Médecine & enfance Troubles des fonctions cognitives et/ou des apprentissages : démarche diagnostique D’après la communication de C. Billard, CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre, au Congrès de la Société française de pédiatrie, Nantes, juin 2008 Compte rendu : H. Collignon Les troubles des apprentissages sont un motif fréquent de consultation. Divers dans leur sévérité, ils peuvent être « spécifiques », avec une préservation des autres fonctions, et donc susceptibles d’être améliorés et compensés. Cela suppose une prescription éclairée, une guidance familiale et un suivi des enfants. Ce rôle revient au médecin d’enfants, pédiatre libéral ou médecin institutionnel, de PMI ou d’établissement scolaire. QUELLE DÉMARCHE FACE À UNE PLAINTE DE LA FAMILLE ? Face à la plainte d’une famille le premier temps de la démarche médicale est de vérifier si cette plainte est fondée. Si elle ne l’est pas, il faut échanger de nouveau avec les parents pour déceler ce qui se cache derrière cette fausse plainte. Des tests simples, réalisables aux âges clés permettent de confirmer la justesse de la plainte : à trois-quatre ans et quatre-cinq ans, exploration du langage oral ; à cinq-six ans, du langage oral et du graphisme, qui est l’item le plus prédictif des troubles de la coordination et des praxies ; à six-sept ans, du langage écrit ; au-delà de sept ans, du langage écrit, du calcul et de l’écriture. Si la plainte se révèle fondée, le médecin devra s’attacher à répondre à trois questions : le trouble présenté par l’enfant est-il spécifique, global ou complexe ? quelle est sa sévérité ? quel est son profil ? S’il s’agit d’un trouble global ou complexe, l’enfant devra être adressé à un médecin référent pour une évaluation psychologique. S’il s’agit d’un trouble spécifique, qui n’affecte qu’une seule des fonctions cognitives ou un des apprentissages, il faudra, selon les cas, prescrire une évaluation complémentaire ou simplement suivre l’enfant. Pour analyser le trouble, le médecin dispose de plusieurs sources de renseignements. Tout d’abord l’anamnèse, qui va concerner quatre points essentiels : les antécédents familiaux, qui sont des facteurs de risque de difficultés persistantes pour l’enfant ; les antécédents personnels de l’enfant ; le développement de l’enfant, en considérant l’axe médical et cognitif, mais également l’axe psychologique et relationnel ; enfin le parcours scolaire de l’enfant et éventuellement les prises en charge déjà effectuées. L’examen clinique de première intention doit porter sur l’ensemble des fonctions cognitives : le langage, les fonctions non verbales et les différents apprentissages (lecture, orthographe et calcul). L’objectif de cet examen clinique est de vérifier si le trouble est avéré et de différencier les troubles isolés de ceux qui s’inscrivent dans un ensemble d’autres troubles ; cet examen permet enfin d’apprécier la sévérité du trouble et son profil. La longueur de l’anamnèse et l’examen détaillé des fonctions cognitives justifient de coter une CS et un ALQPOO2 L’examen des fonctions cognitives nécessite l’utilisation d’outils étalonnés. La BREV (batterie rapide d’évaluation des septembre 2008 page 277 fonctions cognitives) est l’un de ces outils ; elle permet d’évaluer à la fois le langage oral (expression et réception), les fonctions non verbales (graphisme, planification, raisonnement), l’attention et la mémoire, ainsi que les apprentissages scolaires chez l’enfant de quatre à neuf ans. Elle a été très largement validée et répond aux deux objectifs de l’examen, qui sont de détecter les troubles cognitifs et de préciser leur profil. Des troubles secondaires à une autre pathologie doivent en effet être suspectés avant toute demande d’évaluation par un rééducateur. Cette pathologie peut être de nature sensorielle, en rapport avec une surdité, dont la suspicion doit conduire à un examen ORL. Il peut s’agir d’un trouble de la communication, nécessitant la consultation d’un pédopsychiatre, d’un