Journal Identification = VIR Article Identification = 0545 Date: February 21, 2014 Time: 1:50 pm
revue
Virologie 2014, 18 (1) :17-24
L’infection par le «lactate dehydrogenase-
elevating virus »: un modèle expérimental
de modulation du microenvironnement
immunitaire
Jean-Paul Coutelier
Université catholique de Louvain,
Christian de Duve Institute,
unité de médecine expérimentale,
1200 Bruxelles, Belgique
Résumé. Le lactate dehydrogenase-elevating virus (LDV), un artérivirus murin
se caractérise par une virémie persistante, en dépit d’une réponse immuni-
taire antivirale innée et adaptative. Il induit de profondes modifications du
microenvironnement immunitaire de son hôte, avec notamment une activation
des macrophages et des cellules tueuses naturelles, la sécrétion de cytokines
pro-inflammatoires, une modulation de la différenciation des lymphocytes T
auxiliaires et une activation polyclonale des lymphocytes B. Cette modifica-
tion du microenvironnement immunitaire conduit à la protection contre certaines
pathologies, dont des réactions allergiques, la réaction du greffon contre l’hôte,
l’encéphalite expérimentale auto-immune et la croissance de certaines tumeurs.
En revanche, elle aggrave d’autres pathologies comme le choc endotoxinique et
les maladies auto-immunes liées à des auto-anticorps. L’infection par le LDV
constitue donc un modèle intéressant pour comprendre les conséquences d’une
infection virale sur la pathogénie d’affections diverses, et pour en définir de
nouvelles voies de traitement.
Mots clés : lactate dehydrogenase-elevating virus, cytokines, macrophages, pha-
gocytose, cellules « tueuses naturelles », interférons, lymphocytes, anticorps
Abstract. Lactate dehydrogenase-elevating virus (LDV), a mouse arterivirus,
is characterized by a lifelong viremia, despite antiviral innate and adapta-
tive immune response. It induces strong modifications of the host immune
microenvironment, including macrophage and natural killer cell activation, secre-
tion of pro-inflammatory cytokines, modulation of T helper cell differentiation
and polyclonal activation of B-lymphocytes. This modification of the immune
microenvironment results in the protection against some diseases such as aller-
gies, graft-versus-host reaction, experimental autoimmune encephalitis, and
growth of some tumors. In contrast, it exacerbates other pathologies such as
endotoxin shock and autoantibody-mediated autoimmune diseases. Thus, LDV
infection provides an interesting model to understand the consequences of viral
infections on pathogenic mechanisms and to define new therapeutic approaches.
Key words: dehydrogenase-elevating virus, cytokines, macrophages, phagocy-
tosis, natural killer cells, interferons, lymphocytes, antibodies
Lelactate dehydrogenase-elevating virus (LDV)
n’est certes pas le plus étudié des agents infectieux.
Son tropisme exclusif pour la souris, son faible
pouvoir pathogène incitent peu de laboratoires à se lan-
cer dans son étude, qui du reste a peu de chances de se
Tirés à part : J.-P. Coutelier
voir financée par des organismes soucieux de promouvoir
la santé humaine ou animale à relativement brève échéance.
Pourtant, ce microorganisme méconnu apporte un modèle
d’un emploi aisé pour l’étude des effets d’un virus sur le
microenvironnement immunitaire de son hôte et sur les
conséquences qu’une infection peut avoir sur le dévelop-
pement de maladies se développant simultanément, mais
indépendamment de celle-ci.
doi:10.1684/vir.2014.0545
Virologie, Vol 18, n1, janvier-février 2014 17
Pour citer cet article : Coutelier JP. L’infection par le « lactate dehydrogenase-elevating virus » : un modèle expérimental de modulation du microenvironnement immunitaire. Virologie 2014; 18(1) :
17-24 doi:10.1684/vir.2014.0545
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Figure 1. Particules virales de LDV dans une vésicule intra-
cytoplasmique de cellule intra-péritonéale de souris, 12 heures
après inoculation du virus. Avec la permission de M. Brinton [2].
