Chroniques des années-lumière

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Astronomes
et télescopes
Chroniques des années-lumière
I l y a toutes sortes d’astrophysiciens. Les théoriciens, qui n’ont jamais mis
l’œil à un oculaire de télescope, mais qui recréent sur leur ordinateur les
conditions de la formation d’une étoile ou de la collision de deux galaxies. Les
observateurs, qui poussent les télescopes à leurs limites dans le but de mesurer
l’abondance du titane dans une étoile supergéante de la galaxie d’Andromède,
de détecter des supernovae à des milliards d’années-lumière de la Terre ou
d’obtenir pour la première fois l’image d’une exoplanète. Il y a aussi des
instrumentalistes, peu nombreux toutefois, qui conçoivent et construisent
avec leurs collègues ingénieurs les appareils permettant de soutirer une
pléthore d’information des quelques photons qui nous parviennent des
étoiles. La plupart d’entre eux enseignent, mais ils doivent aussi consacrer
quelques semaines par année à justifier leurs travaux dans des demandes
de subventions, lesquelles leur permettront d’engager et de superviser des
étudiants à la maîtrise ou au doctorat, d’acquitter les frais de publication de
leurs travaux et d’assister à des conférences internationales. Cependant, ils
ont tous un point commun : la passion de leur travail. En plus d’un quart de
siècle de métier, je n’ai jamais rencontré d’astronome blasé. C’est d’ailleurs
probablement le cas de tous les chercheurs, quel que soit leur domaine.
Quand un travail consiste à observer la nature et à essayer de la comprendre,
et qu’une fois de temps en temps on met le doigt sur un phénomène nouveau
ou qu’on est le premier à voir une nouvelle étoile dans une lointaine galaxie,
ce travail devient rapidement une drogue dont il est extrêmement difficile
de se débarrasser. Je me souviens d’un article publié au début des années
1990 (Était-ce dans Physics Today, ou Scientific American ?) dans lequel on
donnait les résultats d’une étude sur la longévité des chercheurs de différents
domaines : de tous les scientifiques, les astronomes étaient ceux qui vivaient
le plus longtemps ! Est-ce à cause de l’air pur des montagnes sur lesquelles
se dressent les observatoires, d’une prédisposition génétique qui favorise à
la fois la longévité et l’amour des étoiles, de l’attitude plutôt zen qu’entraîne
la contemplation régulière du ciel ou, plus probablement, en raison d’une
fluctuation statistique causée par un trop faible échantillonnage ? Difficile
à dire, mais il est certain que les astronomes sont des personnes plutôt
enthousiastes qui pourraient vous parler pendant des heures de leur plus
récente trouvaille.
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Astronomes et télescopes
Le télescope Gemini Sud dans les Andes chiliennes.
Observatoire Gemini
Paradoxalement, deux des chroniques de ce chapitre portent sur des
astronomes morts avant même d’atteindre l’âge de la retraite, Eddington et
Hubble. Elles ont été présentées dans le cadre de séries d’été consacrées à la
physique (en 2005) et à l’astronomie (en 2009). Ce chapitre sur les astronomes
et leurs instruments se termine sur une chronique qui relate une expérience
personnelle qui m’a ouvert une fenêtre, non pas sur de nouvelles régions de
l’Univers, mais sur un continent dont j’ignorais tout : l’Afrique.
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Chroniques des années-lumière
LA LUMIÈRE EN ASTROPHYSIQUE
Contrairement à la plupart des autres scientifiques, l’astronome n’a pas
directement accès aux objets de ses recherches. En effet, à quelques exceptions
près (vent et neutrinos solaires, échantillons lunaires, météorites ou quelques
rayons cosmiques ici et là), toute l’information en provenance de l’Univers
nous est transmise par la lumière. Celle-ci, par sa capacité à interagir avec la
matière, garde une empreinte indélébile du milieu qui l’a vu naître ou avec
lequel elle a interagi. Un des plus grands défis de l’astronome consiste donc
à extraire, par des moyens plus astucieux les uns que les autres, le maximum
d’information des photons qui ont traversé l’espace pendant des millions,
voire des milliards d’années.
