La politique arctique de l’Alaska Conjuguer intérêts nationaux et réalités régionales JOËL PLOUFFE Secrétariat sur la géopolitique de l’Arctique Chaire Raoul-Dandurand La politique arctique de l’Alaska Conjuguer intérêts nationaux et réalités régionales JOËL PLOUFFE Avant-­‐propos Cette note de recherche est préparée à l’hiver/printemps 2013 et est publiée dans le cadre des activités du Secrétariat sur la Géopolitique de l'Arctique de la Chaire RaoulDandurand, à l’attention du Ministère des relations internationales, Francophonie et Commerce extérieur du Québec (MRIFCE). Les trois sections de cette étude correspondent aux questions soulevées par le MRIFCE avant et pendant la préparation de cette note et les conclusions de cette recherche ont été présentées au MRIFCE à Québec le 18 juin 2013, en compagnie de représentants du MRIFCE, du ministère du Développement durable, de l’Environnement, Faune et Parcs ainsi que du ministère des Ressources naturelles. La Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques rend cette note publique. Elle contient en effet une somme d’informations susceptibles d’aider à mieux comprendre des transformations profondes à l’œuvre dans les relations internationales et qui sont susceptibles de toucher le Québec et le Canada. À propos de l’auteur Joël Plouffe a été chercheur au Secrétariat sur la géopolitique de l’Arctique à la Chaire Raoul-Dandurand (UQAM) et est présentement doctorant en Administration publique à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et chercheur à l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’Arctique (OPSA). En 2013, il a été Visiting Scholar au Center for Global Affairs - New York University, et au Jackson School of International Studies University of Washington. Il est co-directeur de la revue Arctic Yearbook, une publication internationale et interdisciplinaire, consacrée à l’analyse géopolitique de l’Arctique. 2 Résumé Plus que jamais, l’augmentation des activités humaines dans la zone septentrionale des Etats-Unis suscite intérêt et appréhension. Dans un contexte de changements climatiques en Arctique, l’Alaska cherche donc à mesurer les répercussions de cette mutation sur son territoire et d’en tirer des avantages majeurs, notamment sur les plans économique et du développement durable. Or si le potentiel de développement est estimé à des centaines de millions de dollars dans la zone arctique de l’Alaska, et que des acteurs privés et politiques sont plus que jamais prêts à investir et à s’investir dans la région, l’État est tout de même aux prises avec d’importants déficits au plan des infrastructures pouvant soutenir les pressions de la ruée vers le Grand Nord. De surcroît, alors que la mutation arctique dévoile le potentiel économique de l’État (industries extractives, tourisme, pêche, transport maritime), la fonte des glaces demeure l’un des plus gros défis auxquels font face les États arctiques, et l’Alaska n’est aucunement épargné. Des villages au Nord disparaissent en raison de l’érosion des côtes et de la fonte du pergélisol, forçant des centaines d’habitants à se relocaliser. Cette réalité du changement climatique coûte cher à l’État, et exige des responsables locaux et fédéraux de planifier l’avenir de cet État septentrional et celui de sa population. C’est pourquoi, au vu des risques et opportunités afférents au changement climatique, l’Alaska s’est engagé il y a quelques années dans un processus de réflexion inédit sur son avenir : le développement d’une première politique alaskienne de l’Arctique. L’objectif de cette réflexion stratégique est double : favoriser une discussion régionale sur l’avenir de l’État et influencer le processus décisionnel à Washington qui touche à l’Arctique et aux enjeux de l’Alaska. Cette étude dresse un portrait sommaire du processus en cours sur la politique arctique de l’Alaska, et tente d’en tirer des leçons ou des exemples qui pourraient contribuer à la réflexion du Gouvernement du Québec sur sa propre vision du Nord (ou politique nordique/arctique). 3 4 Table des matières Introduction ................................................................................................................................ 5 Partie I: Les fondements : une politique formulée par et pour le Nord ........................ 9 1. Des motifs régionaux ........................................................................................................................................ 9 1.1 Le climat : un territoire en mutation ................................................................................................. 10 1.2 Le fédéral : une approche trop centralisée ? ................................................................................... 14 1.3 L’économie : un État sous pression de la mondialisation ....................................................... 18 Partie II : La portée: Une démarche orientée vers l'extérieur ...................................... 26 2. Des actions stratégiques ................................................................................................................................ 26 2.1 Problématiser: l’Arctique change ...................................................................................................... 26 2.2 Évaluer : un processus de réflexion .................................................................................................. 29 2.3 Actions : la commission politique arctique de l’Alaska ............................................................. 32 2.4 Politique internationale : une paradiplomatie renforcée ? ......................................................... 33 Partie III – Conclusions : Options politiques pour le Québec nordique/arctique ..... 40 3.1. Conclusions/observations générales sur l’Alaska nordique/Arctique .................................. 40 3.2. Options politiques pour le Québec nordique/arctique : un début de réflexion .................. 41 5 Introduction Le changement climatique est l’un des plus gros défis auxquels font face les États arctiques. En Alaska – État le plus septentrional des États-Unis – les effets se font sentir depuis plusieurs années déjà. En effet, au Nord, la fonte des glaces a des conséquences considérables sur la vie des côtiers devenus réfugiés climatiques. Des villages entiers sont engloutis dans une mer violente – dépourvue de ses glaces – qui dévore les côtes septentrionales de la « dernière frontière américaine » et qui force des centaines d’habitants à se relocaliser dans des lieux plus sécuritaires, moins vulnérables. Les coûts de relocalisation sont énormes pour l’État et surtout pour les populations affectées, forcées de quitter leur lieu de vie. À travers ces mutations inédites, alors que certains villages disparaissent littéralement dans le Nord de l’État, la fonte des glaces en mer de Beaufort et des Tchouktches, et le climat plus favorable aux activités humaines dans la zone arctique, ouvrent aussi la voie à de nouvelles occasions d’affaires en Alaska. À cet égard, bien qu’il soit réel et source de problèmes majeurs pour les résidents du Nord – et lourd pour les coffres de l’État –, l’impact du climat sur ce vaste territoire arctique ne se résume pas aux catastrophes naturelles. Bien au contraire, comme ailleurs dans le monde circumpolaire, l’Alaska cherche désormais à planifier et à maximiser le potentiel économique de la mutation de son espace arctique – sur terre et en mer – afin que l’ensemble de l’État puisse bénéficier des retombées d’un nouvel élan de développement économique. Il y à peine quelques années, s’il semblait pratiquement impensable de développer la zone septentrionale de l’Alaska – notamment en raison des conditions climatiques peu favorables aux activités économiques et l’absence d’intérêt des multinationales –, il reste que l’extrême Nord des États-Unis se transforme aujourd’hui en un nouveau territoire à exploiter, du jamais vu depuis la découverte de pétrole à Prudhoe Bay à la fin des années 1960. En effet, le réchauffement du climat et la fonte des glaces arctiques, conjugués à la demande mondiale pour les hydrocarbures et la pression de la mondialisation, favorisent l’arrivée de compagnies pétrolières, gazières et minières en quête de nouvelles zones d’extraction où abondent des ressources naturelles inexploitées (i.e. gaz, pétrole, uranium, zinc, diamants, charbon, fer, or, minerais précieux, ressources halieutiques, forêts subarctiques) et davantage accessibles notamment par voie maritime. Le potentiel de développement est estimé à des centaines de millions de dollars dans la zone alors que des acteurs privés et l’État sont plus que jamais prêts à investir et à s’impliquer dans la région. De fait, en plus de la croissance des activités extractives sur terre, la fonte des glaces favorise aussi une augmentation inédite d’activités économiques dans les eaux 6 alaskiennes (transport maritime, tourisme, pêches, exploration de gaz et de pétrole), une zone cependant dépourvue d’infrastructures adéquates pouvant accommoder la ruée vers l’Arctique. Dans tous les cas, et dans ce contexte de changements majeurs pouvant avoir des impacts catastrophiques sur la faune et la flore alaskiennes ainsi que sur la vie et la santé des résidents du Nord – notamment les Iñupiat, les Yupiks, les Aléoutes et les Gwich’in –, il appartient aux autorités locales et fédérales d’accompagner les acteurs économiques pour limiter l’impact écologique de leurs activités croissantes sur le territoire de l’Alaska. Phénomène irrévocable, la mutation de l’Alaska amène les décideurs politiques, la communauté des affaires et la société civile à repenser le développement, la sécurité et la prospérité de l’État dans des termes nouveaux. C’est pourquoi, au vu des risques et opportunités afférents au changement climatique, l’Alaska s’est engagé il y a quelques années dans un processus de réflexion inédit sur son avenir. L’objectif de cette réflexion stratégique est le développement d’une première politique alaskienne de l’Arctique qui, dans un premier temps, décrira comment, dans le contexte de l’évolution du climat et des conséquences qui en découleront, l’Alaska compte développer son territoire et faire avancer ses intérêts et ceux de tous ses résidents. Dans un deuxième temps, face aux changements climatiques et aux défis émergents dans le Grand Nord, cette vision compte faire valoir l’Alaska comme un atout stratégique des États-Unis : de nouveaux investissements fédéraux sont nécessaires en Alaska (notamment pour les activités maritimes) afin de développer le potentiel de la région et assurer la sécurité et prospérité nationales des États-Unis. La politique arctique de l’Alaska cherche donc aussi à influencer les priorités de la politique nationale de l’Arctique (actuellement en reformulation à Washington), une politique qui serait incomplète, selon les autorités et résidents de l’Alaska, si elle était formulée sans la contribution/consultation actives des Américains qui connaissent et habitent le Nord. La politique arctique de l’Alaska sera publiée en 2015, à la suite du processus de réflexion et de consultation entamé en 2008 et se poursuivant tout au long des années 2013 et 2015. Cette note de recherche propose un état des lieux de la formulation de la politique arctique de l’Alaska. Il offre une revue générale des orientations politiques de l’Alaska dans le contexte des changements climatiques et cherche à décrire les enjeux émergents qui interpellent l’Alaska comme acteur subnational du monde circumpolaire, seul État fédéré septentrional des États-Unis dans la zone arctique. Le document met en évidence l’influence du phénomène de la fonte des glaces sur la gouvernance de l’État depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration de Sean Parnell (gouverneur) et Mead Treadwell (lieutenant gouverneur) en 2009. L’analyse est divisée en trois parties. La première porte sur les motivations et 7 l’élaboration (en cours) d’une première politique arctique pour l’Alaska guidée par des intérêts partagés entre l’unité fédérée et le gouvernement fédéral. La deuxième aborde la question de l’action extérieure de l’Alaska, dont les fondements apparaissent renforcés, d’une part, par des enjeux émergents dans la zone arctique, et d’autre part, par la nécessité d’influencer la politique arctique des États-Unis. Finalement, la dernière partie présente des options politiques préliminaires pour le gouvernement du Québec qui visent à alimenter une réflexion nouvelle et approfondie sur le Québec comme État fédéré du monde circumpolaire, la définition de ses intérêts arctiques et la contribution qu’il souhaite apporter pour faire avancer ses intérêts. Figure 1 : Zone arctique Alaska/Etats-Unis !"