organisme possédant différents génomes co-évoluant de
façon dynamique sur le long terme. À ce titre, la mitochon-
drie, présente dans toutes les cellules eucaryotes où elle
apporte la machinerie nécessaire au métabolisme oxydatif,
a probablement été le plus efficace de ces envahisseurs. De
même, 8 % de notre génome serait constitué d’éléments
rétroviraux [2]. S’il est probable que l’infection joue un rôle
important dans notre évolution et participe à la sélection
naturelle, ce concept « pacifiste » ne suffit pas à accepter la
morbidité et la mortalité qui en découlent. La lutte contre
les maladies infectieuses reste un enjeu important des sys-
tèmes de santé publique.
Parmi les agents infectieux émergents, les virus à ARN
représentent la majorité. L’introduction d’un virus chez un
nouvel hôte est le plus souvent le résultat d’un ensemble de
circonstances offrant l’opportunité de franchir la barrière
d’espèces. Deux questions sont alors posées : comment le
« saut » du virus s’est-il produit ? comment ce virus va-t-il
s’installer avec succès [3-5] ?
La capacité à franchir les barrières d’espèces est liée à
plusieurs facteurs : l’existence d’un énorme réservoir de
virus, l’interconnexion des différentes populations hôtes,
les propriétés biologiques des virus... la liste n’est pas
exhaustive. Connaître toutes les conditions initiales du
« saut » est impossible, reconnaître rétrospectivement les
circonstances favorisantes est utile pour comprendre et agir.
Le monde viral, en particulier celui des virus à ARN,
semble infini et d’une étonnante diversité. Il constitue un
réservoir d’agents pathogènes illimité pouvant infecter tou-
tes les formes de vie. Cette notion de « réservoir » de
diversité est fondamentale pour comprendre la richesse
potentielle des échanges. Pour Joshua Lederberg, le point
de départ de la réflexion est la prise de conscience de
l’évidence : la cohabitation de tous les êtres vivants. La
frontière entre virologies humaine, animale et végétale est
virtuelle, même si, pour des raisons académiques, chaque
spécialité mène une vie séparée [2, 6]. Pour de nombreuses
maladies virales, des recherches ont été menées pour iden-
tifier les réservoirs viraux et tenter de rompre la transmis-
sion à l’homme. Ces recherches sont difficiles et nécessi-
tent une collaboration interdisciplinaire. La définition
même du « réservoir » n’est pas univoque. Haydon et al.
[7] proposent d’inclure dans le terme de « réservoir » la ou
les populations reliées directement ou indirectement sur le
plan épidémiologique à la population « cible », cette ou ces
populations constituant un système de taille suffisante pour
permettre au virus de se maintenir indéfiniment. Il reste à
définir des populations animales candidates, savoir les
identifier, connaître leur écologie, recueillir des prélève-
ments dans le milieu naturel, détecter le virus ou son
ancêtre, faire des analyses phylogéniques... Alors que le
VIH1 est identifié depuis plus de vingt ans, que sa simili-
tude avec les souches simiennes est connue depuis plu-
sieurs années, la démonstration que les chimpanzés Pan
troglodytes troglodytes constituent le réservoir naturel des
souches SIV-cpz pandémiques et non pandémiques, ancê-
tres du VIH1, vient juste d’être rapportée par Keele et al.,
dans une très belle étude publiée en mai 2006 [8]. Les
« sauts » d’espèces à espèces pouvant intéresser tout le
règne animal, la recherche du réservoir peut être une quête
sans fin. Ainsi, le virus influenza H5N1, responsable de la
pandémie de grippe aviaire depuis 2003, élargit son spectre
d’hôte au fur et à mesure de sa diffusion, et de nombreuses
espèces animales aviaires et non aviaires deviennent ainsi
potentiellement dangereuses pour l’homme [9]. L’homme
n’est d’ailleurs pas le seul concerné, des infections virales
émergentes mortelles étant décrites chez d’autres espèces :
les lions du Parc Serengeti (Tanzanie) infectés par le canine
distemper virus (CDV) en 1994, les guépards en captivité
du Winston Safari Parc (Oregon, USA) infectés par un
coronavirus du chat (FECoV) dans les années 1980, un
marmouset mort d’une infection par herpèsvirus humain...
[10-12]. Les relations entre les populations hôtes dépendent
d’innombrables facteurs environnementaux. Une variation
même infime des conditions de vie peut suffire à créer un
empiétement d’écosystèmes différents : variations de cli-
mat, déforestation, créations de réseaux d’irrigation, indus-
trialisation, techniques de culture... Les effets de l’évolu-
tion de la population humaine sont imprévisibles :
allongement de la vie, augmentation démographique, rapi-
dité des échanges, urbanisation, préparation massive des
aliments, mondialisation de la distribution. Le tour du
monde en moins de 80 heures, comparé aux 80 jours de
Jules Vernes au XIX
e
siècle, est une véritable révolution et
une aubaine pour les agents pathogènes : les trajets longue
distance quotidiens transportent des milliers de passagers,
eux-mêmes porteurs de virus. La diffusion mondiale du
SRAS en février 2003 à partir d’un hôtel de Hong Kong
illustre bien ce propos [13]. À toutes ces circonstances
favorisant les échanges de pathogènes, il faut ajouter les
propriétés biologiques des virus à ARN. Ces virus sont
ubiquitaires et possèdent un potentiel évolutif particulière-
ment efficace. Ce sont les virus les plus représentés dans le
monde animal et le monde végétal, et pratiquement les
seuls à présenter des cycles de transmission avec des hôtes
variés (invertébrés), ce qui indique leur extrême faculté
d’adaptation et d’évolution [14]. La source de leur diversité
est le processus même de réplication de leur génome, au
cours duquel mutations et recombinaisons peuvent se pro-
duire. La génération constante de variants a pour résultat
une entité hétérogène connue sous le nom de « quasi-
espèce » [15]. La quasi-espèce est un concept dynamique,
elle représente à chaque instant un état d’équilibre entre la
formation de variants et les forces évolutives de l’environ-
nement. La quasi-espèce peut être considérée comme une
stratégie d’optimisation de la survie, une structure permet-
éditorial
Virologie, Vol. 10, n° 5, septembre-octobre 2006
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