Une approche fonctionnelle de l`orthographe grammaticale

Michel Fayol
Pierre Largy
Une approche fonctionnelle de l'orthographe grammaticale
In: Langue française. N°95, 1992. pp. 80-98.
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Fayol Michel, Largy Pierre. Une approche fonctionnelle de l'orthographe grammaticale. In: Langue française. N°95, 1992. pp.
80-98.
doi : 10.3406/lfr.1992.5773
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1992_num_95_1_5773
Michel
FAYOL,
Pierre
LARGY
Université de
Bourgogne
L.E.A.D./CNRS
(U.
de
Bourgogne
&
U.
de
Grenoble
2.
URA
665)
Faculté
des
Sciences
Gabriel
6,
Bd
Gabriel,
21000
Dijon
UNE
APPROCHE
COGNITIVE
FONCTIONNELLE
DE
L'ORTHOGRAPHE
GRAMMATICALE
Les
erreurs
d'accord
sujet-verbe
chez
l'enfant
et
l'adulte
*
Les
élèves
de
cours
moyen
commettent
des
erreurs
d'accord
orthogra
phique.
Il
en
va
de
même
des
collégiens,
des
lycéens,
des
étudiants
et
même...
des
enseignants.
Ce
constat
conduit
parfois
à
affirmer
que
«
le
niveau
baisse
»
et
qu'on
n'accorde
plus
à
l'orthographe
l'attention
qu'elle
mérite.
L'objectif
du
présent
travail
n'est
pas
de
discuter
cette
assertion.
Il
s'agit
pour
nous
d'étudier
le
statut
des
erreurs
orthographiques
et,
notamment,
de
faire
apparaître
que
la
même
erreur
peut
avoir
des
causes
bien
différentes
selon
le
niveau
de
développement
et/ou
d'apprentissage.
Nous
chercherons
en
parti
culier
à
montrer
qu'il
existe
des
erreurs
d'experts
difficiles
à
éviter
et
qui
témoignent
de
la
maîtrise
automatisée
d'un
type
d'accord
qui
s'opposent
à
des
erreurs
de
novices
qui
traduisent,
elles,
un
état
d'apprentissage
encore
insuffisant.
Or,
le
traitement
de
ces
erreurs
ne
peut
être
identique
ni
quant
au
diagnostic
ni
quant
aux
interventions.
En
somme,
les
faits
mis
en
évidence
pourraient
contribuer
modestement
à
l'élaboration
d'une
réflexion
sur
la
didactique
de l'orthographe
grammaticale.
Le
travail qui
suit
s'articule
en
trois
parties.
Dans
un
premier
temps,
nous
rappellerons
quelques
éléments
de
psychologie
cognitive
ayant
trait
aux
connaissances
et
à
leur
gestion,
cela
en
les
illustrant
d'exemples
empruntés
à
l'orthographe.
Dans
un
deuxième
temps,
nous
rapporterons
deux
expériences
qui,
croyons-nous,
font
clairement
apparaître
les
différents
«
niveaux
de
causalité
»
impliqués
dans la
genèse
des
erreurs
d'accord
sujet-verbe.
Dans
un
troisième
temps,
nous évoquerons
quels
enseignements
ces
constats
expérimentaux
peuvent
avoir
pour
la
didactique
de
l'orthographe.
1.
Les
types
de
connaissance
et
leur
gestion
Même
si
de
nouvelles
approches
théoriques
tendent
aujourd'hui
à
discuter
ces
distinctions,
la
psychologie
cognitive
considère
que
les
connais-
*
Les
auteurs
tiennent
à
remercier
les
Inspecteurs
de
l'Éducation
Nationale,
Monsieur
le
Principal
du
Collège
de
Sombernon,
Monsieur
le
Proviseur
du
Lycée
Le
Castel
à
Dijon
et
les
enseignante
qui
ont
accepté
de
les
laisser
intervenir
auprès
des
élèves
dont
ils
ont
la
responsabilité.
80
sances
s'organisent
en
deux
catégories
:
connaissances
déclaratives
d'une
part
;
connaissances
procédurales
d'autre
part (Anderson, 1983
;
Gagné,
1985
;
Richard,
1990).
1.1.
Les
connaissances
déclaratives
Ces
connaissances
traitent
des
«
savoir
que
»
(que
«
Paris
est
la
capitale
de
la
France
»,
par
exemple).
Il
s'agit
toujours de
:
délimiter
des
classes
pour
y
insérer
des
«
objets
de
connaissances
»
et
de
définir
des
relations
entre
ces
classes.
Relativement
à
l'orthographe,
les
connaissances
déclaratives
concernent
deux
types
de
faits
:
D'une
part,
la
maîtrise
de
l'orthographe
des
mots
:
savoir
que
«
apéritif»
ne
prend
qu'un
p
;
qu'«
habit
»
commence
par
h
et
se
termine
par
t.
