Une diversité insoupçonnée des insectes liés au Hêtre Louis-Michel Nageleisen Quelques espèces d’insectes inféodées au Hêtre sont bien connues des forestiers pour les dommages qu’elles peuvent causer aux arbres des peuplements de production (Nageleisen, 2002). Cependant, de nombreuses autres espèces plus discrètes et moins dommageables vivent aux dépens de cette essence ou sont présentes dans les hêtraies. Certains de ces insectes sont strictement liés à l’espèce botanique Fagus sylvatica (espèces oligophages) et leur nom d’espèce attribué par les entomologistes systématiciens traduit directement ce lien en comprenant le terme : fagi (littéralement “du Hêtre”) ou un dérivé : fagata, faginella… D’autres insectes peuvent avoir comme préférendum différentes essences comme les Chênes mais ne dédaignent pas pour autant le Hêtre (espèces polyphages). Nous donnerons un aperçu rapide de cette diversité entomologique en nous limitant aux espèces effectivement rencontrées sur Hêtre ou dans des peuplements à dominante Hêtre, sans prendre en compte les peuplements mélangés où de nombreuses interactions entre essences et entomofaunes associées sont observées. LES INSECTES DES HÊTRES VIVANTS Les consommateurs de tissus végétaux vivants (insectes phytophages) ont colonisé l’ensemble des niches écologiques possibles sur un arbre au cours de la lente coévolution entre insectes et végétaux. Tous les organes du Hêtre, des bourgeons aux racines peuvent être consommés. Ce sont parmi ces phytophages qu’on recense les “ravageurs”. De 1989 à 2002, les observations du Département de la Santé des Forêts (DSF) impliquent 43 espèces d’insectes sur le Hêtre dont seulement 4 ont plus de 50 occurrences durant la période considérée (Phyllaphis fagi, Cryptococcus fagisuga, Rhynchaenus fagi, Taphrorychus bicolor). En Grande-Bretagne, une centaine d’espèces d’insectes sont inventoriées sur le Hêtre (Kennedy et Southwood, 1984). À titre de comparaison, il faut noter que ce nombre d’espèces est relativement faible par rapport à celui concernant le Chêne (observations DSF : 97 dont 11 espèces ont plus de 50 occurrences ; observations en Grande-Bretagne : plus de 400). Les insectes des feuilles Les mangeurs de feuilles (insectes phyllophages) sont essentiellement des lépidoptères au stade chenille. Cet ordre comprend en Lorraine de 70 à 80 espèces observables sur le Hêtre (A. Claude, communication personnelle ; Courtois, 1990). Les géométrides (Geometridae) avec leurs chenilles arpenteuses peuvent pulluler et provoquer d’importantes défoliations comme en 1996-97 dans une grande partie de la France. Elles sont en général polyphages et vivent notamment sur le Chêne. La Cheimatobie (Operophtera brumata) et l’Hibernie (Erannis defoliara) sont les plus Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 263 LOUIS-MICHEL NAGELEISEN © L.-M. NAGELEISEN Grand Mars changeant (Apatura iris, Lépidoptère, Nymphalidé) Galles en pépin sur les feuilles, dues à Mikiola fagi (Diptère, Cécidomyidé) Chenille de Cheimatobie (Operophtera brumata, Lépidoptère, Géomètridé) Le Rhinocéros (Oryctes nasicornis, Coléoptère, Dynastidé). Vie larvaire dans le bois pourri ou la sciure décomposée Cetonischema aeruginosa (Coléoptère, Cétonidé). Vie larvaire dans les cavités d'arbres Hêtre colonisé par l’Amadouvier (Formes fomentarius), réserve naturelle du Mont Rigi (Belgique) 264 Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 L’avenir du Hêtre dans la forêt française communes. Elles font l’objet d’un suivi spécifique du DSF à l’aide de placettes permanentes composées d’arbres englués qui permettent de piéger en fin d’automne les femelles aptères qui cherchent à monter depuis le sol, leur lieu de nymphose, jusqu’au sommet des arbres, le lieu de l’accouplement et de la ponte. Dans cette famille, une espèce s’est vu attribuer un nom en rapport avec sa présence (non exclusive) sur Hêtre : Operophtera fagata. Les Bombyx, notamment le Bombyx disparate (Lymantria dispar, Lymantriidae) et le Bombyx à livrée (Malacosoma neustria, Lasiocampidae), très polyphages, s’attaquent également au Hêtre au cours de leur pullulation. Enfin, parmi les lépidoptères à dynamique de population éruptive épisodiquement, on peut citer l’Orgyie pudibonde (Calliteara pudibonda, Lymantriidae), espèce plus spécifique du Hêtre. Sa dernière pullulation a été observée dans la région de Langres en 1985. Les autres espèces de lépidoptères sont plus discrètes. Parmi elles, on peut citer quelques espèces remarquables comme la Hachette (Aglia tau, Saturniidae) dont l’adulte est un papillon d’assez grande taille mimétique de feuilles mortes. Le mâle diurne a un vol actif au printemps à la recherche des femelles cachées au pied des arbres. La Serpette (Wattsonalla cultraria, Drepanidae), papillon nocturne de grande taille, et l’Écureuil (Stauropus fagi, Notodontidae) ont des chenilles inféodées au Hêtre (Leraut, 1992). Quelques hyménoptères du groupe des tenthrèdes ont des larves phyllophages (fausses chenilles) : Caliroa annulipes, Cimbex fagi et Hypolaepus fagi (T. Noblecourt, communication personnelle). Les abeilles mégachiles peuvent également découper les feuilles de Hêtre (Barbey, 1925). Quelques coléoptères de la famille des charançons (Curculionidae) consomment aussi les feuilles (Phyllobius spp., Polydrosus spp. …) ou les déforment en cigare (Byctiscus betuleti, Attelabus nitens…). 29 espèces de charançon sont recensées sur le Hêtre (Hoffmann, 1986). Toujours sur feuilles, des insectes de très petites tailles se développent au stade larvaire dans l’épaisseur du limbe : ils sont dénommés “mineurs” et leurs galeries “mines foliaires”. De nombreux microlépidoptères appartenant à plusieurs familles (Nepticulidae, Oecophoridae…) sont dans ce cas. Parmi les espèces mineuses de feuilles, l’Orcheste du Hêtre (Rhynchaenus fagi ) est un minuscule coléoptère charançon (Curculionidae) bien connu des forestiers par ses pullulations épisodiques dont la dernière a pu être observée récemment dans la hêtraie sommitale des Vosges en 2001 et 2002. Le développement larvaire se traduit par une nécrose brune en triangle de la partie distale du limbe foliaire. Sur de grandes surfaces au dessus de 900 m, les peuplements ont pris alors au printemps un aspect rougeâtre, comme après une gelée tardive. Divers piqueurs-suceurs de l’ordre des homoptères se développent aux dépens des feuilles. Le Puceron laineux (Phyllaphis fagi, Aphididae) se remarque facilement par les sécrétions blanches qu’il produit à la face inférieure des feuilles. Il peut pulluler localement comme en juin 2004 sur la crête des Vosges. Les nombreuses piqûres de ces insectes peuvent provoquer une crispation du limbe évoluant en nécrose. Ce sont surtout les jeunes plantations ou les semis naturels récents qui sont sensibles. Des traitements insecticides sont parfois nécessaires pour permettre à la régénération naturelle de s’installer (Le Tacon et Malphettes, 1976). Un autre puceron colonise également le Hêtre : Lachnus pallipes. Quant aux cicadelles (Cicadoidea) du genre Fagocyba, elles vident les cellules du limbe à l’aide de leur rostre et provoquent des taches minuscules anguleuses de la dimension des cellules. Enfin, les feuilles peuvent se couvrir d’excroissances (galles ou cécidies) de formes diverses. L’espèce la plus fréquente est un diptère (Mikiola fagi, Cecydomyidae) dont la galle uniloculaire rouge en forme de pépin apparaît au cours de l’été sur la face supérieure de la feuille et abrite un asticot. Deux autres espèces de la même famille provoquent d’autres déformations du limbe Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 265 LOUIS-MICHEL NAGELEISEN foliaire : Hartigiola annulipes (petite galle ovoïde hérissée de poils), Phegomyia fagicola (pliures entre nervures). Les insectes du tronc et des branches Directement sur l’écorce du tronc et des branches vivent des piqueurs-suceurs (homoptères) dont la redoutable Cochenille Cryptococcus fagisuga. En cas de population abondante (phase épidémique), elle peut couvrir le tronc d’un feutrage blanc. Associée à un champignon (Nectria coccinea), elle peut parfois causer la mortalité des sujets colonisés. Un important dépérissement impliquant cet insecte et ce champignon a eu lieu en Normandie au cours des années 1970 (Malphettes, 1977). Depuis cet événement, la cochenille du Hêtre reste relativement discrète. Des hyménoptères [Cimbex spp., frelon (Vespa crabro)] consomment régulièrement l’écorce des