Une grande fenêtre sur l’Univers s’est ouverte en 1609, alors que Galileo
Galilei pointa une lunette, de dimension modeste, vers le ciel. Depuis, le
développement technologique a permis une augmentation considérable de
la dimension et de l’acuité visuelle des télescopes. On utilise maintenant des
miroirs segmentés et des matériaux composites, comme au Keck à Hawaii
ou pour les futurs mastodontes Extremely Large Telescope européen et Thirty
Meter Telescope nord-américain, qui augmentent le pouvoir collecteur des
télescopes tout en diminuant la difficulté de fabrication de miroirs ainsi que
le poids de la structure. L’optique adaptative, qui consiste à déformer un
des miroirs du train optique des télescopes ou des instruments qu’il héberge
de manière à contrer la turbulence atmosphérique, fournit des images
d’une qualité souvent supérieure à celles de télescopes spatiaux. L’efficacité
quantique des détecteurs (leur capacité à enregistrer tous les photons qui
les atteignent) frôle la perfection, tandis que le domaine observable de
longueurs d’onde couvre pratiquement tout le spectre électromagnétique,
des ondes radio aux rayons gamma. Le télescope est le premier élément de
l’interprétation de la lumière ; il permet d’amasser les photons qui contiennent
toute l’information dont nous avons besoin. Mais le rôle d’extraction de
renseignements revient à tout l’arsenal d’instruments qui sont attachés au
télescope : caméras, spectrographes, polarimètres, détecteurs, sans lesquels
aucune information ne pourrait être extraite de la lumière.
Quel type d’information la lumière peut-elle donc transmettre sur d’aussi
grandes distances ?
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Astronomes et télescopes
La couleur
Ce que nous appelons familièrement la lumière ne couvre qu’un domaine
très restreint du spectre électromagnétique – entre 400 en 800 nanomètres
de longueur d’onde, soit entre le violet et le rouge – auquel nos yeux sont
sensibles. Les rayons gamma émis lors d’explosions nucléaires, les rayons X
utilisés en médecine, l’ultraviolet qui nous fait bronzer, la lumière visible qui
nous parvient d’une lampe de poche, l’infrarouge émis par le corps humain,
les micro-ondes qui réchauffent nos repas et les ondes radio qui transmettent
le signal de notre émission préférée sont toutes des formes de rayonnement
électromagnétique qui ne diffèrent que par leur fréquence (et donc leur
longueur d’onde et leur énergie). La couleur d’un objet nous informe sur
la région du spectre qui l’émet en plus grande quantité ; elle est en général
une très bonne indicatrice de l’énergie en jeu lors du processus d’émission
de la lumière. Ainsi, dans le domaine visible, on peut estimer la température
d’une étoile à partir de sa couleur, à condition que sa lumière ne soit pas trop
atténuée par la poussière interstellaire. Par exemple, dans la constellation
d’Orion, la froide Bételgeuse nous apparaît rougeâtre alors que Rigel, une
supergéante dont la température de surface atteint 25 000 degrés, est bleue.
Un graphique de la brillance des étoiles d’un amas stellaire en fonction de leur
couleur devient, lorsque traduit en termes de luminosité et de température
de surface, l’outil diagnostique le plus puissant de l’astrophysique stellaire,
le diagramme de Hertzsprung-Russel. Aux deux extrêmes de température,
le gaz neutre du milieu interstellaire, très froid (quelques dizaines de degrés
Kelvin), émet presque uniquement des ondes radio alors que la formation
d’un trou noir à partir de l’effondrement gravitationnel d’une étoile, un des
phénomènes les intenses de l’Univers, émet des rayons gamma en grande
quantité.
Les raies spectrales
Clé de l’interaction entre la lumière et la matière, la compréhension du
processus qui crée les raies spectrales est un des triomphes de la physique
quantique, élaborée au début du 20e siècle. Le modèle de l’atome, plutôt
simple, mais conceptuellement révolutionnaire, que Niels Bohr propose
en 1913, stipule que les électrons sont, à l’intérieur de l’atome, astreints à
occuper des niveaux d’énergie bien précis. Ainsi, lorsqu’un électron passe
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Chroniques des années-lumière
d’un niveau d’énergie élevé, bien déterminé, à un autre de plus basse
énergie, un photon ayant une énergie correspondant à la différence entre les
deux niveaux est émis. De la même façon, les atomes absorbent la lumière
à des longueurs d’onde bien précises. Le modèle de Bohr a été révisé et
amélioré par la mécanique quantique vers 1925, mais le concept de niveaux
d’énergie demeure. Par exemple, l’hydrogène émet et absorbe la lumière
à 656,3 nanomètres (raie H␣), ainsi qu’à une demi-douzaine de longueurs
d’onde précises dans le domaine visible. L’oxygène gazeux émet de la lumière
à 495,9, 500,7 et 630,0 nanomètres et jamais entre ces longueurs d’onde.