#$%#&'()*+,"-&,.&+/0%*/+&1-&$2/&!"#$%#&3/./,"#2&,*+&4(5%#-&!#$&6!34!7 !""#$%&'()#*'+'(,#+%)#-./(&0%#'(//&'./1#%./'2#.-#'2(#!/3'&3#4&/3"(#+%)#+""#$%&'()#*'+'(,#'(//&'./1#%./'2#+%)#5(,'#.-#'2(#6.7%)+/1#-./8()#61#'2(#9./37:&%(;# <7=.%;#+%)#>7,=.=5&8#?&@(/,A#+""#3.%'&07.7,#,(+,;#&%3"7)&%0#'2(#!/3'&3#B3(+%#+%)#'2(#C(+7-./';#C(/&%0#+%)#427=32&#*(+,A#+%)#'2(#!"(7'&+%#32+&%D X !" #$% #&' /0 ! 1 ' @ 2 ' & F ' 0 ! %"# () '45,'42&& !5 GF1 @&+0 +0! 1 5 + + 2 ! &1; 9: 67 8 8 67 9: &1 87 8 A7 < ; : 678 9 &1; = #7 9" @>: >: ) &1 %: > &1 ; ; !.! '!+,! !*! ,9 / 0 1 2 - 3 & ! '9 (E % (( ) &1; &1 ; , 7B %D &1; 8C 89 + 0 ! ! 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Figure 2 : Zone arctique/monde circumpolaire !"#$%#&'()*+,"-&,.&+/0%*/+&1-&$2/&!"#$%#&3/./,"#2&,*+&4(5%#-&!#$&6!34!7 !""#$%&'()#*'+'(,#+%)#-./(&0%#'(//&'./1#%./'2#.-#'2(#!/3'&3#4&/3"(#+%)#+""#$%&'()#*'+'(,#'(//&'./1#%./'2#+%)#5(,'#.-#'2(#6.7%)+/1#-./8()#61#'2(#9./37:&%(;# <7=.%;#+%)#>7,=.=5&8#?&@(/,A#+""#3.%'&07.7,#,(+,;#&%3"7)&%0#'2(#!/3'&3#B3(+%#+%)#'2(#C(+7-./';#C(/&%0#+%)#427=32&#*(+,A#+%)#'2(#!"(7'&+%#32+&%D X 4/()&'E#$*#!/3'&3#?(,(+/32#4.88&,,&.% !3=%.5"()0(8(%'E##F7%)&%0#-./#'2&,#8+:#5+,#:/.@&)()#61#'2(#G+'&.%+"#*3&(%3(#F.7%)+'&.%#'2/.702#'2(#!/3'&3#?(,(+/32#H+::&%0#!::"&3+'&.%#I+/8+:D./0J#+%)#4.%'/+3'# KLMNLOPQ#'.#4RNH#RSTT#-./#'2(#S%'(/+0(%31#!/3'&3#?(,(+/32#9."&31#4.88&''((#IS!?94JD# H+:#+7'2./E#!""&,.%#U+1"./);#G7%+#V(32%.".0&(,D##H+1#NQ;#NLLWD XD##V2(#!"(7'&+%#32+&%#6.7%)+/1#&,#)(8+/3+'()#61#'2(#Y4.%'&07.7,#Z.%(Y#"&8&'#.-#N[\%+7'&3+"#8&"(,D# 1. Des motifs régionaux Avec la publication du Arctic Climate Impact Assessment (ACIA) en 2004 et du quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 2007, qui révèlent tous les deux la tendance documentée et 9 incontestable au réchauffement de la planète, les États-Unis semblent avoir redécouvert leur « dernière frontière ». Les rapports publiés constatent ainsi que l’Arctique se réchauffe à un rythme effréné depuis les années 1970. La disparition des glaces pourrait entraîner une augmentation sans précédent du trafic maritime dans le Pacifique Nord, le détroit de Béring, la mer de Beaufort et des Tchouktches. La perspective d’une présence accrue d’activités humaines en Arctique fait donc apparaître de nouvelles appréhensions sécuritaires qui alimentent dès lors le débat sur les impacts géopolitiques de la fonte des glaces sur la puissance américaine. 1.1 Le climat : un territoire en mutation En 2012, la banquise arctique estivale a atteint sa superficie la plus faible depuis les premières mesures satellitaires en 1979 : 3,41 millions de km2 le 16 septembre 2012 contre 4,17 millions de km2 lors du précédent record établi le 18 septembre 2007 (la banquise mesurait environ 8 millions de km2 il y a vingt ans). En effet, le déclin est réel et inquiétant, et laisse entrevoir un océan Arctique libre de glace l’été dès 20151 . Toutefois, « la communauté scientifique n’envisageait pas la disparition totale de celle-ci en été2. » Figure 3 : Étendues minimales de glaces de mer dans l’océan Arctique (mesures prises en septembre de chaque année) Étendue de glace minimale Année en millions de km2 Moyenne 1979 à 2010 6,7 Moyenne 1979 à 2000 6,14 2007 4,7 2008 4,59 2009 5,13 2010 4,63 2011 4,33 2012 3,41 D’après : NSIDC (2012, 19 septembre). National Snow and Ice Data Center. Arctic sea ice extent settles at record seasonal minimum http://nsidc.org/arcticseaicenews/2012/09/arctic-sea-ice-extent-settles-at-record-seasonalminimum/ c. 12.6.13. 1 R. Séguin. (2008, 12 décembre). Scientists predict seasonal ice-free Arctic by 2015. The Globe and Mail. http://www.theglobeandmail.com/news/national/scientists-predict-seasonal-ice-freearctic-by-2015/article1350832/. c. 3.6.13. Voir les travaux des scientifiques Louis Fortier et David Barber du Réseau de centres d’excellence du Canada ArcticNet à l’Université Laval, disponibles en ligne : http://www.arcticnet.ulaval.ca/index-fr.php. 2 F. Lasserre. (2011). Changements climatiques dans l’Arctique. Vers la disparition de la banquise ? In Frédéric Lasserre (dir.), Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation (pp. 11-32). Québec : Presses de l’Université du Québec. p. 23. 10 Encadré 1 : L’Alaska : État septentrional en pleine mutation Newtok, petit village de 350 habitants est en train de disparaître. Situé sur le littoral ouest, à la même latitude que la ville d’Anchorage, le village est menacé notamment par l’érosion, provoquée par la rivière Ninglick à proximité du village, qui dévore la côte et qui force l’évacuation des habitants indigènes Yupiks. Le coût de la relocalisation dans un village plus lointain est estimé à environ 137 millions de dollars, soit 370 000 dollars par habitant de Newtok3. Histoire semblable sur l’île de Sarichef au Nord. Depuis une quinzaine d’années, Shishmaref, un petit village inupiak de 600 habitants, posé sur cette île arctique au nord du détroit de Béring, voit ses habitations englouties dans la mer des Tchouktches. Du fait du réchauffement arctique, la banquise – véritable bouclier hivernal qui servait de protecteur contre l’érosion – se forme plus tardivement à tous les ans, ouvrant ainsi la voie aux vagues féroces des tempêtes violentes qui frappent de plus en plus fort et pour des périodes plus longues sur les côtes de ce village. Et si l’île rétrécit, elle fond aussi : la fonte du pergélisol sous le village de Shishmaref force les habitants, de réels réfugiés climatiques nord-américains, à l’abandonner après 4 000 ans d’occupation. Selon les climatologues, Shishmaref « est ‘le canari dans la mine de charbon’, le village dont l’engloutissement alertera le monde4. » Les cauchemars de Newtok et de Shishmaref ne sont pas uniques dans le Grand Nord des États-Unis. Selon le Bureau général des comptes à Washington, 184 villages autochtones sur la côte nord-ouest de l’Alaska devraient eux aussi quitter impérativement leur emplacement actuel. À Juneau et à Washington, la fonte des glaces est préoccupante. La perspective d’une augmentation des activités humaines/économiques en Arctique est inquiétante puisque les Américains observent qu’ils sont très mal préparés pour surveiller, patrouiller ou gérer leur territoire arctique. À cet égard, les militaires américains, la marine et la garde côtière évaluent depuis 2001 les répercussions possibles de la fonte des glaces sur leurs opérations en zone arctique et le niveau de vulnérabilité du pays face aux nouveaux enjeux de sécurité émergeants. Ils recommandent formellement une révision et une évaluation stratégiques complètes des capacités américaines en matière de navigation arctique. Celle-ci sera menée par la National Academy of Sciences (NAS). 3 Suzanne Goldenberg et Richard Sprenger. (2013). America’s first climage refugees. The Guardian. http://www.guardian.co.uk/environment/interactive/2013/may/13/newtok-alaskaclimate-changerefugees. c. 2.7.13. 4 Riche Pascal. (2013). Shishmaref, le village qui fond. Libération. http://www.liberation.fr/grandangle/0101515921-shishmaref-le-village-qui-fond. c. 11.6.13. 11 Figure 4 : Projection de l’érosion littorale de Newtok, AK : 2007-2027 Source : U.S. Global Change Research Program. (2009). http://nca2009.globalchange.gov/alaska. c. 4.6.13. Figure 5 : Shishmaref, Alaska Source : NOAA. Arctic Change. Human and Economic Indicators – Shishmaref. http://www.arctic.noaa.gov/detect/human-shishmaref.shtml. c.7.6.13. 12 Des carences polaires Dans son rapport de 2006 qui portait sur la carence des capacités polaires des États-Unis dans l’Arctique (infrastructures, ressources humaines, expertises), les experts de la NAS concluent ainsi que « puisque la puissance américaine a un intérêt marqué pour la sécurité, le développement économique, la recherche scientifique et la stabilité politique de l’Arctique, l’augmentation des activités humaines dans le Grand Nord – engendrée par le réchauffement et la fonte des glaces – va obliger les États-Unis à jouer un rôle plus influent en Arctique afin de protéger ses intérêts territoriaux et aussi projeter sa puissance maritime dans une région en plein changement. » De ce fait, selon Anita K. Jones, professeure à l’Université de Virginie et présidente du Comité de rédaction du rapport, « nos observations indiquent que les Etats-Unis font face à un nouvel enjeu en Arctique : la convoitise internationale engendrée par l’intérêt économique dans la région. » Toutefois, explique-t-elle, « les États-Unis ne sont pas prêts à faire face aux changements en Arctique. » Or, contrairement aux idées reçues, les Américains sont quasiment absents des eaux arctiques, résultat direct de la fin de la guerre froide et de l'absence de menace imminente aux abords septentrionaux du territoire américain. Toute la question est désormais de savoir comment les États-Unis vont rattraper leur décalage en Arctique, tant au niveau du savoir-faire (sécurité militaire, environnementale, humaine) qu’au niveau des capacités navales/militaires sur un territoire immense et complexe. Depuis quelques années maintenant, les autorités politiques de l’Alaska (appuyées par plusieurs agences et départements) demandent au gouvernement fédéral d’investir massivement dans les infrastructures maritimes de l’État. D’une part, ils soutiennent qu’il faut être présents, informés et préparés pour assurer efficacement la sécurité nationale du pays contre tout risque pouvant émerger dans le Nord. Par exemple, les transits de navires dans le détroit de Béring n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, passant de 220 en 2008 à plus de 480 transits enregistrés pour l’année 2012. Or, comme l’ont souligné certaines autorités politiques, comme Mead Treadwell, ancien président de la United States Arctic Research Commission (USARC) et lieutenant gouverneur de l’Alaska depuis 2009 dans l’administration républicaine du Gouverneur Sean Parnell 5 , si Washington continue à négliger son Nord, c’est l’ensemble du pays qui sera affaibli. D’autre part, de nouveaux investissements fédéraux en Alaska contribueraient aussi au développement économique du Grand Nord américain, là où les retombées économiques des nouveaux projets (comme les industries extractives) pourraient être intéressantes pour 5 Sean Parnell est gouverneur républicain de l’Alaska depuis l’été 2009. Il était le lieutenant gouverneur de Sarah Palin. Il devient gouverneur de l’Alaska lorsque Palin, colistière du républicain John McCain aux élections présidentielles de 2008, démissionne de son poste le 3 juillet 2009. 