Du roi juge au roi législateur en France au second XVI siècle : « une

Centre d’Histoire du Droit de l’Université Rennes 1
Guillaume Bernard
Du roi juge au roi législateur
en France au second XVIe siècle :
« une foi, une loi, un roi » ?
Thèse, mention droit (Histoire du droit)
soutenue à l’Université de Rennes 1,
décembre 2000, 2 vol., 1107 p., dactyl.
Directeur de thèse : Pr. Hubert Guillotel (†) (Université de Rennes 1)
N° national de thèse : 2000REN10412
N° de notice SUDOC : 066792908
Soutenance référencée in RHD, 2001, p. 135.
En raison des contraintes universitaires,
cette thèse connaît plusieurs versions (plus ou moins complètes) :
Version de la soutenance : Microfiches (20) :
Atelier National de Reproduction des Thèses (ANRT, Lille III) :
ISSN : 0294-1767 — n° : 3544.36319/02.
Une publication est en cours de préparation.
Mots-clefs :
Affaires d’État / Âge de la majorité du roi / Arrêt de règlement / Arrêt Lemaistre / Assemblées
représentatives / Auctoritas spirituelle / Catholicité du roi / Césaropapisme / Circonscriptions
féodale et royale / Code Brisson / Commandement / Conceptions classique, moderne du droit /
Concile de Trente / Concordat de Bologne / Consentement à l'impôt / Consubstantialité des règles
de dévolution du trône / Cour souveraine / Coutume(s) / Coutume(s) constitutionnelle(s) /
Croisade / Dernier ressort / Dignité royale / Doléances : résolutions, supplications / Domaine de la
couronne / Droit / Droit d'aînesse / Droit canonique / Droit civil / Droit commun / Droit coutumier /
Droit de la France, français et droit des Français / Droit naturel / Droit de primogéniture / Droit
propre / Droit de proximité / Droit public / Droit de représentation / Droit romain / Droit royal /
Droits privés / Droits du roi / Droits savants / Édits d'Union et de Réunion / Édits de pacification et
de tolérance / Égalités arithmétique, géométrique / Églises ultramontaine, gallicane et calviniste /
Enregistrement / Équité / États généraux / Exterminare / Fonctions judiciaire, législative /
Gallicanisme / Gouvernement à conseil / Guerres de religions / Huguenots / Imprescriptibilité /
Inaliénabilité / Juge / Justices retenue et déléguée / Légalisme / Légalité / Légitimité / Lettre patente
prise motu proprio, sur requête / Lex regia / Lex salica / Libertés de conscience, de culte et de
religion / Libre vérification / Ligue / Lit de justice / Loi / Loi(s) fondamentale(s) / Magistrat /
Mandat de droit privé / Nationalité du roi / Ordonnance / Ordre / Parlement(s) / Patrimoine du roi /
Plaisir du roi / Politiques / Positivisme / Potestas temporelle / Pouvoir normatif / Principe de
sanguinité / Privilège / Procuration judiciaire / Protestants / Rationalisme / Réformation du
royaume / Régence / Remontrance / Royaume très-chrétien / Sacerdotalisme / Sacre (constitutif,
confirmatif) / Science du roi / Serment du sacre / Sociabilités naturelle, artificielle / Société
d’ordres / Souverainetés subsidiaire, absolue / Souveraineté per populum / Tiers parti / Tripartition
fonctionnelle / Tyrannicide / Ultramontanisme / Unification, uniformisation du droit / Vacance de
fait ou de droit du trône / Volontarisme
Résumé
Résumé en français :
Le second XVIe siècle fut, en France, une période de troubles et de transitions, peut-être même de
ruptures. Mais, la royauté fut-elle radicalement transformée en raison des guerres civiles ? Si le
royaume de France vit son histoire bouleversée à cause des guerres de religions, les fondements de
ses institutions furent-ils modifiés : en particulier, la division religieuse modifia-t-elle la conception
du pouvoir royal ? La souveraineté moderne, dans sa conception calviniste et bodinienne où la
fonction législative l’emporte sur celle judiciaire, sert généralement pour définir le pouvoir royal
d’Ancien Régime. Démontrer que cela ne correspondait pas à la réalité de la pratique juridique, et
que la doctrine dite absolutiste fut beaucoup moins homogène que cela est couramment affirmé, tel
est l’axe central de cette thèse, au sens propre du terme.