Chaque élément du tableau périodique est donc caractérisé par des niveaux
d’énergie qui lui sont propres et qui donnent naissance à ce qu’on appelle
les raies spectrales, lors de l’interaction entre l’atome et la lumière. Ces raies
spectrales, caractérisées par une longueur d’onde précise, sont les empreintes
de cette relation particulière entre les atomes et la lumière qui peut alors
transmettre l’information sur d’immenses distances. Les astronomes utilisent
des spectrographes pour séparer la lumière en ses différentes longueurs
d’onde. Le résultat, le spectre de l’astre observé, devient alors le témoin de
ce qui s’est passé au moment où la lumière a quitté l’astre en question. On
peut ainsi déterminer la composition chimique des étoiles ou des galaxies, la
densité et la température du gaz interstellaire en mesurant, dans la lumière
qui nous parvient, la longueur d’onde des raies spectrales et leurs intensités
relatives.
L’effet Doppler
L’effet Doppler survient lorsqu’une source sonore ou lumineuse se rapproche
ou s’éloigne de l’observateur qui mesure sa longueur d’onde. Dans la vie de
tous les jours (ou plus probablement, de toutes les semaines si on habite
en ville), on est familier avec le changement de ton de la sirène de police
quand elle passe près de nous (pour attraper quelqu’un d’autre, on l’espère !),
changement qui s’explique par l’effet Doppler. Ainsi, la différence entre la
longueur d’onde des raies d’un élément donné (par exemple l’hydrogène)
dans le spectre d’une étoile et celle mesurée en laboratoire ou déterminée
théoriquement nous renseigne sur la vitesse de cette étoile par rapport à
nous. Trois exemples illustrent l’importance de mesurer l’effet Doppler en
astronomie :
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Astronomes et télescopes
0,1
[SII] 6731
[SII] 6717
0,15
[NII] 6548
Intensité
0,2
[NII] 6584
H␣
0,25
0,05
0
655
660
665
670
675
Longueur d’onde (nm)
La spectroscopie est l’outil de base de l’astrophysique. Ces images d’une section du reste
de supernova NGC 6992 proviennent d’un spectrographe à champ intégral, SpIOMM,
utilisé à l’Observatoire du mont Mégantic. Elles illustrent quelques-unes des informations
que l’on peut tirer d’un spectre, car SpIOMM permet d’obtenir le spectre de chaque
source de lumière dans son champ de vision. La couleur affichée dans l’image de gauche,
illustre la vitesse du gaz par rapport à nous : les régions bleues se rapprochent de nous
tandis que les rouges s’en éloignent. Dans l’image de droite, c’est plutôt l’intensité relative
des raies d’hydrogène (en rouge) et d’azote (en bleu) qui est mise en évidence. Le spectre
de deux filaments, décalés par effet Doppler, est présenté plus bas. On note la présence
de deux raies d’azote ionisé, d’une raie d’hydrogène et de deux raies de soufre ionisé.
Une comparaison entre la longueur d’onde centrale de chaque raie dans le spectre et la
longueur d’onde de cette même raie mesurée en laboratoire indique la vitesse à laquelle
le gaz se déplace. L’intensité relative des raies fournit la composition chimique et la
densité du gaz.
Alexandre Alarie/Laurent Drissen – Observatoire du mont Mégantic
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Chroniques des années-lumière
[]
C’est en mesurant le décalage vers le rouge des raies spectrales
de galaxies lointaines que Edwin Hubble et Milton Humason
ont observé, vers la fin des années 1920, que plus une galaxie
est éloignée de nous, plus elle s’éloigne rapidement ; ils ont ainsi
découvert l’expansion de l’Univers.
[]
C’est en mesurant le changement périodique de la longueur d’onde
centrale de quelques raies dans le spectre de l’étoile 51 Pégase
que Didier Queloz et Michel Mayor ont découvert la première
exoplanète en 1995.
