Astronomes
et télescopes
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Chroniques des années-lumière
Il y a toutes sortes d’astrophysiciens. Les théoriciens, qui n’ont jamais mis
l’œil à un oculaire de télescope, mais qui recréent sur leur ordinateur les
conditions de la formation d’une étoile ou de la collision de deux galaxies. Les
observateurs, qui poussent les télescopes à leurs limites dans le but de mesurer
l’abondance du titane dans une étoile supergéante de la galaxie d’Andromède,
de détecter des supernovae à des milliards d’années-lumière de la Terre ou
d’obtenir pour la première fois l’image d’une exoplanète. Il y a aussi des
instrumentalistes, peu nombreux toutefois, qui conçoivent et construisent
avec leurs collègues ingénieurs les appareils permettant de soutirer une
pléthore d’information des quelques photons qui nous parviennent des
étoiles. La plupart d’entre eux enseignent, mais ils doivent aussi consacrer
quelques semaines par année à justifier leurs travaux dans des demandes
de subventions, lesquelles leur permettront d’engager et de superviser des
étudiants à la maîtrise ou au doctorat, d’acquitter les frais de publication de
leurs travaux et d’assister à des conférences internationales. Cependant, ils
ont tous un point commun : la passion de leur travail. En plus d’un quart de
siècle de métier, je n’ai jamais rencontré d’astronome blasé. C’est d’ailleurs
probablement le cas de tous les chercheurs, quel que soit leur domaine.
Quand un travail consiste à observer la nature et à essayer de la comprendre,
et qu’une fois de temps en temps on met le doigt sur un phénomène nouveau
ou qu’on est le premier à voir une nouvelle étoile dans une lointaine galaxie,
ce travail devient rapidement une drogue dont il est extrêmement difficile
de se débarrasser. Je me souviens d’un article publié au début des années
1990 (Était-ce dans Physics Today, ou Scientific American ?) dans lequel on
donnait les résultats d’une étude sur la longévité des chercheurs de différents
domaines : de tous les scientifiques, les astronomes étaient ceux qui vivaient
le plus longtemps ! Est-ce à cause de l’air pur des montagnes sur lesquelles
se dressent les observatoires, d’une prédisposition génétique qui favorise à
la fois la longévité et l’amour des étoiles, de l’attitude plutôt zen qu’entraîne
la contemplation régulière du ciel ou, plus probablement, en raison d’une
fluctuation statistique causée par un trop faible échantillonnage ? Difficile
à dire, mais il est certain que les astronomes sont des personnes plutôt
enthousiastes qui pourraient vous parler pendant des heures de leur plus
récente trouvaille.
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Astronomes et télescopes
Le télescope Gemini Sud dans les Andes chiliennes.
Observatoire Gemini
Paradoxalement, deux des chroniques de ce chapitre portent sur des
astronomes morts avant même d’atteindre l’âge de la retraite, Eddington et
Hubble. Elles ont été présentées dans le cadre de séries d’été consacrées à la
physique (en 2005) et à l’astronomie (en 2009). Ce chapitre sur les astronomes
et leurs instruments se termine sur une chronique qui relate une expérience
personnelle qui m’a ouvert une fenêtre, non pas sur de nouvelles régions de
l’Univers, mais sur un continent dont j’ignorais tout : l’Afrique.
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Chroniques des années-lumière
LA LUMIÈRE EN ASTROPHYSIQUE
Contrairement à la plupart des autres scientifiques, l’astronome n’a pas
directement accès aux objets de ses recherches. En effet, à quelques exceptions
près (vent et neutrinos solaires, échantillons lunaires, météorites ou quelques
rayons cosmiques ici et là), toute l’information en provenance de l’Univers
nous est transmise par la lumière. Celle-ci, par sa capacité à interagir avec la
matière, garde une empreinte indélébile du milieu qui l’a vu naître ou avec
lequel elle a interagi. Un des plus grands défis de l’astronome consiste donc
à extraire, par des moyens plus astucieux les uns que les autres, le maximum
d’information des photons qui ont traversé l’espace pendant des millions,
voire des milliards d’années.
