106 Revue militaire canadienne ●hiver 2007-2008
COMPTES RENDUS
et qu’elle finirait par déguerpir, exposant à des représailles
les appuis qu’il aurait réussi à gagner parmi la population.
Dans les deux cas, l’armée française a occupé une
position dominante mais en pure perte, dans la mesure
où elle ne contrôlait ni le terrain ni la population. Dans
cette nouvelle zone, comme dans la plupart des zones
en Algérie, l’armée se trouvait prise dans un cercle
vicieux : en raison des opérations militaires répétées, la
population était farouchement opposée aux Français, de
sorte que les soldats la traitaient en ennemie. La dernière
partie du livre contient les conclusions de l’auteur.
Celui-ci y dresse la liste des principaux facteurs
qui ont, croit-il, influencé la guerre d’Algérie et énonce les
principes qui guident, à ses yeux, la contre-insurrection.
À une époque où la plupart des officiers envisageaient
le conflit comme un combat classique entre soldats,
Galula part du principe qu’une solution politique s’imposait.
Pour lui, le militaire n’était qu’une force permettant
de pacifier un pays, puis d’en assurer la sécurité afin
d’amener la population civile à prendre part au processus
politique pour que des solutions permanentes soient
apportées. Sa grande théorie, c’est que les rebelles et
l’armée visent un même objectif : gagner l’appui de
la population. Dès son arrivée en Algérie et fort de
cette théorie, Galula s’emploie à couper la population
des rebelles. Il sait que, pour y parvenir, il doit éviter
de se mettre la population à dos et observer la règle
suivante : « en apparence, il faut traiter chaque civil
en ami; en son for intérieur, il faut le considérer comme
un rebelle jusqu’à preuve du contraire. » Galula porte un
regard intelligent et analytique sur une contre-insurrection
visant des objectifs précis. Grâce à son approche « ferme
mais juste », il évite de s’aliéner la population. Galula
est d’avis que, une fois la zone pacifiée, il faut la
soutenir et maintenir une présence militaire pour
prévenir le retour des insurgés. Cette méthode le
conduit à disperser sa compagnie dans toute la zone
d’opérations. Toutefois, comble de l’ironie, le haut
commandement n’estime pas à leur juste valeur ni ce
déploiement ni l’absence de combat, une fois la zone
pacifiée. L’armée française qui, comme toute armée,
mesure le succès au nombre de morts chez l’ennemi
et à l’ardeur des combats, ne voit pas dans cette pacification
une victoire.
Rédigé avec humour et avant l’époque de la
rectitude politique à tous crins – par exemple, le jugement
sévère que Galula porte sur l’islam ne serait plus
accueilli favorablement aujourd’hui –, l’ouvrage constitue
également une lecture rafraîchissante et propose une
perspective différente sur la guerre d’Algérie. L’Histoire
est souvent écrite par des universitaires de gauche
pour qui tous les crimes que commettent les rebelles
durant une guerre d’indépendance sont acceptables,
car la fin justifie les moyens. Ils retiendront le fait
qu’une puissance coloniale répressive cherche à entraver
la juste émancipation d’un peuple. Mais cette vision
tranchée de la réalité ne rend pas justice aux soldats
qui ont combattu pour la France et qui étaient pour
la plupart des hommes d’honneur. En revanche, les
rebelles sont souvent « absous », même s’ils comptent
dans leurs rangs bon nombre de criminels de droit
commun et de terroristes sadiques. Pourtant, en
décembre 2007, au moment même où j’écris ces lignes, des
bombes explosent à Alger, et l’on peut difficilement en
imputer la faute aux colons français. La majeure partie de la
population algérienne souhaitait peut-être disposer
d’une plus grande autonomie, mais peu d’Algériens
soutenaient les rebelles, qui tentaient d’exercer le contrôle
par la terreur. Le référendum de 1958 l’a clairement montré :
aucun segment de la population n’appuyait dans une
large mesure l’indépendance complète. Le nombre de recrues
qui sont entrées au service de l’armée française constitue
une autre mesure de la popularité de la rébellion.
En effet, quelque 100 000 Algériens de confession
musulmane se sont engagés dans l’armée française, et
c’est sans compter les forces d’autodéfense des villages.
En 1958, les forces rebelles comptaient pour leur part
de 8 000 à 9 000 personnes. Le livre se conclut sur
ce que Galula considère comme les quatre lois de la
contre-insurrection :
• l’objectif est de gagner la population;
• le soutien à la population doit être organisé;
• la contre-insurrection elle-même doit être vue comme la
victoire ultime; et
• la concentration des efforts doit s’effectuer zone par zone.
Aux yeux de Galula, une contre-insurrection n’est
jamais perdue en dépit de l’impopularité du régime exerçant
la répression. Au fil du temps, la guerre elle-même, et donc
la sécurité de la population civile, devient l’enjeu
principal, et l’avantage idéologique des insurgés diminue.
Dans l’espoir que ces leçons puissent servir en Irak,
la RAND Corporation réédite aujourd’hui le livre de
David Galula. Cinquante ans après sa rédaction, il reçoit
l’accueil enthousiaste d’une armée qui cherche à s’extirper
d’une situation épineuse en partie attribuable, à mon
avis, à une confiance excessive dans les armes de haute
technologie. On se prend à espérer que l’intérêt porté
à cet ouvrage annonce une ouverture nouvelle aux idées et
aux opinions formulées hors des États-Unis. Selon l’auteur,
la pacification exige de l’imagination et un engagement
à long terme. Pour lui, chaque guerre représente un cas
particulier qui requiert une stratégie unique. Et quiconque
croit avoir trouvé un remède miracle a bien mal saisi
la leçon de David Galula.
Le capitaine Pierre Saint-Amant est actuellement au service de
la Direction générale du recrutement et des carrières militaires.
Il a également entrepris à temps partiel une maîtrise en sciences
politiques à l’Université d’Ottawa.