LE PATRIOTE RÉSISTANT
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endant la seconde annexion (1940-
1945), un habitant sur sept en Moselle
est soit un prisonnier de guerre sovié-
tique, soit un travailleur civil slave (polonais,
yougoslave, ressortissant des territoires de
l’URSS occupés), contraints au travail forcé
au service de léconomie de guerre du Reich.
Selon nos recherches, au moins 9 500 prison-
niers de guerre et 300 travailleurs civils y
laissent la vie. Retour sur une réalité mécon-
nue mais caractéristique du sort particulier
réservé aux provinces de lest de 1940 à 1945.
Les prisonniers
de guerre soviétiques
Le 22 juin 1941, lAllemagne déclenche lopé-
ration « Barbarossa ». Remportant des succès
fulgurants, la Wehrmacht a fait 2,4 millions
de prisonniers en décembre 1941. Si lAlle-
magne a ratié la troisième Convention de
Genève relative au traitement des prison-
niers de guerre, Hitler nentend pas lappli-
quer aux « Untermenschen » slaves victimes
de sa croisade danéantissement pour conq-
rir lespace vital nécessaire à lAllemagne.
La Wehrmacht laisse donc mourir ses pri-
sonniers dans des camps à ciel ouvert. La
sous-alimentation organisée, l’absence de
soins médicaux, les rigueurs climatiques de
l’URSS provoquent une héca tombe en parti-
culier lors de la grande épidémie de typhus
de lhiver 1941-1942. Autre facteur de la sur-
mortalité des prisonniers soviétiques, les
massacres perpétrés par les Einsatzgruppen
et des unités régulières de la Wehrmacht
(600 000 victimes). A la n de lannée 1941,
le bilan humain est terriant. Au cours des
six premiers mois de guerre, sur 3,3 millions
de prisonniers, deux millions sont morts. A
la n de la guerre, sur les 5,6 millions de sol-
dats soviétiques faits prisonniers, 3,8 mil-
lions – soit 70 % – ont péri alors que le taux
de décès ne dépasse pas 2 % pour les captifs
de guerre français.
Ce massacre délibéré ralentit n 1941 avec
léchec de la « Blitzkrieg » devant Moscou.
Pour alimenter une guerre dusure, il ne faut
pas des cadavres, il faut des bras. Hitler re-
considère sa politique raciale à légard des
Slaves, entrevoyant les bénéces de cette force
de travail peu coûteuse et servile pour léco-
nomie de guerre. Au début de lannée 1942,
les autorités allemandes initient le transfert
des prisonniers de guerre dans les usines alle-
mandes. Ils sont près de 631 000 à lété 1944.
Les conditions de déten tion s’améliorent pro-
gressivement, sans jamais atteindre cependant
celles des captifs des nations occidentales.
Malgré cette évolution, près de 200 000 pri-
sonniers de guerre soviétiques décèdent au
travail forcé en Allemagne.
En Moselle, annexée depuis juin 1940, les
premiers contingents de captifs slaves ar-
rivent à lautomne 1941 au sein du complexe
du Stalag XII F de Forbach. D’abord instal
à Sarrebourg, le camp central est transféré en
mai 1941 au lieudit Ban-Saint-Jean, situé sur
la commune de Denting, à six kilomètres à
lest de Boulay. Ancien casernement de lar-
mée française s’étendant sur 88 hectares, ce
site est transformé à lautomne 1941 en grand
camp de triage pour Soviétiques qui sont en-
registrés puis répartis dans les dizaines de
Kommandos de travail installés en Moselle,
surtout dans la sidérurgie et le bassin houil-
ler. Le Ban-Saint-Jean peut alors accueillir
de 1 500 à 3 000 prisonniers. A larrivée des
transports, après quinze jours de voyage avec
peu deau et de nourriture, les cadavres se
comptent par dizaines. Les malades et impo-
tents sont transférés à Boulay où se trouve
le camp-hôpital, en réalité un mouroir du
fait de l’insusance
criante de person-
nels et de moyens
médicaux. Ceux qui
peuvent être remis sur
pied sont soignés puis
aectés dans lun des
93 camps de travail re-
censés principalement
dans le bassin houiller
et la sidérurgie. Ils sont
près de 30 000 travail-
lant dans les usines, les
mines, les entreprises,
les fermes.
Dans les Komman-
dos de travail, dis-
posant de rations
alimentaires très in-
susantes, aai blis
par les maladies, vic-
times de brutalités des
gardiens, les prisonniers soviétiques meurent
par centaines. Spontanément, les habitants
des villages alentour, les ouvriers travaillant
avec eux donnent du pain, des vêtements.