13 l’ensemble du pays. C’est pourquoi, en 2009, l’administration du Président George W. Bush décide de réviser la stratégie américaine pour le Nord pour qu’elle puisse refléter les intérêts, priorités et enjeux contemporains des États-Unis en Arctique. Toutefois, le processus enclenché ne se fait pas sans heurts : l’absent de la nouvelle politique arctique des États-Unis est l’Alaska. Il devient alors nécessaire pour l’État de faire valoir non seulement ses intérêts mais aussi son expertise locale ‘arctique’ auprès des décideurs à Washington par l’entremise d’un discours nouveau et une vision claire6, afin que celles-ci soient intégrées dans une nouvelle politique nationale globale. 1.2 Le fédéral : une approche trop centralisée ? En janvier 2009, à la veille de la fin de son deuxième mandat, le Président Bush signe la nouvelle politique américaine de l’Arctique. Il s’agit d’un geste politique fort attendu (et souhaité) par la communauté épistémique arctique américaine. En effet, tout au long du mandat de G. W. Bush, chercheurs, acteurs politiques et militaires conseillaient fortement au président de réviser l’ancienne politique américaine de l’Arctique de 1994 (USAP94). En effet, Mead Treadwell, lorsqu’il était président de la USARC, recommandait une révision complète de la USAP94 afin qu’elle puisse être davantage intégrée en matière de recherche arctique dans les domaines de la sécurité, de la recherche et de sauvetage (SAR), de la protection environnementale, du développement économique, de la santé et l’écologie, de la biodiversité, de l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, du commerce maritime, de la pollution maritime et de l’écotourisme. C’est pourquoi la USARC décide de se joindre à un mouvement de lobbying sans précédent en 2006 à Washington (ainsi en va-t-il des témoignages au sein de commissions parlementaires) qui vise notamment à convaincre le Congrès de procéder à l’achat de nouveaux brise-glaces pour les eaux arctiques du pays, et encourager l’adhésion des États-Unis à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Les militaires ont également joué un rôle majeur dans le processus menant à la révision 6 Sur ce point : « Aucun individu (que ce soit le président des États-Unis) ou groupe (comme le National Petroleum Council ou le Sierra Club) ne définit l’intérêt national. Au contraire, il est le résultat d’un ensemble de valeurs et de croyances de la société entière. Produit d’un long processus politique concurrentiel, il est influencé et déterminé par une multitude de perceptions factuelles qu’ont les groupes d’intérêts nationaux. Il doit également être formulé en fonction des intérêts d’autres acteurs régionaux, afin de maintenir un climat de bon voisinage. Dans le même temps, s’il est possible de l’identifier, il reste que l’intérêt national est évolutif dans le temps et modifiable selon l’interprétation qu’ont les décideurs et groupes d’intérêts des faits conjoncturels. » [Traduction libre de l’anglais] William E. Westermeyer et Kurt M. Shusterich (dir.). (1984). United States Arctic Interests The 1980s and 1990s, New York: Springer-Verlag, p. 6. 14 de la USAP94, comme le Military Advisory Board, un groupe de militaires américains à la retraite (généraux et amiraux) qui ont publié en avril 2007 un rapport clé intitulé National Security and the Threat of Climate Change. Selon le témoignage de Paul G. Gaffney II, un auteur du rapport, « si le réchauffement se poursuit en Arctique, émergera de la fonte des glaces une nouvelle voie maritime – le passage du Nord-Ouest. Or, seronsnous prêts à faire face à l’augmentation du trafic maritime dans cette région ? Avonsnous les capacités adéquates pour défendre notre pays dans cette région ? Avons-nous et aurons-nous les navires pour mettre en oeuvre notre politique maritime ? Nos technologies de surveillance maritime seront-elles suffisamment avancées pour détecter les activités sous-marines dans un environnement changé ou le nouveaux flux de navires battant pavillon étranger ? Avons-nous besoin de nouvelles bases militaires en Arctique ? Voilà quelques questions qui doivent être examinées par nos stratèges en matière de sécurité nationale à Washington7. » Encadré 2 : U.S. Arctic Region Policy, 20098 La politique américaine de 2009 énonce six objectifs généraux pour la mise en œuvre de politiques qui : 1. veilleront aux intérêts de sécurité nationaux et internes des États-Unis dans la zone arctique ; 2. protégeront l’environnement de l’Arctique et conserveront ses ressources biologiques ; 3. seront conformes aux objectifs du développement durable et seront guidées par la bonne gestion des ressources naturelles et du développement économique dans la zone arctique ; 4. renforceront les institutions de coopération entre les huit États de la zone arctique (États-Unis, Canada, Danemark, Finlande, Islande, Fédération de Russie et la Suède) ; 5. engageront les peuples indigènes dans les processus visés menant aux décisions qui les touchent ; 6. amélioreront les mécanismes de surveillance et de recherche dans le milieu environnemental au niveau local, régional et global. En résumé, la politique arctique américaine de 2009 : 1. Engage les États-Unis comme puissance arctique dans le monde ; 2. Énumère les intérêts stratégiques américains : la défense et la sécurité ; les ressources énergétiques ; la science ; la coopération et l’environnement ;! 7 Military Advisory Board, « Testimony of Vice Admiral Richard Truly, USN (Ret.) », The CNA Corporation, 9 mai 2007. 8 J. Plouffe. (2011). Les puissances tierces dans la zone arctique. Posture stratégique et diplomatique de la France. Rapport rédigé dans le cadre du Laboratoire de l’IRSEM, Institut de recherche stratégique de l’École militaire, Paris, p. 74-75. 15 3. Réaffirme l’importance pour Washington de maintenir un statu quo stratégique dans la région, en s’appuyant sur la coopération circumpolaire inclusive et inspirée des mécanismes fonctionnels comme le Conseil de l’Arctique ou d’autres moyens multilatéraux. Or si le contexte de la fonte des glaces (i.e. les records de 2005 à 2007) incite les décideurs à Washington de procéder à une nécessaire révision de la USAP94, l’incident du drapeau russe planté dans l’océan Arctique à l’été 2007 sert indubitablement d’accélérateur dans le processus qui va mener à la publication de la nouvelle Arctic Region Policy (ARP) en 2009. L’Arctique stratégique Le 2 août 2007, des chercheurs et géologues, accompagnés de l’explorateur et homme politique russe Artur Chilingarov, ont planté un drapeau russe à 4 261 mètres de profondeur sous la glace du pôle Nord, exploit pratiquement impossible à réaliser sans capacités polaires technologiquement avancées. Le département d’État a rapidement dénoncé le geste russe en affirmant que cela n’avait aucune signification. Cet incident a éveillé un nouvel intérêt américain pour la géopolitique de l’Arctique, tout en renforçant celui de l’Alaska. Ainsi, pour la première fois, le président américain a jugé nécessaire d’envoyer son Secrétaire d’État, Hillary Clinton, à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique à Nuuk au Groenland en 2011. En ce qui concerne la politique étrangère américaine, cette réunion est historique pour deux raisons. D’une part, parce que tous les États membres du Conseil, y compris les Américains, ont signé à Nuuk le premier accord international sur la recherche et sauvetage dans la zone arctique. D’autre part, parce que la Secrétaire d’État Clinton était accompagnée non seulement par un autre membre du cabinet Obama, le Secrétaire de l’Intérieur, Ken Salazar, mais aussi de la sénatrice républicaine de l’Alaska, Lisa Murkowski. Cette dernière est non seulement une « ambassadrice » de la « dernière frontière » américaine au Congrès, mais aussi une fervente défenseur des intérêts économiques de l’Alaska et d’un rôle accru de cette entité fédérée dans les relations internationales arctiques des États-Unis. À cet égard, soulignons qu’en mai 2013, le nouveau secrétaire d’État, John Kerry, était présent à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique à Kiruna en Suède, accompagné notamment de la sénatrice Murkowski. Un an après la réunion de Nuuk en 2011, la sénatrice Murkowski (R-Alaska) et le sénateur Mark Begich9 (D-Alaska) insistent auprès du Président Obama pour qu’une 9 Le 11 février 2013, le sénateur Begich a introduit une nouvelle loi au sénat intitulée « S.270 To 16 véritable stratégie américaine pour l’Arctique dans laquelle se trouverait notamment une vision précise pour la gouvernance des eaux arctiques des États-Unis soit développée et mise en œuvre. Ainsi, dans une lettre adressée au président10, les sénateurs soulignent que les États-Unis sont le seul pays de l’Arctique which lacks such a formal strategy which ties together all the individual agency policies and visions » et que depuis la publication de la US ARP en 2009, les États-Unis « has advanced in a less than organized fashion, with multiple federal agencies creating their own departmental policies, roadmaps, and vision and strategy statements to help guide future development. We think it is now time to take the next step in this policy development: creation of an overall national U.S. strategy for the Arctic. Finalement, les deux sénateurs demandent formellement au président d’inclure l’Alaska dans le processus de formulation de cette politique nationale : « We ask that the State of Alaska have a meaningful role in this process, possibly through their participation in the Arctic Policy Group11. » En mars 2013, à Washington, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) emboîtait le pas aux sénateurs alaskiens avec leur propre liste de recommandations pour le président américain. Le CSIS recommandait de : créer une stratégie à long-terme qui garantit le développement économique et la durabilité de l’environnement ; une meilleure coordination entre les différentes agences qui traitent de problèmes liés à la région ; un leadership accru au sein du département d’État pour les questions arctiques ; la nomination d’un envoyé spécial américain pour l’Arctique, ayant un statut d’ambassadeur ; le développement d’une solide campagne de diplomatie publique sur le sujet12. amend the State Department Basic Authorities Act of 1956 to establish a United States Ambassador at Large for the United States. » Le texte de la loi est en ligne : http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/BILLS-113s270is/pdf/BILLS-113s270is.pdf. Voir aussi « Begich introduces Key Arctic Bills. » Mark Begich Alaska : http://www.begich.senate.gov/public/index.cfm/pressreleases?ContentRecord_id=d931ad85995a-4fb7-a7ef-2d1de9c27c99 10 La lettre est disponible ici : http://www.arctic.gov/downloads/Begich%20&%20Murkowski%20letter%20to%20POTUS%20 7_11_12.pdf 11 Ibidem. 