Le Plan cancer : la chirurgie oubliée !

publicité
É
D I T O R I A L
Le Plan cancer : la chirurgie oubliée !
J. Lansac*
Q
ue les politiques s’emparent d’un sujet de santé publique
majeur comme la lutte contre le cancer ne peut que réjouir
les médecins, et spécialement les gynécologues, tant la
femme paye un lourd tribu à cette maladie : 280 mille nouveaux cas de
cancer tous les ans (dont 44000 cancers du sein) ; 150 000 décès annuels
(dont 11000 pour le seul cancer du sein), nous sommes loin des 5 cas de
maladie de Creutzfeld-Jakob nouveaux variants qui font fuir nos concitoyens de chez Buffalo grill ! Le Plan cancer comprend 70 mesures de la
prévention à la recherche et se fixe l’objectif ambitieux de faire baisser la
mortalité par cancer de 20% en 5 ans. Un financement de 640 millions
d’euros sur 5 ans est prévu et sera financé par la hausse du prix du tabac.
Pourquoi pas car, si nous ne faisons rien, le tabagisme féminin fera plus
de victimes que le cancer du sein en 2020, sans parler des dégâts causés
par l’association pilule et tabac. Outre cette lutte nécessaire contre le
tabagisme, ce plan a incontestablement des points forts :
• La généralisation du dépistage du cancer du sein dans tous les
départements.
• L’obligation faite aux médecins prenant en charge des patientes cancéreuses de le faire dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires et dans un
réseau de soins. Le grand cancérologue décidant seul du traitement a vécu !
Les établissements, qu’ils soient publics ou privés, doivent mettre en place
un comité de coordination de la cancérologie (3C) qui doivent s’assurer du
bon fonctionnement des comités pluridisciplinaires qui établissent les projets thérapeutiques individualisés en suivant des protocoles de soin écrits.
Ils doivent aussi organiser le parcours du malade, son soutient et celui de sa
famille dans le cadre d’une structure adaptée comportant des psychologues.
• La mise en place de pôles régionaux et universitaires qui regroupent les
actions des CHU et des centres de lutte contre le cancer dans un projet
médical commun et non plus concurrent !
• La coordination de la recherche aux niveaux de six cancéropôles interrégionales qui mettront en place des tumorothèques organisées pour la
recherche génomique, mais aussi des essais cliniques permettant l’accès
rapide des patients aux innovations cliniques et thérapeutiques.
• La mise en place d’un institut national du cancer pour coordonner la politique de prévention, de dépistage, mettre en place des registres nationaux,
définir l’organisation des soins, les programmes de recherche et informer
les patients par un numéro vert (cancer info service) et un site Internet
CE PLAN A CEPENDANT AUSSI DES FAIBLESSES
• Le dépistage du cancer du col reste, dans notre pays, inorganisé. On
sait pourtant que ce dépistage est efficace, peu coûteux et que sur les
4 000 cancers du col découverts tous les ans, 36 % des femmes disent
n’avoir jamais eu de frottis, et 34 % dans un délai supérieur à 3 ans ( 1 ).
Ce cancer, si simple à dépister et à traiter dans les formes débutantes, ne
méritait-il pas une organisation comme le dépistage du cancer du sein ou
le cancer colorectal avant de se lancer dans les frottis en phase liquide et
la recherche du virus HPV ?
