La Lettre du Gynécologue - n° 337 - décembre 2008
Gynéco et société
Gynéco et société
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La cour de cassation a cassé, le 6 février 2008 un arrêt de la
cour d’appel qui subordonnait l’inscription, à l’état civil,
d’un enfant né sans vie au poids ou à la durée de la gros-
sesse (500 g ou 22 semaines d’aménorrhée [SA][1]), alors que
ces conditions n’étaient pas prévues par l’article 79-1 alinéa 2
du code civil. Le texte prévoit en effet que lorsqu’un enfant est
décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, et
à défaut de production d’un certificat médical indiquant que
l’enfant est né vivant et viable, l’officier d’état civil établit un
acte d’enfant né sans vie, qui énonce les jour, heure et lieu de
l’accouchement ; cet acte est en outre inscrit à sa date sur les
registres de décès. Le texte du code civil ne détermine donc
aucune limite inférieure à cette inscription par l’officier d’état
civil, alors que ce serait raisonnable.
Cette décision, très attendue par de nombreuses familles
confrontées à la perte précoce d’un enfant, restitue un droit aux
parents sans modifier le complexe statut juridique de l’embryon
et du fœtus. Elle a cependant soulevé de nombreuses réactions
de réserve et d’inquiétude paraissant s’inscrire dans une régres-
sion annoncée de la possibilité de pratiquer une IVG.
Or, le statut juridique de l’embryon et du fœtus, en constante évo-
lution, ne peut pas être confondu avec l’essence de l’embryon et
du fœtus, qui est de nature philosophique, voire théologique, mais
sûrement pas juridique. L’embryon et le fœtus humains sont bien
sûr des êtres humains potentiels qui n’ont pas encore les droits de
la personne. Les évolutions des droits rattachés au fœtus tombent
sous le sens, tant il est vrai que les situations d’un embryon congelé
en attente de projet parental ne sont pas les mêmes que celles d’un
embryon nidé dans l’utérus de sa mère qui eux-mêmes ne sont pas
les mêmes que celles d’un fœtus de plus de 14 SA[2]. L’étape de la
viabilité ne se fait pas à 22 SA mais plutôt entre 24 et 26 SA. Cepen-
dant, jusqu’au terme, un couple peut demander l’arrêt de la grossesse
si le fœtus est porteur d’une anomalie d’une particulière gravité de
l’incurabilité de laquelle les médecins attestent. Après la naissance,
on ne peut plus interrompre la vie d’un enfant, fût-il gravement
malformé et incurable de son anomalie. Ces étapes constituent bel
et bien un statut juridique de l’embryon et du fœtus humains et ce
statut est susceptible de modifications d’ordre juridique.
La connaissance de l’embryon et du fœtus humains par la
constellation familiale s’est transformée complètement en
deux décennies. Les parents désormais voient de plus en
plus tôt le visage de leur fœtus qui, de fait, quitte cette ter-
minologie anatomique : pour eux, c’est un enfant, c’est leur
enfant et le jeu des ressemblances commence donc bien avant
Dire ce qu’est le fœtus et quels sont ses droits :
la dangereuse confusion des genres
IP I. Nisand*
* Chef de service de gynécologie obstétrique, CHU de Strasbourg.
[1]
Proposition de l’OMS faite en 1977 pour uniformiser les calculs statistiques entre pays
quant au taux d’accouchements prématurés, de mortalité périnatale et de fausses couches.
[2] Délai au-delà duquel une femme ne peut plus demander une IVG.
la naissance. Il est bien souvent nommé dès cette période et
son investissement psychique par les parents est désormais le
même que celui qui se portait auparavant sur l’enfant dès que
sa naissance permettait enfin de le voir et de le comparer aux
autres membres de la famille.
Or, les humains, depuis la nuit des temps, se débrouillent tant
bien que mal avec la question de la mort. Ce rapport à la mort
est lié au langage. Et c’est le langage qui constitue le panse-
ment le plus efficace à la disparition d’un être cher, disparition
qui nous rappelle notre propre mort à venir. Pratiquer un culte
funéraire, c’est mettre des mots sur la mort. Donner un nom
au défunt, c’est l’inscrire dans le lignage familial, c’est permet-
tre de s’en souvenir, c’est permettre d’empêcher qu’il ne dispa-
raisse totalement des mémoires familiales, c’est faire en sorte
qu’il ne soit pas “innommable”.
La découverte, par l’image, de l’enfant attendu l’installe donc
plus tôt qu’autrefois dans le cercle de famille. Et sa mort est dès
lors la mort d’un être d’autant plus cher qu’il avait été nommé
et contemplé. Surtout quand ce sont les parents qui ont, à leur
corps défendant, participé à la décision de mettre fin à une vie
qui n’aurait été qu’un long calvaire pour un enfant malformé
ou trop malade pour qu’on puisse le guérir.
Ce droit des parents de nommer, d’inscrire et d’inhumer, quel que
soit le culte qu’ils choisiront, ne doit pas être une obligation. Mais
lorsqu’il est revendiqué, pourquoi l’interdire ? Que protège-t-on
en interdisant une démarche d’accompagnement du deuil aussi
ancienne que l’humanité ? Sûrement pas le droit à l’IVG. Car,
bien sûr, les remarques qui précèdent pourraient servir de motif
valable pour exclure de ce droit des parents ceux qui ont volon-
tairement interrompu la grossesse. Les arrêts de grossesse au pre-
mier trimestre sont de natures très différentes : parfois, l’embryon
ne s’est pas développé du tout ; parfois son développement s’est
arrêté à un stade très précoce où il est impossible de le nommer
puisque le phénotype sexuel est encore indéterminable ; parfois
encore, ce sont les parents ou la mère qui ont décidé volontaire-
ment de cet arrêt de la grossesse.
Il n’y a d’ailleurs pas de demande d’inscription du fœtus dans
ces contextes d’arrêt de grossesse au premier trimestre, et
il serait légitime de limiter le droit des parents à inscrire un
fœtus à l’état civil à la 15e SA, c’est-à-dire au-delà de la possibi-
lité pour la mère de demander et d’obtenir une IVG.
L’inscription à l’état civil et l’inhumation doivent donc être
possibles lorsqu’elles sont demandées par les parents ou par
la mère au-delà de la 14e SA, sans que cela ne confère aucun
autre droit associé par ailleurs à ce genre d’inscription. Il s’agit
bien d’un droit des parents et non d’une modification du com-
plexe statut juridique de l’embryon et du fœtus. ■
© Le Courrier de l’éthique médicale (8), n° 1, 1er semestre 2008.