En échange, les prisonniers fabri quent de
petits objets artisanaux en remerciement.
Les risques sont importants car en cas dar-
restation par la Gestapo, le Slave est exécu-
té et le Volksdeutsche mosellan transféré en
camp de concentration (KL) pour « relations
interdites ».
Le Troisième Reich et la
main-d’œuvre civile slave
Dès la victoire sur la Pologne, des dizaines
de milliers de Polonais sont envoyés travailler
dans les usines allemandes suivis, au fur et à
mesure des victoires, par les populations des
pays conquis. A l’Est, les nazis procèdent à
de véritables razzias. Des villages entiers sont
raés et envoyés de force dans le Reich. Ces
travailleurs civils polonais et ces travailleurs
de l’Est (Ostarbeiter) sont déversés par convois
dans les diérents sites industriels de lAlle-
magne. A l’été 1944, près de huit millions de
travailleurs étrangers alimentent ainsi léco-
nomie de guerre du Troisième Reich, soit un
travailleur du Reich sur quatre.
Les premiers Polonais arrivent en Moselle
à la n de lannée 1940. A chaque arrivée de
convoi, un fonctionnaire de la Gestapo contle
les nouveaux arrivants à partir dune liste de
transport. Parquée dans des camps spéciaux,
– une soixantaine réservée aux Slaves –, mar-
quée comme du bétail – P (Polen) pour les
Polonais et Ost pour Ostarbeiter –, la main-
dœuvre slave est victime dun régime d« apar-
theid ». La Lorraine du fer et celle du charbon,
mais aussi lagriculture, puisent massivement
dans cette force de travail. Elle est vitale pour
léconomie mosellane dont la population la-
borieuse est gravement amputée par les éva-
cuations de 1939, les expulsions de 1940 puis
par la mobilisation de la jeunesse mosellane
dans la Wehrmacht et la « transplantation »
de force (Umsiedlung) de milliers de familles
mosellanes suspectes dans le Reich en 1943.
Dans ces camps comme au travail, larbitraire
de la police des usines règne. Cette police doit
lutter contre les insu sances au travail (pa-
resse, lenteur, retards répétés) et les sabotages.
Elle s’eorce également demcher toute fra-
ternisation. Elle est de fait une auxiliaire pré-
cieuse de la Gestapo qui ne peut contrôler
seule les dizaines de milliers de travailleurs.
Dans les campagnes, la surveillance est as-
surée par la gendarmerie. Les conditions de
vie des Ostarbeiter sont bien meilleures que
celles des prisonniers. Ils peuvent organiser
des fêtes entre eux, des crèches sont aména-
gées. Mais, lenvers du décor est moins favo-
rable tant la répression se montre féroce à la
moindre infraction.
La politique répressive
de la Gestapo
La Gestapo et la Kripo (Police criminelle)
sont chargées de lapplication de cette ség-
gation raciale et de la mise au travail eective
de cette main-dœuvre. Pour les autorités alle-
mandes, cette arrivée massive de populations
exogènes constitue une grave menace aussi
bien pour la sécurité intérieure que pour la
pureté raciale de la communauté du peuple
allemand (contacts amicaux avec la popula-
tion allemande, relations sexuelles). Pour ces
raisons, dextrêmes précautions sont prises
par les autorités policières notamment par
les accords Himmler-ierack de lautomne
1942. Consacrant une « justice policière »,
qui fait de la Gestapo une force de police et
une instance punitive, ces accords prévoient
que les travailleurs slaves ne seront plus jus-
ticiables devant les tribunaux mais dépen-
dront exclusivement de la police SS.
Les crimes de sabotage, paresse, fuite de
son lieu de travail, vol, relations sexuelles
avec un membre de lethnie allemande sont
systématiquement transmis à la Gestapo.
Pour les aaires les moins importantes, cette
police se contente de quelques semaines de
prison accompagnées dun sévère avertis-
sement. Pour les autres, c’est linternement
au camp de rééducation par le travail (AEL,
Arbeitserziehungslager) de Guénange. Les
AEL, dépendant de la Gestapo, sont créés
par Himmler au printemps 1940. Destinés
à rééduquer les « travailleurs paresseux », ces
camps ont lavantage pour les autorités na-
zies de soumettre le travailleur rétif à une
période de « rééducation » avant de le ren-
voyer dans son entreprise, ce qui ne péna-
lise pas les rmes allemandes. Le camp de
Guénange fonctionne doctobre 1941 à sep-
tembre 1942 puis les services de la Gestapo en
Moselle privilégient le camp de rééducation
de Schirmeck, en Alsace, puisque qu’il auto-
rise un internement jusqu’à six mois, période
susante pour corriger les « fortes têtes ».