[]
C’est en mesurant la vitesse du gaz et des étoiles près du noyau des
nombreuses galaxies qu’on y a détecté la présence de trous noirs
supermassifs.
La polarisation
La polarisation de la lumière est une propriété moins bien exploitée, car
elle est beaucoup plus difficile à mesurer. Chaque quantum de lumière, ou
photon, est associé à un champ électrique qui oscille dans un plan en se
déplaçant. L’orientation de ce plan est aléatoire. Ainsi, dans un faisceau de
lumière « normal », chaque photon oscille dans un plan différent et il n’y a pas
de plan globalement « privilégié » ; on dit alors que la lumière est non polarisée.
Mais certains processus d’interaction entre la matière et la lumière privilégient
certains plans de vibration des photons. La lumière émise ou absorbée lors
de ce processus devient polarisée. Ainsi, la présence d’un champ magnétique
dans une étoile ou une asymétrie quelconque dans son atmosphère polarise
la lumière. De même, la présence de poussière dans le milieu interstellaire
polarise la lumière.
La limite de vitesse
La vitesse de la lumière n’est pas infinie. Comme l’ont mesuré Ole Chritensen
Roemer dès 1676, puis, avec une précision de plus en plus grande, James
Bradley en 1725, Hippolyte Fizeau en 1849 ou Albert Michelson en 1879,
un faisceau de lumière voyage, dans le vide, à une vitesse approchant
300 000 kilomètres par seconde. Einstein a postulé en 1905 que la vitesse de
la lumière était constante (toujours dans le vide) quelle que soit la vitesse
de la source ou de l’observateur qui mesure cette vitesse ; c’était l’un des
postulats de la relativité restreinte, vérifiée maintes fois depuis. Aujourd’hui,
( 8)
Astronomes et télescopes
on ne mesure plus la vitesse de la lumière : on a adopté une valeur de
299 792 458 mètres par seconde.
La finitude de la vitesse de la lumière peut paraître un désavantage,
car l’information qu’elle contient n’est pas transmise instantanément. Ainsi,
une directive transmise par onde radio à une sonde sur Saturne mettra au
minimum une heure et demie pour lui parvenir. Les voyages intersidéraux
sont impensables, car même en supposant qu’on réussisse à concevoir des
vaisseaux se déplaçant à la vitesse ultime, un simple déplacement vers la
nébuleuse d’Orion prendrait plusieurs générations.
Mais c’est justement grâce à cette relative lenteur que nous pouvons
retracer l’histoire de l’Univers. Nous n’avons pas à imaginer le passé de
l’Univers car nous le voyons dès que nous posons notre œil sur l’oculaire
d’un télescope. La lumière que nous recevons du Grand Nuage de Magellan
a été émise il y a 180 000 ans. Sur une échelle cosmique, c’est presque rien.
Mais nous pouvons voir beaucoup plus loin : la lumière du sursaut gamma
GRB 080916C avait voyagé 12,2 milliards d’années avant d’être captée par le
télescope Fermi1: nous avons alors vu une partie de l’Univers tel qu’il était
à peine un milliard et demi d’années après le big-bang. Nous pouvons donc
retracer l’histoire de l’Univers, pratiquement jusqu’à ses débuts, en pointant
nos télescopes vers des galaxies situées à différentes distances.
Corolaire
Nos connaissances sur l’Univers sont donc tributaires de notre capacité à
exploiter l’énorme richesse que constitue l’information emmagasinée dans la
lumière qui nous parvient du cosmos. Mais le corolaire de cette dépendance
expose les limites de nos connaissances, car comment alors comprendre une
des composantes de l’Univers qui n’émet pas de lumière ? Et ça devient très
embêtant quand c’est le cas de plus de 90 % de la matière dans l’Univers !
Nous décelons la présence de cette matière sombre, car celle-ci interagit
avec la matière visible par l’entremise d’un champ gravitationnel, mais
il est impossible de la détecter autrement et donc de l’analyser avec nos
outils traditionnels, car elle ne produit pas de lumière et semble totalement
insensible au champ électromagnétique. D’où la difficulté à cerner la nature
de cette matière sombre, qui nous nargue depuis presque un siècle.
