Les Etudes du CERI - n° 34 - décembre 1997
de la dette et du sous-développement. En quelques années, le taux de croissance se
redresse pour atteindre un pic de 4 % en 1990 avant de redescendre. Le déficit public
passe, entre 1989 et 1992, de 5,6 % à 3,4 % du PNB. Enfin, les exportations se
diversifient au-delà des seules ressources pétrolières. Entre 1980 et 1995, elles font un
bond spectaculaire. Leur volume est multiplié par 6,4 et leur valeur par 5,2. Elles
surpassent ainsi largement les performances du jaguar chilien (3 et 3,4
respectivement) et flirtent avec les résultats affichés par les tigres asiatiques.
L'accélération du mouvement de privatisations, l'avènement d'une inflation à un
chiffre et la libéralisation des échanges, tout indique que le pays fait route désormais
vers le nouveau cap de bonne espérance qu'est devenu l'horizon libéral. A Wall Street
cette révolution technocratique mexicaine est saluée avec un enthousiasme croissant.
Les économistes mexicains, formés pour la plupart dans les plus prestigieuses
universités nord-américaines, donnent le change et inspirent une solide confiance à la
communauté financière.
Dans cet exercice de séduction à grande échelle, auquel se livrent des autorités
mexicaines impatientes d'intégrer le Premier Monde, deux ministres vont exceller :
Pedro Aspe et Jaime Serra Puche, respectivement aux Finances et au Commerce
extérieur, titulaires, le premier, d'un doctorat du MIT et le second d'un doctorat de
l'Université de Yale3. Ils réussissent à amadouer les milieux d'affaires et financiers qui,
de nouveau, scrutent vers l'Amérique latine à la recherche d'opportunités, de coups à
jouer et d'affaires à conclure. Les yeux sont d'autant plus rivés sur le Mexique que
celui-ci, pour la première fois de son histoire et de celle des pays en développement,
est en passe de s'arrimer à l'économie la plus développée au monde, les États-Unis :
l'ALENA, au-delà de ses effets économiques (marginaux pour les États-Unis, plus
lourds pour le Mexique), aura comme première conséquence majeure de propulser ce
dernier sous les feux des médias et des débats parlementaires américains. A New
York, les divisions d'analystes des banques d'affaires telles que Morgan Stanley, JP
Morgan ou Goldman Sachs suivront avec un intérêt grandissant ces négociations
officialisées à partir de 1992. En quelques mois, les firmes new-yorkaises vont gonfler
leurs cohortes d'analystes spécialisés sur l'Amérique latine, à l'image de Salomon
Brothers, banque d'investissement dont John Purcell, découvreur des mannes sud-
américaines en général et de la pépite mexicaine en particulier, fera passer les effectifs
de son département de recherche, d'un (lui) à plus de vingt-cinq analystes.
L'un des détonateurs de ce boom des anticipations favorables et de l'euphorie qui
gagne Wall Street au sujet du Mexique sera le mouvement de privatisations engagé
par le président Salinas de Gortari. Les rumeurs puis, à partir de 1989, l'annonce
officielle de la privatisation du géant mexicain des télécommunications, Telmex,
3 Au cours des années soixante et soixante-dix, les universités américaines s'imposent comme le lieu
de formation et de socialisation des élites latino-américaines. A Cambridge, Aspe termine sa thèse en
1978, une année après que Domingo Cavallo, le futur artisan du virage libéral argentin, a terminé la sienne
à Harvard. C'est également sur le campus de Harvard et du MIT que les deux jeunes économistes font
connaissance avec une autre figure majeure des réformes latino-américaines des années quatre-vingt-dix,
le Chilien Alejandro Foxley, alors visiting scholar au MIT. Sur les trajectoires de cette génération latino-
américaine, voir Dominguez 1997.