Le lactate dehydrogenase
-elevating virus
Virus enveloppé à ARN de simple brin positif, d’environ
50 nm, le LDV (figure 1) appartient à la famille des Arte-
riviridae, laquelle compte également parmi ses membres
le virus du syndrome reproductif et respiratoire du porc
(PRRSV), responsable d’avortements et de pathologies res-
piratoires chez le cochon, le virus de l’artérite du cheval et le
virus de la fièvre hémorragique du singe. Avec les familles
des Coronaviridae notamment, ils constituent l’ordre des
Nidovirales [1]. Le génome du LDV est constitué d’une
molécule d’ARN d’environ 14 000 nucléotides contenant
neuf phases ouvertes de lecture. L’enveloppe du LDV
contient vraisemblablement six protéines, une septième
étant associée à la nucléocapside. La protéine d’enveloppe
majeure, GP5, connue antérieurement sous le nom de VP3,
est probablement impliquée dans l’entrée du virus dans la
cellule, bien que ce point ne soit pas déterminé avec cer-
titude. Le LDV infecte exclusivement la souris, lors de
morsures à l’état sauvage, ou par injection [2]. Le récep-
teur du LDV reste inconnu, bien que certains auteurs aient
avancé qu’il pourrait s’agir des molécules Ia, appartenant
au complexe d’histocompatibilité majeur de la souris [3].
Chez la plupart des souches de souris, le LDV se réplique
de manière lytique uniquement dans une sous-population
de macrophages mal déterminée mais dont la fonction
comprend la clairance d’enzymes sériques, y compris
la lactate déshydrogénase (LDH). La destruction de ces
macrophages entraîne une augmentation des taux sériques
de LDH, d’où le nom donné au virus. La détermination
des taux de LDH sérique a longtemps constitué la méthode
de choix pour la détection de l’infection. Actuellement,
l’infection par le LDV peut être déterminée directement,
par mesure du génome du LDV par PCR ou de la concen-
tration en particules virales par agglutination de billes de
latex couvertes d’anticorps spécifiques du virus [4], ou indi-
rectement, par détermination par Elisa de la concentration
en anticorps antiviraux dans le sérum des souris infectées.
De manière générale, les souris auxquelles on inocule du
LDV ne développent pas de pathologie directement liée
à cette infection. Une exception notable s’observe dans
quelques souches d’animaux qui présentent une polio-
encéphalomyélite lorsqu’ils sont infectés conjointement par
le LDV et par un rétrovirus, et que, de plus, ils présentent
une immunosuppression [5, 6]. Dans ce cas très particulier,
il semblerait que l’infection de neurones par le rétrovirus
permette l’infection lytique de ces cellules par le LDV.
Réponse immunitaire antivirale
Une des caractéristiques les plus surprenantes du LDV
est sa capacité à se maintenir dans la circulation de
son hôte pendant toute la vie de celui-ci, sous forme
de virémie persistante, malgré le développement d’une
réponse immunitaire spécifique. Bien qu’une forte pro-
duction d’interférons-/soit induite par l’infection [7],
ces molécules ne semblent que peu capables de ralentir la
réplication du virus [8]. De même, l’interféron-ne per-
met pas de contrôler de manière sensible la réplication
du LDV [4, 9]. L’activation de lymphocytes T cytoly-
tiques et de lymphocytes T auxiliaires dirigés contre des
épitopes viraux a été démontrée directement ou indirecte-
ment [10, 11]. Cependant, le virus échappe également à
ces réponses lymphocytaires [12]. Des anticorps anti-LDV
18 Virologie, Vol 18, n1, janvier-février 2014
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sont produits aussi bien après infection qu’après immuni-
sation avec du virus inactivé [11, 13]. Bien que certains
de ces anticorps puissent neutraliser le virus [14], ils ne
permettent pas de prévenir la virémie persistante, carac-
téristique de l’infection et conduisent à la formation de
complexes antigènes-anticorps. Cette capacité du LDV à
échapper à l’élimination par les anticorps s’explique par
le mélange de quasi-espèces dans les populations de virus,
dont certaines, en raison de modifications de glycosylation,
ne peuvent être neutralisées par les anticorps [15]. Dès lors,
la limitation de la réplication virale ne s’explique que par le
nombre réduit de cellules-cibles dont l’infection se traduit
par la lyse [16].