jeunes tiges ou des branches en laissant des plages écorcées qui, en général, cicatrisent rapidement. Les insectes qui vivent dans le tronc ou les branches sont capables de consommer des tissus ligneux à l’aide de leurs mandibules (insectes xylophages au sens large). On subdivise ce groupe en deux catégories selon que leurs galeries se limitent aux assises génératrices directement sous l’écorce (insectes sous-corticaux ou phloéophages) ou que leurs galeries pénètrent plus profondément dans l’aubier voire dans le bois de cœur (xylophages stricts). Les insectes sous-corticaux sont essentiellement des coléoptères appartenant à quelques familles (Scolytidae, Buprestidae, Cerambycidae). Les scolytes sous-corticaux du Hêtre sont au nombre de 12 (Balachowsky, 1949), le plus courant étant Taphrorychus bicolor dont le préférendum est le Hêtre, tant sur les troncs que dans les branches. Cette espèce est relativement abondante dans les hêtraies fragilisées par les dernières tempêtes de 1999. Parasite de faiblesse, la sécheresse récente de 2003 va faciliter son installation. Ernoporicus fagi, moins fréquent que le précédent, est plus strictement lié au Hêtre. On le trouve dans les petites branches. Les galeries sinueuses des larves de buprestes sont très caractéristiques. Dans cette famille, les agriles comprennent au moins 5 espèces observées sur le Hêtre, dont la plus courante est l’espèce polyphage Agrilus viridis. Chrysobothris affinis est un autre bupreste polyphage, d’assez grande taille, visible fréquemment sur Hêtre au stade larvaire. Ces buprestes sont également des parasites de faiblesses et les récents événements climatiques (tempêtes, sécheresse, canicule) vont faciliter leur installation dans des peuplements perturbés physiologiquement. Plus de 30 espèces de longicornes (Cerambycidae) colonisent également le tronc des Hêtres dépérissants ou morts. Le développement larvaire commence fréquemment par une phase souscorticale puis peut continuer plus profondément dans l’aubier. Les Rhagies (Rhagium mordax, R. sycophanta) restent sous-corticales. Leurs logettes de nymphose circulaires, entourées de fins copeaux, sont fréquentes sous les écorces déhiscentes des Hêtres moribonds. Cette famille comprend plusieurs espèces remarquables comme Rhamnusium bicolor ou Aegosoma scabricorne. Mais l’espèce emblématique de cette famille sur Hêtre est la Rosalie alpine (Rosalia alpina). Elle est inféodée aux vieilles hêtraies à caractère naturel et fait l’objet d’une protection nationale et européenne. Encore bien présente dans les Alpes et les Pyrénées, elle n’avait plus été observée depuis la fin du XIXe siècle dans le massif vosgien. Deux observations ont cependant été faites récemment (en 2002) dans le massif du Ballon de Servance, côté lorrain (source : Société lorraine d’Entomologie). Parmi les espèces capables de pénétrer plus profondément dans le bois, les scolytes ont un comportement particulier. Seules les femelles adultes qui initient les galeries sont réellement xylophages. Au cours de leur travail de forage, des spores de champignons (principalement du 266 Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 L’avenir du Hêtre dans la forêt française genre Ophiostoma) transportées sur leur corps ensemencent les galeries dans un microclimat confiné, favorable à leur développement. Les larves issues des œufs déposés dans des encoches se nourrissent du mycélium de ces champignons. On parle alors d’espèces xylo-mycétophages. 7 espèces parmi les genres Xyloterus et Xyleborus sont présentes chez le Hêtre. D’autres espèces de coléoptères xylophages peuvent se rencontrer sur le Hêtre, notamment le Lymexylon dermeste (Hylecoetus dermestoides, Lymexylonidae) dont les galeries très profondes peuvent atteindre le cœur d’un arbre de gros diamètre. Ces insectes xylophages ont fait une brutale pullulation récemment de 2000 à 2002 dans les Ardennes, à la suite d’un gel précoce en novembre 1998 qui a provoqué des suintements très attractifs pour ces xylophages (cf. article Nageleisen et Huart, p. 249). Deux lépidoptères de la famille des Cossidae sont xylophages : le Cossus (Cossus cossus) dont les grosses chenilles forent de larges galeries à la base des troncs et la Zeuzère (Zeuzera