Une diversité insoupçonnée des insectes liés au Hêtre

Une diversitéinsoupçonnée
des insectes liés au Hêtre
Louis-Michel Nageleisen
Quelques espèces d’insectes inféodées au Hêtre sont bien connues des forestiers pourles
dommages qu’elles peuvent causeraux arbresdes peuplementsdeproduction(Nageleisen,
2002). Cependant,denombreuses autres espèces plusdisctes et moins dommageables vivent
aux dépens decetteessenceou sont présentes dans les hêtraies. Certains deces insectes sont
strictement liés àl’espècebotanique
Fagussylvatica
(espèces oligophages) et leurnom d’espèce
attribuéparles entomologistes systématiciens traduit directement celien en comprenant le
terme :
fagi
(littéralement du Hêtre”) ou undérivé:
fagata, faginella
Dautres insectes peuvent
avoir comme préférendumdifférentes essences comme les Chênes mais ne dédaignent paspour
autant le Hêtre (espèces polyphages). Nousdonnerons unaperçu rapidedecettediversitéento-
mologiqueennouslimitant aux espèces effectivement rencontrées surHêtre ou dans des peuple-
mentsàdominanteHêtre,sans prendre en compteles peuplementsmélangés où denombreuses
interactions entre essences et entomofaunes associées sont observées.
LES INSECTES DES HÊTRES VIVANTS
Les consommateurs de tissus végétaux vivants(insectes phytophages) ont colonisé l’ensemble
des nichecologiques possiblessur unarbre au cours delalentecvolution entre insectes et
végétaux.Tousles organes du Hêtre,des bourgeons aux racines peuvent être consommés. Ce
sont parmi ces phytophages qu’on recense les “ravageurs”. De1989 à 2002,les observations du
Département delaSantédes Forêts(DSF)impliquent 43 espèces d’insectes surleHêtre dont
seulement 4ont plusde50occurrences durant lapériodeconsidérée (
Phyllaphis fagi,Crypto-
coccusfagisuga, Rhynchaenusfagi,Taphrorychusbicolor)
.EnGrande-Bretagne, une centaine d’es-
ces d’insectes sont inventoriées surleHêtre (Kennedy et Southwood, 1984). Àtitre de
comparaison,il faut noter quecenombre d’espèces est relativement faible parrapport àcelui
concernant le Chêne (observations DSF :97 dont 11 espèces ont plusde50occurrences ;obser-
vations en Grande-Bretagne :plusde400).
Les insectes des feuilles
Les mangeurs defeuilles (insectes phyllophages) sont essentiellement des lépidoptères au stade
chenille. Cet ordre comprenden Lorraine de 70 à80espèces observables surleHêtre (A.Claude,
communication personnelle ;Courtois,1990). Les géométrides (
Geometridae
)avecleurs chenilles
arpenteuses peuvent pulluler et provoquer d’importantes défoliations comme en 1996-97 dans
une grandepartie delaFrance. Elles sont en généralpolyphages et viventnotamment surle
Chêne. La Cheimatobie (
Operophterabrumata
)et l’Hibernie (
Erannis defoliara
)sont les plus
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L OUIS-M ICHEL NAGELEISEN
GrandMars changeant
(
Apaturairis
,Lépidoptère,Nymphalidé)
Chenille deCheimatobie
(
Operophterabrumata,
Lépidoptère,Géomètridé)
Cetonischemaaeruginosa
(Coléoptère,Cétonidé).