1. Voir la chronique Un sursaut gamma particulier, page 273.
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Chroniques des années-lumière
L’ANNÉE MONDIALE DE L’ASTRONOMIE
Afin de célébrer le 400e anniversaire de la première observation du ciel
avec un télescope par Galilée, l’UNESCO a déclaré 2009 Année mondiale
de l’astronomie. De Taipei à Santiago et de Rimouski à Ouagadougou, les
astronomes amateurs et professionnels ont sauté sur l’occasion et s’en sont
donné à cœur joie pour partager leur passion avec leurs concitoyens. De
nombreux observatoires, petits et grands, ont bourdonné d’activités visant
à transmettre à chaque citoyen de la Terre l’émerveillement et l’émotion
qu’apportent la contemplation de la voûte étoilée et la compréhension de la
place que nous occupons dans l’Univers.
Il y a quatre siècles…
La physique doit beaucoup à Galileo Galilei (1564-1642), inventeur et
expérimentateur de génie. Galilée allie une volonté d’interpréter le monde par
l’entremise d’expériences à la ferme conviction que les lois qui régissent ce
monde peuvent être transcrites par les mathématiques. On lui doit le principe
d’inertie (« tout corps reste au repos ou en mouvement rectiligne uniforme
tant qu’une force extérieure ne lui est pas appliquée ») qui sera repris par
Newton, la loi de la chute des corps et l’utilisation du plan incliné pour
mesurer l’accélération gravitationnelle. Il est sans conteste l’un des fondateurs
de la physique moderne. L’un de ses faits d’armes, célébré en 2009, est sa
contribution fondamentale à l’astronomie.
À l’époque de Galilée, la lunette d’approche, constituée d’un tube et de
lentilles, était dans l’air du temps depuis quelques années déjà, en particulier
en Hollande où Hans Lippershey (1570-1619) avait fait une demande de brevet
en 1608. Le génie de Galilée a été de construire lui-même une lunette, en
s’inspirant du modèle existant, mais en l’améliorant considérablement pour
diminuer ses aberrations optiques et augmenter son pouvoir grossissant. En
moins d’un an, Galilée transforme une simple lunette de qualité optique
médiocre, qui ne grossit que trois fois, en un instrument scientifique assez
puissant – grossissant 20 fois – pour lui permettre de révolutionner (le mot
n’est pas trop fort !) l’astronomie et notre vision du monde. Pourquoi parle-t-on
de révolution dans le cas de Galilée ? En observant la Lune, Galilée découvre
des cratères et des montagnes dont il déduit la hauteur. Pointant sa lunette
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Astronomes et télescopes
Galileo Galilei (1564-1642). Portrait par Ottavio Leoni (1578-1630).
en direction de Jupiter, il découvre quatre objets qui tournent autour de lui et
qui sont appelés aujourd’hui « satellites galiléens » : Io, Ganymède, Europa et
Callisto. Il en conclut que l’Univers ne tourne pas autour de la Terre ! Saturne
est entourée d’un renflement qu’il ne peut identifier clairement, les anneaux.
Le Soleil non plus n’est pas parfait, car sa surface est couverte de taches, et il
tourne sur lui-même. La Voie lactée le surprend aussi :
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Chroniques des années-lumière
À l’aide du télescope, j’ai scruté la Voie lactée. Elle n’est en fait rien d’autre
qu’une collection d’étoiles innombrables regroupées en amas. Quel que
soit l’endroit où le télescope est pointé, une foule d’étoiles se présentent à
moi.
Tout ce qu’il observe va à l’encontre de ce qui était alors convenu, en
particulier le modèle d’Aristote : le monde au-delà de la Terre est parfait, tous
les astres sont impeccablement sphériques et tournent autour de la Terre selon
des mouvements circulaires. Il brisera ces dogmes en relatant ce qu’il voit
à travers sa lunette et donne raison au modèle héliocentrique de Copernic,
mais que plusieurs personnes refusent toujours d’admettre. Malgré son amitié
passée avec le pape Urbain VIII, Galilée paiera le prix de cet affront à l’Église
en étant assigné à résidence par l’Inquisition en 1633 jusqu’à sa mort en 1642.