Il fut donc nécessaire de ne s’appuyer que sur des documents supposés connus afin que les résultats,
entrant en contradiction avec la redondance de la production bibliographique, ne puissent être
contestés en arguant de l’apport de sources dites nouvelles. Cette recherche n’a pas été réduite à
apporter, sur une question particulière, une confirmation des travaux précédents sur des points
connexes, mais a consisté à vérifier l’analyse jusqu’ici proposée sur des points contestés. Cela s’est
avéré bénéfique puisque, sur un certain nombre de questions névralgiques de la période, des
analyses originales ont pu être proposées.
Les enjeux politiques et juridiques de la fin du XVIe siècle s’orchestraient autour de l’articulation
des fonctions judiciaire et législative : la seconde découlait-elle de la première ou était-ce
l’inverse ? Il a été nécessaire de distinguer entre la pratique et la doctrine. Si d'une part, les sources
juridiques marquaient, malgré certaines nuances, la continuité de la conception du pouvoir royal
avec l'époque médiévale, il apparaît, d'autre part, une modification d'une partie de l'argumentation
doctrinale. La légitimité de la royauté était déplacée du judiciaire au législatif, ce qui devait
transformer la place et le rôle des institutions publiques du royaume, en particulier des organes de
conseil analysés comme des institutions judiciaires, non seulement les Parlements mais aussi les
États généraux (les députés étant, par exemple, dotés de procurations de droit judiciaire et non de
mandats de droit privé).
La succession au trône fut également une question centrale de la période qui rejoignait tout
naturellement celle de la fonction politique de l’organe royal. En effet, une vision moderne des lois
fondamentales s’opposa à une conception classique mettant en œuvre les coutumes
constitutionnelles, l’une d’elles, la règle de catholicité du roi, étant d’ailleurs révélée à cette époque.
Ce fut surtout l’application des règles de dévolution de la couronne, à la fin du XVIe siècle, qui fut
très délicate : contrairement à ce qui est généralement admis, l’arrêt Le Maistre ne permettait pas de
résoudre la vacance du trône après la mort d’Henri III car il conduisait à ruiner l’instantanéité de la
succession au profit de la masculinité. Finalement, par l’intervention de la Ligue, la soumission du
roi à l’ordre politique du royaume fut maintenue.
Pour l’organisation ultramontaine, qui faisait dépendre l’unité politique de l’unité religieuse, le roi
de France n’était légitime qu’en se soumettant à l’Église catholique romaine tandis que Calvinistes
et Gallicans se rejoignaient pour bâtir une Église nationale et donc privilégier l’union politique sur
celle religieuse. Cette opposition permet d’appréhender, sous un aspect renouvelé, les différentes
doctrines concernant le tyrannicide, la souveraineté per populum, les justifications du pouvoir
classique (par sa finalité) et moderne (par son origine), la tolérance religieuse. Sur ces points, il est
ici affirmé que la Ligue défendit des positions strictement classiques, tandis que ses adversaires se
firent les défenseurs de théories modernes bien qu’elles apparaissent aujourd’hui comme
caractéristiques de l’ancienne France (la justification du pouvoir par le droit divin, la condamnation
du régicide). L’analyse habituelle de la doctrine de la Ligue comme révolutionnaire est, dans cette
étude, contestée, y compris pour les questions de la dévolution du trône et du pouvoir des États
généraux.
Cette thèse s’attache donc à analyser la nature et les pouvoirs des institutions publiques et
notamment leurs relations entre elles (roi / États généraux, roi / Parlements,
États généraux / Parlements), leurs domaines d'intervention (droit privé / droit public, droit
propre / droits savants, coutumes constitutionnelles / lois fondamentales) et les rapports de la
religion et de la politique, de la morale et du droit, de l'Église et de l'État (Église catholique / Église
calviniste, Église gallicane / Église ultramontaine). Née des guerres de religions, la doctrine
moderne ne transforma pas la nature des institutions politiques de l’ancienne France : si le second
XVIe siècle vit l'affirmation doctrinale de l'idée moderne du droit, cette dernière ne devait toutefois
l'emporter dans la pratique qu'au XVIIIe siècle, ce qui ne pouvait qu'entraîner la perte de la royauté
dont la légitimité reposait sur la conception classique de la justice.
