L`idée d`encyclopédie ou la philosophie à la portée de tous

L'idée d'encyclopédie ou la philosophie à la portée de tous
Extrait du Lycee Raymond Naves
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L'idée d'encyclopédie ou la
philosophie à la portée de tous
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Date de mise en ligne : jeudi 9 avril 2009
Lycee Raymond Naves
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L'idée d'encyclopédie ou la philosophie à la portée de tous
Lycée Raymond Naves Année 2008-2009 Cycle de conférences sur « Le cercle »
Mon intervention se veut un panorama de la grande odyssée de lesprit encyclopédique.
Pierre Roncin
Introduction
Je remercie la personne qui ma fait remarquer que cette intervention sur lidée dencyclopédie arrivait à point
nommé, puisque lEncyclopaedia Universalis propose en ce moment une nouvelle édition papier, « disponible chez
votre marchand de journaux » (sic). Si vous prenez le métro, vos yeux ont sans doute rencontré les affiches qui en
assurent la publicité et qui titrent « Essentiel, universel et actuel ». Mon intervention ne poursuit dautre objectif que
de justifier ces trois épithètes.
Je ne vais présentement aborder ni la manière dont se constitue une encyclopédie ni le problème que soulève son
ou ses utilisations. Jy reconnais des sujets passionnants, mais je crois plus approprié pour acquérir quelques
notions précises dans ces matières de sadresser directement auprès de mes collègues documentalistes.
Je me suis intéressé plus spécifiquement à lidée dencyclopédie elle-même ou, si vous préférez, à lesprit qui anime
le projet encyclopédique.  Mon intervention, dont le titre racoleur et fort peu modeste est « Lidée dencyclopédie
ou la philosophie à la portée de tous », se veut un panorama de la grande odyssée de lesprit encyclopédique.
Cest une pièce en cinq actes (sans être pour autant une comédie) : Acte I : Les Titans ; Acte II : Les Olympiens ;
Acte III : Les Géants ; Acte IV : Prométhée ; Acte V : Les Hommes. Je garde intact pour linstant le mystère que
recouvrent ces noms mythiques étrangement sollicités dans le cadre dune réflexion sur lidée dencyclopédie.
Jai lintime conviction que le lycée, cest-à-dire dabord ceux qui sy rencontrent et qui le font vivre, se trouve par son
projet éducatif engagé dans et par cette réflexion.
Enfin, il ne ma pas paru totalement inintéressant, à lheure de Wikipédia, lencyclopédie libre et communautaire,
dont le développement modifie les pratiques étudiantes, voire même enseignantes, de sinterroger sur le sens et la
finalité du projet encyclopédique.
Préambule
En guise de préambule, si vous le voulez bien, je vais commencer par une très brève considération étymologique,
car elle vous permettra de comprendre sans peine pourquoi, lorsquau début de lannée ma été soumis le thème de
ce cycle dinterventions interdisciplinaires, la connexion sest faite immédiatement dans mon esprit entre le concept
de cercle et lidée dencyclopédie.
Le terme « encyclopédie » est la francisation dencyclopaedia, latinisation de la Renaissance (XVI siècle) de
lexpression grecque de lécrivain Plutarque enkuklios paideia, qui signifie littéralement « le cercle des
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connaissances ». Le terme enkukilos, littéralement « en cercle » ou « circulaire », est formé sur la préposition
grecque en, « en », et sur le substantif kuklos, « cercle », duquel provient notre terme de « cycle ». Le terme paideia
signifie « éducation » mais aussi de façon plus vaste « connaissance ».
Ainsi, lobjet de lencyclopédie est donné, en quelque sorte, par létymologie même du terme. Il sagit de faire le tour
complet des connaissances dans un but déducation. Cette définition, même provisoire, me semble justifier
pleinement ce que javançais à propos de lengagement du lycée dans la réflexion sur lidée dencyclopédie&
Acte I : Les Titans (de l'Antiquité au XVII siècle)
De lAntiquité au XVII siècle, on voit se détacher très clairement un premier encyclopédisme, une première tradition
cohérente et homogène de lencyclopédie. Le trait caractéristique de cet encyclopédisme originel réside dans le fait
que lambition encyclopédique est portée par des individus singuliers, véritables titans par leurs capacités
intellectuelles et leurs dispositions à la recherche. A défaut de mieux, on parlera donc dun encyclopédisme
individuel.
Sans érudition aucune, je vais devant vous évoquer quelques grands noms qui représentent la crête de cette
première vague encyclopédiste.