12 Affaires-stratégiques.info, http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8051. Voir également H.A. Conley. (Mars, 2013). The New Foreign Policy Frontier. U.S. Interests and 17 Une première stratégie nationale pour l’Arctique En mai 2013, le Président Obama a dévoilé sa toute première « stratégie » américaine pour la région de l’Arctique13 dans laquelle la circumpolarité des États-Unis est réitérée, inévitablement par la présence de l’État de l’Alaska, dont le potentiel économique est à découvrir. De plus, le président américain y signe la préface, se prononçant ainsi sur la question arctique pour la première fois de ses deux mandats. Il affirme que « L’Arctique est l’une des dernières grandes frontières de notre planète. Notre esprit pionnier est naturellement attiré vers cette région pour les opportunités économiques qu’elle présente et en reconnaissance de la nécessité de protéger et de préserver cet environnement unique, précieux et changeant14. » Or il y a sans doute ici une évolution historique au niveau du contenu de cette stratégie américaine pour l’Arctique. À cet égard, le document introduit de nouvelles pistes de collaboration entre l’État fédéral et l’État fédéré mais aussi entre les populations autochtones du Nord de l’Alaska et Washington, dans le but de penser et élaborer une politique nationale pour l’Arctique pragmatique et représentative des intérêts de tous les acteurs concernés. Dans cette perspective, des tables rondes sont prévues en Alaska entre bureaucrates fédéraux et alaskiens dès le mois de juin 2013 afin de démontrer un engagement actif avec les autochtones de l’Alaska, l’État de l’Alaska et d’autres intervenants clés15. 1.3 L’économie : un État sous la pression de la mondialisation Le potentiel économique de l’Alaska augmente avec le réchauffement climatique. Ainsi, les autorités locales et fédérales, ainsi que la communauté des affaires et les résidents du Nord s’affairent à gérer la ruée vers l’Arctique qui, d’après plusieurs observateurs, pourrait être très rentable pour l’Alaska. Avec la demande mondiale pour les hydrocarbures, la disparition des glaces arctiques et l’attrait des ressources naturelles inexploitées sont des incitatifs nouveaux pour explorer les zones d’exploitation du Nord de l’Alaska, en mer et sur terre, autrefois inaccessibles en raison de la forte présence des glaces et du climat inhospitalier. Actiors in the Arctic. http://csis.org/files/publication/130307_Conley_NewForeignPolFrontier_Web_0.pdf. c. 10.6.13. 13 National Strategy for the Arctic Region. May 2013. http://www.whitehouse.gov/sites/default/files/docs/nat_arctic_strategy.pdf. c. 12.6.13. 14 Ibidem. 15 Gaëtan Barralon. (10 mai 2013). Arctique : la stratégie des États Unis mêle « opportunité » et « responsabilité ». 45eNord.ca. http://www.45enord.ca/2013/05/arctique-la-strategie-des-etatsunismele- opportunite-et-responsabilite/. c. 13.6.13. 18 Comme ailleurs dans le monde circumpolaire, les risques du développement économique dans les lieux difficilement accessibles de l’Alaska sont bien connus. En effet, pousser le développement et les activités économiques plus au Nord de ce territoire septentrional est une entreprise audacieuse, coûteuse et exigeante pour tous les acteurs impliqués, comme l’a très bien illustré l’incident de la plateforme Kulluk qui s’est échouée en janvier 2013 sur une île inhabitée au large des côtes de l’Alaska. En effet, le 1er janvier dernier, le Kulluk, plateforme louée par la compagnie Shell, qui transportait 600 000 litres de diesel et environ 50 000 litres d’huile de graissage et de liquide hydraulique, a rompu les amarres avec les deux remorqueurs qui la tiraient vers Seattle à cause d’une violente tempête au sud des îles Kodiak, dans le golfe de l’Alaska. Figure 7 : Lieu de l’incident du Kulluk 2013 Si les autorités n’ont rapporté aucun déversement de carburant (ou blessé), l’incident a forcément relancé le débat sur les risques de l’exploitation des hydrocarbures dans les eaux arctiques de l’Alaska, dont la mémoire collective (et l’environnement) a été marquée par la marée noire de l’Exxon Valdez en 1989. Or, que l’on approuve ou non la ruée économique vers l’Arctique, elle est bel et bien en marche. Pour l’Alaska, qui vise à maximiser ses intérêts et à favoriser la rentabilité et la profitabilité des nouvelles entreprises économiques sur son territoire, il devient plus nécessaire que jamais d’accompagner l’exploitation économique dans le Nord – cela s’inscrit dans son intérêt – pour qu’elle ait la moindre empreinte écologique possible. C’est pourquoi l’Alaska, qui a des responsabilités partagées (avec le fédéral) sur terre et en mer dans l’Arctique, est très actif sur les dossiers du transport maritime et de 19 l’exploitation des ressources naturelles. Ainsi, selon le département de l’Intérieur américain : The Alaska Statehood Act of 1958 granted the state approximately 104 million acres (42 million hectares) of land, ownership of the submerged lands of navigable waterways and submerged lands up to 3 miles (4.8 km) offshore under the Submerged Lands Act, and primary authority to manage fish and wildlife unless covered by federal law. State officials are dedicated to their constitutional duty to responsibly develop and utilize the state’s natural resources for the benefit of citizens and to safeguard the state’s fish, wildlife, and natural environment16. La navigation commerciale panarctique, l’exploitation des hydrocarbures (gaz et pétrole en mer de Beaufort et des Tchouktches) et des ressources minières (zinc, plomb, or, cuivre), la pêche commerciale et le tourisme sont autant d’opportunités économiques nouvelles qui ont le potentiel de transformer la vie des Alaskiens dans une perspective de sécurité économique. Dans une perspective de sécurité maritime (traditionnelle ou nouvelle), la fonte des glaces vient aussi rehausser la dimension stratégique du territoire de l’Alaska dans l’équation de sécurité nationale du pays. Ainsi pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, le département de la Défense est appelé à repenser son rôle dans le Grand Nord des ÉtatsUnis afin d’y assurer une présence adéquate et pour pouvoir y opérer au besoin. Cela exige un lourd travail de planification stratégique à long terme, de nouvelles ressources financières et humaines pour mener à terme la politique arctique des États-Unis, et un savoir faire militaire nouveau dans une zone négligée par Washington depuis des dizaines d’années. 16 Managing for the Future in a Rapidly Changing Arctic. A report to the President. Interagency Working Group on Coordination of Domestic Energy Development and Permitting in Alaska. http://www.doi.gov/news/upload/ArcticReport-03April2013PMsm.pdf. 20 !"#$%&"'()"(*+,-)*./(%,0,#12(0*132,("')*"-%(."#()&,('#"),4)*"-(".(54"2"6*412(1-+(7*"2"6*412(8*6-*.*41-)(9#,1%(:5789%;( .#"<()&,('"%%*32,(-,61)*0,(,..,4)%(".(%&*''*-6(1-+(")&,#(<1#*)*<,(14)*0*)*,%(*-()&,(7,#*-6(8)#1*)( ( Figure 8 : Navigation dans le détroit de Béring (1er mai – 26 oct. 2010) ( !"#$%&$'()*+,$-.)"*.$/(,*0+$1$2)"33*4$5$!"6$1$78$94.0:()$7;5;$$ 8"?#4,@(A1#*-,(5B4&1-6,(".(921%$1( ( Source : IUCN/NRDC/UAF Workshop. 26-28 juin 2012. Nome, Alaska. C&,(D"#)&,#-(8,1(E"?),(:D8E;F(12"-6(E?%%*1G%(9#4)*4(3"#+,#(.#"<(H1#1(I1),()"(7,#*-6(8)#1*)F(&1%(1(&*%)"#/( https://cmsdata.iucn.org/downloads/nome_workshop_report_final.pdf p. 13 J&*4&(%)#,)4&,%(314$()"(=KLKF(J&,-()&,(*+,1(J1%(.*#%)(,B'#,%%,+(3/(1(E?%%*1-(+*'2"<1)(:MN(I,#1%*<"0;N( C&,(.*#%)(J,%)()"(,1%)(D8E()#1-%*)(J1%(144"<'2*%&,+(*-(=OPOQPR(3/()&,(8J,+,(D"#+,-%$*"2+(*-(&*%(%&*'( !"#$N( Ainsi, du ( fait de la fonte des glaces et l’augmentation des activités humaines dans la zone ( arctique, (l’augmentation des investissements du Département de la Défense pour assurer la sécurité( nationale du pays sur son flanc nord maritime est à prévoir. Ces nouveaux ( investissements auront également des répercussions sur l’économie locale. De fait, ( ( l’économie de l’Alaska s’est traditionnellement développée autour des activités ( militaires,( en plus des services publiques, le pétrole, les pêches, les conserveries de poisson et( le tourisme. =>( Seul État( septentrional des États-Unis, les intérêts de l’Alaska sont conduits par sa situation géographique et ses réalités régionales circumpolaires. En revanche, l’intérêt arctique de la puissance américaine est également façonné par la présence même de l’Alaska en Arctique. Or comme disent les Alaskiens : les États-Unis sont un pays arctique à cause de nous, l’Alaska. 21 Figure 9 : Exploration pétrolière et évaluations environnementales !"#$%&'()*)'Multiple environmental evaluations of proposed oil and gas activities in the Arctic are often underway simultaneously (BOEM—Bureau of Ocean Energy Management; BSEE—Bureau of Safety and Environmental Enforcement; NMFS—NOAA’s National Marine Fisheries Service). (image: Bureau of Ocean Energy Management) Source : “Managing for the Future in a Rapidly Changing Arctic: A Report to the President.” The Interagency Working Group on Coordination of Domestic Energy Development and Permitting in Alaska; Chair: David J. Hayes, Deputy Secretary, Department of the interior. 2013. http://www.doi.gov/news/upload/ArcticReport-03April2013PMsm.pdf À cet égard, dans le contexte de la mutation de l’Arctique, l’Alaska est un ‘enjeu’ inévitable pour les décideurs à Washington. Or si la situation géographique de l’État lui attribue une place privilégiée dans le processus décisionnel dans le Sud, exploiter ce rôle privilégié est devenu une réelle obsession en Alaska depuis quelques années, afin de maximiser les intérêts locaux des résidents du Nord. Ainsi, les changements climatiques semblent favoriser l’interdépendance accrue entre Washington et sa périphérie arctique sur des dossiers communs et de juridiction partagée, mais aussi de compétences fédérales exclusives. De fait, il est à prévoir que le fédéral et l’entité fédérée renforcent leur collaboration au niveau de la politique maritime américaine (droit de la mer, navigation, écosystèmes, pêches) ; les politiques environnementales (règlementation environnementale [autorité de l’EPA] et les politiques qui touchent aux ressources naturelles en mer et sur terre, activités extractives à l’intérieur de l’État [zones 22 fédérales]); relations bilatérales et multilatérales (diplomatie avec le voisinage immédiat et sa périphérie, les institutions internationales) ; la politique climatique, et la défense nationale (industrie militaire et sécurité intérieure). Finalement, comme État fédéré du monde circumpolaire, l’Alaska a rapidement reconnu qu’il était dans son intérêt de s’ouvrir au voisinage et de renforcer ses démarches internationales pour faire avancer ses intérêts et, en raison du désintérêt historique de Washington au niveau de l’Arctique, ceux du pays. Collaboration gouvernement fédéral/Alaska En 2012-2013, l’État de l’Alaska a été consulté par le gouvernement fédéral sur cinq dossiers clés17: 1. Le Conseil de l’Arctique : recherche et sauvetage ; l’entente sur la préparation en cas de pollution pétrolière en Arctique ; les groupes de travail ; les priorités 201517 de la présidence américaine du Conseil de l’Arctique18. Au sujet de la présidence américaine du CA, l’Alaska a recommandé quelques orientations politiques : a. Communautés durables (emplois, baisse des coûts de l’énergie) b. Assainissement c. Prévention de suicides d. La sûreté et efficacité du commerce et transport maritimes dans l’Arctique. 2. Integrated Arctic Management : améliorer la communication et la coordination. 3. Integrated Arctic Research Policy Committee Arctic Research Plan : FY20132017. 