Troubles des fonctions cognitives et/ou des apprentissages

Médecine
& enfance
QUELLE DÉMARCHE
FACE À UNE PLAINTE
DE LA FAMILLE ?
Face à la plainte d’une famille le pre-
mier temps de la démarche médicale est
de vérifier si cette plainte est fondée. Si
elle ne l’est pas, il faut échanger de nou-
veau avec les parents pour déceler ce
qui se cache derrière cette fausse plain-
te.
Des tests simples, réalisables aux âges
clés permettent de confirmer la justesse
de la plainte : à trois-quatre ans et
quatre-cinq ans, exploration du langage
oral ; à cinq-six ans, du langage oral et
du graphisme, qui est l’item le plus pré-
dictif des troubles de la coordination et
des praxies ; à six-sept ans, du langage
écrit ; au-delà de sept ans, du langage
écrit, du calcul et de l’écriture.
Si la plainte se révèle fondée, le méde-
cin devra s’attacher à répondre à trois
questions :
le trouble présenté par l’enfant est-il
spécifique, global ou complexe ?
quelle est sa sévérité ?
quel est son profil ?
S’il s’agit d’un trouble global ou com-
plexe, l’enfant devra être adressé à un
médecin référent pour une évaluation
psychologique. S’il s’agit d’un trouble
spécifique, qui n’affecte qu’une seule
des fonctions cognitives ou un des ap-
prentissages, il faudra, selon les cas,
prescrire une évaluation complémentai-
re ou simplement suivre l’enfant.
Pour analyser le trouble, le médecin dis-
pose de plusieurs sources de renseigne-
ments. Tout d’abord l’anamnèse, qui va
concerner quatre points essentiels :
les antécédents familiaux, qui sont
des facteurs de risque de difficultés per-
sistantes pour l’enfant ;
les antécédents personnels de l’en-
fant ;
le développement de l’enfant, en
considérant l’axe médical et cognitif,
mais également l’axe psychologique et
relationnel ;
enfin le parcours scolaire de l’enfant
et éventuellement les prises en charge
déjà effectuées.
L’examen clinique de première inten-
tion doit porter sur l’ensemble des fonc-
tions cognitives : le langage, les fonc-
tions non verbales et les différents ap-
prentissages (lecture, orthographe et
calcul). L’objectif de cet examen cli-
nique est de vérifier si le trouble est avé-
ré et de différencier les troubles isolés
de ceux qui s’inscrivent dans un en-
semble d’autres troubles ; cet examen
permet enfin d’apprécier la sévérité du
trouble et son profil.
La longueur de l’anamnèse et l’examen
détaillé des fonctions cognitives justi-
fient de coter une CS et un ALQPOO2
L’examen des fonctions cognitives né-
cessite l’utilisation d’outils étalonnés. La
BREV (batterie rapide d’évaluation des
fonctions cognitives) est l’un de ces ou-
tils ; elle permet d’évaluer à la fois le
langage oral (expression et réception),
les fonctions non verbales (graphisme,
planification, raisonnement), l’atten-
tion et la mémoire, ainsi que les appren-
tissages scolaires chez l’enfant de
quatre à neuf ans. Elle a été très large-
ment validée et répond aux deux objec-
tifs de l’examen, qui sont de détecter les
troubles cognitifs et de préciser leur
profil.
Des troubles secondaires à une autre
pathologie doivent en effet être suspec-
tés avant toute demande d’évaluation
par un rééducateur. Cette pathologie
peut être de nature sensorielle, en rap-
port avec une surdité, dont la suspicion
doit conduire à un examen ORL. Il peut
s’agir d’un trouble de la communica-
tion, nécessitant la consultation d’un
pédopsychiatre, d’un trouble acquis, im-
pliquant le recours à un neuropédiatre,
enfin d’un déficit intellectuel, à confir-
mer par une évaluation psychologique
dont la prescription doit être étayée par
une évaluation cognitive préalable. Il
faut citer également dans ces troubles
secondaires ceux qui s’associent à des
troubles relationnels, qui seront pris en
charge par un psychologue ou un pédo-
psychiatre, et les troubles liés à un
contexte de précarité, sachant que des
troubles spécifiques peuvent exister
dans un environnement précaire qui ne
fait que les aggraver. Les enfants pré-
Les troubles des apprentissages sont un motif fréquent de
consultation. Divers dans leur sévérité, ils peuvent être « spéci-
fiques », avec une préservation des autres fonctions, et donc
susceptibles d’être améliorés et compensés. Cela suppose une
prescription éclairée, une guidance familiale et un suivi des
enfants. Ce rôle revient au médecin d’enfants, pédiatre libéral
ou médecin institutionnel, de PMI ou d’établissement scolaire.