Vie larvaire dans les cavités d'arbres
LeRhinocéros (
Oryctes nasicornis
,Coléoptère,
Dynastidé). Vie larvaire dans le bois pourri ou la
sciure décomposée
Hêtre colonisé parlAmadouvier (
Formes fomen-
tarius
),réservenaturelle du Mont Rigi (Belgique)
Galles en pépin surles feuilles,
dues à
Mikiolafagi
(Diptère,Cécidomyidé)
©L.-M.NAGELEISEN
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Lavenir du Hêtredans laforêt française
communes. Elles font l’objet dunsuiviscifiquedu DSF àl’aidedeplacettes permanentes
composées darbres englués quipermettent depiéger en fin dautomne les femelles aptères qui
cherchent àmonter depuis le sol,leurlieu denymphose,jusquau sommet des arbres,le lieu de
l’accouplement et delaponte. Dans cettefamille, une espèces’est vu attribuer unnom en
rapport avecsaprésence(non exclusive) surHêtre :
Operophterafagata
.Les Bombyx,notam-
mentle Bombyx disparate(
Lymantriadispar,Lymantriidae
)et le Bombyx àlivrée (
Malacosoma
neustria, Lasiocampidae
), très polyphages,s’attaquent également au Hêtre au cours deleur
pullulation. Enfin,parmi les lépidoptères àdynamiquedepopulation éruptivpisodiquement,
on peut citer l’Orgyie pudibonde(
Callitearapudibonda, Lymantriidae
),espèceplusscifiquedu
Hêtre. Sa dernière pullulation aétéobservée dans larégion deLangres en 1985.
Les autres espèces delépidoptères sont plusdisctes. Parmi elles,on peut citer quelques
espèces remarquables comme laHachette(
Aglia tau,Saturniidae
)dont l’adulteest unpapillon
dassez grande taille mimétiquedefeuilles mortes. Lemâle diurne a un vol actif au printemps à
larecherche des femelles cachées au pieddes arbres. La Serpette(
Wattsonallacultraria, Drepa-
nidae
),papillon nocturne degrande taille,et l’Écureuil (
Stauropusfagi,Notodontidae
)ont des
chenilles inféodées au Hêtre (Leraut,1992).
Quelques hyménoptères du groupe des tenthrèdes ont des larves phyllophages (fausses
chenilles) :
Caliroaannulipes,Cimbex fagi
et
Hypolaepusfagi
(T.Noblecourt,communication
personnelle). Les abeilles mégachiles peuvent également découper les feuilles deHêtre (Barbey,
1925).
Quelques coléoptères delafamille des charançons (
Curculionidae
)consomment aussi les feuilles
(
Phyllobius
spp.,
Polydrosus
spp. …) ou les déforment en cigare (
Byctiscusbetuleti,Attelabus
nitens…
). 29espèces decharançon sont recensées surleHêtre (Hoffmann,1986).
Toujours surfeuilles,des insectes de très petites tailles se développent au stadelarvaire dans
l’épaisseurdu limbe:ils sont dénommés “mineurs” et leurs galeries “mines foliaires”. De
nombreux microlépidoptères appartenant àplusieurs familles (
Nepticulidae,Oecophoridae…
)sont
dans cecas. Parmi les espèces mineuses defeuilles,l’Orchestedu Hêtre (
Rhynchaenusfagi
)est
unminuscule coléoptère charançon (
Curculionidae
)bien connu des forestiers parses pullulations
épisodiques dont ladernière apu être observée récemment dans latraie sommitale des
Vosges en 2001et 2002.Ledéveloppement larvaire se traduit par une nécrose brune en triangle
delapartie distale du limbefoliaire. Surdegrandes surfaces au dessusde900 m,les peuple-
mentsont pris alors au printemps unaspect rougeâtre,comme après une gelée tardive.
Divers piqueurs-suceurs del’ordre des homoptères se développent aux dépens des feuilles. Le
Puceron laineux (
Phyllaphis fagi,Aphididae
)seremarquefacilement parles séctions blanches
qu’il produit àlafaceinférieure des feuilles. Ilpeut pulluler localement comme en juin 2004sur
lactedes Vosges. Les nombreuses piqûres deces insectes peuvent provoquer une crispation
du limbvoluant en nécrose. Cesont surtout les jeunes plantations ou les semis naturels
centsquisont sensibles. Des traitementsinsecticides sont parfois nécessaires pourpermettre
àlarégénération naturelle des’installer (LeTacon et Malphettes,1976). Unautre puceron
colonise également le Hêtre :
Lachnuspallipes
.Quant aux cicadelles (
Cicadoidea
)du genre
Fagocyba
,elles vident les cellules du limbeàl’aidedeleurrostre et provoquent des taches
minuscules anguleuses deladimension des cellules.
Enfin,les feuilles peuvent se couvrir d’excroissances (galles ou cécidies) deformes diverses.
