L’Enseignement Philosophique Éditorial de septembre - octobre 2007 RUPTURE ? Dans le lycée français, la philosophie est une discipline « terminale » au double sens du terme : présente dans la seule classe terminale, elle est conçue comme achevant le parcours des études secondaires par un retour réflexif sur les savoirs acquis. Cet état de chose serait-il révolu ? A première vue, l’idée d’introduire l’enseignement de la philosophie en classe de première semble avoir rassemblé bien des suffrages : les élèves et leurs parents, les journalistes et les politiques. Les professeurs de philosophie, quant à eux, sont plus partagés. Les arguments en faveur de cette introduction ne sont pas sans légitimité : un étalement sur deux ans, en allongeant le temps d’apprentissage peut permettre une approche plus « sereine ». Il est possible que cela « dédramatise » l’enseignement de cette discipline trop souvent gratifiée d’une aura – négative ? – de difficulté. L’argument contraire, qui met en avant la nécessaire maturité des élèves pour aborder la philosophie, doit être évalué avec prudence. S’il est douteux que les petits enfants puissent philosopher vraiment – à moins que l’on entende par là le fait qu’ils se posent des questions ! –, la différence d’âge entre la première et la terminale n’est pas toujours significative, même si on constate parfois que le « passage en terminale » constitue un seuil symbolique. Mais il faut être conscient que cette introduction soulève plusieurs difficultés qui tiennent à la fois au contenu et à la forme de cet enseignement : • Sur sa nature : il ne saurait être question d’une « préparation à la philosophie », mais d’un véritable enseignement philosophique. Ce qui prépare à la philosophie, dans le système scolaire, ce sont des savoirs qui pourront être mobilisés et interrogés de manière réflexive par la philosophie. Une introduction à la philosophie est elle-même philosophique. • Sur sa destination : pourquoi réserver cet enseignement à la seule série « littéraire ». La philosophie s’adresse à tout homme et son questionnement concerne aussi bien le scientifique, l’ingénieur, le médecin, le juriste ou le commerçant, car elle interpelle tout homme en son humanité. • Sur le programme : en tant que réflexion « totalisante » – mais non obligatoirement systématique – la philosophie ne se découpe pas si aisément en blocs plus ou moins homogènes répartissables en années. L’université le fait bien, qui découpe la philosophie en logique et épistémologie, philosophie morale et politique, esthétique ou métaphysique. Mais l’objectif de l’enseignement philosophique dans le secondaire n’est pas la spécialisation ni l’approfondissement ; il s’agit d’une initiation à l’ensemble du questionnement philosophique. L’articulation des programmes des deux années devra tenir compte de cette spécificité. • Sur l’horaire : un horaire inférieur à 3 ou 4 heures ne permet pas un enseignement philosophique digne de ce nom. Certes, le professeur de philosophie n’exige pas de ses élèves qu’ils adoptent le temps de la méditation, mais le questionnement philosophique exige un rythme qui n’est pas celui de la simple transmission d’information. Enfin, il serait inacceptable que cette introduction s’accompagne d’une réduction voire d’une disparition de la philosophie en classe terminale – ou même de son optionalisation qui serait une autre forme de son effacement. La philosophie n’est peut-être plus la « reine des -1- disciplines » ; elle ne prétend plus à constituer l’architectonique des savoirs ; mais, supposant acquis un certain nombre de savoirs (scientifiques, historiques ou littéraires) et de maîtrises disciplinaires, elle peut légitimement justifier sa place en classe terminale. Mais au fond que veut-on ? L’état actuel des filières dans le secondaire n’est pas satisfaisant et nécessite une réorganisation. Quelle place et quelle finalité veut-on accorder à la philosophie dans cette restructuration ? La philosophie n’est pas un savoir ni une activité de pensée solubles dans l’esprit managérial. Elle n’est guère « professionnalisante » à court terme. On peut, pour cela, vouloir en réduire l’importance et la portée, en fragmentant son horaire, en dispersant son enseignement, voire en l’optionalisant. Dans ce contexte, introduire la philosophie en première ne serait qu’un moyen de la faire entrer en phase terminale ! On peut penser, en revanche, que la philosophie est, dans une société démocratique, un authentique enseignement de la liberté. Non pas une « éducation à la citoyenneté » – le professeur de philosophie n’est nullement un instructeur civique – mais une formation de l’esprit critique. Dans cet esprit, ceux qui pensent que l’introduction de la philosophie en classe de première pourrait être un moyen de revalorisation de son enseignement, devront veiller à en respecter les exigences fondamentales. Une même mesure peut donc avoir des significations et des conséquences opposées. Je pense que les professeurs de philosophie seront vigilants sur l’orientation qui sera donnée à cette réforme et l’APPEP les soutiendra dans cette démarche. Edouard Aujaleu Président de l’APPEP 12 octobre 2007 -2-