pyrina) qui se cantonne plutôt aux branches de petit diamètre dans les régénérations. Les insectes des autres organes du Hêtre Deux espèces de diptères (Cecidomyiidae) peuvent spécifiquement entraîner le dessèchement des bourgeons : Contarinia fagi et Dasyneura fagicola. Mais les bourgeons sont surtout consommés au moment du débourrement, notamment par les jeunes chenilles ou par les charançons phyllophages. Il en est de même pour les fleurs. Plus tard, au cours de la saison de végétation, les faînes peuvent être infestées par les petites chenilles de la Tordeuse Cydia fagiglandana (Tortricidae). Lors de pullulation, le pouvoir de germination peut être fortement altéré. Les insectes des racines sont plutôt des insectes polyphages qui vivent dans le sol et se nourrissent des diverses racines présentes dans leur environnement proche de façon opportuniste. On peut citer des coléoptères comme les vers blancs de Hanneton commun (Melolontha melolontha, Scarabeidae) ou Hanneton forestier (Melolontha hippocastani ), les larves de charançons (Curculionidae) ou de taupins (Elateridae)… LES INSECTES DES HÊTRES MORTS Lorsque l’arbre meurt, commence un lent processus de dégradation de la matière ligneuse qui, en plusieurs dizaines d’années, va transformer un géant de la forêt en humus. De multiples organismes vont assurer ce phénomène de saproxylation : champignons lignivores, bactéries et bien sûr arthropodes dont de multiples insectes. Selon le degré d’altération du bois, différents cortèges vont se succéder. Les coléoptères représentent la grande majorité de ces insectes mangeurs de bois morts (insectes saproxylophages). Les champignons lignivores qui se développent sur le tronc de l’arbre mort sont également consommés par un cortège spécifique d’insectes mycétophages. Enfin, dans ce milieu de vie très riche, se retrouvent également un grand nombre de prédateurs et parasitoïdes. Cet ensemble d’animaux, qui dépendent directement du bois mort à un stade de leur vie (souvent le stade larvaire) ou qui vivent aux dépens d’animaux saproxylophages ou mycétophages, compose le cortège des espèces saproxyliques. Il représente une grande part de la diversité entomologique en forêt. En Allemagne, sur 6 477 coléoptères connus dont 36 % inféodés au milieu forestier, 1 316 sont des coléoptères saproxyliques (Köhler, 1999). Les insectes saproxyliques liés au Hêtre comprennent plusieurs centaines d’espèces, tous ordres confondus. Ainsi, dans la hêtraie de la Massane (Pyrénées-Orientales), le cortège des seuls coléoptères saproxyliques du Hêtre est composé de 188 espèces dont 126 saproxylophages et Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 267 LOUIS-MICHEL NAGELEISEN 62 prédateurs (Dajoz, 1966). Une autre étude réalisée en Suisse dans la réserve forestière de Sihlwald, en plaçant des éclosoirs sur des hêtres morts autour du tronc ou des branches, a permis de récolter 228 espèces de coléoptères saproxyliques (Schiegg, 2001). Lorsque le bois est encore relativement intact, ce sont essentiellement des Cerambycidae, des Scolytidae et des Lymexylonidae qui vont intervenir. Une fois le bois partiellement dégradé par les champignons lignivores, de nombreuses espèces de coléoptères appartenant à de multiples familles vont alors s’y développer : Alleculidae, Anobiidae, Anthribidae, Cisidae, Cleridae, Colydiidae, Cucujidae, Elateridae, Eucnemidae, Lucanidae, Mycetophagidae, Ostomidae, Pyrochroidae, Rhizophagidae, Serropalpidae, Tenebrionidae… D’autres ordres d’insectes sont également présents dans le bois mort : des hyménoptères avec des fourmis dont la remarquable Camponotus ligniperda, notre plus grande fourmi, et surtout des parasitoïdes Ichneumonidae, Braconidae…, des diptères (Tipulidae, Sciaridae, Ceratopogonidae…). L’étude suisse citée plus haut (Schiegg, 2001) a permis par exemple de capturer 426 espèces de diptères. La diversité en insectes saproxyliques est plus importante pour les stades avancés du processus de saproxylation. De ce fait, la permanence de bois mort de diamètre moyen à fort est une condition nécessaire pour maintenir ce cortège de saproxyliques. La faible nécromasse dans les forêts gérées en Europe est une des raisons de la raréfaction de nombreuses