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pouvais recommencer « la première fois ». Il s’agira de recouvrir la dimension irrévocable de
l’acte fautif par une sorte de fiction sociale permettant d’agir comme si « de rien n’était »…
Rendre compte d’une relation sociale en tant qu’elle est une circonstance réelle
consiste à décrire la moindre salutation comme un acte de parole irrévocable, en tant que ce
travail des relations sociales modifie le monde. Nous rejoignons en cela l’approche
phénoménologique de la notion de travail, telle qu’elle est définie -dans Le chercheur et le
quotidien- par Alfred Schütz : « Les actions simplement mentales sont révocables. Mais le
travail ne l’est pas. Mon travail a transformé le monde extérieur. Au mieux, je puis restituer
la situation initiale par des mouvements contraires, mais je ne puis défaire ce que j’ai fait.
Voilà pourquoi je suis responsable -d’un point de vue moral et légal- de mes actes et non de
mes pensées ». La notion de travail traduit donc la mise en responsabilité de l’acteur social en
tant qu’il est l’auteur d’un acte de parole. Filmer le travail des relations sociales consiste, par
exemple, à rendre compte comment une personne travaille sa représentation de soi, tel que
Goffman définit le « travail de la face » selon son expression de « face work » ; ou encore,
comment il décrit l’indulgence, dont font preuve les interactants face à un écart à la règle en
« travaillant » un compromis [un « working acceptance », en termes goffmaniens].
Afin de filmer ce qui se travaille dans une situation sociale, l’ethno-cinéaste doit se
tenir au plus près des interactions. Non pas devant le champ social, mais inclus dedans, en
tant en tant qu’observateur-filmant : c’est-à-dire comme « tiers-exclu », inclus dans la
situation sociale observée. Celui qui filme se situe alors dans une situation de liminarité -ni
dedans, ni dehors : inclus en tant qu’exclu. Il appartient en cela aux « gens du seuil » selon la
belle expression de Victor W. Turner.
Pour cela, l’observateur-filmant ne doit représenter ni une ressource, ni une menace
pour l’activité en cours, de telle sorte que sa présence ne sera pas prise au sérieux par les
participants, elle ne produira qu’un effet divertissant et des réactions marginales, comme en
témoignent les clins d’oeils amusés ou les regards de côtés [les visées latérales] en direction
de la caméra. En d’autres termes, la personne filmée peut agir comme si la caméra n’existait
pas, dans la mesure où le filmant ne peut exister en tant qu’interlocuteur, qu’il ne peut
intervenir dans son action. C’est un « petit ». De son côté, l’observateur-filmant sait bien que
la présence de sa caméra est incongrue, mais quand même il agit comme si filmer cette
situation qui n’est pas prévue d’être enregistrée allait de soi. Filmant et filmé construisent
donc une relation sociale qui reposent sur une double dénégation, selon la formule du « je sais
bien mais quand même », si bien que s’instaure -entre filmant et filmé- une immersion
fictionnelle que l’on désignera sous le terme de « situation filmante ». Il s’agit d’un espace