COMPTES RENDUS
hiver 2007-2008 Revue militaire canadienne 105
PACIFICATION IN ALGERIA,
1956-1958
par David Galula
Santa Monica, CA : RAND Corporation Monograph Series, 2006
324 pages, 28,50 $ US
ISBN 978-0-8330-3920-0
Compte rendu de Pierre Saint-Amant
Tout au long de leur histoire, les armées ont
redouté la guerre anti-insurrectionnelle,
évitant le plus souvent d’énoncer une
doctrine sur le sujet. Jusqu’à récemment,
aucune armée ou presque – y compris
celles qui devaient composer de façon régulière avec
l’insurrection – ne disposait d’une ligne
de conduite précise en la matière. Mais
depuis qu’une coalition dirigée par les
États-Unis a envahi l’Irak, diverses
méthodes ont été tentées. Ce n’est qu’avec
la publication, en décembre 2006, du
manuel de campagne U.S. Field Manual
3-24 qu’une nouvelle doctrine complète
en matière de contre-insurrection a
vu le jour. Intitulé tout simplement
Counterinsurgency, ce manuel a été conçu
sous la supervision du général David
Petraeus, un penseur américain innovateur
qui assure, depuis janvier 2007, le
commandement de la force multinationale
en Irak. L’ouvrage s’inspire d’un livre
paru il y a près de cinquante ans à la
suite d’une autre contre-insurrection,
menée elle aussi en pays musulman.
En 1963, à la demande expresse de
la RAND Corporation, le lieutenant-colonel David Galula,
officier français possédant une vaste expérience de la
contre-insurrection, dont deux années passées en
Algérie, a écrit ce qui allait devenir un témoignage
personnel sur la pacification réussie de la zone placée
sous sa responsabilité.
La carrière militaire du colonel Galula débute
à la réputée École militaire de Saint-Cyr, où il obtient,
en 1940, un diplôme d’officier d’infanterie. Puis, au
cours de la Seconde Guerre mondiale, il combat en
Afrique du Nord, en France et en Allemagne. En 1945,
il est muté à l’ambassade de Beijing (Pékin) et devient
le témoin privilégié de la révolution qui porte Mao
Zedong et les communistes chinois au pouvoir. Pour
Galula, les Chinois restent les maîtres des stratégies
et tactiques de guérilla. À titre d’observateur militaire,
il prend part à la Commission spéciale des Nations
Unies pour les Balkans, où il est témoin de l’insurrection
durant la guerre civile grecque. Son affectation suivante,
attaché militaire à Hong Kong, lui permet de se rendre
en Indochine française, dans la péninsule malaise
et aux Philippines, trois autres foyers d’insurrection notoires.
À son retour en France, en 1956, il demande et obtient
une affectation de commandant de compagnie d’infanterie
en Algérie.
Une insurrection a éclaté dans ce pays environ deux
ans auparavant, et l’armée française est handicapée
par un manque de direction, d’une part, en raison de la
faiblesse des gouvernements qui se sont succédé à la tête
de la IVeRépublique et, d’autre part, à cause de sa
longue et coûteuse participation à la contre-insurrection
en Indochine, au Maroc et en Tunisie. Sur la scène
internationale, les États arabes et les États communistes
appuient la rébellion, et la plupart des autres pays y
sont également favorables : ils voient en cette guerre
la volonté d’une puissance coloniale
de conserver son empire alors même
que, sur toute la planète, la tendance
est à l’anti-impérialisme.
Le capitaine Galula se voit attribuer
le commandement d’une compagnie
dans les montagnes arides et densément
peuplées de la Kabylie. Dans la première
partie du livre, il décrit la situation
générale et l’établissement de sa
compagnie dans cette zone d’opérations,
appelée sous-quartier. Il analyse les
plans improvisés des rebelles et ceux
des Français, mais se garde de tout
commentaire sur les questions politiques
en cause, si ce n’est lorsque celles-ci
sont liées à la situation sur le terrain.
Dans la section suivante du livre, qui
porte sur la lutte pour le contrôle de
la population civile, le capitaine Galula explique en
détail la façon, lente mais méthodique, dont il s’y prend
pour débarrasser la zone des rebelles, puis pour
rétablir une vie normale à l’intérieur de son sous-
quartier. À rebours des idées reçues, il divise sa
compagnie pour assurer une présence militaire dans
les petits villages et hameaux. Au terme de cette étape,
la zone sous sa responsabilité est raisonnablement
pacifiée. Dans la troisième partie du livre, il est
question, cette fois, de la lutte pour le soutien à la
population civile. Le capitaine Galula y relate
la façon dont il parvient à faire régner et inspirer la
confiance, puis à mobiliser la population pour lutter
contre les insurgés. Au cours de cette étape, l’auteur
entreprend la mise en œuvre de son propre programme
de développement et établit des gouvernements
locaux. Puis, promu major, le capitaine Galula devient
commandant adjoint d’un bataillon. On l’envoie alors
dans une zone avoisinante, où les méthodes des deux
commandants précédents n’ont pas su mener à une
pacification. Le premier commandant croyait pouvoir
vaincre la rébellion par l’action militaire. Le second
était d’avis que la France ne tiendrait pas ses promesses
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COMPTES RENDUS
et qu’elle finirait par déguerpir, exposant à des représailles
les appuis qu’il aurait réussi à gagner parmi la population.