• La faible place faite à la chirurgie par rapport à la chimiothérapie
dotée de moyens en hommes et en budgets pour l’achat de produits très
coûteux. Pourtant le chirurgien joue un rôle essentiel dans la prise en
charge de la maladie : c’est souvent lui qui annonce le diagnostic, qui complète le bilan, organise la concertation pluridisciplinaire pour déterminer la
meilleure stratégie, fait l’exérèse de la lésion selon des règles de bonnes
pratiques, limite ou traite ensuite le handicap (reconstruction, rééducation,
etc.). N’est-ce pas la seul discipline qui puisse se targuer de guérir, à elle
seule, un cancer débutant ? Ne fallait-il pas insister sur les besoins en chirurgiens, s’interroger sur la désaffection de cette discipline par les jeunes,
organiser pour eux et évaluer une formation spécifique en cancérologie et
une formation continue, valoriser leur compétence cancérologique. Enfin,
ne fallait-il pas laisser une place à la recherche pour les nouvelles techniques chirurgicales et ne pas tout miser sur la chimiothérapie (dont les
succès en matière de tumeurs solides sont loin d’être évidents). On regrette
que la mission confiée à Mme Briand pour mettre en place ce plan et l’institut national du cancer ne comporte pas un seul chirurgien !
• Le radiothérapeute, de la même façon, joue un rôle très important
dans la prise en charge thérapeutique. Dans cette discipline aussi il y a
des problèmes de recrutement, de formation de personnel médical et non
médical (manipulateurs, physiciens) qui doivent être pris en compte. Le
renouvellement des machines et leur évolution couplées à l’imagerie pose
des problèmes budgétaires spécifiques qui vont bien au-delà des 2,5 millions d’euros prévus sur 5 ans.
• Pour ce qui est de la recherche, est-il raisonnable de tout miser sur la
génomique, la protéomique et l’évaluation des nouvelles molécules sans
faire une place importante à la recherche hors génomique (angiogenèse,
vaccin contre le cancer du col, hormonothérapie des cancers du sein…)
en chirurgie (chirurgie mini-invasive, reconstruction) et en radiothérapie
(handronthérapie, IMRT, radiothérapie couplée à la chimiothérapie) ?
Les équipes cliniques déjà surchargées de travail doivent être aidées par
des médecins, des assistants de recherche clinique si on veut une
recherche clinique de qualité. Enfin, on connaît les difficultés de
l’INSERM pour recruter de jeunes médecins chercheurs, non seulement
en nombre de postes, mais aussi pour la faible attractivité des salaires par
rapport à ceux des médecins hospitaliers ou libéraux. Les fonds collectés
par les œuvres caritatives, comme la ligue, ne peuvent et ne doivent se
substituer au financement de l’État qui a bien su trouver 1,5 milliard
d’euros (plus de deux fois le plan cancer) pour aider les restaurateurs ! Il
doit être clair également que, dans le domaine de la recherche, un programme européen sous la houlette d’un institut européen du cancer sera
seul capable de développer des programmes puissants, efficaces et équivalents à ceux du National Cancer Institute américain
LE PLAN CANCER EST DONC UNE BONNE CHOSE
Il met en ordre de bataille contre ce fléau des structures qui travaillaient
jusque-là en ordre dispersé. Dans les choix financiers à faire, il faudra privilégier les actions qui, en termes de vies sauvées ou d’amélioration de la
qualité de vie des malades, sont les plus efficaces. La prévention, le dépistage, les traitements des formes de début par chirurgie ou radiothérapie ou
autres doivent passer avant les chimiothérapies coûteuses iatrogènes et
peu efficaces dans les tumeurs solides. N’oublions pas que, si la mortalité
par cancer du col diminue (vraisemblablement en raison du dépistage) et
avec des traitements simples, celle du cancer du sein et de l’ovaire ne baissent pas, voire augmentent. C’est donc de la recherche fondamentale que
viendra le progrès. C’est à l’Europe toute entière de s’unir pour trouver “la
simple injection” qui permettra peut-être aux femmes de se prémunir du
cancer du col, du sein et si possible des autres.
R
* Membre de la commission d’orientation cancer. Département de gynécologie obsté -
trique, reproduction et médecine fœtale. CHU Bretonneau, 37044 Tours Cedex.
La Lettre du Gynécologue - n° 294 - septembre 2004
É F É R E N C E
B I B L I O G R A P H I Q U E
1. Mubihayai et al. Gyneco Obstet Fertil 2002.
3
Téléchargement