trouble acquis, impliquant le recours à un neuropédiatre, enfin d’un déficit intellectuel, à confirmer par une évaluation psychologique dont la prescription doit être étayée par une évaluation cognitive préalable. Il faut citer également dans ces troubles secondaires ceux qui s’associent à des troubles relationnels, qui seront pris en charge par un psychologue ou un pédopsychiatre, et les troubles liés à un contexte de précarité, sachant que des troubles spécifiques peuvent exister dans un environnement précaire qui ne fait que les aggraver. Les enfants pré- Médecine & enfance sentant de tels troubles secondaires non spécifiques devront donc être orientés vers le spécialiste de la pathologie primitive ; la rééducation, dans ce contexte, a des indications plus limitées. En cas de déficit intellectuel par exemple, une rééducation orthophonique individuelle n’est nécessaire que dans le cas où le trouble du langage oral est plus important que celui des fonctions non verbales ; cette rééducation devra alors s’inscrire dans une prise en charge coordonnée par le spécialiste de la pathologie prédominante et il faudra en évaluer les bénéfices. LES ÂGES CLÉS TROIS-QUATRE ANS : LE LANGAGE ORAL Il est précisé dans les recommandations de l’Anaes que toute plainte portant sur le langage oral doit être prise en considération et conduire à un examen médical. Cet examen consiste à vérifier la réalité du trouble en référence au langage normal. A cet âge, l’enfant raconte une petite histoire avec des phrases intelligibles comportant trois voire quatre mots dont un sujet. Il comprend les ordres simples et utilise le « je » de façon appropriée. Il existe des questionnaires (DPL3 et questionnaire langage et communication de Chevrie) pour réaliser cet examen et fournir des repères. Chez l’enfant de trois-quatre ans, les troubles secondaires sont en rapport avec une pathologie de l’audition, de la communication ou de la relation. Le diagnostic d’une déficience mentale modérée n’est pas une urgence, mais une exploration rapide des capacités non verbales peut être réalisée en demandant à l’enfant de dessiner un trait vertical, un trait horizontal, un rond. Ces troubles du langage oral qui s’inscrivent dans une pathologie primitive doivent être adressés au spécialiste de la pathologie et non d’emblée à l’orthophoniste libéral. Lorsque le trouble spécifique a été identifié, il faut en apprécier le degré de sévérité. Trois situations constituent des critères de sévérité : l’enfant est inintelligible pour toute autre personne que sa maman (qui, par définition, le comprend parfaitement) ; l’enfant ne fait pas de phrases, ou, éventuellement, associe deux mots mais sans sujet ni verbe ; enfin, l’enfant comprend mal. La démarche est alors relativement simple. S’il n’existe pas de critères de sévérité, l’orthophonie est inutile, mais l’enfant doit être revu. En présence d’un ou de plusieurs critères de sévérité, une évaluation orthophonique est indiquée, ainsi qu’une rééducation si l’enfant est coopérant. Dans tous les cas, une guidance parentale est nécessaire et il faut souligner à ce propos le manque en France de programmes de stimulation, tels qu’il en existe en Angleterre par exemple. Ces programmes, fondés sur des exercices de vocalisation, d’écoute de sons, de dénomination d’objets, etc., sont utilisés dès la première année de vie en cas de retard de langage. Leur impact sur le niveau de langage à l’âge de trois ans a été démontré [1]. L’ENFANT DE QUATRE-CINQ ANS A l’âge de quatre-cinq ans, en fin de moyenne section de maternelle, c’est toujours sur le langage oral que porte l’évaluation, mais il est nécessaire à cet âge de vérifier que le trouble est avéré en utilisant un test étalonné. Il est en effet impossible de continuer à prescrire de l’orthophonie sans examiner précisément les déficits de l’enfant, de même qu’il ne viendrait à l’idée de personne de prescrire un antihypertenseur sans mesurer la pression artérielle. On peut utiliser soit la