Sainte Vierge aux chapitres – et nous allons bientôt, avec elle, en revenir à l’humilité. […] Ma mère, vous me comblez de bien trop d’indulgence et de douceur et j’en abuse bien souvent. Soyez avec moi comme vous voudrez, pourvu que cela m’aide à me sanctifier, à me détacher de tout, à chercher Dieu de toute mon âme. Voulez-vous nous bénir toutes, et moi, de votre unique bénédiction, pleine de miséricorde. Votre fille, sœur Marie de la Trinité, o. p. Je suis si pauvre... [Vendredi] 20 mai 1938. Ma fille, Je suis si pauvre que je n’ai pas une feuille de papier pour vous écrire, il faut que je me contente de ces cartes. J’ai emporté pas mal de travail à faire, mais je n’y ai pas touché. Il y a trop à faire avec les âmes. C’est un noviciat ambulant qui m’échoit après la profession de chaque soeur, car rien n’est achevé quand elles nous quittent. De plus en plus, je vois que sauf très rares exceptions et même peut-être sans aucune exception, qu’on ne peut compter sur les supérieures actuelles pour continuer leur formation. Elles-mêmes ont encore besoin d’être formées et reformées, avant d’être capables de conduire les autres. Vraiment, si le Seigneur ne prenait Lui-même en main la maison pour la construire13, tout serait perdu. Mais je compte sur son infinie bonté. Et je continue mon va et vient de pauvre petit instrument avec la plus entière confiance. Il est mon suprême refuge et mon grand Conseil dans la solitude où je suis. Mère Thérèse [-Jehanne] m’aide bien, mais c’est une créature. Pardonnez ma brièveté, les mots ne sont rien, et je n’ai pas le temps de les écrire. Le Seigneur est Tout. Que ce Tout remplisse le vide immense que son amour creuse en nous ! Sœur Saint-Jean. Une heure est une seconde pour ma soif de prière. [Couvent de la] Très Sainte Trinité, [dimanche] 22 mai 1938. Ma mère, Comme vous êtes bonne d’avoir trouvé le temps de m’écrire, j’attendais bien votre lettre, elle m’a été une rosée rafraîchissante. Maintenant, j’attends votre retour de tout mon cœur. Je voudrais bien être auprès de vous pour vous décharger du souci des réparations et des ouvriers, et pour que vous puissiez prier, l’âme bien en repos. Je reviens de l’église où je suis restée une heure qui est une seconde pour ma soif de prière. J’ai beaucoup prié pour vous. Vous avez tant semé dans mon âme et jusqu’à présent la terre n’a donné qu’épines et chardons – et vous avez été toujours quand même si patiente. […] j’ai essayé, encore une fois, de trouver quelque chose de plus pratique et plus simple pour l’habit14, pensant à notre prochaine congrégation intermédiaire où la chose pourra être discutée ; et aussi, à la venue ici de Mgr Heintz, à qui on pourrait montrer la modification. 13 Allusion au Ps 126, 1 L’habit adopté par les sœurs, en septembre 1933, lors de leur reconnaissance canonique, était l’habit monastique peu pratique pour des sœurs de vie apostolique. 14 […] et si vous préférez ne rien modifier cela me sera l’occasion d’un acte d’obéissance que je serai bien heureuse de faire tout simplement, en réparation de tous ceux que j’ai négligés. J’en ai dit tout à l’heure quelques mots au père qui ne tient guère à un changement. […] Le noviciat est assez inerte. J’ai fait, hier, un chapitre bien sévère, et puis je vais m’appliquer aussi à être plus fervente – pour les entraîner. […] Gardez-moi dans votre bénédiction, ma mère, dans vos prières, dans votre patience, dans votre charité ! Je suis bien respectueusement, et aussi humblement que j’en suis capable par la grâce de Dieu, votre petite enfant. Sœur Marie de la Trinité, o. p.