Dans les deux cas, l’armée française a occupé une
position dominante mais en pure perte, dans la mesure
où elle ne contrôlait ni le terrain ni la population. Dans
cette nouvelle zone, comme dans la plupart des zones
en Algérie, l’armée se trouvait prise dans un cercle
vicieux : en raison des opérations militaires répétées, la
population était farouchement opposée aux Français, de
sorte que les soldats la traitaient en ennemie. La dernière
partie du livre contient les conclusions de l’auteur.
Celui-ci y dresse la liste des principaux facteurs
qui ont, croit-il, influencé la guerre d’Algérie et énonce les
principes qui guident, à ses yeux, la contre-insurrection.
À une époque où la plupart des officiers envisageaient
le conflit comme un combat classique entre soldats,
Galula part du principe qu’une solution politique s’imposait.
Pour lui, le militaire n’était qu’une force permettant
de pacifier un pays, puis d’en assurer la sécurité afin
d’amener la population civile à prendre part au processus
politique pour que des solutions permanentes soient
apportées. Sa grande théorie, c’est que les rebelles et
l’armée visent un même objectif : gagner l’appui de
la population. Dès son arrivée en Algérie et fort de
cette théorie, Galula s’emploie à couper la population
des rebelles. Il sait que, pour y parvenir, il doit éviter
de se mettre la population à dos et observer la règle
suivante : « en apparence, il faut traiter chaque civil
en ami; en son for intérieur, il faut le considérer comme
un rebelle jusqu’à preuve du contraire. » Galula porte un
regard intelligent et analytique sur une contre-insurrection
visant des objectifs précis. Grâce à son approche « ferme
mais juste », il évite de s’aliéner la population. Galula
est d’avis que, une fois la zone pacifiée, il faut la
soutenir et maintenir une présence militaire pour
prévenir le retour des insurgés. Cette méthode le
conduit à disperser sa compagnie dans toute la zone
d’opérations. Toutefois, comble de l’ironie, le haut
commandement n’estime pas à leur juste valeur ni ce
déploiement ni l’absence de combat, une fois la zone
pacifiée. L’armée française qui, comme toute armée,
mesure le succès au nombre de morts chez l’ennemi
et à l’ardeur des combats, ne voit pas dans cette pacification
une victoire.
Rédigé avec humour et avant l’époque de la
rectitude politique à tous crins – par exemple, le jugement
sévère que Galula porte sur l’islam ne serait plus
accueilli favorablement aujourd’hui –, l’ouvrage constitue
également une lecture rafraîchissante et propose une
perspective différente sur la guerre d’Algérie. L’Histoire
est souvent écrite par des universitaires de gauche
pour qui tous les crimes que commettent les rebelles
durant une guerre d’indépendance sont acceptables,
car la fin justifie les moyens. Ils retiendront le fait
qu’une puissance coloniale répressive cherche à entraver
la juste émancipation d’un peuple. Mais cette vision
tranchée de la réalité ne rend pas justice aux soldats
qui ont combattu pour la France et qui étaient pour
la plupart des hommes d’honneur. En revanche, les
rebelles sont souvent « absous », même s’ils comptent
dans leurs rangs bon nombre de criminels de droit
commun et de terroristes sadiques. Pourtant, en
décembre 2007, au moment même où j’écris ces lignes, des
bombes explosent à Alger, et l’on peut difficilement en
imputer la faute aux colons français. La majeure partie de la
population algérienne souhaitait peut-être disposer
d’une plus grande autonomie, mais peu d’Algériens
soutenaient les rebelles, qui tentaient d’exercer le contrôle
par la terreur. Le référendum de 1958 l’a clairement montré :
aucun segment de la population n’appuyait dans une
large mesure l’indépendance complète. Le nombre de recrues
qui sont entrées au service de l’armée française constitue
une autre mesure de la popularité de la rébellion.
En effet, quelque 100 000 Algériens de confession
musulmane se sont engagés dans l’armée française, et
c’est sans compter les forces d’autodéfense des villages.
En 1958, les forces rebelles comptaient pour leur part
de 8 000 à 9 000 personnes. Le livre se conclut sur
ce que Galula considère comme les quatre lois de la
contre-insurrection :
l’objectif est de gagner la population;
le soutien à la population doit être organisé;
la contre-insurrection elle-même doit être vue comme la
victoire ultime; et
la concentration des efforts doit s’effectuer zone par zone.
Aux yeux de Galula, une contre-insurrection n’est
jamais perdue en dépit de l’impopularité du régime exerçant
la répression. Au fil du temps, la guerre elle-même, et donc
la sécurité de la population civile, devient l’enjeu
principal, et l’avantage idéologique des insurgés diminue.
Dans l’espoir que ces leçons puissent servir en Irak,
la RAND Corporation réédite aujourd’hui le livre de
David Galula. Cinquante ans après sa rédaction, il reçoit
l’accueil enthousiaste d’une armée qui cherche à s’extirper
d’une situation épineuse en partie attribuable, à mon
avis, à une confiance excessive dans les armes de haute
technologie. On se prend à espérer que l’intérêt porté
à cet ouvrage annonce une ouverture nouvelle aux idées et
aux opinions formulées hors des États-Unis. Selon l’auteur,
la pacification exige de l’imagination et un engagement
à long terme. Pour lui, chaque guerre représente un cas
particulier qui requiert une stratégie unique. Et quiconque
croit avoir trouvé un remède miracle a bien mal saisi
la leçon de David Galula.
Le capitaine Pierre Saint-Amant est actuellement au service de
la Direction générale du recrutement et des carrières militaires.
Il a également entrepris à temps partiel une maîtrise en sciences
politiques à l’Université d’Ottawa.
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