répétition de logatomes (bafi, stripadul…) et de phrases (il y a un garçon dont la casquette est verte) de la BREV, soit l’ERTL4 (épreuve de repérage des troubles du langage). Ensuite, si le trouble apparaît avéré aux tests étalonnés, il faut déterminer s’il est spécifique ou secondaire en recourant à la copie de dessins de la BREV ou, au minimum, en vérifiant que l’enfant est capable de dessiner un carré, un trait oblique, une croix et un rond. En cas de trouble spécifique chez un enfant de quatre-cinq ans, l’indication de septembre 2008 page 278 l’orthophonie dépend de l’âge exact et du profil du trouble. S’il n’existe pas de critère de sévérité, c’est-à-dire si l’enfant est intelligible, s’il fait des phrases, s’il n’a pas de trouble de la compréhension et qu’il a un simple trouble de parole à quatre ans deux mois par exemple, il est tout à fait légitime de temporiser et de le revoir six mois plus tard en fin de moyenne section de maternelle. En revanche, face à un trouble de parole et de langage chez un enfant de quatre ans huit mois, une évaluation orthophonique s’impose. Bien entendu, un enfant de quatre-cinq ans qui a un trouble du langage oral avec un ou, a fortiori, plusieurs critères de sévérité doit être adressé à l’orthophoniste. Dans tous les cas, un accompagnement parental est nécessaire. CINQ-SIX ANS : LE LANGAGE ORAL ET LE GRAPHISME A l’âge de cinq-six ans, lorsque l’enfant est en grande section de maternelle, tout trouble de parole ou de langage oral nécessite un diagnostic précis et une prise en charge adaptée. Il en est de même pour les troubles sévères du graphisme, dessin et écriture. Là encore, un test étalonné est nécessaire pour vérifier que la plainte est justifiée. On recourt au minimum aux tests de répétition de logatomes de la BREV et de répétition de phrases de la BREV ou du BSEDS (bilan de santé, évaluation du développement pour la scolarité) associé à l’évaluation d’au moins un élément des fonctions non verbales comme la copie de dessin de la BREV et l’écriture du prénom. A cinq-six ans, tout trouble du langage non clairement spécifique doit être adressé à un médecin référent pour examen clinique des fonctions cognitives et évaluation psychologique avant bilan orthophonique. Tout trouble du langage oral spécifique nécessite une évaluation orthophonique qui a deux objectifs : la rééducation du langage oral et la préparation à la lecture. Dans tous les cas, il faudra vérifier que l’apprentissage de la lecture se passe bien au cours préparatoire. Tout trouble du graphisme doit conduire à Médecine & enfance QUESTIONS-RÉPONSES Les centres de référence vont-ils se développer ? C. Billard : Lors de leur création, il a été prévu d’ouvrir un centre de référence par région. La réalité actuelle est qu’il devient très difficile pour les patients d’y avoir accès. Ces centres de référence reçoivent en effet des cas de plus en plus sévères, dont l’évaluation requiert beaucoup de temps. Dans des structures hospitalo-universitaires comme celles de l’AP-HP, qui connaissent de gros problèmes budgétaires, les centres de référence ne constituent pas, loin s’en faut, une priorité. B. Lefeuvre (ministère de la santé, de la jeunesse et des sports) : Il y a effectivement aujourd’hui un centre de référence par région et il n’est absolument pas prévu d’en ouvrir d’autres dans l’avenir. A qui s’adresser pour réaliser l’évaluation psychologique ? C. Billard : Cette évaluation psychologique est une évaluation du fonctionnement psychique et du fonctionnement cognitif. On peut demander aux psychologues scolaires, mais du fait de leur surcharge de travail, elles ne peuvent pas toujours la réaliser. Si l’on s’adresse à un psychologue de ville, le problème essentiel est bien entendu celui du remboursement, puisque les seuls soins remboursés dans ce domaine sont l’orthophonie et l’orthoptie. C’est ce que j’appelle des prescriptions d’évaluation orphelines. Or il serait essentiel de prévoir, dans certains cas bien argumentés, une possibilité