Ce n’est que dans le cas de la polio-encéphalomyélite que
les anticorps anti-LDV peuvent limiter la réplication virale
et prévenir la maladie. En effet, la quasi-espèce neuroviru-
lente du virus est parfaitement neutralisée par ces anticorps.
Il est intéressant de noter que dans cette situation, la sous-
classe IgG2a de ces anticorps, laquelle est produite de
manière préférentielle, montre une efficacité plus grande
que les autres isotypes [17].
Modulation du microenvironnement
immunitaire de l’hôte
En dehors de ces réponses spécifiques antivirales, le LDV
induit un nombre important de modulations du système
immunitaire qui conduisent à une modification globale
du microenvironnement immunitaire de l’hôte (figure 2).
Au niveau du système immunitaire inné, une activation
des cellules dendritiques plasmacytoïdes, résultant d’une
ligation du TLR-7 est responsable de la forte produc-
tion d’interférons-/[18]. Une importante production de
DC
mφ
B
lympho
IL-6
NK
NK/T
IL-12
IL-15 ?
IL-18
IFN-α/β
IFN-α/β
mφ
IFN-γ
IFN-γ
IFN-γTh
lympho
Th2
Figure 2. Modulation du microenvironnement immunitaire lors de l’infection par le LDV. Les cellules intervenant, ainsi que les cytokines
principales sont indiquées. Les flèches turquoise indiquent une activation, les flèches orange une inhibition.
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cytokines pro-inflammatoires, comprenant les inter-
leukines-6, -12, -15 et -18 suit la stimulation de popula-
tions de macrophages et/ou de cellules dendritiques non
encore totalement identifiées [19, 20].
À la suite de l’infection par le LDV, on observe égale-
ment une très forte activation des cellules tueuses naturelles.
Cette stimulation des cellules tueuses naturelles se traduit à
la fois par une augmentation de leur capacité cytolytique, et
par une importante sécrétion d’interféron-[4]. Les méca-
nismes d’activation des cellules tueuses naturelles lors de
l’infection par le LDV semblent différents d’une simple
réponse aux interleukines-12 et -18 [21]. En particulier,
la production d’interféron-par ces cellules tueuses natu-
relles est indépendante de l’interleukine-12 chez des souris
normales [22]. Cependant, les interférons-/régulent de
manière négative cette production d’interféron-, par un
mécanisme qui, lui, implique l’interleukine-12 [8].
L’infection par le LDV résulte également en une acti-
vation générale des lymphocytes T et B, induite par les
interférons-/[18]. La différenciation des lymphocytes T
auxiliaires, y compris de ceux qui reconnaissent des anti-
gènes distincts du virus, est modifiée, avec une diminution
importante de sécrétion de cytokines de type Th2 telles que
les interleukines-4 et -9 [22, 23].
Le LDV induit également une activation polyclonale des
lymphocytes B qui se traduit par une hypergammaglobuli-
némie restreinte à la sous-classe IgG2a [24-26]. Bien que
similaires en termes de restriction isotypique, les réponses
anticorps spécifiques et polyclonale qui sont induites dans
le décours de l’infection sont régulées de manière distincte :
l’interféron-contrôle les réponses spécifiques, qu’elles
soient dirigées contre des antigènes viraux ou pas, tandis
que l’hypergammaglobulinémie dépend de l’interleukine-
6 [20, 27]. Cela suggère que des populations différentes
de lymphocytes B sont impliquées dans ces deux phéno-
mènes. Finalement, dans certains cas, l’infection par le
LDV résulte également en une modification de la spéci-
ficité d’anticorps dirigés contre des protéines non virales
administrées en même temps que le virus, avec une dimi-
nution des anticorps dirigés contre des épitopes natifs, au
profit d’anticorps reconnaissant des épitopes cryptiques de
ces antigènes [28, 29].