1) Aristote et l'ambition encyclopédique
Depuis son origine, la philosophie a partie liée avec le projet encyclopédique. Je vous demande de prendre ici le
terme de « philosophie » en un sens plus étendu que celui que nous lui donnons de nos jours. Je rappelle, au
passage, que la distinction de la philosophie et de la science est relativement récente. Au XVII siècle, on confond
volontiers le savant et le philosophe. Pour exemple, Newton, qui est pourtant lun des artisans de la distinction que je
viens de mentionner, donne à louvrage dans lequel il expose sa théorie mécanique le titre de Principes
mathématiques de philosophie naturelle&
Aristote (IV siècle avant J.-C.), dans le deuxième chapitre du livre Alpha de sa Métaphysique, entreprend de définir la
philosophie. Fait remarquable, la première acception quil donne à ce terme est celle de savoir encyclopédique :
« Jappelle philosophe, dabord, celui qui, dans la mesure du possible, possède la totalité du savoir . »
La philosophie comme savoir encyclopédique se définit comme une somme, la somme du savoir absolu.  On
parvient par là à dégager un premier aspect du concept de cercle, à savoir lidée de totalité. Lopération
fondamentale de la démarche encyclopédique consiste en une totalisation enveloppante. Encercler, cest envelopper
tout entier, cest embrasser complètement, cest com-prendre.
On comprend sans peine pourquoi le philosophe parti en quête de vérité doit impérativement tendre vers la
possession de la totalité du savoir. Tout étant dans tout, tout se tenant, pour connaître quelque chose exactement, il
faut connaître au préalable toutes choses. Ne pas tout connaître, cest en réalité ne rien connaître du tout.
Je ferai simplement remarquer ici que la pensée et la vie du Stagyrite (on nomme ainsi Aristote parce quil est né à
Stagyre, actuelle Stavros, en Macédoine) illustrent parfaitement cette quête absolue de totalité. Aristote fut le
fondateur de la logique, celui de la biologie (avec lassistance de son très illustre élève, Alexandre le Grand, qui ne
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manquait jamais une occasion de lui exprimer sa gratitude en lui faisant parvenir des limites du monde connu quil
navait de cesse de repousser des spécimens despèces tant végétales quanimales jusqualors inconnues des
Grecs). Il fut physicien, météorologue, psychologue, métaphysicien, moraliste. Il a réfléchi et écrit sur la rhétorique,
sur la poétique, sur la politique et sur léconomie& Bref, il est peut-être le penseur le plus complet de lhistoire de la
philosophie.  Jemprunte à Rousseau pour les besoins de mon exposé cette phrase extraite du Discours sur
lorigine de linégalité parmi les hommes : « Je parcours comme un trait des multitudes de siècles, forcé par le temps
qui sécoule, par labondance des choses que jai à dire, et par le progrès presque insensible des commencements ;
car plus les événements étaient lents à se succéder, plus ils sont prompts à décrire. »
2) Pic de la Mirandole et le syncrétisme humaniste
On sait linfluence prépondérante exercée par les thèses péripatéticiennes sur la scolastique du Moyen-âge. Certes,
la Renaissance, dun point de vue doctrinal, sest reconnue dans son opposition à laristotélisme. Néanmoins, le
projet humaniste_ dabord et avant tout éducatif_ quelle a diffusé et porté doit beaucoup au Philosophe.
Léducation humaniste de la jeune noblesse se doit dêtre encyclopédique, cest-à-dire aussi complète que possible.
Je vous renvoie sur ce point aux pages fameuses du Gargantua de Rabelais (chapitre XXI) où lauteur raconte une
journée de lenseignement humaniste du maître Ponocrates à son élève Gargantua.
Léducation humaniste consiste principalement dans la studia humanitatis, littéralement « létude des humanités » :
le latin et le grec pour lire dans le texte les philosophes et historiens de lAntiquité, la grammaire, les sciences, à
commencer par la géométrie et larithmétique, la dialectique et la rhétorique, la musique, etc.
Personnage emblématique de cette Renaissance humaniste fondé sur lencyclopédisme individuel, lItalien Jean Pic
de la Mirandole (1463-1494) sait à lâge de dix-huit ans rien moins que vingt-deux langues et à lâge de vingt-quatre
il se fixe un objectif titanesque qui mérite que lon sy penche un instant dans le cadre de notre réflexion sur lidée
dencyclopédie. Il entreprend de publier et de soutenir publiquement, devant une assemblée dérudits venus des
quatre coins de lEurope, neuf cents thèses qui ont pour vocation de résumer, d « encercler » toutes les
connaissances passées et présentes et de faire la synthèse du platonisme et de laristotélisme.