Troubles des fonctions cognitives
et/ou des apprentissages : démarche diagnostique
D’après la communication de C. Billard, CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre, au Congrès de la Société française de pédiatrie, Nantes, juin 2008
Compte rendu : H. Collignon
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sentant de tels troubles secondaires non
spécifiques devront donc être orientés
vers le spécialiste de la pathologie pri-
mitive ; la rééducation, dans ce contex-
te, a des indications plus limitées. En
cas de déficit intellectuel par exemple,
une rééducation orthophonique indivi-
duelle n’est nécessaire que dans le cas
où le trouble du langage oral est plus
important que celui des fonctions non
verbales ; cette rééducation devra alors
s’inscrire dans une prise en charge coor-
donnée par le spécialiste de la patholo-
gie prédominante et il faudra en éva-
luer les bénéfices.
LES ÂGES CLÉS
TROIS-QUATRE ANS :
LE LANGAGE ORAL
Il est précisé dans les recommandations
de l’Anaes que toute plainte portant sur
le langage oral doit être prise en consi-
dération et conduire à un examen médi-
cal. Cet examen consiste à vérifier la
réalité du trouble en référence au lan-
gage normal.
A cet âge, l’enfant raconte une petite
histoire avec des phrases intelligibles
comportant trois voire quatre mots dont
un sujet. Il comprend les ordres simples
et utilise le « je » de façon appropriée. Il
existe des questionnaires (DPL3 et
questionnaire langage et communica-
tion de Chevrie) pour réaliser cet exa-
men et fournir des repères. Chez l’en-
fant de trois-quatre ans, les troubles se-
condaires sont en rapport avec une pa-
thologie de l’audition, de la communi-
cation ou de la relation. Le diagnostic
d’une déficience mentale modérée n’est
pas une urgence, mais une exploration
rapide des capacités non verbales peut
être réalisée en demandant à l’enfant de
dessiner un trait vertical, un trait hori-
zontal, un rond. Ces troubles du langa-
ge oral qui s’inscrivent dans une patho-
logie primitive doivent être adressés au
spécialiste de la pathologie et non d’em-
blée à l’orthophoniste libéral.
Lorsque le trouble spécifique a été iden-
tifié, il faut en apprécier le degré de sé-
vérité. Trois situations constituent des
critères de sévérité :
l’enfant est inintelligible pour toute
autre personne que sa maman (qui, par
définition, le comprend parfaitement) ;
l’enfant ne fait pas de phrases, ou,
éventuellement, associe deux mots mais
sans sujet ni verbe ;
enfin, l’enfant comprend mal.
La démarche est alors relativement
simple. S’il n’existe pas de critères de sé-
vérité, l’orthophonie est inutile, mais
l’enfant doit être revu. En présence d’un
ou de plusieurs critères de sévérité, une
évaluation orthophonique est indiquée,
ainsi qu’une rééducation si l’enfant est
coopérant. Dans tous les cas, une gui-
dance parentale est nécessaire et il faut
souligner à ce propos le manque en
France de programmes de stimulation,
tels qu’il en existe en Angleterre par
exemple. Ces programmes, fondés sur
des exercices de vocalisation, d’écoute
de sons, de dénomination d’objets, etc.,
sont utilisés dès la première année de
vie en cas de retard de langage. Leur
impact sur le niveau de langage à l’âge
de trois ans a été démontré
[1]
.