Cette répression vise également les Mosellans
apportant leur aide aux prisonniers ou aux
travailleurs slaves. La Gestapo s’empare de
ces cas de fraternisation et arrête une cen-
taine de Mosellans, pour la plupart envoyés
à Schirmeck.
A partir de la n de lannée 1942, la Gestapo
change de stratégie devant la recrudescence
des délits de droit commun, des évasions, la
Les prisonniers de guerre et les
travailleurs slaves en Moselle annexée
Lors de la libération de la Moselle, les troupes aricaines découvrent des dizaines de milliers de prisonniers de guerre soviétiques et de
travailleurs civils slaves que les nazis avaient contraints au travail pour faire tourner l’économie de guerre du Reich. Des milliers dautres
nont pas vécu cette libération (les prisonniers de guerre principalement), victimes de terribles conditions de détention. Une histoire
méconnue qui éclaire pourtant les mécanismes de la politique raciale nazie envers les « sous-hommes » (« Untermenschen ») slaves et la
réalité tragique de l’annexion dans les provinces de l’est de la France. Un article de Cédric Neveu.
Marc Ryckaert
La gare de Metz aujourd’hui. De 1940 à 1945, elle fut un
lieu de transit pour des milliers d’hommes et de femmes en
provenance de l’est européen et de l’URSS, véritable bétail
humain assujetti au travail par les nazis en Moselle annexée.
LE PATRIOTE RÉSISTANT
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Le périple dun jeune Mosellan
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mémoire
témoignage
multiplication dactes de sabotage ou de né-
gligence. En vertu dun décret dHimmler de
décembre 1942 qui demande le transfert de
35 000 détenus dans le système concentration-
naire, des convois importants sont organisés
de janvier à mai 1943. Les femmes quittent
la prison du Grand Séminaire de Metz vers
le KL Ravensbrück ou celui dAuschwitz.
Pour les hommes, c’est le tout nouveau KL
Natzweiler qui fait oce de camp denvoi.
Dans la pratique, les décisions dinternement
sont expéditives, en moyenne moins de dix
jours entre larrestation et le départ. Souvent
lordre denvoi en KL de travailleurs slaves
ne porte que le nom et le prénom, voire une
date de naissance à la diérence des travail-
leurs de louest où létat civil est extrêmement
détaillé. Les vies nont pas la même impor-
tance bureaucratique.
Louverture du camp de la Neue Bremm
(Sarre) à lété 1943 puis celle du camp de
Woippy, au nord de Metz en août modient
le dispositif répressif. Ces deux prisons de po-
lice, dépendant exclusivement de la Gestapo,
orent lavantage de ne plus externaliser
la répression rééducative vers Schirmeck.
Woippy et la Neue Bremm drainent désor-
mais les travailleurs étrangers arrêtés par la
Gestapo. La prison du Grand Séminaire de-
vient le centre dinternement des femmes.
Après plusieurs semaines de détention par-
ticulièrement brutales, les travailleurs sont
pour la plupart remis au travail. La répres-
sion concentrationnaire na pas pour autant
disparu. Ces deux camps servent de réser-
voirs pour les travailleurs « irré cupérables »
comme ces cinquante-cinq travailleurs et
travailleuses soviétiques, capturés en juil-
let 1944 pour rupture de contrat de travail
et vol, transférés depuis Woippy et le Grand
Séminaire vers les camps de Natzweiler et
Auschwitz. Au total, au moins 650 travail-
leurs civils slaves sont transférés vers les
camps de concentration nazis.
Macabre comptabilité
En parallèle, pour frapper les esprits, la
Gestapo organise des exécutions sommaires.
Sous lappellation « traitement spécial », elle
consiste en la pendaison-spectacle dun tra-
vailleur ou dun prisonnier de guerre slave
devant lensemble de ses cama rades. Pour
ne prendre qu’un exemple, citons la pendai-
son dun jeune Polonais en janvier 1943 à
Guinzeling sur ordre du KdS (1) Sarrebourg,
pour avoir eu des relations sexuelles avec
une Mosellane. A Woippy, la Gestapo utilise
une potence-mobile. Régulièrement, des pri-
sonniers slaves sont extraits du camp pour
être pendus discrètement dans les bois de la
banlieue messine. Nos recherches nous per-
mettent davancer le chire dune vingtaine
de pendaisons de détenus de Woippy entre
août 1943 et août 1944. Parfois, la police
orga nise une pendaison-spectacle comme le
20 août 1944 où quatre Ostarbeiter du camp
dAmnéville sont pendus devant lensemble
des travailleurs russes du camp pour lassas-
sinat dune gardienne mosellane. Les autres
travailleurs sont contraints à déler devant
les cadavres se balançant au bout de la corde.