Principaux points névralgiques de la démonstration :
Il paraît nécessaire de mettre en exergue certains des points névralgiques de la démonstration. En
effet, issus du dépouillement des sources, ils entrent, un certain nombre de fois, en contradiction
avec des études de la bibliographie.
Afin qu’il ne soit pas possible d’attribuer ces résultats divergents à l’usage de sources dites
nouvelles, ce sont des documents considérés (à tort ?) comme connus et faciles d'accès qui ont été
volontairement privilégiés. L’intérêt de l’analyse ne peut qu’en être mise en exergue.
Les principaux sont les suivants :
- la convergence des doctrines juridiques calviniste et gallicane sur la conception de la loi et du
privilège, et sur la place du droit romain et du droit canonique dans la hiérarchie des sources du
droit ;
- l'origine calvinienne du droit subjectif dont Monsieur le Professeur Thireau a noté qu'elle était
originale ;
- la comparaison systématique des positions d'auteurs qui sont d'ordinaire juxtaposés mais presque
jamais étudiés de façon parallèle : Calvin, L'Hospital, Hotman, Bèze, Bodin, Coquille, Le Bret... ;
- l'analyse précise des mots ordonner, statuer, commander dans les textes normatifs royaux,
démontre que leur emploi ne relève pas d'un discours tautologique mais que le roi disposait avant
tout d'un pouvoir de remise en ordre, c'est-à-dire de justice ; cela éclaire aussi son pouvoir vis-à-vis
des droits particuliers, privilèges et coutumes ;
- l'analyse de l'inversion doctrinale de l'articulation des fonctions souveraines judiciaire et
législative : explicite chez Locke, Montesquieu ou Rousseau, elle était déjà présente, ce que ce
travail relève, chez Calvin et Bodin ;
- la distinction entre la pratique et les doctrines sur la question de l'articulation des fonctions
judiciaire et législative distingue ce travail des explications couramment admises ; jusqu'au XVIIIe
siècle, le roi ne disposait d'un pouvoir normatif, d'ailleurs limité, que parce qu'il était d'abord un
juge ;
- l'application de cette analyse à la question des pouvoirs des Parlements : ces derniers disposaient,
en matière réglementaire et d'enregistrement (fonction qualifiée de « para-judiciaire » plutôt que
d’extrajudiciaire), d'une capacité qui trouvait sa justification dans l'exercice délégué de la fonction
de justice ;
- la comparaison entre le système (chez Calvin, Bodin ou L'Hospital) de l'articulation des fonctions
judiciaire et législatrice avec le modèle romain de la relation du magistrat et du juge : la jurisdictio
du magistrat et sa mise en application par le judex ;
- la présentation des États généraux comme une institution à caractère judiciaire : les députés étaient
des procureurs et non des mandataires ; le roi procédait à un jugement des doléances et rendait une
ordonnance de réformation, c'est-à-dire un verdict ;
- l'explication cohérente d'une situation qui peut apparaître contradictoire dans laquelle le roi était à
la fois libre de suivre ou non les doléances mais était, en même temps, contraint d'obtenir le
consentement des sujets pour la création d'une nouvelle imposition ;
- l'analyse de l'apparition du concept de loi fondamentale, renforcé par l'invocation de la loi salique,
en remplacement de la notion de coutume constitutionnelle à une époque où la volonté prenait une
place de plus en plus importante dans la doctrine des sources du droit ;
- la révélation de la présence sous-jacente du principe de catholicité du roi dans un certain nombre
de textes antérieurs à 1560-1562, c'est-à-dire avant le début des guerres de religions et donc
nécessairement avant 1584, c'est-à-dire quand Henri de Navarre devint le successeur présomptif de
la couronne ;
- l'analyse de la place précise de la vacance de fait et de la vacance de droit du trône dans les
positions des Politiques et de la Ligue mayenniste, question qui explique à la fois le fait que la
Ligue entendait faire procéder à l'élévation d'une nouvelle dynastie après la mort du cardinal de
Bourbon et le fait que ce furent les Ligueurs, et non pas les Politiques, qui défendirent les premiers
le principe de consubstantialité des coutumes de dévolution de la couronne ;