On
peut
penser
que
le
lexique
mental s'organise
en
un
réseau
faisant
ressortir
les
liaisons
analogiques
entre
certaines
familles
de
mots
(cf.
Goswami,
1988).
Ce
point
ne
sera
pas
discuté
ici.
d'autre
part,
la
connaissance
de
règles
telles
que
«
Le
participe
passé
employé
avec
avoir
s'accorde
en
genre
et
en
nombre
avec
le
C.O.D.
si
celui-ci
est
placé
avant
le
verbe
».
Il
s'agit
de
la
mémorisation de
la
règle
elle-même,
non
de
son
utilisation.
Les
connaissances déclaratives
sous-tendent
une
grande
part
de
nos
compét
ences
orthographiques,
en
particulier
en
ce
qui
concerne
l'orthographe
dite
d'usage.
Elles
ne
concernent
toutefois
pas
notre
propos
actuel.
1.2.
Les
connaissances
procédurales
Ces
connaissances
correspondent
à
des
«
savoir-faire
»
de
niveaux
très
divers.
Elles
renvoient
à
la
mise
en
œuvre
effective
et
non
plus
à
la
«
simple
mémorisation
»
de
règles
telles
que
celles
de
l'accord du
verbe
avec
le
sujet
ou
du
participe
passé
avec
le
C.O.D.
Elles
soulèvent
trois
problèmes.
a)
Le
problème
de
leur
déclenchement
à
bon
escient
Les
psychologues
formalisent
ces
connaissances
sous
forme
de
règles
du
type
condition(s)
action(s).
Cela
traduit
le
fait
que
la
procédure
(suite plus
ou
moins
complexe
d'actions)
ne
doit
se
déclencher
que
si
et
seulement
si
toutes
les
conditions
et
seulement
elles
sont
remplies.
Par
exemple,
le
participe
passé
ne
doit
pas
être
accordé
avec
le
C.O.D.
si
le
C.O.D.
apparaît
après
le
verbe
«
avoir
».
Cela
suppose
que
les
utilisateurs
de
la
langue
écrite
disposent
de
81
systèmes de
reconnaissance
leur
permettant
d'identifier
les
configurations
pertinentes
pour
«
solliciter
»
telle
ou
telle
procédure.
Comme
nous
le
verrons,
ces
systèmes
peuvent
être
«
leurrés
»,
y
compris
et
surtout
chez
les
experts.
b)
Le
problème
de
leur
maintien
en
activité
Le
champ
d'application
d'une
procédure
peut
être
relativement
prolongé
dans
le
temps
et/ou
l'espace.
Par
exemple,
le
C.O.D.
peut
se
trouver
très
éloigné
du
verbe.
Or,
la
procédure
doit
être
maintenue
active
tant
que
de
nouvelles
conditions
parmi
lesquelles
son
exécution
ne
sont
pas
remplies.
Ce
maintien peut
se
révéler
plus
ou
moins
coûteux
cognitivement,
c'est-à-dire
exiger
de celui
qui
écrit
un
contrôle
attentionnel
prolongé
et
difficile.
c)
Le
problème
de
leur
acquisition
L'acquisition
des
connaissances
procédurales
comporte
trois
volets
:
celle
des
conditions
repérage
des
configurations
seules
pertinentes
pour
le
décle
nchement
;
celle
des
séquences
d'actions
dont
le
degré
de
complexité
est
hautement
variable
;
celle
du
«
couplage
»
condition(s)
action(s)
couplage
plus
ou
moins
facile
à
repérer.
Lorsqu'on
a
affaire
à
des
procédures
correspondant
à
des
règles
complexes,
l'acquisition
s'avère
lente,
difficile
et
cognitivement
coûteuse.
Elle
peut
conduire
à
l'automatisation,
sans
doute
toujours
relative.
Toutefois,
cette
dernière
ne
se
maintient
que
dans
la
mesure
la
procédure
se
trouve
régulièrement
sollicitée.
1.3.
La
gestion
des connaissances
Les
connaissances
sont
considérées
(métaphoriquement)
comme
stockées
en
mémoire
à
long
terme.
Le
problème
de
celui
qui
les
utilise
peut
donc
s'analyser
aussi
:
repérer
dans la
situation
des
indices
induisant
le
recours
à
une
connaissance
;
récupérer
celle-ci
(ce
qui soulève
plus
ou
moins
de
problèmes selon l'expertise)
;
la
maintenir
active tant
qu'elle
est
nécessaire
;
veiller
à
l'exécution
correcte
quand
il
s'agit
d'une
procédure
;
contrôler
le
résultat
;
désactiver
la
connaissance
désormais
inutile.