Une grande fenêtre sur l’Univers s’est ouverte en 1609, alors que Galileo
Galilei pointa une lunette, de dimension modeste, vers le ciel. Depuis, le
développement technologique a permis une augmentation considérable de
la dimension et de l’acuité visuelle des télescopes. On utilise maintenant des
miroirs segmentés et des matériaux composites, comme au Keck à Hawaii
ou pour les futurs mastodontes Extremely Large Telescope européen et Thirty
Meter Telescope nord-américain, qui augmentent le pouvoir collecteur des
télescopes tout en diminuant la difficulté de fabrication de miroirs ainsi que
le poids de la structure. L’optique adaptative, qui consiste à déformer un
des miroirs du train optique des télescopes ou des instruments qu’il héberge
de manière à contrer la turbulence atmosphérique, fournit des images
d’une qualité souvent supérieure à celles de télescopes spatiaux. L’efficacité
quantique des détecteurs (leur capacité à enregistrer tous les photons qui
les atteignent) frôle la perfection, tandis que le domaine observable de
longueurs d’onde couvre pratiquement tout le spectre électromagnétique,
des ondes radio aux rayons gamma. Le télescope est le premier élément de
l’interprétation de la lumière ; il permet d’amasser les photons qui contiennent
toute l’information dont nous avons besoin. Mais le rôle d’extraction de
renseignements revient à tout l’arsenal d’instruments qui sont attachés au
télescope : caméras, spectrographes, polarimètres, détecteurs, sans lesquels
aucune information ne pourrait être extraite de la lumière.
Quel type d’information la lumière peut-elle donc transmettre sur d’aussi
grandes distances ?
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La couleur
Ce que nous appelons familièrement la lumière ne couvre qu’un domaine
très restreint du spectre électromagnétique – entre 400 en 800 nanomètres
de longueur d’onde, soit entre le violet et le rouge – auquel nos yeux sont
sensibles. Les rayons gamma émis lors d’explosions nucléaires, les rayons X
utilisés en médecine, l’ultraviolet qui nous fait bronzer, la lumière visible qui
nous parvient d’une lampe de poche, l’infrarouge émis par le corps humain,
les micro-ondes qui réchauffent nos repas et les ondes radio qui transmettent
le signal de notre émission préférée sont toutes des formes de rayonnement
électromagnétique qui ne diffèrent que par leur fréquence (et donc leur
longueur d’onde et leur énergie). La couleur d’un objet nous informe sur
la région du spectre qui l’émet en plus grande quantité ; elle est en général
une très bonne indicatrice de l’énergie en jeu lors du processus d’émission
de la lumière. Ainsi, dans le domaine visible, on peut estimer la température
d’une étoile à partir de sa couleur, à condition que sa lumière ne soit pas trop
atténuée par la poussière interstellaire. Par exemple, dans la constellation
d’Orion, la froide Bételgeuse nous apparaît rougeâtre alors que Rigel, une
supergéante dont la température de surface atteint 25 000 degrés, est bleue.
Un graphique de la brillance des étoiles d’un amas stellaire en fonction de leur
couleur devient, lorsque traduit en termes de luminosité et de température
de surface, l’outil diagnostique le plus puissant de l’astrophysique stellaire,
le diagramme de Hertzsprung-Russel. Aux deux extrêmes de température,
le gaz neutre du milieu interstellaire, très froid (quelques dizaines de degrés
Kelvin), émet presque uniquement des ondes radio alors que la formation
d’un trou noir à partir de l’effondrement gravitationnel d’une étoile, un des
phénomènes les intenses de l’Univers, émet des rayons gamma en grande
quantité.
Les raies spectrales
Clé de l’interaction entre la lumière et la matière, la compréhension du
processus qui crée les raies spectrales est un des triomphes de la physique
quantique, élaborée au début du 20e siècle. Le modèle de l’atome, plutôt
simple, mais conceptuellement révolutionnaire, que Niels Bohr propose
en 1913, stipule que les électrons sont, à l’intérieur de l’atome, astreints à
occuper des niveaux d’énergie bien précis. Ainsi, lorsqu’un électron passe
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