espèces. Ainsi, en Allemagne, 60 % des coléoptères saproxyliques sont inscrits sur la liste rouge des insectes (Köhler, 1999). Les cavités que l’on rencontre aussi bien sur arbres vivants qu’arbres morts représentent un biotope particulier dont la faune qui se développe dans le terreau se formant au fond de la cavité est habituellement rattachée aux espèces saproxyliques. Parmi les espèces typiquement cavernicoles, les Cétoines (Cetonidae) sont composées d’espèces remarquables dont le célèbre Pique-prune (Osmoderma eremita). Cinq espèces de cétoines ont été observées sur Hêtre en forêt de Fontainebleau (Luce, 1995). RICHESSE ENTOMOLOGIQUE DES HÊTRAIES À l’échelle de l’arbre, ce sont donc plusieurs centaines d’espèces d’insectes qui peuvent coloniser un hêtre à un moment ou à un autre de sa longue existence, tant de son vivant qu’après sa mort. Un inventaire réalisé au niveau de la canopée d’une hêtraie au Danemark a révélé la présence de plus de 350 espèces d’insectes appartenant à 90 familles (Arpin, 2000). Les coléoptères répartis en 30 familles représentent plus de la moitié du nombre d’espèces. Les phytophages représentent 40 à 45 %, les prédateurs 25 à 30 % et les saprophages 15 à 20 %. Mais, dans ce compartiment de la hêtraie (la canopée), 10 à 15 espèces représentent plus de 85 % des effectifs capturés. À l’échelle du peuplement, la richesse spécifique en insectes va grandement être influencée par la diversité en espèces botaniques de toutes les strates tant arborée (peuplement mélangé) qu’arbustive et herbacée, du fait d’une oligophagie fréquente des insectes de nos régions tempérées au niveau des genres botaniques. Ainsi, une hêtraie au stade jeune futaie régulière, monospécifique, dense au point que les strates arbustive et herbacée sont inexistantes, sera beaucoup plus pauvre en insectes qu’une hêtraie mélangée de diverses essences (Chênes, Charme, Bouleau…), clairiérée, avec des vieux bois sénescents. Par contre, la plus grande richesse spécifique de forêts non gérées laissées à leur développement naturel n’est pas démontrée par les multiples études réalisées notamment en Allemagne pour comparer l’entomofaune des forêts 268 Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 L’avenir du Hêtre dans la forêt française gérées à celle des réserves forestières. C’est plutôt dans la composition que la différence est marquée avec une plus grande abondance des espèces saproxyliques et des espèces rares dans les réserves (Schmitt, 1992 ; Köhler, 1996). Le sol est un autre compartiment de l’écosystème également à prendre en compte dans l’inventaire entomologique d’une hêtraie. Il peut héberger une grande richesse faunistique en divers arthropodes. La biomasse en arthropodes du sol d’une hêtraie est de l’ordre de 150 à 200 kg par hectare (Dajoz, 1998), soit environ 30 à 40 fois plus que la biomasse de l’entomofaune épigée. Autrefois rattachés aux insectes, les collemboles vivent typiquement dans la litière et le sol. Ils sont de grands consommateurs de la microflore du sol. Ils comprennent plusieurs dizaines d’espèces. Le sol est également une zone refuge pour de nombreuses espèces à un stade de leur développement : nymphes de lépidoptères ou d’hyménoptères (tenthrèdes). Les diptères sont parmi les insectes les plus nombreux dans le sol avec plusieurs centaines d’espèces. Les hyménoptères sont également bien représentés avec des fourmis (Formicidae), des Ichneumonidae, des Braconidae. Les coléoptères sont moins abondants et parmi eux, une famille domine, les Staphylins (Staphylinidae). L’abondance des espèces du sol est directement liée au type d’humus et donc au niveau trophique du sol. Un sol à mull sera plus riche en espèces qu’un sol très acide à moder ou mor. Enfin, un groupe de coléoptères prédateurs, les carabes au sens large (Caraboidea), sont très actifs sur la litière. Certaines espèces sont remarquables et une des rares réserves naturelles françaises dédiées à un insecte est la forêt domaniale de Cerisy (Manche), une hêtraie, qui abrite une variété unique de carabe : Chrysocarabus auronitens ssp. cupreonitens. Finalement après ce tour d’horizon (trop) rapide de l’entomofaune liée au Hêtre, on peut estimer qu’une hêtraie de plusieurs centaines d’hectares