Conséquences de la modulation
du microenvironnement immunitaire
sur des pathologies concomitantes
à l’infection
Les différentes altérations du système immunitaire obser-
vées après administration du LDV peuvent se traduire par
une modulation de pathologies concomitantes à l’infection,
bien que d’étiologie différente, pour autant que celles-
ci soient au moins partiellement dépendantes de ces
réponses.
L’activation polyclonale des lymphocytes B s’accompagne
de la sécrétion d’anticorps autoréactifs [30, 31], bien que
ceux-ci n’aient pas d’effets pathogènes chez une souris
normale.
Dans un certain nombre de cas, l’infection par le LDV
apporte un effet protecteur contre certaines pathologies qui
se développent chez l’hôte. La modulation des réponses T
auxiliaires, au détriment des réponses Th2, entraîne ainsi
une diminution de réponses allergiques chez des sou-
ris infectées par ce virus [32-35]. Cette diminution
affecte la production d’interleukines-4 et -5, la stimulation
d’éosinophiles et le développement de rhinite allergique
éosinophilique. Cependant, cette modulation des réponses
Th2 entraîne également un moins bon contrôle de certaines
infections parasitaires [36].
Un effet bénéfique de l’infection sur des modèles expé-
rimentaux de maladies auto-immunes impliquant les
lymphocytes T, tels que l’encéphalite auto-immune expé-
rimentale, le lupus et le diabète a également été rapporté
[37-39]. Bien que les mécanismes impliqués dans la pro-
tection conférée par le LDV n’aient pas été démontrés, on
peut supposer qu’une interférence avec la différenciation
des lymphocytes T auxiliaires en soit, au moins en partie,
responsable.
L’effet d’une infection par le LDV sur le développement de
tumeurs a fait l’objet de plusieurs études. Certaines d’entre
elles montrent une sensibilité plus grande des souris infec-
tées de manière aiguë à la croissance tumorale, qui serait
liée à une suppression de réponses immunitaires [40, 41].
En revanche, les souris infectées de manière chronique
résistent mieux à la croissance des mêmes tumeurs. Nous
avons également observé une résistance accrue à la crois-
sance tumorale de souris infectées par le LDV un jour avant
l’administration de cellules de plasmocytomes. Cet effet
antitumoral est lié à l’activation des cellules tueuses natu-
relles (résultats non publiés), et notamment à leur sécrétion
d’interféron-. Il est donc possible que le LDV exerce des
effets différents sur la croissance tumorale en fonction du
type de réponses auxquelles les différentes cellules can-
céreuses sont sensibles et de la manière dont le virus est
capable de moduler ces réponses.
Si elle peut inhiber la progression de certaines mala-
dies concomitantes à l’infection, la modulation du micro-
environnement immunitaire induite par le LDV peut aussi
conduire à l’exacerbation d’autres pathologies. Ainsi, la
sensibilité de souris au choc endotoxinique est très for-
tement augmentée après l’infection par ce virus [42].
Cette augmentation de sensibilité, liée à des facteurs géné-
tiques, s’accompagne d’une sécrétion très augmentée de
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revue
1 000
129/Sv
IFNAR
100
LPS LD50 (µg)
10
Control LDV
1
Figure 3. Les interférons-/protègent contre la sensibilisation par le LDV au choc endotoxinique. Sensibilité de souris normales (129/Sv)
et déficientes en récepteur des interférons-/(IFNAR) au choc endotoxinique, après infection par le LDV, exprimée en dose létale pour
50 % des animaux [42], avec l’aimable autorisation.
Figure 4. Apparition de pétéchies chez une souris «nude »infectée par le LDV ayant rec¸u un anticorps polyclonal anti-plaquettes (souris à
gauche). Les autres animaux ont rec¸u, de gauche à droite, l’anticorps anti-plaquettes seul, le virus et un anticorps contrôle, ou un anticorps
contrôle seul [45], avec l’aimable autorisation.
Virologie, Vol 18, n1, janvier-février 2014 21
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