4. Sûreté et efficacité du commerce et transport maritimes dans l’Arctique. Contribuer activement aux processus d’évaluations et la formulation de politiques sur les risques de l’augmentation du transport maritime dans la mer de Béring et l’océan Arctique, soit aux États-Unis, avec les États arctiques et/ou dans les institutions internationales. 5. Arctic Fishery Management Plan (FMP) – étendre la juridiction américaine jusqu’à la zone « Donut Hole » (ou « trou de beigne »). 17 Selon Stefanie Moreland. State of Alaska. Office of the Governor. State of Alaska Arctic Policy and Priorities. Alaska Arctic Policy Commission. 2013. 18 Voir aussi Institute of the North. Alaska’s Priorities for and Role in the 2015 U.S. Chairmanship of the Arctic Council. http://www.institutenorth.org/assets/images/uploads/articles/Final_Report__Arctic_Council_executive_summary_-final.pdf c. 14.6.13. 23 Figure 11 : Un développement précaire : changements climatiques et infrastructures vulnérables Source : “Managing for the Future in a Rapidly Changing Arctic: A Report to the President.” The Interagency Working Group on Coordination of Domestic Energy Development and Permitting in Alaska; Chair: David J. Hayes, Deputy Secretary, Department of the interior. 2013. http://www.doi.gov/news/upload/ArcticReport-03April2013PMsm.pdf 24 Encadré 4 : « State Projects Addressing Emerging Arctic Issues » (2013) • DOT-U.S. ACE Alaska Deep-Draft Arctic Port System Study • DCCED shipping study • Arctic search and rescue resources, disaster response, recovery planning • AIS (automatic identification system) vessel monitoring • Oil spill response • Barrow airport expansion • Statewide Digital Mapping Initiative • Roads to resources • Coastal erosion, community relocation • Broadband task force, planning • Village safe water • Coordination to address suicide intervention 25 Partie II : La portée : Une démarche orientée vers l’extérieur Dans cette seconde partie, nous exposerons l’évolution depuis 2008 de la démarche menant à l’élaboration des orientations et des objectifs de la politique arctique de l’Alaska qui sera publiée en 2015. Aussi, nous présenterons les actions publiques et les efforts entrepris par l’État pour promouvoir ses intérêts arctiques dans certains forums régionaux. Cette partie est plutôt sommaire compte tenu du peu d’information disponible à ce sujet. 2. Des actions stratégiques Dans le contexte climatique et géopolitique « post-2007 » (avec la fonte record des glaces et impact des enjeux géopolitiques dans l’Arctique sur la sécurité nationale des ÉtatsUnis), l’Alaska est rapidement interpelé par tous les changements en cours, tant au niveau national (nouvelle politique américaine de l’Arctique ; influence de l’Arctique sur les politiques nationales et internationale du fédéral), qu’au niveau régional (perspectives de navigation accrue dans les eaux arctiques ; enjeux de pêche émergents ; infrastructures manquantes ou vulnérables). Or si l’Alaska doit subir les effets du climat sur son territoire, c’est précisément l’occasion pour cette entité subétatique arctique des États-Unis de tirer profit de l’attention inédite accordée au Nord afin de mettre de l’avant ses « atouts » comme État, ses expertises comme peuple nordique américain et sa vision des États-Unis comme puissance arctique. 2.1 Problématiser: l’Arctique change Bien que ce ne soit pas la première fois de son histoire que l’Alaska cherche à promouvoir ses intérêts à Washington ou ailleurs dans le monde, l’effet du « planté du drapeau russe » en 2007 y est pour beaucoup et favorisera l’action publique de l’Alaska sur le dossier du Grand Nord. À partir de 2008, des acteurs influents de l’État saisissent l’occasion pour définir la problématique arctique, c’est-à-dire de faire en sorte que les termes du débat au sein de la fédération soient définis par la population locale en Alaska, seule population américaine arctique légitimée, croit-elle, (par sa géographie, son économie et sa culture) à informer le processus décisionnel à Washington. En s’appropriant l’enjeu arctique, l’objectif de l’Alaska est double. D’une part, participer activement avec Washington au développement d’une nouvelle politique arctique pour les États-Unis qui correspondra non seulement aux intérêts du pays mais surtout aux 26 intérêts locaux de l’État septentrional. D’autre part, dans le monde circumpolaire et sur la scène internationale, compte tenu de l’inaction de Washington sur ce front, jouer un rôle direct dans tous les domaines qui sont complètement ou partiellement de sa compétence, afin de favoriser le rayonnement de l’Alaska et son développement économique. Ainsi, au niveau national, l’Alaska cherche à établir une solide collaboration qui s’inscrira dans les intérêts de l’acteur fédéral et de l’unité fédérée, alors qu’au niveau international, outre la politique économique, les autorités de l’État chercheront à influencer les débats sur le régime réglementaire de l’Arctique. Préoccupations alaskiennes Le gouverneur Sean Parnell, au pouvoir depuis la démission de l’ancienne gouverneure Sarah Palin (il était son lieutenant gouverneur), s’est adressé au sénat des États-Unis au mois d’août 2009, quelques semaines après avoir entré en poste. S’adressant à la sénatrice Lisa Murkowski et au U.S. Senate Appropriations Subcommittee on Homeland Security qu’elle présidait, le gouverneur a exhorté le gouvernement américain à procéder à l’achat de nouveaux brise-glaces polaires pour les eaux arctiques. Il a aussi encouragé le gouvernement de Barack Obama à élaborer et mettre en œuvre une doctrine nationale pour l’Arctique. Selon lui, l’Alaska a un rôle majeur à jouer dans la formulation de la politique américaine de l’Arctique19: The Arctic’s abundant resources, human and natural, and our strategic location for national security demand our attention. (…) The people of Alaska understand and eagerly accept our role in the examination and development of national Arctic policy. Any conversation about the Arctic must also include Alaska’s natural resources: coal, gold, zinc, silver, copper, natural gas and oil. These resources make the Arctic vital to American energy security. Alaska is America’s Arctic energy breadbasket. We have traditional and renewable sources of energy in staggering volumes here. Alaska can play an even greater role in reducing the amount of oil and gas we import from abroad. And we can be America’s test-bed for renewable and alternative energy sources. La sénatrice Murkowski est également très engagée dans la promotion des intérêts de l’Alaska à Washington et dans le monde. À la séance de nomination de Hillary Clinton au poste de secrétaire d’État en 2009, elle a d’ailleurs profité du passage de madame Clinton au comité sénatorial sur les affaires étrangères du Sénat le 13 janvier 2009 pour l’interroger au sujet de la géopolitique de l’Arctique. Elle lui a demandé comment elle 19 Governor Parnell Testifies on Arctic Policy. Calls for New Coast Guard Station in Alaska. 20 août 2009. http://gov.alaska.gov/parnell/press-room/full-press-release.html?pr=5020. c. 14.6.13. 27 envisageait promouvoir les intérêts des États-Unis comme nation arctique20 : The lost of summer sea ice from climate change is having a truly dramatic effect on the Arctic. And the Bush Administration saw this unfolding. We’ve been working with them for about the past 18 months to advance a new Arctic policy – Arctic policies about 15 years stale that was just released on Friday. […] But I’d like your comments here this morning on the evolving role of the Arctic, on the role that we can play as an Arctic nation in dealing with our neighbors. We discussed the issue of Russia. […] But I’m pretty certain that you haven’t fielded yet a question on the Arctic. Sur la question arctique, la sénatrice Murkowski semble avoir entretenu une relation privilégié avec la secrétaire d’État Clinton tout au long de son mandat, ce qui lui a vraisemblablement permis de faire avancer les intérêts de l’État quelle représente. En 2011, elle a accompagné Hillary Clinton à la rencontre ministérielle du Conseil de l’Arctique au Groenland (Nuuk), et en 2013, elle a encore une fois été invitée à faire partie de la délégation américaine à la rencontre ministérielle du Conseil de l’Arctique à Kiruna, en Suède, avec le nouveau secrétaire d’État John Kerry. L’actuel lieutenant gouverneur de l’Alaska, Mead Treadwell, est un acteur central et influent au niveau du débat arctique aux États-Unis et en Alaska depuis plusieurs années. Élu en Alaska en 2010, il s’est engagé à promouvoir l’industrie des hydrocarbures, les nouvelles technologies, le plein emploi et la coopération circumpolaire. Résidant de l’Alaska depuis trente ans, il a notamment été commissaire et président de la USARC de 2001 à 2010, un acteur clé de la formulation de la ARP signée par George W. Bush en 2009, et le directeur de l’opération de nettoyage du déversement de pétrole à Cordova lors de la catastrophe de l’Exxon Valdez en 1989. En tant que membre fondateur de la Yukon Pacific Corporation, il est aussi un entrepreneur de renom en Alaska ayant contribué à la création du projet de gazoduc trans-alaskien (TransCanada, ExxonMobil). Au début des années 1990, il a représenté l’État de l’Alaska dans les délégations américaines de l’Arctic Environmental Protection Strategy (AEPS), le Conseil de l’Arctique et le Northern Forum. Treadwell a été senior fellow du think tank Institute of the North (ION) basé à Anchorage, et vice-président de Commonwealth North, un forum en politiques publiques en Alaska. C’est à titre de co-auteur du rapport Why the Arctic Matters. America’s Responsibilities as an Arctic Nation21, publié en 2009, que Mead Treadwell cherchera à définir les termes 20 Department of State. United States. Nomination To Be Secretary of State. Hillary Rodham Clinton. Testimony Before the Senate Foreign Relations Committee. Washington DC. January 13, 2009. 21 Le groupe d’étude était composé de participants venant de milieux et groupes d’intérêts différents: Alaska Marine Pilots, LLC ; University of Alaska, Anchorage ; Nature Conservacy ; 28 du débat arctique aux États-Unis. Publié par Commonwealth North, le document de plus de cinquante pages met de l’avant et détaille six recommandations pour le gouvernement américain : Renforcer la recherche en Arctique, notamment au niveau du climat, la santé des résidants de l’Alaska et le potentiel économique des ressources arctiques. Élever le niveau de vie des résidants de l’Arctique tout en favorisant le développement durable des ressources arctiques (énergie, minéraux, pêches, transport, tourisme). Contribuer aux stratégies régionales pour assister les résidants du Nord à s’adapter aux changements climatiques et à préserver la biodiversité de la région. Prendre en considération les besoins propres à la région arctique et voir comment l’Arctique et l’Alaska peuvent contribuer à la mise en œuvre d’un régime national/global pour la lutte contre le changement climatique. Investir dès maintenant dans les infrastructures nécessaires pour la sécurité et le développement de l’État et des États-Unis. Appuyer les institutions internationales dans l’Arctique et ratifier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (intérêts : transport maritime, pêches). Ce rapport identifie quatre atouts de la zone arctique de l’Alaska et des États-Unis. Il suggère que le gouvernement fédéral, en collaboration avec l’Alaska, dirige son regard et concentre ses efforts sur ces quatre piliers : • Les populations : « The indigenous peoples of the Arctic are an important piece of the American cultural landscape. » • Les terres et espaces maritimes : « Approximately one out of every 15 acres of U.S. land is located in the Arctic. » • Les ressources naturelles : « Alaska is rich with natural resources, particularily in the Arctic regions » • Les infrastructures : « The Arctic is also home to a large amount of existing infrastructure, ranging from military bases to industrial facilities to transportation corridors : Trans-Alaska Pipeline ; Dalton Highway ; North Slope oil production facilities ; Military facilities ; Ports ; Fish processors ; Airports. 