A la libération, les troupes américaines dé-
couvrent des milliers de prisonniers de guerre
aamés, dans un état sanitaire déplorable.
Environ 60 000 citoyens soviétiques et polo-
nais se trouvent en Moselle. La question de
leur rapatriement se pose, l’URSS réclamant
ses ressortissants. Le drame vécu pendant
quatre ans se poursuit avec le rapatriement.
Considérés comme des traîtres, de nombreux
prisonniers connaissent la prison, le Goulag
ou les bataillons disciplinaires, dautres sont
exécutés. Même situation pour les Ostarbeiter
suspectés dêtre des collaborateurs des nazis.
En Moselle, la terre révèle les crimes com-
mis par les nazis contre les prisonniers de
guerre notamment au Ban-Saint-Jean et à
Boulay avec leurs 6 600 corps. Cependant,
des dizaines dautres lieux contribuent au
macabre décompte et nont pas été pris en
compte. Aucun chire dé nitif ne peut donc
être avancé sur lensemble de la Moselle :
6 600 ? 9 500 ? 20 000 ? Impossible de trancher
de manière péremp toire puisque les fouilles
nont pas été menées sur lensemble des sites
et que les archives originales sont presque
inexistantes. Si le nombre des victimes n’est
pas aussi vertigineux, les Ostarbeiter et tra-
vailleurs civils polonais méritent aussi lat-
tention des historiens tant leur vie ne pesait
pas grand-chose dans l’échelle raciale nazie.
Les querelles mosellanes souvent vives autour
de la macabre comptabilité nont en fait pas
grand sens. Le travail dhistoire autour de la
présence des Slaves en Moselle doit se pour-
suivre car il permet de mieux comprendre
les mécanismes de la politique raciale à len-
contre de ces « Untermenschen » et éclaire
sous un jour nouveau la terrible réalité des
années dannexion dans les provinces de lest.
CédrIC neveu
n Cédric Neveu est historien et est notamment
l’auteur, avec Christine Leclercq, Alexandre
Méaux et Olivier Jarrige, de Trous de mémoire
Prisonniers de guerre et travailleurs forcés
d’Europe de l’Est (1941-1945) en Moselle
annexée. Ed. Serpenoise, Metz, 2011.
(1) KdS : Kommandeur der Sipo-Sd, comman-
dant de la Police de sécurité-Service de sécurité
L
e 18 janvier 1942, refusant de servir le Reich, je tente
de rejoindre mon frère, engagé volontaire au
5e Chasseur en Afrique du Nord. Arrêté en zone
rouge par la Feldgendarmerie, je suis incarcéré à la pri-
son de la Gestapo à Sarrebourg où je subis la torture des
interrogatoires de la tristement célèbre police secrète al-
lemande. Dix-huit jours après, je suis transféré à la pri-
son Maurice Barrès de Metz où je connais les privations
de ce dur hiver. Le 31 mars 1943 je suis condamné à trois
mois de prison pour m’être soustrait au Service obliga-
toire du travail (« Arbeits dienstpichtentziehung »), suivis
de mon enrôlement au RAD (Reichsarbeitsdienst), dans
un camp disciplinaire à Bierbach en Allemagne. Jy suis
le seul Mosellan, parmi la majorité de Bavarois peu fana-
tiques, hormis lencadrement, pendant six mois.
Enrôlé de force dans la Wehrmacht le 4 avril, au 4
e
Ersatzbataillon à Francfort-sur-le-Main, quelque temps
plus tard ma compagnie est envoyée en occupation en
France, à Saint-Etienne, pour l’instruction avant de
partir au front. C’est là que germe en moi lidée dune
nouvelle évasion. Lors dune marche à travers la ville,
un jour je vois une enseigne sur un bâtiment : « Usine
Giron Frères ». Je me rappelle alors que lusine où était
employé mon père était une liale de cette usine. Et que
je connais de par mon père son directeur M. Bietrix qui
est ocier de réserve. Lors dune permission de sortie,
je fausse compagnie à mes « camarades » et me présente
à la porte de lusine en demandant à voir M. Bietrix. Je
me souviens encore de la peur que j’inspire au portier et
à la jeune lle au guichet, avec mon uniforme (boche) et
fusil sur le dos ! Quand M. Bietrix arrive, il me reconnaît
de suite : « Mais nom de Dieu, c’est le ls Pierret ! », s’ex-
clame-t-il. C’est donc sans méance qu’il me fait entrer
dans son bureau, connaissant les sentiments antiallemands
de mon père. Je linforme de la situation en Moselle, de
léchec de ma première évasion, de mon enlement de
force dans la Wehrmacht et la raison pour laquelle je me
trouve en sa présence. Bientôt il est rejoint par dautres
personnes, et je saurai par la suite qu’ils font partie dun
réseau de résistance dont un des membres, M. Guérin,
mourra en déportation.