L’ENFANT DE QUATRE-CINQ ANS
A l’âge de quatre-cinq ans, en fin de
moyenne section de maternelle, c’est
toujours sur le langage oral que porte
l’évaluation, mais il est nécessaire à cet
âge de vérifier que le trouble est avéré
en utilisant un test étalonné. Il est en ef-
fet impossible de continuer à prescrire
de l’orthophonie sans examiner précisé-
ment les déficits de l’enfant, de même
qu’il ne viendrait à l’idée de personne
de prescrire un antihypertenseur sans
mesurer la pression artérielle. On peut
utiliser soit la répétition de logatomes
(bafi, stripadul…) et de phrases (il y a
un garçon dont la casquette est verte)
de la BREV, soit l’ERTL4 (épreuve de re-
pérage des troubles du langage). Ensui-
te, si le trouble apparaît avéré aux tests
étalonnés, il faut déterminer s’il est spé-
cifique ou secondaire en recourant à la
copie de dessins de la BREV ou, au mi-
nimum, en vérifiant que l’enfant est ca-
pable de dessiner un carré, un trait
oblique, une croix et un rond.
En cas de trouble spécifique chez un en-
fant de quatre-cinq ans, l’indication de
l’orthophonie dépend de l’âge exact et
du profil du trouble. S’il n’existe pas de
critère de sévérité, c’est-à-dire si l’en-
fant est intelligible, s’il fait des phrases,
s’il n’a pas de trouble de la compréhen-
sion et qu’il a un simple trouble de paro-
le à quatre ans deux mois par exemple,
il est tout à fait légitime de temporiser
et de le revoir six mois plus tard en fin
de moyenne section de maternelle. En
revanche, face à un trouble de parole et
de langage chez un enfant de quatre ans
huit mois, une évaluation orthopho-
nique s’impose. Bien entendu, un en-
fant de quatre-cinq ans qui a un trouble
du langage oral avec un ou, a fortiori,
plusieurs critères de sévérité doit être
adressé à l’orthophoniste. Dans tous les
cas, un accompagnement parental est
nécessaire.
CINQ-SIX ANS : LE LANGAGE ORAL
ET LE GRAPHISME
A l’âge de cinq-six ans, lorsque l’enfant
est en grande section de maternelle,
tout trouble de parole ou de langage
oral nécessite un diagnostic précis et
une prise en charge adaptée. Il en est de
même pour les troubles sévères du gra-
phisme, dessin et écriture. Là encore,
un test étalonné est nécessaire pour vé-
rifier que la plainte est justifiée. On re-
court au minimum aux tests de répéti-
tion de logatomes de la BREV et de ré-
pétition de phrases de la BREV ou du
BSEDS (bilan de santé, évaluation du
développement pour la scolarité) asso-
cié à l’évaluation d’au moins un élément
des fonctions non verbales comme la
copie de dessin de la BREV et l’écriture
du prénom. A cinq-six ans, tout trouble
du langage non clairement spécifique
doit être adressé à un médecin référent
pour examen clinique des fonctions co-
gnitives et évaluation psychologique
avant bilan orthophonique. Tout
trouble du langage oral spécifique né-
cessite une évaluation orthophonique
qui a deux objectifs : la rééducation du
langage oral et la préparation à la lectu-
re. Dans tous les cas, il faudra vérifier
que l’apprentissage de la lecture se pas-
se bien au cours préparatoire. Tout
trouble du graphisme doit conduire à
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une évaluation psychologique pour vé-
rifier son caractère spécifique avant
d’adresser l’enfant en psychomotricité
ou en ergothérapie.
SIX-NEUF ANS : LECTURE,
ÉCRITURE, CALCUL
Entre six et neuf ans, durant la première
partie de sa scolarité primaire, l’enfant
doit faire l’apprentissage de la lecture,
de l’écriture et du calcul. Les tests éta-
lonnés permettent d’évaluer rapide-
ment le niveau de lecture et d’écriture
d’un enfant selon son niveau de classe
(exemple de test de lecture de la BREV
en CP : « mati chapé sirtu », en CE1 :
« montre-moi le crayon violet que la fille
a dans la main »). Ces tests permettent
également d’explorer en quelques mi-
nutes les capacités de l’enfant en calcul.
Si, à l’issue de ces tests, il apparaît que
l’enfant n’a manifestement pas de
trouble des apprentissages, il est inutile
de pousser plus loin les investigations.
Si ces tests détectent un trouble des ap-
prentissages, il faut replacer ce trouble
dans un contexte global et évaluer le
langage oral et le graphisme (copie de
dessin et écriture). La conduite à tenir
dépend alors du niveau de classe de
l’enfant.