2.2 Évaluer : un processus de réflexion En 2010, le parlement de l’Alaska a créé un groupe de travail sur le Nord intitulé Alaska AIDEA ; Hoefler Consulting Group ; Anchorage School Board ; Carlile Transportation System, Inc. ; Baywind Communications ; At&T ; University of Alaska, Fairbanks ; Institute of the North ; Smart Stock Investing, LLC ; Canadian Consulate ; North Star Group ; UBS. 29 Northern Waters Task Force (ANWTF) dont le mandat consistait à formuler des recommandations sur les défis et les opportunités découlant des changements climatiques en Alaska et en Arctique. Comment préparer l’Alaska pour l’avenir, quel est son rôle et celui du gouvernement fédéral ? Sur une période de deux ans, le groupe de travail a mené des enquêtes sur le terrain (interviews/rencontres) en Alaska et dans certains pays du monde circumpolaire afin d’en apprendre davantage sur les enjeux régionaux et les préoccupations des résidents rencontrés. Le ANWTF a consulté plus de 65 experts provenant du milieu universitaire, de la défense nationale américaine, des ONG, ainsi qu’une douzaine d’agences fédérales et d’État. Sur le terrain, il a rencontré une centaine de résidants lors d’enquêtes à Juneau, Barrow, Wainwright, Kotzebue, Nome, Wales, Bethel et Unalaska. Le groupe de travail a cherché à attirer l’attention sur les besoins urgents de l’Arctique américain, tant pour l’État fédéré que pour Washington. Les tâches du ANWTF étaient les suivantes : • • • • Assess and facilitate creation of a state and federal commission responsible for overseeing the development of state and federal northern waters ; Facilitate regional coordination, cooperation, and outreach regarding the creation of the commission to keep local stakeholders informed and to incorporate their input into the process ; Identify and coordinate efforts of mutual concerns for federal, state, and local agencies, as well as international interests, in the creation of the commission ; and Conduct hearings in the Arctic and Sub-Arctic regions of Alaska. Le ANWTF a publié son rapport en 2012, regroupées en six catégories prioritaires différentes : Gouvernance, Investissements pour la planification territoriale et les infrastructures, Développement des hydrocarbures, Pêches, Transport maritime, Recherche Parmi les recommandations formulées pour chacune des catégories thématiques, notons les suivantes : Actions publiques aux niveaux national et international : Washington doit procéder à la formulation d’une nouvelle politique nationale pour l’Arctique, en y incluant un financement approprié pour sa mise en œuvre. L’État de l’Alaska et le gouvernement fédéral doivent encourager l’adoption d’ententes internationales pour le commerce et le transport maritimes, les pêches, les hydrocarbures, et d’autres enjeux transfrontaliers. 30 Le parlement de l’Alaska et l’État de l’Alaska doivent appuyer et encourager de manière collective une plus grande coopération internationale au sein du Conseil de l’Arctique et le Conseil Circumpolaire Inuit-Alaska (ICC-Alaska). Participation de l’État/locale Le parlement de l’Alaska doit créer une commission pour développer une stratégie arctique pour l’Alaska. Cette commission devra consulter de manière substantielle la population de l’Alaska. Les communautés et organisations dans les communautés arctiques de l’Alaska devraient créer un groupe de travail sur l’Arctique. L’Alaska doit maintenir sa participation au sein de l’Arctic Caucus du Pacific Northwest Economic Region (PNWER). Exploration et développement des hydrocarbures : L’État de l’Alaska et le gouvernement fédéral doivent renforcer leur collaboration afin de prévenir, contenir, contrôler, nettoyer les déversements dans les eaux arctiques. L’État de l’Alaska devrait avoir comme objectif de devenir un leader mondial sur l’exploration et la production sécuritaires des hydrocarbures en Arctique. Transport maritime Le gouvernement fédéral doit travailler avec la communauté internationale afin de finaliser le Code Polaire et établir un programme pour le trafic maritime dans le détroit de Béring. Le parlement de l’Alaska et l’État de l’Alaska doivent continuer d’appuyer les centres de formation maritimes en Alaska. Investissements pour la planification territoriale et les infrastructures : Le parlement de l’Alaska doit exhorter le gouvernement américain à construire une base navale pour la garde côtière américaine dans l’Arctique. Le parlement de l’Alaska doit exhorter le gouvernement américain à financer les brise-glaces et tous les autres bâtiments pouvant naviguer dans les eaux de glace. Il faut appuyer le programme Scenarios Network for Alaska & Arctic Planning de l’Université de l’Alaska, Fairbanks. Planifier et construire des ports dans la région arctique. L’État de l’Alaska doit prendre en considération les propositions avancées visant à étendre les réseaux de fibre optique dans les eaux nordiques. L’État de l’Alaska doit explorer des méthodes nouvelles pour financer les 31 infrastructures du Nord de l’Alaska. Pêches : L’État de l’Alaska et le gouvernement fédéral doivent développer des programmes de gestion qui viendront en aide aux communautés côtières, en attendant un régime fédéral pour les pêches arctiques. Recherche : L’État de l’Alaska et le gouvernement fédéral doivent identifier des orientations prioritaires pour la recherche arctique. Favoriser la recherche fondée sur le savoir autochtone en Alaska. 2.3 Actions : la commission politique arctique de l’Alaska En avril 2012, le parlement de l’Alaska a créé la Alaska Arctic Policy Commission (AAPC) qui poursuit sur la lancée et le travail du ANWTF. Il s’agit d’une commission d’enquête (ou un processus) dont le mandat consiste à formuler une politique régionale de l’Arctique pour l’Alaska. Les 26 commissaires rencontreront des alaskiens d’un peu partout dans l’État en 2013/2014 afin de définir une vision globale du développement de l’Alaska, le rôle de l’Alaska dans l’Arctique et des pistes de réflexion sur les enjeux et défis locaux pour mieux guider le processus décisionnel dans les années à venir. La AAPC offre l’occasion à tous les résidents de l’État de faire part de leurs appréhensions et ambitions quant au développement de l’État. L’exercice en cours vise aussi à mettre en relief tous les processus fédéraux qui ont des incidences sur l’Alaska. Une politique arctique sera rédigée et dévoilée en 2015. Six sous-groupes de travail – vraisemblablement inspirés des thématiques de la ANWTF – ont été formés pour encadrer le processus de consultation : 1. Développement des hydrocarbures, ressources naturelles et mines 2. Science, savoir autochtone, recherche, changement climatique et énergie 3. Gouvernance, enjeux autochtones, Conseil de l’Arctique 4. Développement de la planification territoriale et les infrastructures 5. Sécurité intérieure et nationale, garde côtière 6. Transport maritime, gestion de la pêche et de la faune La première rencontre du processus de consultation s’est déroulée à Juneau en mars 2013. Elle était diffusée en ligne. Pour cette première rencontre, plusieurs experts se sont réunis 32 autour de thématiques générales qui guideront tout au long des prochains mois les discussions dans multiples communautés de l’Alaska. Elle incluait le Lieutenant gouverneur Mead Treadwell : Global and Historical Arctic Policy Perspective, Stefanie Moreland, première assistante du Gouverneur : State of Alaska’s Policy, Fran Ulmer, présidente de la USARC : Arctic Research, l’Amiral Thomas Ostebo : Coast Guard Operations in the Arctic, Brendan Kelly, directeur associé, Polar Science, Office of Science and Technology. : National Arctic Strategy, Lawson Brigham, professeur émérite, University of Alaska, Anchorage : Current Arctic Marine Policy Issues, le Maire Reggie Joule : Northern Waters Task Force Report, Pat Pouchot, Special Assistant to Department of Interior Secretary Federal Policy Alice Rogoff : ‘Arctic Circle’, a new circumpolar networking group and annual conference/ The private sector’s role in Arctic investment et Nils Andreassen, Institute of the North sur des questions portant sur le rôle de l’Alaska dans l’Arctique, les termes du succès et les éléments clés à considérer. 2.4 Politique internationale : une paradiplomatie renforcée ? Comme on l’a vu dans les parties précédentes, l’Alaska cherche à jouer un rôle clé dans la définition des orientations stratégiques de la politique étrangère américaine lorsqu’il est questio de l’Arctique. À l’extérieur des États-Unis, l’Alaska intervient également sur la scène internationale en exerçant un pouvoir d’influence et d’attractivité. D’une part, l’Alaska a intérêt à influencer les acteurs qui concluent des traités internationaux avec les États-Unis surtout lorsque les politiques adoptées sont susceptibles d’avoir des répercussions sur les politiques et les intérêts de l’État. D’autre part, et c’est la voie dans laquelle l’Alaska semble de plus en plus vouloir se lancer, l’unité fédérée cherche à faire valoir son identité arctique et ses particularités géographiques pour favoriser des investissements dans des secteurs très spécialisés (et uniques au Nord des États-Unis) comme le transport maritime transarctique, les technologies polaires et les industries extractives arctiques. Il existe plusieurs exemples d’initiatives paradiplomatiques22 entreprises par l’État de 22 À cet égard, Stéphane Paquin définit les variables qui mènent vers la paradiplomatie« la mondialisation et la crise de l’État-nation qui serait à l’origine du développement de la paradiplomatie. Les entités subétatiques agiraient de la sorte afin de « favoriser leurs exportations, mais aussi […] d’attirer les investissements étrangers ». « le processus d’internationalisation et d’intégration régionale, puisque ces deux phénomènes touchent directement les champs juridictionnels des entités subétatiques» « le nationalisme pousserait les entités fédérées à établir des politiques extérieures, en vue de valoriser la croissance du sentiment national d’un groupe minoritaire dans un État multiculturel. » « le régime politique. Il présente la personnalité des décideurs comme étant lié à l’essor de la paradiplomatie. A. Chaloux. (2008). Fédéralisme américain et environnement : le rôle des États fédérés dans le développement d’une diplomatie parallèle. Federalisme-e. vol. 9, 33 l’Alaska. Celles qui touchent aux intérêts arctiques/circumpolaires sont appelées à croître. Avec son voisin canadien, la gouverneure Sarah Palin et le premier ministre du Yukon Dennis Fentie ont d’ailleurs conclu une entente bilatérale en 2008 pour favoriser de meilleures relations intergouvernementales. Les secteurs clés touchés par cette entente sont23 : • • • • • • • Le tourisme Le transport Les échanges économiques et le commerce Le développement des ressources naturelles Le changement climatique La gestion de la faune Le développement