L’espècelaplusfréquenteest undiptère (
Mikiolafagi,Cecydomyidae
)dont lagalle uniloculaire
rouge en forme depépin apparaît au cours del’étésurlafacesupérieure delafeuille et abrite
unasticot.Deux autres espèces delamême famille provoquent dautres déformations du limbe
foliaire:
Hartigiolaannulipes
(petitegalleovdehérissée depoils),
Phegomyiafagicola
(pliures
entre nervures).
Les insectes du troncet des branches
Directement surl’écorcedu troncet des branches vivent des piqueurs-suceurs (homoptères) dont
laredoutable Cochenille
Cryptococcusfagisuga.
Encasdepopulation abondante(phase épidé-
mique),elle peut couvrir le troncdunfeutrage blanc.Associée à unchampignon (
Nectria
coccinea
),elle peut parfois causer lamortalitédes sujetscolonisés. Unimportant dépérissement
impliquant cet insecteet cechampignon aeu lieu en Normandie au cours des années 1970
(Malphettes,1977). Depuis cet événement,lacochenille du Hêtre resterelativement discte.
Des hyménoptères [
Cimbex
spp
.
,frelon (
Vespacrabro
)]consomment régulièrement l’écorcedes
jeunes tiges ou des branches en laissant des plages écorcées qui,en général,cicatrisent rapide-
ment.
Les insectes qui vivent dans le troncou les branches sont capables deconsommer des tissus
ligneux àl’aidedeleurs mandibules (insectes xylophages au sens large). Onsubdivise cegroupe
en deux catégories selon queleurs galeries se limitent aux assises génératrices directement sous
l’écorce(insectes sous-corticaux ou phloéophages) ou queleurs galeries pénètrent plusprofon-
dément dans l’aubier voire dans le bois decœur(xylophages stricts).
Les insectes sous-corticaux sont essentiellement des coléoptères appartenant àquelques familles
(
Scolytidae,Buprestidae,Cerambycidae
). Les scolytes sous-corticaux du Hêtre sont au nombre
de12 (Balachowsky,1949),le pluscourant étant
Taphrorychusbicolor
dont le préférendumest
le Hêtre, tant surles troncsquedans les branches. Cetteespèceest relativement abondante
dans les hêtraies fragilisées parles dernières tempêtes de1999. Parasitedefaiblesse,lache-
resse récentede2003 vafaciliter son installation.
Ernoporicusfagi
,moins fréquent quelepcé-
dent,est plusstrictement lié au Hêtre. Onle trouvedans les petites branches. Les galeries
sinueuses des larves debuprestes sont très caractéristiques. Dans cettefamille,les agriles
comprennent au moins 5espèces observées surleHêtre,dont lapluscouranteest l’espèce
polyphage
Agrilus viridis
.
Chrysobothris affinis
est unautre buprestepolyphage,dassez grande
taille, visible fréquemment surHêtre au stadelarvaire. Ces buprestes sont également des para-
sites defaiblesses et les récentvénementsclimatiques (tempêtes,cheresse,canicule) vont
faciliter leurinstallation dans des peuplementsperturbés physiologiquement.
Plusde 30espèces delongicornes (
Cerambycidae
)colonisent également le troncdes Hêtres
dépérissantsou morts. Ledéveloppement larvaire commencefréquemment par une phase sous-
corticale puis peut continuer plusprofondément dans l’aubier. Les Rhagies (
Rhagiummordax,
R.sycophanta
)restent sous-corticales. Leurs logettes denymphose circulaires,entourées defins
copeaux,sont fréquentes sousles écorces déhiscentes des Hêtres moribonds. Cettefamille
comprendplusieurs espèces remarquables comme
Rhamnusiumbicolor
ou
Aegosomascabri-
corne
.Mais l’espèceemblématiquedecettefamille surHêtre est laRosalie alpine (
Rosalia
alpina
). Elle est inféodée aux vieilles hêtraies àcaractère naturel et fait l’objet dune protection
nationale et européenne. Encore bien présentedans les Alpes et les Pyrénées,elle n’avait plus
étéobservée depuis lafin du XIXesiècle dans le massif vosgien. Deux observations ont cepen-
dant étéfaites récemment (en 2002)dans le massif du Ballon deServance,côtélorrain (source:
Soctélorraine dEntomologie).