En CP, si l’enfant a un trouble spéci-
fique du langage écrit (sans problème
en calcul, en graphisme ni dans les
fonctions non verbales), l’attitude sera
fonction de la sévérité de ce trouble spé-
cifique : s’il existe conjointement un
trouble du langage oral ou un antécé-
dent de trouble du langage oral, ou en-
core s’il s’agit, en l’absence de trouble
du langage oral, d’un trouble du langa-
ge écrit sévère avec absence de décoda-
ge, l’enfant sera adressé à l’orthopho-
niste pour une évaluation. Si le trouble
concerne le langage écrit et soit le cal-
cul, soit le graphisme, soit les fonctions
non verbales, ou l’ensemble de ces fonc-
tions, ou encore s’il s’agit d’un trouble
isolé du graphisme ou de l’écriture, une
évaluation psychologique est indiquée
avant de déterminer les autres évalua-
tions nécessaires.
En CE1, tout trouble du langage écrit
(correspondant à un niveau inférieur à
2 écarts types ou à un an de retard avec
des confusions nettes) associé à des per-
formances normales en calcul et en gra-
phisme justifie une évaluation en ortho-
phonie. Si le trouble est plus complexe,
touchant le langage écrit et soit le cal-
cul, soit le graphisme, une évaluation
psychologique est indiquée avant l’or-
thophonie.
En CE2 et après, l’arbre décisionnel est
le même qu’en CE1 en utilisant des tests
étalonnés qui existent pour la lecture,
l’orthographe et le calcul. Un trouble
spécifique du langage écrit avec calcul
et graphisme normaux relève de l’ortho-
phonie. Un trouble du langage écrit as-
socié à un trouble du calcul ou du gra-
phisme impose une évaluation psycho-
logique avant l’orthophonie. Cette éva-
luation psychologique est également
nécessaire devant un trouble isolé du
calcul ou du graphisme.
METTRE DE L’ORDRE DANS
LES PRISES EN CHARGE
Améliorer le traitement des troubles des
apprentissages suppose de mettre de
l’ordre dans les prises en charge pour en
optimiser la qualité et la précocité. La
réponse de première intention revient à
l’école, qui doit mettre en œuvre des sti-
mulations du langage oral, des entraî-
nements au décodage. Si cette réponse
de première intention n’est pas suffi-
samment efficace, des soins de ville
bien prescrits et suivis sont indiqués.
S’ils s’avèrent insuffisants, le recours au
centre de référence s’impose, avec, tou-
jours, une guidance familiale et des
adaptations pédagogiques.
[1] WARD S. : « An investigation into the effectiveness of an early
intervention method for delayed language development in young
children », Int. J. Lang. Commun. Disord., 1999 ; 34 : 243-64.
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QUESTIONS-RÉPONSES
Les centres de référence vont-ils se développer ?
C. Billard : Lors de leur création, il a été prévu d’ouvrir un centre de référence par région. La
réalité actuelle est qu’il devient très difficile pour les patients d’y avoir accès. Ces centres de
référence reçoivent en effet des cas de plus en plus sévères, dont l’évaluation requiert beau-
coup de temps. Dans des structures hospitalo-universitaires comme celles de l’AP-HP, qui
connaissent de gros problèmes budgétaires, les centres de référence ne constituent pas, loin
s’en faut, une priorité.
B. Lefeuvre (ministère de la santé, de la jeunesse et des sports) : Il y a effectivement aujour-
d’hui un centre de référence par région et il n’est absolument pas prévu d’en ouvrir d’autres
dans l’avenir.
A qui s’adresser pour réaliser l’évaluation psychologique ?
C. Billard : Cette évaluation psychologique est une évaluation du fonctionnement psychique
et du fonctionnement cognitif. On peut demander aux psychologues scolaires, mais du fait de
leur surcharge de travail, elles ne peuvent pas toujours la réaliser. Si l’on s’adresse à un psy-
chologue de ville, le problème essentiel est bien entendu celui du remboursement, puisque
les seuls soins remboursés dans ce domaine sont l’orthophonie et l’orthoptie. C’est ce que j’ap-
pelle des prescriptions d’évaluation orphelines. Or il serait essentiel de prévoir, dans certains
cas bien argumentés, une possibilité de remboursement d’évaluation psychologique. En Fran-
ce, on ne sait pas dépenser pour comprendre un problème, en revanche on accepte de dépen-
ser après, pour le traiter n’importe comment.
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