économique et les infrastructures L’Alaska cherche également à jouer un rôle d’influence auprès du Conseil de l’Arctique, soit via des canaux paradiplomatiques ou via des pressions exercées par divers acteurs du Nord auprès de décideurs à Washington (notamment auprès des affaires polaires) : Il y a d’abord le conseil de l’Arctique. Depuis la rencontre ministérielle du Conseil de l’Arctique à Nuuk au Groenland en 2011, l’Alaska est représenté à ces réunions de haut niveau par la sénatrice de l’Alaska Lisa Murkowski. À la veille de la présidence américaine du Conseil de l’Arctique en 2015, l’Alaska cherche certainement à s’y tailler une place centrale. Les deux co-présidents de la Alaska Arctic Policy Commission (AAPC) estiment que les Alaskiens doivent être intégrés plus formellement dans la formulation des priorités américaines pour l’Arctique, en tant que « résidents souverains » de l’Arctique. Voici ce qu’ils ont suggéré au Président Obama le 17 mai 2013 via le quotidien The Arctic Sounder, en référence à la présidence américaine du Conseil de l’Arctique qui arrive dans deux ans : - Le secrétaire d’État doit être nommé président du Conseil de l’Arctique en 20152017 (puisqu’il est peu réaliste d’envisager la nomination d’un Alaskien à ce poste de haut niveau fédéral, relevant par tradition du Département d’État). - Les Alaskiens peuvent et doivent jouer un rôle clé lors de la future présidence américaine du conseil : i) pour promouvoir les idées et les priorités du Nord au sein de ce forum de haut niveau international ; ii) puisque cette contribution correspond aux orientations de la politique nationale dévoilée en mai 2013 ; iii) une telle http://www.queensu.ca/iigr/pub/Ejournals/federalismE/volume-9.pdf, p. 85. c. 5.6.13. 23 Alaska-Yukon Intergovernmental Relations Accord (2008) http://www.gov.yk.ca/news/pdf/ak_yukon.pdf 34 : initiative respecte le processus du Conseil de l’Arctique et le leadership du département d’État. Plus spécifiquement, les auteurs soutiennent que24 : First, the chair of the Arctic Council's Sustainable Development Working Group should be an Alaska resident. Of the council's six working groups, only the SDWG is mandated to be led by the chairing nation. Furthermore, the meetings of SDWG traditionally occur within the host country […] Second, during the United States chairmanship, the State Department should request from the State of Alaska an Alaska liaison to the Bureau of Ocean and Polar Affairs, in which the senior Arctic official is placed. The Alaska liaison position should be held by an Alaskan who can then collaborate with the U.S. Senior Arctic Official throughout the chairmanship. Finally, we would like to join with Senators Mark Begich and Lisa Murkowski in the call for an Arctic ambassador in the State Department. […] And if an Arctic ambassador is appointed, certainly it would make sense for that person to be from Alaska – the state that makes America an Arctic nation. En 2012, la sénatrice d’État Lesil McGuire a fait adopter la loi SJR-17 au parlement de l’Alaska25 afin d’autoriser la tenue de la rencontre en Alaska du Arctic Council Task Force on Arctic Marine Oil Pollution Preparedness and Response. Il existerait aussi à Washington un groupe de travail alaskien ad hoc sur le Conseil de l’Arctique. Selon le ANWTF : « The state of Alaska should continue participation in the Emergency Prevention and Preparedness Working Group and Task Force of the Arctic Council and become active in other Arctic Council initiatives by attending related forums. Presently, the state of Alaska moderates bimonthly meetings for an Arctic Council Ad Hoc Working Group. This serves in large part to allow the U.S. Department of State to provide updates on Arctic Council activities and receive input from Alaskans. The state should continue these periodic reports and otherwise work to keep Alaskans informed of progress in these endeavors. » Finalement, au début des années 2000, le secrétariat du Arctic Climate Impact Assessment (ACIA) était situé à la University of Alaska Fairbanks : http://www.acia.uaf.edu/. La 24 Rep. Lesil McGuire et Rep. Bob Herron. (2013, 17 mai). Arctic Council appointments should be alaskans. http://www.thearcticsounder.com/article/1320arctic_council_appointments_should_be. c.14.6.13. 25 La loi stipulait : « Welcoming the Arctic Council Task Force for Arctic Marine Oil Pollution Preparedness and Response to the state for its March 2012 meeting and urging the task force to use its time in the state to inform and inspire the work of the task force. » 35 présidence américaine du Conseil de l’Arctique permettra ainsi à l’Alaska de poursuivre sa collaboration avec les groupes de travail du Conseil de l’Arctique et à y présenter de nouvelles initiatives et de nouveaux engagements à moyen et long terme, vraisemblablement avec l’appui du gouvernement fédéral (notamment le Département d’État). Encadré 7 : Groupes de travail du Conseil de l’Arctique26 Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (PSEA) : se penche sur la surveillance et l’analyse des effets des pollutions anthropiques, Protection de l’environnement marin de l’Arctique (PEMA) : se penche sur la lutte contre la pollution marine dans l’Arctique. Programme de préparation aux situations d’urgence, de prévention et d’intervention (PPSUPI) : se penche sur l’élaboration et la mise en oeuvre de stratégies en cas d’urgence environnementale. Conservation de la faune et de la flore arctique (CFFA) : se penche sur la coordination de la recherche et la diffusion d’information concernant les espèces et les habitants. Groupe de travail chargé du développement durable (GTDD) : chargé d’améliorer le développement dans une perspective durable des économies, de la culture et du bien-être des populations autochtones. Programme d’action et de surveillance des contaminants dans l’Arctique (PASCA) : cherche à réduire la pollution environnementale en incitant les gouvernements à adopter des politiques coercitives concernant les contaminants et les émissions polluantes. Il y a ensuite le Pacific Northwest Economic Region (PNWER) qui exerce une influence et un leadership via le Arctic Caucus. Le PNWER a été mis sur pied en 1991 et a pour vocation d’accroître le développement économique et les échanges commerciaux dans la région du Pacifique Nord-Ouest de l’Amérique du Nord. Il existe 17 groupes de travail au sein du PNWER qui traitent de sujets différents comme l’énergie, la haute technologie et l’environnement. Le PNWER regroupe la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Yukon, et cinq États américains (Alaska, Idaho, Montana, Oregon et Washington). Le 23e sommet du PNWER se déroulera à Anchorage les 14 au 19 juillet 2013. 26 T Williams. (2008). L’Arctique : les acteurs de la coopération circumpolaire. Arctic Council, PRB-08-15F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement. 36 De surcroît, lors de la présidence alaskienne du PNWER en 2009, l’idée de créer un groupe de travail nommé Arctic Caucus a été avancée par la sénatrice d’État alaskienne Lesil McGuire (RAnchorage). Le Arctic Caucus est un forum d’échanges qui offre aux entités fédérées/subnationales de l’Arctique de l’ouest de l’Amérique du Nord – Alaska, Yukon et les Territoires du Nord-Ouest – un lieu de rencontre pour échanger et partager des informations sur des enjeux communs et d’établir des ponts de collaboration dans des secteurs propres au Nord. Les membres du caucus visent à mettre de l’avant des objectifs communs notamment en matière de développement économique. Ces membres proviennent des secteurs publics et privés des régions visées par le forum. Chacune des entités subétatiques du caucus a l’occasion de présider le forum et à déterminer son agenda à tous les trois ans. Lors de la rencontre du caucus à Anchorage en juillet 2013, il sera notamment question du commerce et du développement économique (« Trade and Economic Development : Arctic Value of the North to the South : Economic Impact to the Region »). Outre le Arctic Caucus, il sera également question de l’Arctique dans plusieurs séances lors du sommet du PNWER en 2013 : Opening Breakfast : Arctic Challenges and Opportunities – featuring John Higganbotham, Senior Destiguished Fellow at Carleton University. Overview of Alaska’s Petroleum Resources : Prudhoe Bay and Outer Continental Shelf Development in the Arctic – Drue Pearce, Chair, Institute of the North. Water Policy : Alaska’s Water Landscapes : Are we missing the boat? Health Care : Tele-health in the Arctic. De plus, en 2011 et 2012, le quotidien Alaska Dispatch a organisé à Gridwood près de Anchorage deux conférences/rencontres internationales nommées « The Arctic Imperative » pour discuter des enjeux économiques et politiques dans la zone arctique, notamment (mais non exclusivement) ceux qui touchent à l’Arctique nord-américain. Selon les organisateurs de cet événement, ce type de rencontre a pour objectif de : « sharpen the focus on the policy and investment needs of the U.S. Arctic by providing a forum for leaders from all disciplines to collaborate on solutions. » L’agenda de 2012 portait sur les thématiques suivantes : Resources Oil and Gas Minerals Arctic Investment Opportunities Marine Shipping Port Development Telecommunications Real-Time Navigation and Ice-Imaging TechnologyFisheries Aviation Principles for Responsible Arctic Development Cultural and Corporate Values for Inuit People 37 Emerging Industry Needs Icebreakers and Icebreaking-Capable Tanker Technology Oil Spill and Pollution Prevention and Response Sustainable Development Corporate Social Responsibility Arctic International Affairs National Security U.N. Law of the Sea Search and Rescue S’agissant des Investor and Business Roundtables, selon des sources du Arctic Imperative, aucune rencontre ne se tiendra à l’été 2013 sous cette bannière. Or l’organisation indique qu’elle prendra part à une nouvelle rencontre qui se tiendra à Reykjavik en Islande, intitulée The Arctic Circle. Nous ne savons pas au moment d’écrire ces lignes si l’événement reviendra en Alaska en 2014. Le Arctic Circle, lancé à peine quelques jours avant la rencontre ministérielle du Conseil de l’Arctique à Kiruna au printemps 2013, est un nouveau sommet (qui se déroulera pour la première fois en octobre 2013) qui a pour vocation d’offrir un lieu de rencontre où chercheurs, autorités politiques, communauté des affaires et populations locales pourront échanger sur une base annuelle notamment des questions de développement économique en Arctique : We aim to strengthen the decision-making process by bringing together as many Arctic and international partners as possible to interact under one large "open tent." Participants in the Arctic Circle will include a range of Arctic and global decision-makers from all sectors, including political and business leaders, indigenous representatives, nongovernmental and environmental representatives, policy and thought leaders, scientists, experts, activists, students and media. This annual assembly, organized as a nonprofit, is a new mechanism for existinginstitutions, organizations, forums, think tanks, corporations and public associations to reach a global audience of those interested in Arctic affairs in an efficient way. The Arctic Circle aims to support, complement and extend the reach of the work of the Arctic Council. By facilitating broad international dialogue at an open gathering held in mid- October