L'énoncé
de
ces
«
opérations
»
mentales
fait
apparaître
le
caractère
cognitivement
coûteux
de
la
récupération
et
de
la
gestion
des
connaissances
en
temps
réel
(c'est-à-dire
au
moment
même
de
leur
utilisation).
Ce
coût
peut
toutefois
se
trouver
diminué
par
différents
moyens
:
a)
Tout
d'abord
l'automatisation
Celle-ci
tend
à
réduire
les
durées
de
récupération
et
à
alléger
la
charge
attentionnelle.
En
effet,
le
caractère
automatique d'une
activation
ou
d'une
procédure
permet
d'éviter,
au
moins
partiellement,
le
contrôle
toujours
cognitivement
coûteux.
De
là,
la
possibilité
d'accorder
plus
de
«
ressources
cognitives
»
à
d'autres
activités.
82
b) Ensuite
la
conduite
«
en
parallèle
»
de
plusieurs activités
En
fait,
cette
possibilité
reste
assez
limitée.
Il
paraît
réalisable,
sans
chute
de
performance,
de
conduire
simultanément
deux
activités
automatisées
(par
exemple
écrire
et
accorder
le
nom
avec
l'article précédent)
ou
une
activité
automatisée
et
une
autre
contrôlée
(écrire
tout
en
préparant
le
segment
suivant.
Cf.
Chanquoy,
Foulin
et
Fayol,
1990
;
Fayol,
1991a
et
b).
En
revanche,
sauf
entraînement
prolongé,
il
semble
difficile
de
mener
de
front
deux
activités
contrôlées
(Spelke,
Hirst
et
Neisser,
1976).
c)
Enfin,
l'utilisation
de
stratégies
Celles-ci
consistent
en
l'agencement,
contrôlé
dans
le
temps,
des
diverses
composantes d'une
activité
donnée.
En
quelque
sorte,
le
sujet
distribue
temporellement
ses
actions
de
manière
à
essayer
d'optimiser
sa
performance.
Par
exemple,
en
production
écrite,
une
première
phase
est
consacrée
à
la
recherche
d'idée,
une
deuxième
à
l'organisation
d'un
plan,
une
troisième
à
la
rédaction
d'une
version
sans
«
toilettage
»
orthographique
ou syntaxique,
une
quatrième
à
la
relecture-révision.
Cette
organisation
du
travail
s'avère
plus
efficace
que
celles
tendant
à
traiter
simultanément
tous
les
niveaux
de
la
production
(Glynn,
Britton,
Muth
et
Dogan,
1982
;
Kellog,
1990).
1.4.
Conclusion
Ce
rapide
exposé
relatif
aux
connaissances
et
à
leur
gestion
est
destiné
à
faire
apparaître
qu'il
existe
différents
niveaux
potentiels
d'erreur.
Le
premier
tient
à
la
méconnaissance
complète
(déclarative
et
procédurale)
d'une
règle.
Le
deuxième
consiste
en
la
seule
connaissance
déclarative
d'un
énoncé
sans
capacité
à
mettre
en
œuvre
la
procédure
correspondante.
Le
troisième,
moins
évident,
a
trait
à
une
gestion
cognitivement
trop
coûteuse
pour
que
le
sujet
parvienne
à
appliquer
systématiquement
et
régulièrement
une
procédure
;
de
l'occurrence
d'erreurs
difficilement
prévisibles
et
explicables.
Le
quatriè
me,
enfin,
plue
contre-intuitif,
résulte
de
l'application automatique
de
procédures
d'accord
alors
même
que
certaines
conditions
restrictives
sont
remplies,
qui
devraient
conduire
à
une
gestion
contrôlée.
Les
deux
premières
«
causes
»
sont
très
bien
connues
des
enseignants
II
sait
ses
règles
mais
il
ne
sait
pas
les
appliquer
!
»).
Elles
conduisent
à
la
mise
en
œuvre
de
deux
méthodes
didactiques
:
faire
mémoriser
les
règles,
pour
assurer
la
connaissance
déclarative
;
faire
réaliser
des
exercices
pour
induire
la
maîtrise
procédurale.
En
général,
l'intervention
systématique
s'arrête
là.
Or,
nous
voudrions
faire
apparaître
que,
au
moins
à
partir
d'un
certain
niveau
scolaire,
des
erreurs,
même
si
elles
sont
les
mêmes
qu'avant,
ne
relèvent
pas
des
mêmes
mécanismes.
Ce
sont
désormais
les
deux
dernières
raisons
invoquées
qui
les
expliquent
:
soit
difficulté
de
gestion,
soit
automat
isme
lié
à
l'expertise.
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