de remboursement d’évaluation psychologique. En France, on ne sait pas dépenser pour comprendre un problème, en revanche on accepte de dépenser après, pour le traiter n’importe comment. une évaluation psychologique pour vérifier son caractère spécifique avant d’adresser l’enfant en psychomotricité ou en ergothérapie. SIX-NEUF ANS : LECTURE, ÉCRITURE, CALCUL Entre six et neuf ans, durant la première partie de sa scolarité primaire, l’enfant doit faire l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Les tests étalonnés permettent d’évaluer rapidement le niveau de lecture et d’écriture d’un enfant selon son niveau de classe (exemple de test de lecture de la BREV en CP : « mati chapé sirtu », en CE1 : « montre-moi le crayon violet que la fille a dans la main »). Ces tests permettent également d’explorer en quelques minutes les capacités de l’enfant en calcul. Si, à l’issue de ces tests, il apparaît que l’enfant n’a manifestement pas de trouble des apprentissages, il est inutile de pousser plus loin les investigations. Si ces tests détectent un trouble des ap- prentissages, il faut replacer ce trouble dans un contexte global et évaluer le langage oral et le graphisme (copie de dessin et écriture). La conduite à tenir dépend alors du niveau de classe de l’enfant. En CP, si l’enfant a un trouble spécifique du langage écrit (sans problème en calcul, en graphisme ni dans les fonctions non verbales), l’attitude sera fonction de la sévérité de ce trouble spécifique : s’il existe conjointement un trouble du langage oral ou un antécédent de trouble du langage oral, ou encore s’il s’agit, en l’absence de trouble du langage oral, d’un trouble du langage écrit sévère avec absence de décodage, l’enfant sera adressé à l’orthophoniste pour une évaluation. Si le trouble concerne le langage écrit et soit le calcul, soit le graphisme, soit les fonctions non verbales, ou l’ensemble de ces fonctions, ou encore s’il s’agit d’un trouble isolé du graphisme ou de l’écriture, une évaluation psychologique est indiquée avant de déterminer les autres évaluations nécessaires. En CE1, tout trouble du langage écrit (correspondant à un niveau inférieur à 2 écarts types ou à un an de retard avec des confusions nettes) associé à des performances normales en calcul et en graphisme justifie une évaluation en orthophonie. Si le trouble est plus complexe, touchant le langage écrit et soit le calcul, soit le graphisme, une évaluation psychologique est indiquée avant l’orthophonie. En CE2 et après, l’arbre décisionnel est le même qu’en CE1 en utilisant des tests étalonnés qui existent pour la lecture, l’orthographe et le calcul. Un trouble spécifique du langage écrit avec calcul et graphisme normaux relève de l’orthophonie. Un trouble du langage écrit associé à un trouble du calcul ou du graphisme impose une évaluation psychologique avant l’orthophonie. Cette évaluation psychologique est également nécessaire devant un trouble isolé du calcul ou du graphisme. METTRE DE L’ORDRE DANS LES PRISES EN CHARGE Améliorer le traitement des troubles des apprentissages suppose de mettre de l’ordre dans les prises en charge pour en optimiser la qualité et la précocité. La réponse de première intention revient à l’école, qui doit mettre en œuvre des stimulations du langage oral, des entraînements au décodage. Si cette réponse de première intention n’est pas suffisamment efficace, des soins de ville bien prescrits et suivis sont indiqués. S’ils s’avèrent insuffisants, le recours au centre de référence s’impose, avec, toujours, une guidance familiale et des adaptations pédagogiques. [1] WARD S. : « An investigation into the effectiveness of an early intervention method for delayed language development in young children », Int. J. Lang. Commun. Disord., 1999 ; 34 : 243-64. medecine-et-enfance.net Le site de Médecine et enfance est libre d’accès. Tous les articles parus depuis 1999 sont consultables en ligne à l’exception de ceux des quatre derniers numéros. septembre 2008 page 279