Galilée n’est pas le seul, ni même le premier à avoir pointé une lunette
vers le ciel. Thomas Harriot, en Angleterre, observe la Lune et le Soleil avec
un instrument similaire à celui de Galilée, et en fait même des dessins avant
celui-ci, mais il n’essaie pas d’en tirer des conclusions physiques et, surtout,
il ne prend pas la peine de publier pas ses observations. Il est aujourd’hui
impératif pour un chercheur de publier ses résultats scientifiques dans des
revues arbitrées par ses pairs, d’une part pour continuer à recevoir des
subventions des organismes gouvernementaux, mais aussi pour s’assurer de
la paternité de ses découvertes. Il semble que c’était aussi le cas au XVIe siècle ;
voilà pourquoi peu de gens ont entendu parler de Harriot. Contrairement
à Harriot, Galilée a le sens de la communication et décrit le résultat de ses
observations dans le livre Le messager céleste publié en 1610. Ce livre fut un
grand succès.
L’année mondiale de l’astronomie aurait dû rendre aussi hommage à
Johannes Kepler, qui a publié le livre Astronomia Nova en 1609. Il y relate
son étude du mouvement de la planète Mars, énonce ses deux premières lois
sur les mouvements des planètes dans le système solaire, émet l’hypothèse
que le Soleil tourne sur lui-même, cherche l’explication physique aux
mouvements célestes et pave la voie à l’œuvre de Newton, un siècle plus
tard. Malheureusement, les travaux de Kepler ont eu fort peu d’échos lors de
l’Année mondiale de l’astronomie.
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Astronomes et télescopes
Les objectifs de l’Année mondiale de l’astronomie
Dans le même esprit que l’année internationale de la physique en 2005, dont
le prétexte était le centenaire de la publication des fameux articles d’Einstein,
l’année mondiale de l’astronomie avait pour principaux objectifs :
[]
De célébrer l’astronomie et ses contributions, scientifiques, mais
aussi culturelles, à la société ;
[]
De promouvoir l’accès à la connaissance ;
[]
D’attirer les jeunes vers les sciences par le biais de l’astronomie ;
[]
De favoriser une collaboration accrue entre amateurs et professionnels.
Un des outils de promotion les plus populaires consistait à faire vivre un
« moment galiléen » au plus grand nombre de personnes possible : assister à
une conférence ou, encore mieux, observer le ciel avec des jumelles ou un
télescope. C’est bien beau de voir des images de Jupiter et ses lunes dans un
livre ou sur Internet, mais les observer soi-même dans une paire de jumelles,
c’est encore mieux ! Les regroupements d’astronomes amateurs ont ainsi été
particulièrement actifs, car près de deux millions de moments galiléens ont
ainsi été compilés au Canada seulement.
L’année 2009 marquait aussi le 150e anniversaire de la publication de
L’Origine des espèces de Charles Darwin. Or, une des grandes contributions
de l’astronomie au 20e siècle est justement d’avoir réalisé que l’Univers a lui
aussi une histoire et qu’il évolue, tout comme ses principales constituantes.
Les mécanismes évolutifs de l’Univers sont évidemment très différents de
la sélection naturelle proposée par Darwin pour expliquer l’évolution des
espèces animales et végétales, mais on peut néanmoins percevoir un lien
conceptuel entre les deux ainsi qu’un changement fondamental de paradigme
dans leur champ respectif. Les étoiles qui naissent aujourd’hui sont beaucoup
plus riches en éléments lourds que celles des générations précédentes, ce
qui affecte à la fois leur structure, leur parcours évolutif et leur influence
sur le milieu interstellaire et les futures générations d’étoiles. Les galaxies
d’aujourd’hui ont, pour la plupart, une structure et une cinématique bien
organisées, ce qui n’était pas le cas il y a 7 ou 8 milliards d’années. Les plus
grosses d’entre elles ont amalgamé les plus petites et continuent de le faire
aujourd’hui.
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Chroniques des années-lumière
Galilée aurait évidemment été stupéfait des découvertes de l’astronomie
depuis la publication de son célèbre ouvrage Le messager céleste et il serait
tout aussi impressionné par l’évolution de la technologie qu’il a contribué à
développer. Je crois aussi qu’il aurait été particulièrement heureux de constater
l’engouement pour l’astronomie d’un aussi grand nombre d’astronomes
amateurs qui scrutent le ciel avec les descendants de sa lunette. 2009 aura
donc été une année de découverte pour plusieurs, de partage pour les
scientifiques et, surtout, un hymne à la beauté de l’Univers.
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