enneigées et glacées. Lesquelles noircissent légèrement
et absorbent plus le rayonnement solaire. D’où une sur-
chauffe supplémentaire et une fonte accélérée qui ampli-
fie à son tour le réchauffement climatique ! Là encore,
il est difficile de quantifier cet effet avec précision. Aux
hautes latitudes, de nombreuses observations attestent
d’un noircissement de la neige. Les analyses récentes de
chercheurs américains sur des carottes de glace préle-
vées au Groenland indiquent effectivement une forte
contamination par la suie pendant la première moitié
du XXe siècle. D’après leurs calculs, elle aurait contribué
à un forçage radiatif local de + 3 W/m2 [4].
Et comme si les effets connus des aérosols ne suffisaient
pas, ces particules sont aussi parfois sources de surpri-
ses. Telle celle des Allemands Dominique Bäumer et
Bernhard Vogel, de l’université de Karlsruhe, qui ont
mis en évidence l’existence d’un cycle hebdomadaire
des températures, de la nébulosité et de l’ensoleille-
ment entre 1991 à 2005 [5]. Ce dernier diminue au fil
de la semaine. Il est au mini-
mum le samedi puis repart à la
hausse le dimanche et le lundi
avant de décroître à nouveau. La
nébulosité suit un cycle inversé
avec un pic le samedi. Quant à
la température, elle est maximale le mercredi et mini-
male le samedi. L’amplitude des variations, de l’ordre
de 0,1 kelvin, est trop élevée pour pouvoir être expli-
quée par un cycle hebdomadaire de la chaleur dégagée
par les activités humaines. Il faut un effet amplifica-
teur : revoilà les aérosols. Il est probablement lié à leur
impact sur le rayonnement et les nuages. Une hypo-
thèse d’autant plus vraisemblable que les épaisseurs
d’aérosols semblent, elles aussi, soumises à un cycle
hebdomadaire comme le suggèrent les mesures réali-
sées durant quatorze ans au-dessus de l’Europe [6].
Beaucoup de questions restent donc ouvertes. En
particulier, et en premier lieu : la réduction des émis-
sions d’aérosols peut-elle aggraver le réchauffement ?
La baisse a débuté dans les années
1980. À l’origine, il s’agissait de
diminuer l’émission de particu-
les soufrées afin de lutter contre
les pluies acides. Aujourd’hui, on
souhaite leur réduction en raison
de leurs effets sur la santé. Les par-
ticules les plus petites (celles dont
la taille est inférieure à 2,5 micro-
mètres, voire à 1 micromètre) sem-
blent les plus dangereuses. Or, ce
sont elles qui diffusent le plus le
rayonnement solaire et qui font
les meilleurs noyaux de condensa-
tion… L’amélioration progressive
de la qualité de l’air atténue ainsi
l’effet filtrant des aérosols. Elle a même renversé la
tendance à l’assombrissement de l’atmosphère obser-
vée de 1960 à 1990 [7].
Cette tendance devrait se poursuivre : ainsi, le
réchauffement climatique risque fort de s’accélérer
au-dessus des régions industrialisées. De plus, les
pays en développement devraient suivre le même
chemin : le rôle des aérosols dans le changement cli-
matique sera donc moindre au XXIe siècle qu’il ne
l’a été durant le XXe siècle [8].
Manipuler le climat
À moins de… en injecter plus haut ? Dans la strato-
sphère, là où ils restent plus longtemps, comme l’a
suggéré le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen pour
juguler le réchauffement climatique [9]. Une couche
d’aérosols stratosphériques masquerait en effet une
partie du rayonnement solaire incident. Elle agirait
alors comme un thermostat, qui serait contrôlé par
l’envoi plus ou moins massif
de dioxyde de soufre.
Mais les effets secondaires
d’une telle manipulation sur le
climat sont largement mécon-
nus. Comment réagirait la cir-
culation atmosphérique ? Et la couverture nuageuse ?
Les écosystèmes s’adapteraient-ils à une diminution
du rayonnement solaire direct et à une augmenta-
tion du rayonnement solaire diffus ? Et puis une telle
proposition soulève d’épineux problèmes éthiques.
Peut-on manipuler le climat pour gagner un peu de
temps avant de réduire nos émissions de gaz à effet de
serre ? Comme ces gaz continueraient de s’accumu-
ler dans l’atmosphère, il faudrait réduire encore plus
radicalement les émissions. Sans quoi nous serions
contraints de perpétuer cette manipulation des siè-
cles durant. Voilà un cadeau aux générations futures
au moins aussi empoisonné que les rejets actuels de
gaz à effet de serre !
O. B.
Nº 414 | DÉCEMBRE 2007 | LA RECHERCHE | 43
[4] J.R. McConnell et al.,
Science, 317, 1381, 2007.
[5] D. Bäumer et B. Vogel,
Geophys. Res. Lett., 34,
L03819, 2007.
[6] D. Bäumer et al.,
Atmospheric Chemistry
and Physics Discussions, 7,
11545, 2007.
[7] M. Wild et al., Science,
308, 847, 2005.
[8] J.-L. Dufresne et al.,
Geophys. Res. Lett., 32,
L21703, 2005.
[9] « Paul Crutzen :
“Et si l’on manipulait le
climat ?” », La Recherche,
juillet-août 2006, p. 82.
LES VILLES CHINOISES (ici, Harbin) sont parmi les plus polluées au monde. Mais, à
l’instar des cités occidentales, l’amélioration de la qualité de l’air devrait réduire
progressivement ces voiles sombres. Ce qui risque d’accélérer le réchauffement.
Le rôle des aérosols dans
le changement climatique
sera moindre au XXIe siècle
CLIMAT III
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