156 Courrier de l’environnement de l’INRA n° 57, juillet 2009
de milieu, ce sont telles ou telles associations moléculaires dans telle ou telle cellule qui seront
sélectionnées comme étant les mieux adaptées à cet état et pourront alors induire d’autres chaînes
réactives aléatoires qui pourront conduire à un autre état du milieu cellulaire. Pour reprendre les
propres termes de J.-J. Kupiec : « les cellules changent d’état et se différencient parce que leur fonc-
tionnement est intrinsèquement probabiliste. L’aléa se niche au plus profond d’elles-mêmes, dans
le fonctionnement des gènes, là où elles sont censées être gouvernées par le programme génétique.
Selon qu’un ensemble ou un autre de ces gènes s’exprime au hasard parmi tous ceux qui composent
le génome, la cellule acquiert certaines caractéristiques correspondant à un état différencié. Les
interactions entre cellules jouent un rôle important mais il ne s’agit pas de signaux qui induisent des
changements d’état, comme le suppose la théorie du programme génétique. Les interactions cellu-
laires stabilisant l’expression génétique lorsqu’une combinaison viable de cellules différenciées a
été produite par le fonctionnement aléatoire des gènes. L’expression génétique est alors • gée, les
cellules ne peuvent plus changer d’état. Si une cellule ne s’adapte pas à son micro-environnement
par ce processus aléatoire, elle cesse de se multiplier, elle meurt ou devient pathologique. La struc-
ture conceptuelle de l’ontophylogenèse est donc faite d’un mélange de hasard et de sélection analo-
gue à la théorie de la sélection naturelle, mais transposée au niveau du comportement cellulaire. »
Ce renversement conceptuel de la relation magique « le génotype détermine le phénotype » par cette
brutale et stimulante observation : « le phénotype conditionne l’expression génétique », ouvre des
abysses de ré• exion et d’interrogation touchant à la fois les fondements scienti• ques de l’impéria-
lisme génétique qui sévit dans le monde de la recherche et les conséquences de ce nouveau décor
épistémologique sur notre représentation du monde. Reprenons : « L’ontogenèse et la phylogenèse
sont deux aspects inséparables d’une même réalité ne constituant qu’un seul processus d’hétéro-
organisation. Au cours de cette ontophylogenèse, les êtres vivants individuels et les espèces se for-
ment de manière identique. L’environnement n’est pas seulement ce qui est extérieur à l’organisme,
il se prolonge dans son milieu intérieur, où agit la sélection naturelle. L’ontophylogenèse détruit la
conception d’un individu qui n’existerait que par sa détermination interne et lui substitue celle d’un
individu existant par la relation à ce qui lui est extérieur. L’Autre est présent dans les fondements
biologiques de notre identité. »
Peu de temps avant d’avoir dévoré ces deux ouvrages j’avais lu avec émotion le communiqué de
victoire émanant de notre institut, l’INRA, et of• cialisant la publication dans Science2 de l’achève-
ment du séquençage du chromosome 3B, le plus long des chromosomes du blé. Les commentaires
accompagnant ce communiqué me laissent quelque peu perplexe. Ainsi dans La Tribune datant du
8 octobre 2008 : « ce séquençage pourrait aider les scienti! ques à développer des variétés de blés
plus productives et résistant mieux à la sécheresse et à d’autres facteurs de stress ». Je me suis préci-
pité sur le site de l’INRA pour en savoir davantage. En date du 21 juillet j’ai trouvé un texte émanant
de la Mission Communication et concernant le « séquençage du blé ». À propos de ce vaste et ambi-
tieux programme conduit par un consortium international, je lis : « le premier objectif est d’obtenir
une carte physique ancrée sur les cartes génétiques3. Dans un premier temps, cette carte physique
accélérera l’isolement des nombreux gènes d’intérêt agronomique identi! és chez le blé tendre et
permettra de préparer le séquençage ultérieur du génome. Le séquençage consistera à déchiffrer l’in-
formation codée dans les gènes portés par chacun des chromosomes du blé a! n, dans un deuxième
temps, d’identi! er la fonction biologique de chaque gène. Ces connaissances permettront de mieux
utiliser et adapter une plante clé pour l’alimentation, selon les nouveaux besoins en matière de
rendement et de qualité de l’alimentation dans un contexte d’agriculture durable et respectueuse de
l’environnement marqué par des changements climatiques et sociologiques majeurs ». Je note dans
ce condensé des objectifs visés que l’on reste dans la vision mécaniste « gène informatif, fonction
biologique codée et amélioration de caractères complexes », vision que fracassent les travaux de
J.-J. Kupiec et de ses collègues. Et ce n’est pas parce que, cerise sur le gâteau, on enveloppe ce beau
et très traditionnel discours dans le papier de soie des thèmes à la mode du développement durable
2. Paux E. , Sourdille P. et al., 2008. A physical map of the 1Gb bread wheat chromosome 3B, Science, 3 octobre 2008.
3. Séquencer le génome du blé, communiqué du 21 juillet 2008,
http://www.inra.fr/les_recherches/exemples_de_recherche/
sequencer_le_genome_du_ble