On me photographie pour établir une fausse carte
didentité et on me donne rendez-vous dans une dizaine
de jours mais par prudence à une autre adresse. Parmi
ces personnes se trouve Marcel Gabriel, ancien rédac-
teur du Courrier de la Sarre à Sarreguemines, qui a été
expulsé en 1941 et occupe un poste important à la pré-
fecture de Saint-Etienne, ce qui lui facilite létablissement
de faux papiers.
Quelques jours après, au cours de linstruction militaire,
me voilà avec une hernie ; emmené à lhôpital Bellevue de
Saint-Etienne, je suis opéré. Entre temps, ma compagnie
est retournée à Francfort. Je rentre en voiture sanitaire à
la caserne Grouchy. Le commandant, un ocier très sym-
pa, me demande mon adresse et me gratie de 15 jours de
convalescence, en disant : « Encore un que je ne reverrai
plus ! ». Cest donc accompagné par un sous-ocier que je
prends le train avec arme et bagages, ce dernier portant mes
aaires, vu mon opération récente. Aucun contrôle dans
le train. Ce qui me donne une idée pour la suite, puisque
je dois rejoindre mon unité à Francfort après ma perme.
Le 26 août 1943, je prends le train à Metz, risquant le
tout pour le tout : direction Lyon-Saint-Etienne. Comme
le voyage précédent, aucun contrôle ; on peut dire que la
chance sourit aux audacieux. Je me pointe dès mon arri-
vée 12 rue de l’Industrie, chez un nommé Maliquet, me
débarrasse de mon uniforme abhorré, et me voilà (oh !
grand soulagement) en civil. Laissant chez le monsieur
mon uniforme et mon armement, un Mauser et une baïon-
nette, je me rends à lusine où M. Bietrix, très soulagé de
me revoir, me remet ma fausse carte didentité au nom
de Bour Jean et me donne quelque argent et des vête-
ments. Ayant une adresse où je peux trouver accueil, je
pars pour Culles les Roches en Saône-et-Loire où la maî-
tresse du château, M
me
de Jussieu, me reçoit à bras ou-
verts. Elle me fait héberger dans une ferme des environs
où je suis contacté par la Résistance. Pendant un certain
temps séden taire, je rejoins ensuite le maquis de Saint-
Gengoux. Blessé lors dun engagement avec lennemi, je
suis soigné aux Valottes, petite ferme près de Chenôve.
A mon réta blissement, je m’engage dans la 1re Armée
française le 13 décembre 1944 à Dijon.
Quelque temps après mon évasion, mes parents ont été
informés de ma condamnation à mort pour désertion avec
armes en temps de guerre, par les autorités allemandes.
J’ai fait la campagne France-Allemagne et ai été blessé
de nouveau, à Colmar. Je ne rentrerai de la zone doccu-
pation française (Freiburg/Brisgau) que le 13 décembre
1947, ayant contracté un engagement de trois ans. Comme
invalide de guerre, je suis embauché aux Houillères du
Bassin de Lorraine en tant qu’agent administratif
On ne parle guère des sourances de notre région. J’ai trois
cousins qui ne sont pas revenus de Russie et un autre mort
à Dachau. Mon grand-père était soldat sous Napoléon III,
mon père fut forcé de servir le Kaiser, et moi je fus enrôlé
dans larmée dHitler malgré moi avant de rejoindre la
Résistance. La France n’a guère protesté contre les deux
annexions par lAllemagne de nos trois départements…
Jean PIerret
« On ne connaît guère le sort malheureux de nos trois départements de l’est de la France, Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, annexés par deux
fois par l’Allemagne », nous écrit Jean Pierret, vice-président de la section de Sarralbe et environs (Moselle) de la FNDIRP. Son témoignage
donne un aperçu de leur tragique destin et de la capacité de résistance de leurs habitants.
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