Comptes rendus / Sociologie du travail 50 (2008) 434–445 439
Sociologie du travail et activité, Alexandra Bidet, avec la collaboration d’Anni Borzeix,
Thierry Pillon, Gwenaele Rot, Franc¸ois Vatin (Eds.). Octarès, Toulouse (2006). 249 pp.
L’ouvrage intitulé Sociologie du travail et activité trouve, en partie, son origine dans les sessions
tenues par le réseau thématique du même nom à l’occasion du premier congrès de l’Association
franc¸aise de sociologie en 2004.
Alexandra Bidet ouvre son introduction par un constat a priori surprenant : jusque très récem-
ment, la sociologie du travail n’a que peu considéré le travail en actes. L’explication est à chercher
dans le projet même de la discipline : la sociologie du travail franc¸aise initiée par Georges Fried-
mann trouve, dès son origine, sa justification bien au-delà de la seule sphère du travail. Porter un
regard critique sur le travail, c’est avant tout s’intéresser au mode de production standardisé, asso-
cié communément au « taylorisme ». Anni Borzeix, citée longuement dès les premières lignes
de l’introduction, en témoigne à sa fac¸on : « on oublie aujourd’hui combien atténuer les souf-
frances et améliorer l’ordinaire, objectifs plus immédiats et modestes que se fixait l’ergonomie,
paraissaient entachés à nos yeux de réformisme. Nous nous occupions des alternatives, des “sor-
ties possibles” du modèle taylorien et des moyens d’y parvenir » (p. 6). La sociologie du travail
d’inspiration friedmannienne, écrit A. Bidet, s’est ainsi saisie de l’objet travail d’une manière
singulière. Habitée par un « idéal du métier artisanal » (p. 8), elle cherche avant tout à évaluer le
degré d’autonomie ou d’hétéronomie du salarié. Ce parti pris, identifié à un « prisme salarial », ne
permet de considérer ni l’épaisseur concrète de l’activité, ni sa dimension temporelle. Paradoxa-
lement, l’acte de travail se voit ainsi rabattu sur « une rationalité instrumentale », qui le sépare de
« sa technicité concrète et des formes de création normative qu’elle implique » (p. 11).
En plac¸ant au cœur de l’ouvrage la temporalité et la technicité du travail, jusqu’alors souvent
négligées, les auteurs parient sur l’intérêt d’appréhender le travail comme un accomplissement
pratique. Si le travail implique l’engagement d’un individu dans des situations productives toujours
pour partie singulières, il ne s’agit pas pour autant de proposer une approche en terme d’expérience
subjective : « pas plus que l’activité ne se réduit à la situation, elle ne se confond avec l’action
— les actes de travail réalisés hic et nunc » (p. 15). L’approche proposée consiste à « s’intéresser
aussi à ce qui les déborde » (p. 15). Mais comment prendre en compte à la fois l’indexation des
actes de travail, hic et nunc, et la relative stabilité des mises en forme qui trament toute organisation
productive ?
L’ouvrage se compose de quatre grandes sections : les trois premières déclinent différents
« registres de créativité et de mise en forme du travail, associées à différentes modalités de dis-
tribution de l’action » (p. 18). La dernière section s’intéresse à l’organisation instituée, abordée
comme une dimension constitutive du travail.
La première partie, « Corps et technicité dans le travail », rassemble trois articles s’intéressant
au corps et à sa « performativité » : « à ce qui dans ces corps et ces techniques est actif — lorsqu’ils
sont orientés vers autrui, à ce qu’ils « font » avec d’autres ou à d’autres, hommes ou artefacts »
(p. 26). Le sociologue pourrait presque dans cette perspective se passer d’une théorie du sujet.
La deuxième partie intitulée « Réaliser un produit. Les détours d’un accomplissement concret »
met en exergue des dimensions souvent inaperc¸ues du travail et son incertitude constitutive. La
réalisation d’un film, tout autant que l’écriture d’un acte juridique par un huissier de justice,
implique ainsi la gestion continue d’imprévus.
La troisième partie concerne la dimension subjective de l’engagement dans le travail. « Pour
rendre compte du travail concret, le chercheur ne peut plus abstraire la finalité sociale de l’action
— fut-elle imposée — de la série complexe des moyens mis en œuvre pour la réaliser », écrit
Thierry Pillon (p. 127).