On peut lire dans le Discours de la dignité de lhomme (De hominis dignitate oratio) la présentation de ce projet
proprement encyclopédique ainsi que celle de la méthode mise en Suvre pour laccomplir. Cette méthode est celle
dun syncrétisme éclectique. Pic de la Mirandole a tout lu et semble tout connaître : les philosophes arabes, les
platoniciens et les néo-platoniciens, les aristotéliciens et les néo-aristotéliciens, la tradition tamuldique, les exégètes,
les traités de magie, etc. Entre les traditions qui sopposent, il ne choisit pas. Prenant un sujet, il entreprend den
faire le tour complet (enkuklios) et de le considérer autant que possible sous plusieurs angles afin de sen faire une
idée qui soit la plus conforme à la réalité.
3) René Descartes et larbre de la philosophie
Par maints aspects de sa pensée, René Descartes (1596-1650) occupe un rang spécial dans lhistoire de la
philosophie. Si nous nous y référons maintenant, cest dans la mesure où, avec lui, lencyclopédisme individuel est à
son zénith.
Cette assertion se fonde sur un passage fameux de la lettre-préface des Principes de la philosophie où le philosophe
de la Flèche compare la « vraie philosophie » à « un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la
physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales :
à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; jentends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant
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une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse ».
Descartes sinscrit donc pleinement dans la tradition de lencyclopédisme individuel. Néanmoins, il innove en
ajoutant à lidée dune totalité du savoir un élément nouveau, à savoir lidée de lunité organique rationnelle du savoir
en question.
On a là lexpression du deuxième aspect fondamental de lidée de cercle, à savoir lidée de système, sur laquelle on
aura loccasion de revenir.
Retenons que ce nest pas que Descartes, métaphysicien, eût non pas un, mais une quantité de violons dIngres (la
physique, la biologie, lastronomie, la morale, la mécanique, la médecine, etc.). Ce nest pas par « vaine curiosité »
quil sest intéressé à ces disciplines. Ce nest pas non plus quil portât différentes casquettes. Non, sil a étudié la
métaphysique et la physique et la biologie et lastronomie et la morale et la mécanique et la médecine, cest que ces
disciplines étaient, à ses yeux, indissociables. Elles forment ensemble une entité organique qui possède son ordre
architectonique propre et dont larbre est le symbole.
Acte II : Les Olympiens (de la deuxième moitié du XVII
siècle au début du XIX siècle)
1) Pascal
a. Récit dun tremblement de terre
Dans la deuxième moitié du XVII siècle, ce que nous avons nommé lencyclopédisme individuel entre en crise, crise
grave, crise profonde, mais non mortelle, comme nous allons le constater dans quelques instants. Du reste, cest
parce quelle est faite de rebondissements, de retours et de circonvolutions que jai cru bon de présenter lhistoire de
lidée dencyclopédie comme une odyssée, cest-à-dire un voyage long et aventureux.
Jusquà présent, nous avions été en présence dun triangle dor, une trilogie sacrée, que nous appellerons, à défaut
de mieux, la trilogie de la finitude : lhomme fini, la science finie, le monde fini (le Cosmos). Parce que ces trois
termes sont également finis, on peut trouver une proportion entre eux. La conscience de cette secrète proportion
avait doté les philosophes dune « force tranquille ». Aristote et Pic de la Mirandole affichaient une foi inébranlable
dans la raison humaine. Elle leur permettrait, à coup sûr, datteindre lobjectif du premier encyclopédisme, à savoir la
possession de la totalité du savoir, le savoir absolu. En effet, le monde étant fini, achevé, la science qui létudie et en
rend compte doit elle-même être finie et, sinon achevée, du moins achevable. En droit, rien ninterdit à lindividu
singulier de sapproprier et dassimiler complètement le contenu scientifique parvenu à son état définitif&
Avec les travaux de Copernic (1473-1543), de Galilée (1564-1642) et de Kepler (1571-1630), cette sacro-sainte
trilogie de la finitude vole en éclat. La science et le monde se mettent à suivre une ligne de fuite qui ouvre à linfini et
sécoulent entre les mains de lhomme impuissant à les retenir et à les renfermer dans les bornes étroites de sa
nature finie. On assiste alors à un spectacle des plus étranges : des hommes qui par leurs capacités cognitives tout
à fait extraordinaires auraient dû sans aucun doute reprendre le flambeau de lencyclopédisme individuel, des
hommes qui devaient afficher la même foi inébranlable que leurs illustres prédécesseurs dans leur aptitude à
parvenir à la possession de la totalité du savoir, se mettent à trembler et sont pris de vertige. Cest que la terre
littéralement se dérobe sous leurs pieds. Témoin Blaise Pascal (1623-1662) dans les Pensées (199) :
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