Parmi les espèces capables depénétrer plusprofondément dans le bois,les scolytes ont un
comportement particulier. Seules les femelles adultes quiinitient les galeries sont réellement
xylophages. Au cours deleur travail deforage,des spores dechampignons (principalement du
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L OUIS-M ICHEL NAGELEISEN
genre
Ophiostoma
) transportées surleurcorps ensemencent les galeries dans unmicroclimat
confiné,favorable àleurdéveloppement.Les larves issues des œufs déposés dans des encoches
se nourrissent du mycéliumdeces champignons. Onparle alors d’espèces xylo-mycétophages.
7espèces parmi les genres
Xyloterus
et
Xyleborus
sont présentes chez le Hêtre. Dautres espèces
decoléoptères xylophages peuvent se rencontrer surleHêtre,notamment le Lymexylon dermeste
(Hylecoetusdermestoides,Lymexylonidae
)dont les galeries très profondes peuvent atteindre le
cœurdunarbre degros diatre. Ces insectes xylophages ont fait une brutale pullulation
cemment de 2000 à 2002 dans les Ardenneslasuitedungel précoceennovembre 1998
quiaprovoquédes suintements très attractifs pources xylophages (cf. article Nageleisen et
Huart,p. 249).
Deux lépidoptères delafamille des
Cossidae
sont xylophages :le Cossus(
Cossuscossus
)dont
les grosses chenilles forent delarges galeries àlabase des troncset laZeuzère (
Zeuzerapyrina
)
quisecantonne plutôt aux branches depetit diatre dans les régénérations.
Les insectes des autres organes du Hêtre
Deux espèces dediptères (
Cecidomyiidae
)peuvent spécifiquement entraîner le dessèchement des
bourgeons :
Contariniafagi
et
Dasyneurafagicola
.Mais les bourgeons sont surtout consommés
au moment du débourrement,notamment parles jeunes chenilles ou parles charançons phyllo-
phages. Ilenest demême pourles fleurs.
Plus tard, au cours delasaison de végétation,les faînes peuvent être infestées parles petites
chenilles delaTordeuse
Cydiafagiglandana(Tortricidae)
.Lors depullulation,le pouvoir de
germination peut être fortement altéré.
Les insectes des racines sont plutôt des insectes polyphages qui vivent dans le sol et se nour-
rissent des diverses racines présentes dans leurenvironnement proche defon opportuniste. On
peut citer des coléoptères comme les vers blancsdeHanneton commun(
Melolonthamelolontha,
Scarabeidae
)ou Hanneton forestier (
Melolonthahippocastani
),les larves decharançons (
Curcu-
lionidae
)ou de taupins (
Elateridae
)…
LESINSECTESDES HÊTRES MORTS
Lorsquelarbre meurt,commence unlent processusdedégradation delamatière ligneuse qui,
en plusieurs dizaines dannées, va transformer ungéant delaforêt en humus. Demultiples orga-
nismes vont assurer cephénomène desaproxylation :champignons lignivores,bactéries et bien
sûrarthropodes dont demultiples insectes. Selon le degré daltération du bois,différents
cortèges vont se succéder. Les coléoptères représentent lagrandemajoritédeces insectes
mangeurs debois morts(insectes saproxylophages). Les champignons lignivores quisedévelop-
pent surle troncdelarbre mort sont également consommés par uncortège spécifiqued’insectes
mycétophages. Enfin,dans cemilieu de vie très riche,se retrouvent également ungrandnombre
depdateurs et parasitdes. Cet ensemble danimaux,quidépendent directement du bois mort
à unstadedeleur vie (souvent le stadelarvaire) ou qui vivent aux dépens danimaux saproxy-
lophages ou mycétophages,compose le cortège des espèces saproxyliques. Ilreprésente une
grandepart deladiversitéentomologiqueenforêt.EnAllemagne,sur 6 477 coléoptères connus
dont 36 %inféodés au milieu forestier,1316sont des coléoptères saproxyliques (Köhler,1999).
Les insectes saproxyliques liés au Hêtre comprennent plusieurs centaines d’espèces, tousordres
confondus. Ainsi,dans latraie delaMassane (Pyrénées-Orientales),le cortège des seuls
coléoptères saproxyliques du Hêtre est composé de188 espèces dont 126 saproxylophages et
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