- la détermination de l'âge de la majorité du roi à 13 et non à 14 ans, comme le dit pourtant presque
toute la bibliographie ; il est possible de noter que cet aspect repose sur une pratique qu'Hubert
Guillotel a dégagée, dans des travaux encore inédits, pour les principautés territoriales ;
- la question du droit de proximité et de succession sans représentation dans l'argumentaire de la
Ligue, conception d'une accession au trône envisagée à l'époque carolingienne et qui s'explique par
le fait que les Guises revendiquaient, contre les Capétiens, l'héritage de Charles de Lorraine, frère
de Lothaire et concurrent d'Hugues Capet ;
- le fait que ce furent les États généraux de 1593 qui rejetèrent d'abord la candidature de l'infante
d'Espagne avant que ne le fît l'arrêt le Maistre ;
- la distinction des conceptions monarchomaque et ligueuse de la souveraineté per populum, la
première instrumentant la question de l'origine du pouvoir (les États étant titulaires un instant de la
souveraineté), la seconde consistant en un contrôle de l'exercice du pouvoir, ce qui interdit de les
assimiler comme cela est couramment fait dans la bibliographie ;
- l'explication des raisons qui ont conduit les doctrinaires protestants à d'abord renier Calvin, en
admettant l'élimination physique du tyran d'exercice, puis à revenir à la position orthodoxe du
calvinisme ; la ligue expliquait, en revanche, le tyrannicide par l'application d'une décision
judiciaire d'une autorité supérieure : l'Église ;
- l'étude de la naissance de la légitimité moderne du pouvoir par son origine, en opposition à la
conception classique qui le justifiait par sa finalité : la monarchie de droit divin n’est pas une
conception classique mais moderne du pouvoir.
Remerciements :
Que Monsieur le Professeur Hubert Guillotel (†) soit particulièrement remercié. Après nous avoir
initié à la recherche en DEA, à la Faculté de droit de Paris II où il enseignait, il a, en tant que
Professeur à l’Université de Rennes I, dirigé scientifiquement dès le début notre thèse (soutenue en
décembre 2000), même si nous n’étions pas inscrit administrativement avec lui étant allocataire de
recherche à Paris II. Il nous a toujours témoigné bienveillance et confiance, faisant preuve d’une
remarquable érudition et d’une ouverture d’esprit exemplaire. Devant être soutenue à Paris II, cette
thèse a finalement été présentée à Rennes I.
English Abstract :
From the king judge to the king legislator
in France during the second XVIth century :
« one faith, one law, one king » ?
The French second XVIth century was, at the same time, a period of troubles, of transition, perhaps
even of breaking. All the historiographic currents concurred in the belief that, at the modern time,
royalty took an aspect somewhat different from which it was during Middle Age. This unanimity
disappeared when the date of change is determined and when its nature is precised. If religious wars
overthrew the history of French kingdom, does it mean that the foundations of its institutions were
modified ?
It appeared that political and legal stakes in these days framed around jurisdictional and legislative
duties. On one hand, legal sources testify, in practice, of the continuity of what sovereign power
means. But, on the other hand, a real change in doctrinal argumentation can be noted : legitimacy of
the royalty moved from jurisdictional to legislative, which transformed the place and the role of the
council's organs (Parliaments, Estates general).
This work concerns nature, powers and relationship between public establishment, the way they
interfere and the connexions between religion and politics, moral and law. One may conclude that,
if the monarchical practice did not remain indifferent to the new argumentations, these ones did not
succeed in transforming the nature of establishment. The second XVIth century pointed out firmly
the modern idea of law ; however, one had to wait till XVIIIth century for this theory to be put into
practice : the result was the loss of royalty, whose legitimacy rested on the traditional conception of
justice ».
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