of each year, the Arctic Circle will foster greater cooperation on Arctic issues. La sénatrice alaskienne Lisa Murkowski est membre honoraire de ce forum, ainsi que Ólafur Ragnar Grímsson (Président de l’Islande), le Prince Albert II de Monaco, Artur Chilingarov (explorateur et politicien russe qui avait planté le drapeau de Russie au fond de l’océan Arctique en 2007), Kuupik Kleist (premier ministre du Groenland jusqu’en mars 2013). D’autres Alaskiens figurent dans la liste du comité consultatif tels le Lieutenant gouverneur Mead Treadwell, Alice Rogoff, propriétaire et fondatrice du 38 quotidien Alaska Dispatch, Edward Itta, United States Arctic Research Consortium. Il faudra attendre la première rencontre du Arctic Circle au mois d’octobre 2013 afin de mieux saisir les contributions majeurs de cet événement, son avenir ainsi que le message communiqué par l’Alaska au sein de ce forum international, nouveau pôle de sa paradiplomatie arctique. De plus, l’Alaska assure également une présence au sein des forums et organisations en lien avec les enjeux du Pacific Nord ou de l’Arctique comme le Northern Forum, Conseil Circumpolaire Inuit-Alaska, North Pacific Fisheries Management, Arctic Frontiers, Arctic Dialogue, Western Governors Association/Western Premiers Conference, Pacific Salmon Commission, The Northwest Wildland Fire Compact, Council of States Governments-West Council of Western Attorney Generals, l’ACIA, l’UNESCO, le Aspen Institute. Enfin, l’Alaska fait également valoir ses intérêts nordiques via les voyages à l’étranger du gouverneur Parnell, les participants permanents du Conseil de l’Arctique (Arctic Athabaskan Council ; Aleut International Association ; Gwich’in Council International ; Inuit Circumpolar Conference), le Code Polaire/Organisation maritime internationale 39 Partie III – Options politiques : quelles leçons pour le Québec nordique/arctique ?27 3.1. Conclusions/observations générales sur l’Alaska nordique/Arctique : Le contexte du changement climatique et l’augmentation des activités humaines partout dans le Nord forceront l’Alaska à maximiser ses intérêts stratégiques comme entité subétatique de l’Arctique. L’Alaska a une identité et des intérêts particuliers aux États-Unis. L’Alaska est non seulement une entité fédérée, mais aussi une région nordique de l’Amérique du Nord, du Pacifique Nord, du monde circumpolaire et du monde, avec des particularités identitaires, historiques, culturelles, démographiques, géographiques, climatiques, politiques, économiques et industrielles, et des voisins clés (Russie, Canada, Asie) à protéger comme jamais. Seul État septentrional américain, l’Alaska est présente sur la scène fédérale pour y influencer la politique arctique des États-Unis. Le potentiel d’influence est alors très élevé puisqu’il y a une interdépendance formelle entre l’État fédéral et l’État fédéré depuis 1959 (cette interdépendance est sous étudiée et mal comprise). Celle-ci augmente avec la mutation de l’Arctique. L’Alaska « gère » la frontière, le fédéral « utilise » la frontière. Une nouvelle forme de collaboration bilatérale émerge donc entre ces acteurs et sur des enjeux communs. Très bien ! L’Alaska demeure la référence et une source d’information privilégiée pour les ÉtatsUnis lorsqu’il est question des enjeux circumpolaires. Au niveau de la politique étrangère américaine, avec l’Alaska, les États-Unis ont une proximité unique avec le monde circumpolaire et sa périphérie. Le territoire américain s’étend au-delà du cercle polaire vers la mer de Beaufort et l’océan Arctique, et partage un espace géographique (frontières), politique (voisinage), unique (climat et océan) et privilégié (club des « puissances arctiques ») avec d’autres États et acteurs du monde circumpolaire, dont la Russie à quelques kilomètres à l’est et le Canada à l’ouest (et l’Asie en périphérie). Très bien Compte tenu de sa situation géographique, son identité et sa culture, l’Alaska possède un savoir-faire arctique régional/circumpolaire et culturel que Washington tentera de 27 Cette note présente des pistes de réflexion qui ne se veulent pas des recommandations formelles, mais plutôt des options politiques qui visent à encadrer de manière préliminaire la discussion présentée dans ces lignes. 40 maîtriser pour ses besoins en matière de sécurité nationale et que les autorités locales chercheront à renforcer pour des fins surtout économiques. Les enjeux sont de plus en plus complexes (et techniques) pour Washington. Depuis le 11 septembre 2001 et pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, le concept de frontière, telle qu’on le conçoit au 49e parallèle en termes de sécurité nationale, gagne l’État de l’Alaska. La fonte des glaces renforce le sentiment de vulnérabilité américain. Pour des fins de sécurité nationale et de développement économique de l’Alaska, Washington doit désormais investir dans les infrastructures de l’Alaska. Or dans le contexte économique actuel, le secteur privé y jouera certainement un rôle majeur. Une consultation arctique sans précédent aux États-Unis. La AAPC – qui mènera à la politique arctique de l’Alaska, et le développement d’une politique arctique américaine sont deux processus majeurs dans l’histoire arctique des États-Unis. Il encourage ainsi la consultation de la population dans la formulation de politiques majeures et qui auront des répercussions au-delà du territoire américain. Il favorise également une plus grande collaboration entre le gouvernement fédéral, l’Alaska, la société civile, la communauté des affaires, l’industrie et les populations autochtones de l’Alaska. Très bien ! 3.2. Options politiques pour le Québec nordique/arctique : un début de réflexion Vers une vision ‘arctique’ et ‘nordique’ (circumpolaire) pour le Québec Comme le démontre le cas de l'Alaska, les unités subétatiques et fédérées du monde circumpolaire, en Amérique du Nord et dans le nord de l’Europe, sont encouragées à définir et faire valoir leurs identités arctique/nordique. L’identité du Québec du Nord est, dans la province et en termes de relations Québec/Ottawa et Québec/monde, peu connu et doit être développé davantage. Une consultation comme la AAPC (ou le ANWTF) sous forme de réflexion stratégique est souhaitable voire nécessaire au Québec dans le but de développer une politique nordique québécoise, et ce en collaboration égale avec les populations du Nord (i.e. inspiré par le processus Parnasimautik au Nunavik, en cours depuis plusieurs mois maintenant et mené par la Société Makivik). Découvrir le Québec du Nord, faire découvrir le Québec du Nord Le cas de l’Alaska démontre bien que la définition d’une politique arctique passe d’abord par la cartographie des intérêts et des enjeux de l’acteur en question. Le 41 Québec doit mieux affirmer son identité nordique afin de saisir ses besoins actuels et futurs. En faisant découvrir son territoire du Nord à l’extérieur de ses frontières, le Québec suscitera non seulement un intérêt économique de l’étranger pour cette zone en Amérique du Nord, mais pourra aussi attirer en terre québécoise une expertise scientifique étrangère (ou canadienne) qui pourra contribuer au développement durable et l’enseignement du Québec du Nord. Le Québec du Nord, territoire unique Quelles sont les particularités du Québec nordique/arctique dans le monde circumpolaire et comment ces dimensions peuvent-elles contribuer au rayonnement du Québec dans le monde et comme acteur du monde circumpolaire ? Quels sont les intérêts et les valeurs que le Québec souhaiterait mettre de l’avant avec ses partenaires arctiques ? Comment le Québec du Nord peut-il favoriser la reconnaissance internationale du Québec fédéré ; ses compétences et responsabilités ; ses occasions d’affaires ; son savoir. La paradiplomatie nordique/arctique du Québec À la veille de la présidence américaine du Conseil de l’Arctique, qui sera suivie par les pays de la zone Euro-Arctique de la mer de Barents (BEAR : Finlande, Islande, Russie, Norvège, Danemark et Suède), le Québec doit orienter sa paradiplomatie arctique autour des présidences tournantes, ce qu’il lui permettr notamment de collaborer étroitement et en symbiose avec les intérêts des acteurs majeurs du monde circumpolaire. Cette orientation paradiplomatique permettra de conclure des ententes innovatrices dans l’esprit de la déclaration commune « Portant sur une collaboration dans le développement du développement nordique durable », signée entre le gouvernement du Québec et le Conseil nordique des ministres (zone euro-arctique). De surcroît, une réflexion doit également se faire au plan de la paradiplomatie nordique/arctique entre le Québec et les pays observateurs du Conseil de l’Arctique, notamment la France et la Chine, deux États avec qui le Québec entretien déjà d’étroites relations culturelles et économiques. La présidence canadienne du Conseil de l’Arctique Au pays et dans le monde, le gouvernement de Stephen Harper exploite très maladroitement la présidence canadienne (2013-2015) du Conseil de l’Arctique. Le Québec a donc tout intérêt de prendre les devants et profiter de l’attention majeure que lui offre cette présidence pour susciter l’intérêt au Québec sur l’Arctique et d’enclencher un processus de réflexion qui mènera à la première dimension nordique de la politique internationale du Québec, aux côtés des pôles États-Unis et Francophonie. 42 Le Québec et le Nord et l’Arctique canadiens et nord-américain Les acteurs subétatiques de la zone arctique de l’Amérique du Nord commencent à peine à collaborer. Le PNWER est un exemple innovateur de coopération économique dans l’Arctique de l’Ouest. Il n’existe pas de forum similaire ailleurs en Amérique du Nord, comme par exemple dans l’Arctique de l’Est où se situe géographiquement le Québec. Aussi, au plan de l’Amérique, il n’existe pas de forum de coopération régional pour échanger sur les enjeux de l’Arctique. Le Québec doit se poser la question à savoir s’il est dans son intérêt de promouvoir ou de créer de tels forums pour faire avancer ses intérêts. La science : pilier de la dimension nordique de la politique internationale du Québec La recherche qui porte sur le Nord et l’Arctique, tant au niveau des sciences naturelles que les sciences sociales, est une richesse inépuisable du Québec. Valoriser, favoriser et financer le savoir nordique/arctique permettra au Québec de se démarquer de ses voisins nord-américains qui négligent ou sous-estiment ces domaines de recherche fondamentale, et de rayonner dans le monde circumpolaire, tout en faisant avancer ses intérêts. Lorsqu’il est question de la recherche nordique et circumpolaire, le Québec doit financer et favoriser la recherche terrain, ici comme ailleurs. Lorsqu’il est question de la diffusion du savoir scientifique québécois au niveau de l’Arctique et du Nord, une stratégique de communication rigoureuse et innovatrice au niveau des nouvelles technologies (site webs, applications, livres numériques, cartes en ligne etc.) est nécessaire. Offrir un rôle plus important aux communautés locales (notamment les jeunes autochtones du Nord et du Nunavik) dans la conception et la mise en oeuvre de la diffusion du Nord et de l’Arctique québécois est à prendre en considération. 43 Chaire Raoul-Dandurand 455, boul. René-Lévesque Est UQAM, Pavillon Hubert Aquin 4e étage, Bureau A-4410 Montréal (Québec) H2L 4Y2 Tél. : 514 987-6781 [email protected] www.dandurand.uqam.ca Chaire Raoul-Dandurand, décembre 2013