peut héberger plusieurs milliers d’espèces d’insectes. Ainsi, 2 776 espèces sont recensées dans la hêtraie de la Massane sur 336 ha (Travé et al., 1999). Ce chiffre est à comparer à celui correspondant aux espèces économiquement dommageables : moins d’une dizaine. Le rapport est donc de 1 à 2-300 environ. Il nous incite également à une grande modestie vis-à-vis de ce groupe gigantesque des insectes (35 à 70 000 espèces en France dont plus de 10 000 forestières) qui a su coloniser toutes les niches écologiques au sein d’une forêt dans un subtil équilibre entre végétaux, phytophages, prédateurs, parasites, saprophages. Cet équilibre fragile ne doit pas être rompu par des pratiques non respectueuses dont le bénéfice ne serait qu’à court terme. En effet, si les travaux sur l’intérêt fonctionnel du maintien de toute la biodiversité de l’écosystème ne font que commencer, il paraît raisonnable de penser qu’une hêtraie riche de toutes les composantes des divers groupes fonctionnels (phytophages, prédateurs, parasitoïdes, saprophages…) sera plus résiliente lors d’événements perturbateurs. Louis-Michel NAGELEISEN DÉPARTEMENT DE LA SANTÉ DES FORÊTS INRA F-54280 CHAMPENOUX ([email protected]) Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 269 LOUIS-MICHEL NAGELEISEN BIBLIOGRAPHIE ARPIN (P.). — Les invertébrés dans l’écosystème forestier : expression, fonction, gestion de la diversité. — Fontainebleau : ONF Ed., 2000. — 224 p. (Les Dossiers forestiers n° 9). BALACHOWSKY (A.). — Faune de France -50- Coléoptères Scolytidés. — Paris : Fédération française des Sociétés de Sciences naturelles, Librairie de la Faculté des Sciences, 1949. — 320 p. BARBEY (A.). — Traité d’entomologie forestière. — Paris : Ed. Berger-Levrault, 1925. — 749 p. 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THE UNEXPECTED DIVERSITY OF INSECTS ASSOCIATED WITH BEECH (Abstract) There are several dozen insects that live at the expense of living beech trees. All beech organs are colonised during the gradual co-evolution of the insects and their hosts. Some species are specific to beech while others are polyphagous. However, dead beech accommodates even greater insect diversity. There are several hundred species of saproxylic insects (ones that live on a dead tree at one stage of their life cycle or at the expense of other saproxylophagous organisms) in beech. Comprehensively, the insect population of a beech grove comprises several thousand species, ten of which at least are commercially damaging. Rev. For. Fr. LVII - 2-2005 271 NUMÉROS DE LA REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE CONSACRÉS AUX JOURNÉES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES DE L’INRA – Centre de Nancy Date Titre du numéro Prix N° 4/1984 Évolution et traitement des plantations d'Épicéa commun et de Douglas (104 pages) 10,37 € N° 3/1986 Production des plants forestiers et plantations (148 pages) 11,13 € N° spécial 1988 Diagnostics en forêt (160 pages) 12,20 € N° 2/1990 Chêne sessile, Chêne pédonculé et Chêne rouge d’Amérique en forêt française (176 pages) 12,20 € N° spécial 1992 Les Feuillus précieux : Frêne, Merisier et grands Érables (188 pages) 16,77 € N° 5/1994 Les dépérissements des arbres forestiers. Causes connues et inconnues (208 pages) 16,77 € N° spécial 1995 Modélisation de la croissance des arbres forestiers et de la qualité des bois (204 pages) 19,82 € N° 2/1999 Fonctionnement des arbres et écosystèmes forestiers. Avancées récentes et conséquences sylvicoles (260 pages) 27,44 € N° spécial 2000 Conséquences des changements climatiques pour la forêt et la sylviculture (176 pages) 19,82 € N° 6/2002 La végétation forestière : gestion, enjeux et évolution (132 pages) 16,00 € Ces numéros sont toujours disponibles à la vente. Les prix indiqués sont des prix TTC et franco de port pour la France et l’Union européenne. Pour les autres pays, se renseigner. Pour les obtenir, adresser votre commande accompagnée du règlement par chèque (libellé au nom de : Régisseur de l’ENGREF – Service Éditions) à : REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE – ENGREF — 14, rue Girardet — CS 14216 F-54042 NANCY CEDEX. Téléphone 03.83.39.68.23. Télécopie 03.83.39.68.25. Mél. [email protected]